• Aucun résultat trouvé

Chapitre I. Fascistes italiens et nationalistes indiens, des liens complexes

2. La réception de Mazzini en Inde

Giuseppe Mazzini étudia le droit, fut un temps avocat puis mena une vie d'errance en Europe, toujours rebelle face au pouvoir politique, sans cesse dans le besoin, sans cesse traqué, et proche du peuple. Au siècle suivant, Giuseppe Tucci voyageait en Europe et en Asie, au service du Duce, de l'Italie fasciste, plus proche des élites cultivées, mais non des familles princières indiennes. En effet, sa situation certes confortable, d'académicien et de sénateur, ne lui aurait pas permis la fréquentation assidue des familles princières fortunées qui ne partageaient pas nécessairement ses intérêts, n’étaient pas des lettrés et

souhaitaient avant tout mener une vie mondaine. En ce sens, la famille Tagore, le roi du Népal, sont des exceptions, car très cultivés. Contrairement à Mazzini qui souhaitait l'indépendance de l'Italie, animé par un idéal de justice sociale,

convaincu de la mission civilisatrice de l'Europe et peu ouvert sur l’Orient,

Giuseppe Tucci devint un Oriental et adhéra au bouddhisme. Jean-Yves Fétigné a rappelé la vie d'exilé de Giuseppe Mazzini (1805-1872) et l'influence des idéaux de la Révolution française sur sa pensée409. Il étudia la philosophie et le droit, et fut à ses débuts avocat. En 1827, il devient membre du mouvement des

Carbonari, une société secrète opposée à toute forme d'absolutisme. Il connut la prison, puis partit pour la France et l’Angleterre.

409FRETIGNE, Jean-Yves, Giuseppe Mazzini, le père de l'unité italienne, Paris, Fayard, 2006, première partie, Gènes (1805-1831), p. 15-80, deuxième partie, la naissance du mazzinianisme (1831-1833), p. 131-146.

Il créa en 1831 la société secrète Giovine Italia410, qui deviendra plus influente que le mouvement des Carbonari. De retour en Italie en 1848, il fut brièvement un des dirigeants, de la République romaine, en février 1849, puis il repartit en exil à Londres. Le succès fut loin d'être au rendez-vous, la population qui connaissait une situation difficile n'adhérait pas à l'idée d'une rébellion contre le régime et lui préféra des leaders plus modérés, tandis que certains de ses fidèles souhaitaient privilégier une action diplomatique. Hostile à la création

du royaume d’Italie en 1861 au profit de Victor-Emmanuel, il connut de

nouveaux déboires politiques dont la prison, une dernière fois d'août à octobre 1870. Ses partisans furent évincés de la 1re Internationale, et il s'opposa à Marx quant aux événements de la Commune de Paris. La pensée du « Moïse de

l’Unité italienne »411, selon l'expression de l'historien italien, Simon Levis

Sullam connurent une renommée mondiale, tant chez les Européens, Thomas Mann, Alexis Tolstoï, Romain Rolland, que chez les Indiens Lala Lajpat Rai412,Vinayak Damodar Savarkar, et le Mahatma Gandhi. Toutefois, ils furent

également profondément marqués par sa personnalité et son œuvre, même s'ils

n’avaient pas retenu les mêmes aspects de la pensée du révolutionnaire413.

410Le mouvement Giovine Italia, fut créé par Mazzini, à Marseille en 1831. L'organisation avait des pratiques de société occulte, la liste de ses membres était tenue secrète afin de déjouer la surveillance de la police. La société connut plusieurs déboires et suivit son fondateur dans son exil londonien en 1839. La société fut dissoute en 1848 pour laisser la place à l' Associazione nazionale italiana . Source : Giovine Italia, Enciclopedia Trecccani, [en ligne] disponible sur le site http://www.treccani.it/enciclopedia/giovine-italia/,consulté le 29 septembre 2015. Ibid. FRETIGNE, Jean-Yves, Giuseppe Mazzini, le père de l'unité italienne, cinquième partie, Créer un peuple (1848-1850), p. 265-350.

411MAZZINI, Giuseppe, Nationalité, quelques idées sur une constitution nationale, La Jeune Suisse, 19 septembre 1835, in SEI, vol. 6, p. 125, 127, 133. Cité par LEVIS SULLAM, The Moses of Italian Unity : Mazzini and Nationalism as Political Religion, In BAYLY, Christopher Allan. and BIAGINI, Eugenio F., Giuseppe Mazzini and the Globalization of Democratic Nationalism, 1830-1920, Oxford, Oxford University Press, 2008 p. 112.

412Lala Lajpat Rai (1865-1928) , fut un écrivain et un homme politique nationaliste indien. Membre de l'organisation Hindu Mahasabbha et du parti du Congrès, il fut également influencé par le mouvement Arya Samaj qui prônait des réformes au sein de la société indienne. Opposé à la venue de la Commission Simon en 1928 qui allait discuter de réformes susceptibles d'être engagées en Inde, Lala Lajpat Rai fut frappé par la police, et décéda peu de temps après. Source : Encyclopedia

[en ligne] disponible sur le site http://www.encyclopedia.com/doc/1G2-3404705332.html, consulté le 10 novembre 2015.

413LEVIS SULLAM, The Moses of Italian Unity : Mazzini and Nationalism as Political Religion. BAYLY, Christopher Alan and BIAGINI, Eugenio F. Giuseppe Mazzini and the Globalization of Democratic Nationalism, 1830-1920, p. 112.

A la fois libéral et jacobin, Mazzini alliait une religiosité marquée et un principe d'universalité dans cette formule « Dieu et le Peuple ». Il n'élabora pas de modèle de société, mais pensait à un monde meilleur. A ses yeux, l'humanité était née de la main divine, et les peuples possédaient une origine et un devenir communs. Il rejeta à la fois l'utilitarisme et le matérialisme, en considérant que la religion permettait une prise de conscience éthique. Selon lui, la violence permettait de s'opposer à la monarchie absolue. Il apparaît également comme une des références philosophiques politiques pour les élites indiennes de la première moitié du XXe siècle. Partisan des « bienfaits » de la colonisation européenne414, sa renommée dépassa toutefois les frontières, pour aller de l'Amérique latine à l'Inde, durement touchée par l'échec de la révolte des Cipayes de 1857, qui avait frappé toutes les régions, toutes les castes, les classes sociales et les religions du pays, le dernier empereur musulman de l'Inde, Bahadur Shah Zafar avait été destitué par les Britanniques, à cette occasion. Selon les mots de Pierre Milza, « idéaliste et utopiste », Giuseppe Mazzini le fut incontestablement, malgré les échecs et les contradictions, et joua un rôle de premier plan dans la formation de la conscience nationale du peuple italien. Son oeuvre exerçait encore une influence de poids dans la pensée intellectuelle de son pays, tant chez les antifascistes Gaetano Salvemini (1873-1953), Carlo et Nello Rosselli (1899-1937 et 1900-1937) que chez les fascistes Giovanni Gentile (1875-1944) et Giuseppe Bottai (1895-1959).

414Mazzini déclarait ainsi : « ... Sous la main des Anglo-Saxons, le Mexique et l'Amérique du sud donneront à l'humanité de meilleurs résultats que n'en donnerait de loin la souche ibéro-latine, et les tribus Peaux-rouges. La Nouvelle-Colombie, l'Inde, l'Afrique, l'Australie, la Chine et le Japon vont recevoir de cette souche une impulsion plus bénéfique que ne donnent ni les Indiens indolents, les Cafres, Abyssins et les jaunes... » , Texte original : « ...Sotto la mano dei

Sassoni Americani, il Messico e l’America del Sud daranno all’Umanità migliori risultati che non ne ebbero finora dalla stirpe Ibero-latina, e dalle tribù color di rame. La Nuova Columbia,

l’India, l’Africa, l’Australia, la China e il Giappone riceveranno dalla Schiatta Sassone Europea

più benefico impulso che non dagli inerti Indi, dai Negri Cafri e Abissini, e dai gialli Mongoli. In : MAZZINI, Giuseppe, Rivista politica, in Pensiero ed Azione, 15 settembre 1858, in S. E. I., vol. LXII, Imola, Paolo Galeati, 1932, p.319. Cité par FUJISAWA, Futasoji, Giuseppe Mazzini e l'Asia, [en ligne] disponible sur le site http://www.tku.ac.jp/kiyou/contents/hans/128, consulté le 5 novembre 2015.

Ardent défenseur de la démocratie, de la fraternité et de la justice sociale, pour les uns, nationaliste ardent et préfasciste pour les autres415. Il

considérait l’appartenance à la nationalité comme une communauté de destin.416.