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L‘originalité italienne : Giuseppe Sergi et Isaiah Graziadio Ascoli

Chapitre II. L’Occident en quête du Graal

2. L‘originalité italienne : Giuseppe Sergi et Isaiah Graziadio Ascoli

Contrairement à l’Allemagne, l’idée que les peuples européens descendent d’Aryens antiques de race nordique ne s’imposa pas d'emblée en Italie.

L’anthropologue Giuseppe Sergi (1841Ŕ1936) avait émis la théorie du

peuplement de l’Europe toute entière par la migration de populations à l'origine

des plus anciennes civilisations : les anciens Egyptiens, issus auparavant de la

Corne de l’Afrique228. En effet, Giuseppe Sergi insistait sur le fait que les langues

indo-européennes étaient parlées par des populations « caucasiennes », tant blondes que brunes, en Europe et en Asie. La représentation de populations méditerranéennes latines, ou sémitiques en opposition avec des populations nordiques était pour lui absurde, tout comme la division entre populations du nord et du sud de la péninsule italienne229. Son confrère, Luigi Pigorini réfutait

formellement cette théorie, même s’il acceptait l’idée d’une origine africaine de

populations qu’il considérait comme « primitives ». Selon lui, l'évolution

« raciale » de la région et la naissance de la civilisation était due à l’arrivée de

tribus baltiques, Aryennes et d’au-delà des Alpes.

227SERGI, Giuseppe, Origine e diffusione della stirpe mediterranea, Roma, Dante Alighieri, 1895, 144 p. et PIZZATO, Fedra, Per una storia antropologica della nazione. Giuseppe Sergi e il mito della razza mediterranea nella costruzione culturale dello stato unitario italiano e nella competizione politica europea (1880-1919). [en ligne], http://unive.academia.edu/FedraPizzato, consulté le 20 juillet 2016.

228De DONNO, Fabrizio, 2010. Routes to Modernity : Orientalism and Mediterraneanism in Italian Culture, 1810-1910, In : Italy in the Mediterranean : special issue of 'California Italian Studies'. p. 1-23

229Ce débat entre des influences, soi-disant opposées, entre le nord et le sud de l’Europe eut lieu

également en France avec des penseurs comme Bernard Lazare, attaché au prestige de la Rome antique et opposé au racisme hitlérien.

En dépit de ces désaccords, tous deux admettaient une origine africaine

aux populations de la péninsule, ce qui ne manquerait pas d’être instrumentalisé

par les scientifiques américains convaincus de l’infériorité des populations du sud

de l’Europe230. Giuseppe Sergi percevait avec clairvoyance que la construction de

l’idée indo-européenne pouvait exclure une partie de la population de l’Europe,

selon des critères ethniques ou confessionnels ne présentant pas le caractère de vérité absolue. Il avait compris comment le rapprochement linguistique entre

l’Europe, la Perse et l’Inde était la pierre de touche d’une nouvelle théorie

raciale, visant à dévaloriser les Juifs d’Occident désormais bénéficiant des droits

civiques231.

Fabrizio de Donno, de l’université de Londres a rappelé que le fascisme, jusqu’en 1936 fondait son credo racial sur l’idée d’une Méditerranée unie, et sur l’idée d’assimilation romaine et de brassage ethnique, conformément

avec les ambitions géopolitiques dans la région232. Benito Mussolini lui-même

ironisait sur ce qu’il nommait le « blondisme » qui faisait fureur en Allemagne.

Les théories de Sergi étaient en vogue dans les cercles du pouvoir fasciste au

moment de la conquête coloniale où l’aryanisme était également prisé. Angelo de Gubernatis diffusa en Italie les idées de Max Muller et également, d’Ernest

Renan, son disciple, qui partageait certaines idées avec Gobineau, qui considérait pourtant que le métissage à doses infinitésimales, possédait des

vertus régénératrices. Fabrizio De Donno a insité sur le fait que l’anthropologue

Paolo Mantegazza (1831-1910) à la fin de son existence considérait la notion de peuple ou de race « aryenne » comme un mythe. Max Muller à la fin de son existence avait évolué vers l’idée selon laquelle, les Aryens n’étaient pas une

« race », mais les représentants d’une culture, issue de métissages.

230 DESCHAMPS, Bénédicte, Le racisme anti-italien aux Etats-Unis, 1860-1940. In : PRUM, Michel, Exclure au nom de la race, Paris, Syllepse, 2000, p. 66-67.

231 Les langues du sud de l’Inde appartiennent à la famille dravidienne, et seraient proches du sumérien, des langues ouralo-altaïques, ou encore des langues d’Afrique de l’ouest telles que le

Wolof.

232Op. Cit. DE DONNO, Fabrizio, 2006. La Razza Ario-Mediterranea, In : Interventions, Vol. 8, Iss. 3, p. 399.

Au contraire, Arthur de Gobineau était persuadé que la chute de Rome était liée au métissage des Romains, Aryens authentiques avec les populations

africaines et asiatiques de l’Empire. Ernest Renan, Gobineau et Max Muller sont

selon Fabrizio de Donno, les trois intellectuels à l’origine de la confusion entre

les notions de « langue », « sang » et « race ». Ils étaient probablement racistes, mais ignoraient peut-être que leurs idées engendreraient un racisme criminel.

L’auteur ajoute que l’établissement de la nouvelle philologie qui établit une

parenté directe entre l’Inde et l’Allemagne eut pour but de remplacer l’idée de

la Méditerranée en tant que centre de culture en niant désormais toute parenté avec les peuples égyptiens et sémites. La théorie de Giuseppe Sergi, était fort originale en ce sens. Elle allait à l’encontre de la théorie d’une quelconque supériorité raciale de l’Europe sur le reste du monde, élaborée dans le cadre de l’expansion coloniale. L’auteur s’opposait à l’idée de la dégénérescence des

peuples latins et méditerranéens tout en tenant dans la plus grande indifférence

la théorie de l’Aryen, non pas créateur de toute civilisation, mais barbare. La

régénération de la « race » dans le cadre d’un eugénisme était nécessaire, et

soutenait que ce but devait se réaliser au moyen de la science, de la culture et

des arts. Opposé à la vision d’une Italie militariste, Giuseppe Sergi souhaitait

une prédominance culturelle s’inspirant de la Renaissance italienne. Le linguiste

italien Samul David Luzzatto (1800-1865), pensait que si des liens existaient entre langues indo-européennes et sémitiques :

«… ceux-ci n'étaient que la trace lointaine d'une éventuelle unité primordiale du genre humain : à une idée de fond commune, correspondaient des mots proches, comme le montraient par exemple le « ith » chaldéen, le « yesh » hébreu, le

« est » latin, le « ist » allemand, le « esti » grec et le sanscrit « as »233

233GUETTA, Alessandro, Le statut de l’Hébreu Guetta Alessandro. Le statut de l'hébreu selon les intellectuels juifs italiens du XIXe siècle. In : Revue de l'histoire des religions, tome 213 n°4, 1996. Langue et Kabbale. p. 485-500. Pour la plupart des scientifiques et médecins européens engagés dans une classification raciale, partie intégrante de la nouvelle discipline de l'anthropologie, les juifs, comme les peuples d'Inde, d'Afrique et d' Extrême-Orient, étaient l'objet de classifications physiques. Le raciologue britannique, Sigmund Feist dénombrait au sein des communautés juives un nombre varié de « types «raciaux » allant du type soi-disant « négroïde » au type « nordique ». FEIST, Sigmund, photographie. In : EFRON, John , Defenders of the Race: Jewish Doctors and Race Science in Fin-de-Siècle Europe , New Haven, Yale University Press, 1994, p. 79. Enfin, au sein de certaines élites, il semblerait que l'engouement pour Wagner, se soit diffusé en Europe, les prénoms des héros des opéras étaient donnés aux enfants, en hommage au maître. Siegfried Sassoon (1886-1967), poète britannique né dans une famille de financiers originaire de Bagdad dont les affaires allaient de l'Inde à la Chine. Winifried Wagner (1897-1980) proche des membres de la famille Pringsheim, d'origine juive, les aida à quitter Munich en 1941. PATERSON, Tony,"'British' Wagner saved Jews from her friend Hitler. In :

Sunday Telegraph 25th June 2002. Par ailleurs, Thomas Mann qui avait épousé Katia Pringsheim, donnait un portrait peu flatteur de ses proches, dans la nouvelle Sang réservé (1921). En effet, dans la nouvelle, les deux héritiers, Siegmund et Sieglind, prénommés comme les héros de La

Samuel Luzzatto acceptait aussi l'idée d'une certaine correspondance entre phonèmes et graphèmes, et significations élémentaires d'autre part, comme

le fruit de l’évolution de l’humanité. Ernest Renan annonçait par des propos fort

peu amènes dans son introduction à l'Histoire générale et système comparé des langues sémitiques :

«… L'infini, la diversité, le germe du développement et du progrès

semblent refusés aux peuples dont nous avons à parler. En toute chose, on le voit, la race sémitique nous apparaît comme une race. Elle est si j'ose le dire, à la famille indo-européenne ce que la grisaille est à la peinture, ce que le plain-chant est à la musique moderne ; elle manque de cette variété, de cette largeur, de cette surabondance de vie qui est la condition de la perfectibilité. Semblables à ces natures peu fécondes qui, après une gracieuse enfance, n'arrivent qu'à une médiocre virilité, les nations sémitiques ont eu leur complet épanouissement à leur premier âge, et n'ont plus de rôle à leur âge mûr… »234.

Alessandro Guetta, professeur d’hébreu à l’Inalco a fait remarquer que

même la classification des races « sémite » et « aryenne », ainsi que leurs définitions, était tout à fait partagée par les intellectuels juifs.

«… Or, ceux-ci ne pouvaient évidemment pas en accepter les

conséquences, à savoir la fin de toute mission historique pour leur «

race », dont le destin n'aurait été que la pure survie…Il leur était par

ailleurs impossible de les renverser purement et simplement, en se réclamant d'une supériorité ou en s'identifiant à la partie conquérante : leur appartenance à une minorité sociologique les en empêchait…»235.

Walkyrie, méprisent leur père, pour être un parvenu sans éducation, et commettent un inceste à la

fin de l’histoire tout comme les héros de Wagner.

234RENAN, Ernest, Oeuvres complètes, t. VIII, Paris, 1956, p. 156. Op. Cit. GUETTA, Alessandro, p. 492.

Yaron Peleg, cite cette phrase extraite du roman de l’écrivain juif russe Feierberg qui illustre à propos l’attrait pour l’Orient, à la fois sentimental,

culturel, et politique :

“… Let me tell you, brothers, that we are not the only ones who look to the East, the entire West has been going eastward for some time now...”236.

La démarche entreprise par Graziadio Isaia Ascoli (1829-1907), mérite que l’on

s’y intéresse237. En effet, au moment où se développait l’orientalisme juif,

tourné vers la Palestine, le monde sépharade, les Hébreux et les Arabes238, l'auteur se consacra au le frioulan et au ladin, puis au persan et au sanscrit, à

l’Arabe classique et à l’Hébreu biblique, intérêt peu commun. Les uns tournés

vers la Méditerranée et le monde sémitique, les autres allant jusqu’à la Perse et l’Inde. Hébraïsant et sanscritiste, né dans une famille juive, Graziadio Isaia

Ascoli dépassait ce clivage, et rédigea des notes sur le Mahâbhârata. Professeur de sanskrit à l'Académie royale des sciences et lettres de Milan en 1861, il était

convaincu de l’existence d’une langue originelle d’où étaient issus à la fois

l'hébreu et le sanscrit.

236Yaron Peleg, est enseignant de littérature hébraïque à l’université de Cambridge, «… Frères, laissez-moi vous dire que nous ne sommes pas les seuls à regarder vers l’Orient, tout l’Occident est allé dans cette direction depuis un certain temps déjà… », FEIERBERG, Mordekhai, Ze'ev, Le'an ? (Où?), Whither? (novella), New York, Bloch, 1927, 149 p. cité par PELEG, Yaron,

Orientalism And The Hebrew Imagination, Cornell University Press, Ithaca, 2005, préface, page non numérotée.

237 Graziadio Isaia Ascoli, n’acquit à Gorizia, dans le Frioul. Orphelin de père peu de temps après sa naissance, il montra pour l'étude des langues indo-européennes et sémitiques une aptitude peu commune. A l'âge de seize ans à peine, il publia une esquisse historico- philologique : sur l’idiome

frioulan et son affinité avec la langue valaque. KERN, Henri, 1908. Notice sur la vie et les travaux

de M. Graziadio Ascoli, Associé étranger de l’académie. In: Comptes rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 52ᵉ année, N. 10, p. 814-836

238 DAVIDSON KALMAR, Ivan, and PENSLAR, Derek. J, Orientalism and the Jews, Hanover, N.H.: University Press of New England, 2005, ch. 9, Orientalism and Jewish National Art, the case of Bezalel, p.142-161.

Lors de contacts avec Adalbert Kuhn239 et Franz Bopp240, linguiste de renom, à qui il avait fait part de ses recherches linguistiques241, il souhaitait démontrer le bien-fondé d’une antique langue d'où seraient issus le proto -indo-européen et le protosémitique. Ascoli fut le premier a établir les liens entre le tzigane, le sindhi et l'afghan242

. Le système qui avait prévalu jusque-là, était représenté le plus complètement dans le Compendium de Schleicher243, qui partait du dogme que la langue primitive était très simple, possédant trois voyelles et peu de consonnes. Ascoli établit la très grande richesse de cette hypothétique langue originelle, dotée de consonnes gutturales : vélaires, postvélaires, et palatales244. Les questions sociales ont plus près de nous, été évoquées par Giorgio Borsa qui dans sa théorie de la modernisation. En effet, il

considérait l’Asie et l’Inde à l’avènement de la colonisation européenne, comme

caractérisée par une « économie de subsistance », dans une zone géographique statique où les flux commerciaux étaient peu importants.

239Adalbert Kühn (1812-1881), Kuhn fut le fondateur d'une école de mythologie comparée, née de la philologie comparée. Il travailla sur les langues et l'histoire des peuples indo-germaniques. Source : KÜHN, Adalbert, [en ligne] disponible sur le site https://global.britannica.com/biography/Adalbert-Kuhn, consulté le 26 juillet 2016.

240Franz BOPP, (1791-1867), étudia à Paris et à Londres le persan, l'arabe, l'hébreu, et le sanscrit de 1816 à 1820. Il fonda la méthode comparative en linguistique. Son ouvrage, Über das Konjugationssystem der Sanskritsprache in Vergleichung mit jenem der griechischen, lateinischen, persischen und germanischen Sprache, 1816 (Le Système de conjugaison du sanscrit comparé avec celui des langues grecque, latine, persane et germanique), influença le développement de la philologie. Il n'adhérait pas à la vague romantique. et partait de l'idée d'une origine commune et de similitudes entre les langues d'Europe et le sanscrit. Le linguiste Antoine Meillet écrivait à son sujet : « Il a trouvé la grammaire comparée en cherchant à expliquer l'indo- européen, comme Christophe Colomb a découvert l'Amérique en cherchant la route des Indes ». Source : CALVET, Louis-Jean, BOPP FRANZ, in : Encyclopædia Universalis [en ligne], disponible sur le site url : http://www.universalis.fr/encyclopedie/franz-bopp, consulté le27 juillet 2016.

241REINACH, Salomon, 1907. Éloge funèbre de M. Graziadio Ascoli, associé étranger de l'Académie. In: Comptes-rendus des séances de l'Académie des Inscriptions et Belles-Lettres, 51e année, N. 2, p. 49-51.

242ASCOLI, Isaiah, Graziado, Lezioni di fonologia comparata del sanscrito, del Greco e del latino, date nella Regia Academia scientifico-letteraria di Milano, New York, Nabu Press, réédition de 2010, 270 p.

243August Schleicher (1821-1868) fut le premier linguiste qui reconstitua les parlers indo- européens. Au-delà de la recherche d'une racine originelle commune, il cherchait à ramener les formes diverses à une règle unique, méthode qui retira au sanscrit le statut de langue mère, pour créer l'Indo-européen comme état de la langue avant la ramification des parlers. In : August Schleicher, wikipedia, [en ligne], disponible sur le site

https://fr.wikipedia.org/wiki/August_Schleicher, consulté le 26 juillet 2016. 244Op cit. REINACH , Salomon, p. 49-51.

Selon lui, la venue des colonisateurs européens aurait provoqué une

crise sociale au sein de la société indienne traditionnelle. Toutefois, l’irruption

de la modernité en Inde aurait causé un rejet total de cette même modernité, marquée par la révolte des cipayes de 1857. Selon l'auteur, les élites indiennes

avaient rejeté la culture indienne et adhéré aux idées de l’Occident. L’attitude du

poète indo-portugais Henry Derozio (1809-1931) caractérisait ce mouvement. Par ailleurs, le choix de vêtements européens n’était pas non plus le passeport pour être accepté au sein de l’élite coloniale qui commençait à adhérer à des

critères raciaux.

Giorgio Borsa ne mentionne pas l’existence de nombreux contacts entre

Européens et Indiens. Le terme « Anglo-Indian » englobait à la fois les

Européens créoles et les Eurasiens, qui n’étaient pas une catégorie homogène,

certaines familles appartenaient aux hautes classes de la société coloniale. Selon Giorgio Borsa, le rejet total de la culture de l’Europe ou de la culture de l’Inde menait qui y adhérait à l’échec. Michelguglielmo Torri s’intéressa à partir de

1968 à l'époque où le monde asiatique connaissait des mouvements révolutionnaires. Une dernière phase d'études est née depuis les années 1990

avec la libéralisation de l’économie indienne caractérisée sur le marché intérieur par des taux de croissance supérieurs à 5 %, et en termes d’échanges internationaux, par un essor sans précédent. En termes diplomatiques, l’Inde a

pour ambition de jouer un rôle de plus en plus important sur la scène

internationale, éventuellement en s’appuyant sur sa diaspora et ses industriels. C’est également à partir des années 1990 que les économistes italiens se sont

intéressés à l’Inde. Michelguglielmo Torri a souligné que ce pays faisait partie

des circuits d’échanges internationaux intégrés dans l’économie mondiale

caractérisée également par les échanges culturels et sociaux. Michelguglielmo

Torri déclare avoir été influencé par les universitaires de l’école d’Aligarh, dont l’historien marxiste Irfan Habib qui rappelait que l’Inde moghole était dotée

Torri n’adhéra jamais à l’idée que l’Empire moghol taxait lourdement ses sujets et déclarait avoir revu le travail d’Irfan Habib245 sous l’influence de

Jerzy Topolski, historien qui avait insisté sur le rôle de la noblesse européenne

dans l’essor du capitalisme246. En effet, les échanges depuis la vallée de l’Indus

jusqu’à la Mésopotamie, la Chine, l’Iran, l’Asie centrale et la Méditerranée,

existaient depuis des temps immémoriaux dans le cadre de ce que Torri nomme un « système-monde », basé sur la connaissance de la « route de la soie » et des vents de mousson. Des phases de développement et de déclin urbain avaient certes marqué la civilisation indienne, tout comme le monde méditerranéen. La

position géographique de l’Inde au centre de ces systèmes économiques

successifs ne pouvait qu’influencer la région dans différentes périodes

« d’ascèse, d’expansion, de déclin, d’effondrement et de reprise des systèmes en

question ». La théorie du linguiste Giorgio Milanetti, se situe dans le courant

postmoderne. Après avoir travaillé sur l’Histoire de la langue hindi, influencé

par le marxisme, Edouard Said et Nita Kumar, selon lui, tout ce qui est nommé « culture » appartient au monde du pouvoir dans une réalité indienne bien loin

d’être figée, mais complexe et diverse247. Le choix par le pouvoir colonial, et

les élites brahmaniques d’utiliser certaines catégories de pensée, aurait permis

de hiérarchiser la réalité. Les critères retenus pour catégoriser le monde indien ont donc été élaborés par les gouvernants, dont l’influence s’est fait également sentir en matière linguistique, à savoir l’élaboration du hindi qui a permis aux

nouveaux maîtres de mieux dominer le pays en 1947.

245Irfan Habib (né en 1931) est un historien marxiste indien. Il fut président du Indian Council of Historical Research. Professeur émérite de l' université musulmane d'Aligarh, Il est l'auteur de la

People's History of India, Aligarh Historians Society and Tulika Books, dont le premier volume est paru en 2001. HABIB, Irfan, The nation that is India , [en ligne], disponible sur le site

http://www.littlemag.com/faith/irfanhabib.html, consulté le 26 juillet 2016.

246OLSAK, Krzysztof, Jerzy Topolski, 25 septembre 2009, [en ligne] disponible sur le site http://historia.org.pl/2009/09/25/jerzy-topolski, consulté le 26 juillet 2016.

247MILANETTI, Giorgio, La tradizione inventata. In qual modo una bella lingua indiana senza

un nome preciso fu chiamata hindi e trasformata in Řpower construction. In Ś BASILE e TORRI, Il

subcontinente indiano verso il terzo millennio, p. 449-499. Cité par TORRI,

Michelguglielmo,l'Indianistica italiana dagli anni Quaranta ad oggi, op. Cit. GIOVAGNOLI, Agostino, e DEL ZANNA, Giorgio, (ed.), Il mondo visto dall’Italia, p. 247-263.

C'est ainsi que cette langue, considérée comme une langue nationale depuis

l’indépendance a été profondément sancritisée depuis. Ceci marquait dans les

faits, un désir de domination sur la minorité musulmane, dont la langue de communication, était souvent l’urdu, et sur les gens du sud, locuteurs de langues dravidiennes. L’adoption du hindi comme langue nationale aurait figé et divisé

le pays. En corollaire à la domination linguistique, la domination économique

marquait le succès de la technique d’une construction du pouvoir, tant culturel