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Chapitre 2. Contours d'une bibliographie indigène

2. Formes et genres

2.2. Auteurs autoproclamés indigènes

Relativement loin des forêts et des écoles différenciées, la littérature indigène rassemble aussi des écrivains à titre individuel qui s’autoproclament indigènes. Une grande majorité vient des centres urbains ou s’y est installée tout en conservant des contacts avec leur famille dans leur région d’origine. Ils ont bien souvent une expérience de l’université. Ce mouvement est comparable au mouvement américain de la Native American Literature, bien que plus novice et de moindre envergure. Les auteurs sont publiés et commencent à être connus mais ils n’ont pas encore reçu de consécration ou de grand prix littéraire et restent relativement en marge des académies de littérature, comme c'est le cas de Eliane Potiguara. Ce mouvement littéraire indigène illustre bien la

« nouvelle posture »69 des peuples indigènes avec la société.

Les écrivains indigènes, s’ils sont en général encore peu édités par les maisons

d’édition70, ont tous une certaine visibilité internationale grâce à leur site Internet ou à

leur blog71. Leur travail d’écriture se double systématiquement d’un engagement pour la

cause indigène. Le site est plus une plateforme d’information et de discussion autour du travail réalisé par les écrivains, tant sur le point littéraire que social. Ils ont donc un double rôle : parallèlement à leur art, ils s’occupent d’ONG ou d’association défendant le droit des Indigènes. Ainsi, Daniel Munduruku est président de l’Instituto Indígena

Brasileiro para Propriedade Intelectual (INBRAPI)72, une ONG créée en 2003 qui

œuvre pour la protection de la propriété intellectuelle et la diffusion des connaissances traditionnelles indigènes par les Indigènes eux-mêmes. Eliane Potiguara est présidente

69 Discours de Daniel Munduruku lors de la 5e édition du Encontro Nacional de Escritores Indígenas, 2008.

70 Ce n’est pas le cas de Daniel Munduruku qui a plus d’une quarantaine d’ouvrages à son actif, principalement en littérature juvénile.

71 A titre d’exemple, les sites de Daniel Munduruku, http://www.danielmunduruku.com.br/, Eliane Potiguara http://www.elianepotiguara.org.br/home.html, ou les blog de Olívio Jecupé, Luiz Carlos Karaí, Carlos Tiago, Graça Grauna, etc.

d’une association de soutien aux femmes indigènes créée en 1987, le Rede Grumin de

mulheres indígenas, (GRUMIN)73. Olívio Jekupé est président de l’association guarani

Nhe’ê Porã74 qui diffuse la culture guarani et organise des projets depuis l’aldeia Krukutu, à São Paulo.

L’écriture s’inscrit dans cette perspective de combat et de défense des valeurs Indigènes. La littérature indigène véhicule des enjeux politiques forts, et les auteurs sont aussi des leaders de leur communauté engagés dans la revendication des droits indiens. L’écriture est souvent doublée de la prise de parole en public lors de conférences locales ou internationales. Ainsi, la littérature apparaît comme un moyen de visibilité pour faire passer un discours et un nouvel espace pour montrer la force et la richesse des peuples indigènes.

Internet est l’outil principal pour se représenter. Les auteurs indigènes sont regroupés dans un réseau, le Núcleo de Escritores e Artistas Indígenas do Inbrapi (NEARIN) dont

le blog est régulièrement mis à jour75. Comme mentionné dans son blog, le NEARIN a

été créé à l’occasion du premier Encontro Nacional de Escritores Indígenas à Rio de Janeiro en 2003. Chaque année, les tables rondes organisées mettent l’accent sur la modernité de ce mouvement littéraire qui s’appuie pourtant sur la tradition et permet d’insérer les écrits indigènes au sein des études littéraires. La septième édition de cet

événement a eu lieu en 2010, lors du 12e salon de la Fundação Nacional do Livro

Infantil e Juvenil (FNLIJ) :

(…) á um novo fenômeno em andamento no Brasil que é a presença de indígenas em contexto urbano. Estes indígenas são oriundos de diversas regiões brasileiras e são motivados pelas mais diferentes situações que vão desde a desintegração social a que foram submetidos até o desejo de buscar novas soluções para suas comunidades originais ou contribuir para a reflexão em torno do papel dos povos indígenas no desenvolvimento do País. Vale dizer, pois, que muito da literatura indígena hoje produzida e que faz parte da realidade nacional é fruto deste fenômeno e como tal

73 http://www.grumin.org.br/principal.htm

74 http://www.culturaguarani.org.br/homebr.html

precisa ser discutida e apresentada à sociedade como possibilidade de refletir sobre a identidade brasileira.76

Ils jouissent d’un espace de visibilité lors de ce salon consacré à la littérature juvénile, car la majorité des œuvres sont éditées en tant que littérature juvénile. Seuls les

ouvrages Todas as coisas são pequenas77 de Daniel Munduruku et Metade cara, metade

máscara78 de Eliane Potiguara sont publiés sous une forme relativement conventionnelle

de roman pour adulte. D’autres reviennent sur les croyances et la mythologie indigène

dans un style « mythico-mystique-ésotérique »79, tentant d’expliquer au lectorat

non-indigène leur univers.

Menezes de Souza fait preuve de scepticisme quant à la contribution de ces écrivains indigènes à la littérature indigène. Il souligne que les écrivains cohabitent avec la culture dominante et s’adressent à un lectorat non indigène sous des formes relativement classiques. Il est vrai que, contrairement au cas du Mexique, les écrivains ne font pas le

choix littéraire d’écrire en langue indigène80 en s’adressant à leur communauté. Il est

important de souligner que le portugais est également la langue des écrivains indigènes, qui parfois ne parlent que cette langue. C’est le cas de Olívio Jekupé, écrivain d’origine guarani, marié à une femme guarani, qui comprend sa femme de langue maternelle guarani mais ne parle et n’écrit que portugais, sa langue maternelle. Bon nombre d’Indigènes sont nés, ont été élevés et vivent désormais au cœur de la dite « civilisation brésilienne ».

76 http://ggrauna.blogspot.com/2010/05/7-ncontro-de-escritores-e-artistas.html

77 Daniel Munduruku, Todas as coisas são pequenas, São Paulo, Editora Arx, 2008, 159 p.

78 Eliane Potiguara, Metade cara, metade máscara, São Paulo, Global Editora, 2004, 138 p.

79 Selon l’expression de Lynn Mario Trindade Menezes de Souza, pour qualifier les ouvrages de Kaka Werá Jecupé.

80 Conférence de Martine Dauzier, « Ecrivains indigènes du Mexique : quelles œuvres pour quels publics ? », lors du colloque Le multiculturalisme « au concret » en Amérique latine organisé les 24 et 25 juin 2010 par l’IHEAL.

Les aldeias indigènes sont parfois localisées à proximité des grandes villes et se confondent avec la périphérie urbaine, y compris dans les états de Rio de Janeiro et de

São Paulo81. La littérature indigène n’est pas communautaire mais s’adresse, il est vrai,

essentiellement aux non Indigènes. Dans un nouvel espace de contact entre les Brésiliens et les Indigènes, la littérature indigène a pour but la conscientisation des Brésiliens.