• Aucun résultat trouvé

Le choix de l’Inde, aventuriers, commerçants, diplomates et missionnaires

Chapitre II. L’Occident en quête du Graal

1. Le choix de l’Inde, aventuriers, commerçants, diplomates et missionnaires

Le voyageur européen est souvent frappé par la multitude de populations qui ont formé la nation indienne, et tantôt y ont coexisté ou encore se sont mêlées depuis des siècles. L’intérêt pour la société indienne de l’époque

coloniale, fortement hiérarchisée, avec souvent des personnes proches des types européens, dans le nord du pays, et dans les hautes castes, justifia probablement

les attitudes coloniales des observateurs européens. Toutefois, il n’existe pas de

corrélation systématique entre le teint clair et l’appartenance à une haute caste,

même si en Inde, la couleur noire est souvent associée socialement à une caste plutôt basse192. La notion de « race » en Inde, telle qu'elle fut développée en

Europe, n’y existe pas et laisse la place à celle de la « caste », dont les origines

ne sont pas totalement connues193. Par ailleurs, l’existence de sociétés

composées de castes était commune aux sociétés antiques. La caste sacerdotale jouissait de prérogatives tant chez les Hébreux que chez les anciens Aryas.

192Op. cit. SERGENT, Bernard, Genèse de l’Inde, ch. VII, la formation d’une culture p. 268-

Pierre Bourdieu a rappelé que s’il y avait noblesse, il fallait nécessairement des personnes objectivement distinguées du reste de la population, des roturiers et également caractérisées par des manières d'être et de faire subtilement différentes des manières ordinaires, que seule une minorité infiniment distinguée pourrait identifier comme telles. Il ajoutait que le capital symbolique, est un bien discrétionnaire : être « blanc ou noir », être cultivé ou inculte, être homme ou femme, qui, lorsqu'il est perçu selon des catégories, résultat d’une distribution ou d’une appropriation objective de ce bien, semble naturel et accompagné d'une valeur, positive ou négative, fondée en nature. BOURDIEU, Pierre, 1995. Sur les rapports entre la sociologie et l'histoire en Allemagne et en France. In: Actes de la recherche en sciences sociales. Vol. 106- 107, mars 1995. Histoire sociale des sciences sociales, p. 118.

193HUTTON, John Henry, Les castes de l’Inde, Paris, Payot, 1949, troisième partie, Origines, p. 138- 180.

Dorothy Matilda Figueira dans une étude comparative intitulée Aryans, Jews and Brahmins, Authority Through Myths of Identity194 explique que la

construction de l’Europe s’est accompagnée d' un ostracisme envers les

communautés juives, tout comme la société indienne se serait bâtie sur

l’asservissement des populations pré-aryennes et dravidiennes. Joseph

Greenberg, philologue américain a repris l’hypothèse d’une langue unique et

originelle qui correspondrait à l’évolution del’humanité. Selon lui, une famille

de langues plus ancienne, aurait englobé les langues sémitiques, indo- européennes, ouralo-altaïques, finno-ougriennes et dravidiennes, connues sous le nom de famille « afro-asiatique ». Toujours est-il que la thèse indo-européenne a connu son heure de gloire pour le meilleur et pour le pire. Il est probable que Giuseppe Tucci n’échappa pas à cette quête de l’origine, née en lui à un âge fort précoce. Et pourtant, il est permis de penser que l’adolescent

alors âgé de treize ans, ignorait tout des implications « raciales » de la théorie aryenne. La quête de l'origine fait partie des interrogations humaines, et fut

associée à l’expansion coloniale. Au XVème siècle, la quête des Espagnols et

des Portugais vers l’Inde correspondait à un désir quasi-mythique de l’inconnu,

du merveilleux. En effet, ce pays avait fait rêver des voyageurs tels que Marco

Polo, Nicolo Conti qui contribuèrent à la construction d’un « Ailleurs »

mythique et revinrent en Europe avec des récits fabuleux dans lesquels la réalité côtoyait la fiction. Il convient de rappeler que tous les groupements

d’individus susceptibles de traverser un espace national, linguistique, et

religieux vers un autre univers, sont des médiateurs de transferts culturels. Tous, en effet, véhiculent des représentations et des savoirs195. En passant les frontières, les réactions des voyageurs allaient de la curiosité à l'empathie jusqu'au dégoût, résultats d'une gradation de réactions devant la réception de l'altérité.

194Op. Cit. FIGUEIRA, Dorothy Mathilda, Aryans, Jews and Brahmins, New York, State University of New York Press, 2002, ch. 2 The Romantic Aryans, ch. 3 Nietzsche Aryan Übermensche, p. 27- 47 , p. 50-61.

En effet, Michel Espagne a souligné que :

«… L'Oriental peut être perçu comme un étranger absolu, mais aussi comme une personne partageant des éléments communs et même comme un alter ego, un double… »196.

Si la source biblique fut à l’origine de l’orientalisme jusqu’au XVIIIe

siècle en Italie comme dans le reste de l’Europe, les diplomates, voyageurs,

négociants et les membres des ordres religieux chrétiens contribuèrent au savoir

sur l’Orient, à un moment où l’Europe allait développer les liens qui s’étaient

estompés. Les Vénitiens furent jusqu'au XVèmesiècle, les seuls Italiens à être en situation de concurrence avec les nations ibériques. En 1648, les Génois fondèrent également une Compagnie des Indes. Il est probable que les voyageurs furent tributaires des codes sociaux de la société indienne, qui gardait une certaine méfiance à leur égard. Si le spectacle des rues était accessible à tous, l'accès aux demeures aristocratiques restait probablement clos, en particulier, le harem des musulmans et le zenana des hindous197. L’Europe connut un essor de la littérature de voyages comme l’a fait remarquer Daniel Roche. Ce genre mêle

à la fois le récit des aventures du voyageur, à des observations concernant la réalité des pays visités198. Tant les commerçants, que les missionnaires à la

rencontre avec l’Inde se firent les narrateurs du monde qui s’offrait à leurs yeux.

Un fait certain, l’attitude de supériorité de l’Europe vis-à-vis de l’Inde n’existait

pas jusqu’à la révolte des cipayes en 1857, les tabous entre Occidentaux et

Orientaux étaient réciproques et les Hindous de castes, eux mêmes considéraient comme des « barbares » ces nouveaux venus, nommés les « Mlecchas », c'est à dire les hors-castes.

196FRANCFORT, Didier, SAILLARD, Denis, Le goût des autres. De l'expérience de l'altérité gastronomique à l'appropriation (Europe XVIIIe-XXIe siècles) , PUN, Nancy, 2015, ch. 1. L'Histoire de l'altérité économique : quels enjeux ?, p. 21.

197Op. Cit. POUILLON, François, Regards européens sur l'Islam, XIXème-XXème siècle. In : ESPAGNE, Michel, SIMON-NAHUM, Perrine (dir.), Passeurs d'Orient, les Juifs dans l'orientalisme, 2013, p.19. BALANLILAR Lisa, 2010. The Begims of the Mystic Feast: Turco- Mongol Tradition in the Mughal Harem. In : The Journal of Asian Studies. 69 (1), p. 123Ŕ147.

Comme nous savons, les négociants recherchaient des débouchés économiques pour leurs marchandises, et aussi des épices, et des soieries tant prisées des cours princières européennes. Les missionnaires chrétiens, convaincus du bien- fondé de leurs croyances, souhaitaient retrouver les

chrétiens d’Orient de rite Syromalabar199 et surtout convertir les populations

hindoues au christianisme afin d'affaiblir les empires musulmans, en particulier celui des Ottomans. Ils souhaitaient rendre leurs séjours inoubliables aux yeux de leurs lecteurs : animaux mythiques, autres peuples, autres espaces, y

côtoyaient le récit de leur observation d’un continent fabuleux :

« …Les gens sont idolâtres et ne paient pas de tribut. C’est dans ce royaume que l’on trouve les diamants … Ś Quand la pluie est

passée, on cherche là où elle est passée et on en trouve200… ».

Le vénitien, Niccolo de Cónti au 15e siècle, se rendit au Moyen- Orient

et en Inde. Il dressait le tableau d’un continent fabuleux, dans sa description du

Gange :

« ...Le fleuve nourrit des crocodiles et des poissons d’espèces variées inconnus chez nous, et il est bordé de chaque côté par des jardins verdoyants et de très agréables demeures. Dans ces jardins poussent des bananes, un fruit plus doux que le miel et semblable à la figue… ».201

198ROCHE, Daniel, Humeurs vagabondes, De la circulation des hommes et de l'utilité des voyages. Paris, Fayard, 2003, 1032 p.

199En Inde coexistent les trois Églises catholiques de rites latin, syromalabar et syromalankar soit quatre millions de fidèles en Inde duSud. La première a adopté la liturgie romaine introduite en Inde par les missionnaires à partir du XVe siècle, les deux autres se réclamant de la tradition

syriaque et font remonter leurs origines à l’apôtre saint Thomas. L’Église syromalabare appartient au rite chaldéen et l’Église syromalankare au rite antiochien. Sur les 170 diocèses

catholiques en l’Inde, on compte 134 diocèses de rite latin, 8 diocèses syromalankars et 28

diocèses syromalabars dont 5 archidiocèses (le 29e diocèse syromalabar est établi aux Etats- Unis). Inde Ś l’Archevêque majeur de l’Eglise syro-malabare en visite à Paris, L'oeuvre d'Orient, le 29/09/2011[en ligne] disponible sur le sitehttp://www.oeuvre-orient.fr/, consulté le 20 juillet 2016.

200 POLO, Marco, la description du monde, CLXXI le royaume de Telingana, Paris, livre de poche, édition de 2002 p. 427-428.

Puis, dans un récit peu réaliste, il ajoutait :

«… à Merath, ville très puissante où l’on trouve en quantité le bois d’aloès, l’or, l’argent ainsi que les pierres précieuses et les perles… ». 202

Filippo Sassétti, venu de Florence, se mit au service d’un marchand portugais,

spécialisé dans le négoce du poivre et s’installa à Cochin. Il fut l'un des premiers

Européens à apprendre le sanscrit203. Les interprétations de l’hindouisme par les

chrétiens ont varié, selon certains missionnaires l’hindouisme, l’Advaita-

Vedanta était l’émanation du principe divin, fort proche du monothéisme204. Evangélisateur remarquable par son érudition, Roberto de Nobili (1577-1656) fut un des premiers jésuites qui arriva en Inde205. Non seulement il connaissait les concepts philosophiques et religieux hindous, mais aussi, leurs grands textes littéraires et philosophiques tant en sanscrit, que dans les langues dravidiennes.

L’adoption de la tenue vestimentaire des brahmanes, le port du cordon sacré et

du chignon, impliquait le désir de se rapprocher de la caste sacerdotale qui exerçait le pouvoir spirituel, mais finalement fut condamnée par la papauté. Cette démarche fut toutefois poursuivie par le jésuite Costanzo Beschi (1680- 1747), qui maîtrisait la philologie tamoule, dont il fut un des précurseurs européens. Dans le contexte d'une société de castes, les conversions forcées ou

sincères, tant à l’Islam qu’à la chrétienté, furent toujours mal considérées par les

hindous.

201Le voyage aux Indes de Nicolò de Conti (1414-1439) préf. de Geneviève Bouchon, les récits de Poggio Bracciolini et de Pero Tafur trad. par Diane Ménard, Paris, Brepols, 2004, p. 99.

202Ibid. Le voyage aux Indes de Nicolò de Conti (1414-1439) préf. de Geneviève Bouchon, les

récits de Poggio Bracciolini et de Pero Tafur trad. par Diane Ménard, Paris, Brepols, 2004, p. 99. 203Source : Filippo SASSETTI. In : Enciclopedia Treccani, [en ligne], disponible sur http://www.treccani.it/enciclopedia/tag/filippo%20sassetti/ consulté en ligne le 2 mars 2013.

204L’Advaita-vedanta est une philosophie non dualiste dont un des maîtres fut Sankara (788- 820). HALBFASS, Wilhelm, India and Europe , an essay in understanding, Delhi, Motilal Banarsidas, 1990, ch .3 the missionary approach, p.36-53

205 Source : DE NOBILI, Roberto. In : Enciclopedia Treccani, [en ligne] disponible sur le site http://www.treccani.it/enciclopedia/roberto-de-nobili, consulté en ligne le 2 mars 2013

En effet, à Goa, où toute la population avait été convertie de force par les Portugais, les brahmanes, continuaient à pratiquer une stricte endogamie, et évitaient tout contact avec les descendants des autres castes, convertis comme eux à la chrétienté. A Pondichéry, les quelques rares brahmanes convertis à la chrétienté avaient adopté la même attitude. Les conversions de membres des basses castes pensant échapper au traitement inégalitaire imposé par les hautes castes hindoues ne furent pas nécessairement suivies d’une amélioration sociale

de leur condition. Le désir de s’élever dans la hiérarchie des castes ne fut pas

suivi d’effet. En revanche, le phénomène de « sanscritisation », à savoir

l’adoption de rituels fondés sur la pureté a permis au sein de l’hindouisme l’ascension de basses castes et l'obtention d'un meilleur statut au sein de la

société indienne206. Dans son article « Studies in Italy on modern and contemporary India », Michelglulielmo Torri207, a fait état de son intérêt pour la culture indo-musulmane, extrêmement brillante et raffinée comme en témoignent les œuvres de langue ourdoue. Une des particularités de l’Inde est

que l’Islam s’y est implanté sans toutefois entraîner la conversion de toute la

population, tant les conquérants afghans, moghols et persans, que les convertis

indiens à l’Islam sont restés minoritaires et représentent environ le cinquième de

la population, aujourd'hui. Les phénomènes de syncrétisme entre les deux religions ne furent pas rares. Ainsi, la tombe du saint soufi Kabir (1440-1518) est encore de nos jours à la fois visitée par des pèlerins hindous et musulmans208. Enfin, les conversions de musulmans à la chrétienté en Inde furent rares et

n’étaient peut- être pas recherchées par les missionnaires européens qui

souhaitaient avant tout convertir des hindous. Ceux qui ont répondu à l’appel de

l’Inde furent légion en Italie, comme dans toute l’Europe, le savoir étant souvent

transmis d’une université vers une autre, parfois même dans des pays

différents209.

206SRINIVAS, Mysore Narasimhachar , Caste in modern India and other essays, Bombay, Asia House, 1962, A note on Sansrkritisation and Westernization, p. 42-68.

207TORRI, Michelguglelmo, Studies in Italy on Modern and Contemporary India, in Storia della Storiografia, 1998, p. 119-51.

208Kabîr (vers 1440 -1518) né dans une famille musulmane à Bénarès, fut à la fois poète mystique, philosophe, musicien, tisserand, réformateur religieux, également vishnouïte et shivaïte, musulman soufi. Source : KABIR. In : Encyclopædia Britannica[enligne] disponiblesurle site https://global.britannica.com/biography/Kabir-Indian-mystic-and-poet.

Les épopées du Mahabbharata firent l'objet de nombreuses études des indianistes. La Bagavad Gita210 est un des poèmes hindous les plus célèbrés211 , qui a relaté le dialogue du guerrier Arjuna et du dieu Krishna, et surtout le conflit entre Arjuna du clan des Pandavas et le clan des Kauravas. Le

Ramayana relaté par Valmiki traite de l’épopée du prince Rama à la recherche

de Sita son épouse enlevée par le roi des démons Ravana à Ceylan212. Parmi les sanscritistes, Angelo De Gubernatis rédigea une Histoire des voyageurs étrangers en Inde et s’intéressa aux usages nuptiaux chez les peuples indo- européens. Le thème fut plus tard repris par Georges Dumézil213. Les sanscritistes prirent comme objet d'études les épopées védiques, les spéculations

philosophiques, la religion hindoue. L’idée d’un peuple originel « Aryen » leur

était familière, et semblait aller de soi. Angelo de Gubernatis partit en Inde où il se fit initier aux rites brahmaniques et porta désormais le cordon sacré214, dans

le but d’avoir une légitimité indiscutable tant chez les brahmanes d'Inde qu'au

sein des cercles de lettrés d'Europe.

209Le terme « sanscrit », signifie «parfait », dans cette langue.

210La Bhagavad-Gita a été commentée par les philosophes indiens tels Shankara au viiie siècle, Abhinavagupta (xe-xie),Râmânuja (xie-xiie), et Madhva (xiiie-xive). Le texte a fait l'objet de traductions en anglais par Charles Wilkins en 1785, en latin par Auguste Schlegelen 1823, en allemand par Wilhelm de Humboldt en 1826, en français d'abord par Lanjuinais en 1832, puis Burnouf en 1861, en grec moderne par Galanos en 1848 et en polonais par Michalski en 1910. Humboldt a accompagné sa traduction d' un commentaire moral du poème, influencé par l'éthique stoïcienne . L'indianiste Michel Hulin, a dans une certaine mesure rendu justice à l'interprétation humboldtienne, et soulignait le caractère invertébré de cette interprétation. In : HULIN, Michel Hegel et l'Orient. Suivi de la traduction annotée d'un essai de Hegel sur la Bhagavad-Gita, Paris, Vrin 1979, 224 p.

211Le Mahabharata est une épopée de la mythologie hindoue, qui relate la « Grande Geste » des

Bh rata, poème épique datant des derniers siècles av. J.-C. L'oeuvre relate les guerres qui auraient lieu environ 2 200 ans avant l'ère chrétienne, entre les deux lignées rivales d'une famille royale : les Pandava et les Kaurava, pour la conquête de l'Aryavarta. In : Le Mahabharata, université Laval à Québec [en ligne] disponible sur le site http://www.utqueant.org/mbh/accueil.html, consulté le 25 juillet 2016.

212Le Râmâyana, ou « Geste de Râma », est une épopée védique en sanscrit composée entre

le iiie siècle av. J.-C. et le iiie siècle de notre ère. Ce texte est tout comme le Mahâbhârata, l'un des textes clés de l'hindouisme. L'auteur en serait l'ermite Vâlmiki, le « Premier poète », qui apparaît en tant que personnage dans les premiers et derniers chapitres, considérés comme de composition un peu plus récente que les autres. Source : BRAUNSTEIN, Florence RAMAYANA (anonyme).

In : Encyclopædia Universalis [en ligne], disponible sur le site url :

http://www.universalis.fr/encyclopedie/ramayana-anonyme/consulté le 27 juillet 2016. 213DUMEZIL, Georges, Mariages indo-européens, Paris, Payot, 1979, 342 p.

214Op. Cit. LOWNDES VICENTE, Filippa, Altri orientalismi: L'India a Firenze 1860- 1900,

En effet, si l’antisémitisme était virulent dans certains pays d’Europe, il était inexistant en Inde, et de peu de portée dans l’Italie réunifiée depuis 1861.

Quand les Perses et les anciens Aryas utilisaient le terme « Aryen », cela désignait avant tout ceux qui accomplissaient les rites védiques et étaient dotés de qualités spirituelles. Quand les indianistes européens utilisaient ce terme, adhéraient-ils à l’idée de décadence de l’Occident ? Méprisaient-ils le bourgeois ? Rêvaient-ils d’idéaux supérieurs, miraculeusement conservés dans l’Inde des

castes et dans la Perse des Shahs ? Méprisaient-ils les indigènes ?215 Les réponses sont sans doute diverses216. Francesco Lorenzo Pullè de Padoue217 et

Angelo De Gubernatis qui avaient ramené d’Inde, des manuscrits, contribuèrent

à renouveler l'intérêt pour l’Orient et la philologie indo- européenne. En outre,

intéressés par les premiers voyageurs italiens en Asie, dont Giovanni da Pian del Carpine parti auprès du khan des Tartares218. L'école de Florence publia une série de monographies scientifiques en indologie. Antelmo Severini219 enseigna le Chinois et le Japonais à l’université de Florence. Avec Carlo Puini220, l’Italie apporta sa contribution au comparatisme dans l’étude des sources chinoises,

indiennes, tibétaines et mongoles.

Asiatica 2, 1936, p. 3-11. TUCCI, Giuseppe, Italia e Oriente, Milano, Garzanti, ap. XIII. L'orientalismo italiano nei secoli XIX e XX, p. 221-257.

215Les différents congrès de l'orientalisme qui se tinrent en Europe depuis 1872 à Paris furent également l'objet de luttes d'influences entre participants. Les savants orientaux y étaient peu représentés. Op. Cit. RABAULT-FEUERHAHN, Pascale, 2010. Les grandes assises de

l’orientalisme. La question interculturelle dans les congrès internationaux des orientalistes (1873- 1912). In : Revue germanique internationale [en ligne], disponible sur le site http://rgi.revues.org/259, consulté le 15 juillet 2016.

216Ibid. RABAULT-FEUERHAHN, Pascale, 2010. Les grandes assises de l’orientalisme. La

question interculturelle dans les congrès internationaux des orientalistes (1873-1912). In : Revue germanique internationale [En ligne], disponible sur le site http://rgi.revues.org/259 , consulté le 15 juillet 2016.

217Francesco Lorenzo Pullè (1850-1934), professeur de philologie indo-européenne. Il se consacra à la linguistique, au sanscrit, et à la littérature. Il participa à la troisième guerre pour l’Indépendance

dans les troupes de Garibaldi en 1865, et également lors des combats de la Première Guerre mondiale. Il fut également membre de la loge maçonnique Charles Darwin de Pise.

218 Giovanni da Pian del Carpine (XIIe siècle), fut un des disciples de St François d’Assise. Après

un long séjour en Allemagne, il fut envoyé à la cour du khan des Mongols et rédigea une Historia

Mongolorum.(1245-1247).

219Antelmo Severini (1828-1909) enseigna à Florence, le chinois et le japonais en Italie, langues

qu’il avait apprises à Paris et enseigna à Florence. Il avait entamé la préparation d’un dictionnaire

sino-japonais, qui ne put être achevé en raison de problèmes de santé.

220Carlo Puini (1839-1924), enseigna l'histoire et la géographie de l'Asie orientale, à Florence. Il travailla sur le bouddhisme, le taoïsme et le shintoïsme, et sur l'art religieux. Sa collection de livres chinois et japonais est au musée Castello Sforzesco à Milan.

Le philologue Emilio Teza221 de l’Orientale de Naples travailla sur les linguistiques sanscrite, pali, chinoise, et mongole. Ses contributions ouvrirent la voie à des générations de chercheurs. Il eut pour élève un des plus grands indianistes italiens, Michele Kerbaker, féru de littérature indienne, qui commenta le Mahabharata. Paolo Emilio Pavolini, à la suite d’Emilio Teza,