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Chapitre 3. L'auctorialité ou la réappropriation des récits

2. Auctorialité collective ou la notion d'auteur carnavalisée

2.2. Les histoires puisées des ancêtres

La littérature indigène fait la part belle aux récits des Anciens. Les mythes se perpétuent. Le ou les narrateurs ne sont que des transmetteurs de générations d'histoires contées par les ancêtres. Ce concept de transmission, de l’insertion dans une lignée,

permet d’appréhender différemment la notion d’auteur et surtout de réfléchir sur l’intertextualité en littérature.

Le narrateur, conteur d’histoires de la communauté, vient se confondre avec la notion d’auteur, alors qu’il n’est que le transmetteur d’un récit appartenant à la communauté. Les conteurs s’effacent au profit de la communauté, notion qui estompe les barrières spatiales et temporelles. Le temps est aboli et les paroles des ancêtres sont intégrées aux paroles actuelles. Attribué à une communauté, le mythe se consolide de toutes les versions possibles et antérieures.

Les cinq narrateurs de Mito e história do povo xavante reprennent, comme le titre l'indique, les mythes xavante. Lorsqu'on ouvre le livre, une petite enveloppe est collée, avec des illustrations représentant des Indigènes. A l'intérieur, des cartes postales d'illustration avec de la réalité indigène, et une feuille, comme un courrier, qui se déplie sous format A4 signé par le leader indigène Ailton Krenak, fondateur de l'ONG Núcleo

de Cultura Indígena 123. La lettre s'intitule « Guardadores da Palavra Criadora ». Elle est

une ode aux paroles des Anciens :

Ouça o que dizem os antigos. Preste atenção na fala dos velhos sábios, pois eles guardam a Palavra Criadora.

La lettre insérée dans le livre semble provenir d'un monde passé, tel un message des Anciens. Elle introduit le récit des cinq narrateurs sans les mettre en avant. Au contraire, ils s'inscrivent dans la tradition de l'oralité et disparaissent au profit des Anciens, immuables dans le temps.

Davi Kopenawa salue également les paroles des Anciens. Les exemples abondent tant l'idée est omniprésente dans le corpus de littérature indigène, on peut dire qu'elle présente un topique.

Les dires de nos ancêtres n'ont jamais été dessinés. Ils sont très anciens mais demeurent toujours présents dans notre pensée jusqu'à maintenant. Nous continuons à les révéler à nos enfants qui, après notre mort, feront de même avec les leurs. […] C'est ainsi que, sans dessiner nos paroles, nous transmettons notre histoire. [Les paroles des anciens] vivent au fond de nous. Nous ne les laissons pas disparaître. (Davi&Bruce, 492)

Le mythe appartient à la communauté, et non à l’écrivain ni au conteur qui en réalise une version originale, effectuant une performance qui lui est propre et qui repose sur son talent. Dans la tradition orale, les narrations sont la propriété collective de la communauté, l’héritage des Anciens. Elles sont apprises à travers la mémoire et transmises de génération en génération.

Aujourd’hui toutefois, on voit émerger la figure de l’écrivain qui s’autoproclame indigène et, bien qu’étant écrivain à titre individuel, met en avant sa filiation indigène. Eliane Potiguara ou Daniel Munduruku juxtaposent le nom de leur groupe ethnique à leur prénom, à la place de leur nom de famille.

Comme le conteur indigène, l’écrivain indigène serait un transmetteur : il puise dans la mémoire de la communauté et crée sa propre version. Il se nourrit de la tradition commune, afin peut-être d’assurer sa légitimité. Ainsi, il s’inscrit dans une lignée de traditions et a droit, à son tour, de conter des histoires.

Conter et raconter semble se transmettre de père en fils. L’écrivain s’entoure parfois de membres de sa famille pour co-signer ou pour illustrer ses histoires. L’auctorialité collective n’est donc pas si éloignée. Les écrivains rendent hommage à la communauté et aux ancêtres en transmettant à leur tour et par leur propre moyen les histoires qui ont accompagné leur vie. Ainsi, on peut lire dans l’introduction de Caçador de histórias de l’écrivain Yaguarê Yamã :

Sinto muita saudade de meu pai. Narrando essas aventuras, é como se eu estivesse em seu lugar, fazendo o que ele mais gostava de fazer : sentar perto da fogueira e relembrar as histórias dos heróis e aventureiros da magnífica selva amazônica. Por isso dei a este livro o título de Sehay Ka’at Haría (O caçador de histórias), em homenagem a meu pai e a todos os caçadores de histórias de nossa cultura, sem os quais esse mundo tradicional, tão especial e cheio de mistérios, não teria chegado até nós.124

D’autres tentent d’échapper aux mythes qu’on attribue systématiquement aux Indigènes. C’est le cas d’Olívio Jekupé, qui souligne la persistance des préjugés :

Nós queremos escrever sobre nossa vivência nas aldeias, sobre nossa realidade. Mas aí me perguntam: ‘Você não escreve mitos?´. Enfrentamos ainda muito desconhecimento, muito preconceito. Na aldeia recebemos frequentemente turistas e turmas de escolas, e muitos deles ainda vêm com a idéia de que vão encontrar índios pelados e pintados125

Les écrivains indigènes vivent dans une réalité moderne qu’ils ne cessent de souligner, tout en étant conscients de s’inscrire dans une tradition indigène dont ils sont issus et dont ils font partie.

124 Yaguarê Yamã, O caçador de histórias. Sehay Ka’at haría, São Paulo, Martins Fontes, 2004, p. XIII. Mon père me manque beaucoup. En contant ses aventures, c’est comme si j’étais à sa place, je fais ce qu’il aimait le plus faire : m’asseoir près du feu et me souvenir des histoires des héros et des aventuriers de la magnifique forêt amazonienne. C’est pour cela que j’ai appelé le livre Le chasseur d’histoire, en hommage à mon père et à tous les chasseurs d’histoires de notre culture, sans lesquels notre monde traditionnel, si particulier et plein de mystères, ne serait pas parvenu jusqu’à nous. (notre traduction)