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Réalisme et Naturalisme : une inconvenance des « ismes »

I. 1.3.2.2 Avis de la presse et des médecins traitants

I.2.1 La question du mouvement : L’œuvre comme imitation de la réalité

I.2.1.1 Réalisme et Naturalisme : une inconvenance des « ismes »

La problématique de l‟appartenance littéraire d‟un romancier atteste, aujourd‟hui encore, de la difficulté autant pour nous que pour les théoriciens de la littérature, d‟envisager une délimitation franche et précise des frontières de mouvements et d‟écoles à travers l‟histoire littéraire. Dans une histoire où la mutation est la règle, le chevauchement des périodes littéraires tend à rendre difficile d‟un point de vue objectif tout positionnement d‟auteur à son école.

Le XIXème siècle n‟offre guère de meilleures perspectives dans cette voie, bien au contraire, ce siècle a connu une floraison de mouvements et de tendances littéraires, qu‟il est devenu plus commode de se contenter de situer ces mouvement par succession ; le Réalisme au Romantisme et le Naturalisme au Réalisme. Stendhal et Balzac se retrouvèrent du fait, par simple appartenance à une génération, Réalistes sans le savoir. Or, appartenir à un mouvement suppose un engagement éthique et esthétique, une adhésion et une approbation des règles et des normes qu‟il s‟agit de les respecter et en faire le sermon de fidélité, voire même d‟en être le porte-parole de son école qui influence donc à la fois sa production et la réception de ses textes.69

De son aveu, Zola lui-même en 1878 déclare dans Les romanciers naturalistes, la hardiesse d‟un tel dévouement aux dogmes d‟un mouvement littéraire. Il en explique l‟impossibilité à se défaire et à se détacher des valeurs et des anciennes traditions littéraires et des pratiques précédentes, il dit :

Nous tous aujourd’hui, même ceux qui ont la passion de la vérité exacte, nous sommes gangrénés de romantisme jusqu’aux moelles ; nous avons sucé ça au collège derrière nos pupitres, lorsque nous

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ARON, Paul, SAINT-JACQUES, Denis et VIALA, Alain (éd.). Le dictionnaire du littéraire. Paris, France : Presses universitaires de France, DL 2010, 2010. / École

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lisions les poètes défendus ; nous avons respiré ça dans l’air empoisonné de notre jeunesse.70

Si la tâche d‟établir les liens et de déceler l‟appartenance d‟un auteur à son mouvement s‟avère des plus compliquées, dans la mesure où elle répond en grande partie à une exigence temporelle. Elle l‟est encore plus avec un auteur dont la classification soulève nombreuses interrogations.

A la fois romancier, nouvelliste mais aussi chroniqueur, Guy de Maupassant semble collectionner les expériences scripturales. Basculant d‟un genre à un autre et d‟un courant à un autre, son inscription au Réalisme ou au Naturalisme, relève avant tout d‟un besoin personnel. Un instrument avec lequel il tente de renouer avec la sensualité dans son sens premier ; c'est-à-dire, avec ce qui fait son rapport avec son monde et avec lui-même. C‟est pourquoi, il récusa en bloc l‟idée de se confiner à l‟intérieur de mouvements.

S‟exprimant dans une lettre à Paul Alexis du 17 janvier 1877, Maupassant met en accusation l‟incapacité des mouvements à tenir compte des individualités et des œuvres qu‟elles recouvrent. Il invite à travers sa lettre à se méfier des termes en « ismes » :

Je ne crois pas plus au naturalisme et au réalisme, qu’au romantisme. Ces mots à mon sensne signifient absolument rien et ne servent qu’à des querelles de tempéraments opposés.71

Le Réalisme et Le Naturalisme sont à eux seuls « la source de maints malentendus », dira Colette Becker dans son avant-propos du Lire le réalisme et le naturalisme. Les deux courants sont le plus souvent associés et désigneraient : Deux manifestations successives d’un phénomène continu qui aurait débuté vers 1850. Le Réalisme se développant sous le second empire, le Naturalisme l’affirmant et

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ZOLA, Émile. Les romanciers naturalistes. Paris, France : Bibliothèque-Charpentier, 1895. P 205

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l’exagérant après 1870.72

Pourtant, les deux courants, bien que associés, portent en eux des notions particulièrement complexes ; du Réalisme on entend « réel » ou « réalité », du Naturalisme on entend « Nature ».

La conception du Réalisme prend effectivement forme après la crise de 1850. L‟adjectif « réaliste » renvoyait, au tout début, à des peintres scandaleux, à l‟image de Courbet. Il devint par la suite un qualificatif de combat que lança l‟écrivain Jules Champfleury synthétisant des pratiques de divers contemporains, dans son célèbre volume, Le Réalisme en 1857, dans lequel il défend la passion du vrai au besoin contre le beau, il annoncera à cet effet dans le journal le Figaro, Aout 1856 que le romancier ne juge pas, ne condamne pas, n’absout pas, il expose des faits.73

C‟est cette passion d‟exposer les faits réels, qu‟animera ce mouvement. Or qu‟est-ce que le réel ?

Maintes tentatives pour définir le réel ont été intentées par les spécialistes de la question et notamment en philosophie. On retiendra ici les deux définitions élémentaires avancées par les dictionnaires de la langue française et qui semblent partager en commun des points consensuels. Le Grand Larousse Universel définit le mot « réel », comme étant ce qui est conforme […] qui n’est pas douteux, peut être visiblement constaté ; évident, notable, effectif. 74Pour l‟Encyclopédie Bordas ; Le réel est ce qui appartient à la catégorie des choses. Par opposition à ce qui est illusoire, imaginaire ou purement intellectuel, le mot désigne aussi ce qui apparait effectivement, ce dont on a l’expérience.75

Le Dictionnaire Quillet, insiste quant à lui sur l‟antonymie du mot : Ce qui est vrai. Le réel et l’imaginaire s’opposent.76

Cet ensemble de définitions nous explique que le terme s‟oppose par essence à « l‟idéalisation » au « chimère » au « rêve » et à « l‟illusion ».

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BECKER, Colette. Lire le réalisme et le naturalisme. Paris, France : A. Colin, 2008. P 53

73

AMBRIÈRE, Madeleine. Précis de littérature française du XIXe siècle. Presses universitaires de France, 1990.p 138

74

LAROUSSE. Grand Larousse universel. Paris, France : Larousse, impr. 1991, 1991/ Réel.

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BORDAS. Encyclopédie Bordas. Paris, France : Encyclopédies Bordas, 1998/ Réel.

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Nous savons tous que l‟imagination et la fiction suggère la création de quelque chose qui n‟existerait pas à l‟aide d‟artifices (n‟est-ce pas là l‟idée de l‟Art lui-même ?).Cet ensemble est défendu par les précédents courants. Le Romantisme en serait d‟ailleurs le meilleur témoin. Mais c‟est justement à l‟encontre d‟une telle conception que le Réalisme défend, bec et ongle, une doctrine qui voudrait que l’artiste ne doit pas chercher à modifier le réel ou à en donner une représentation partielle, moralisée ou soumise à un préjugé.77On comprend par cela, que l‟art se doit d‟imiter la réalité ou comme dira Roman Jakobson, d’aspirer au maximum de vraisemblance.78Une réalité non romancée et qui s‟associera le plus souvent à quelque chose de dur et d‟éprouvant, en un seul mot à la difficulté de la vie.

Appréhender le réel par la littérature, ou amener le réel à la littérature est une idée plus veille que le mouvement qui porte son nom. En effet, bien des hommes se sont interrogés sur le rapport entre l‟art et le réel. Ce qu‟on oppose traditionnellement à l‟art comme activité spécifiquement humaine, est bien évidemment la « nature», qui serait ce qui dans l’univers, se produit spontanément sans l’intervention de l’homme.79L‟être humain a de manière constante essayé de représenter à travers la peinture ou à travers le langage cette nature. Ainsi, Aristote a défini l‟art comme mimésis. C‟est-à-dire, comme imitation de la nature. Nous y reviendrons plus longuement sur la nature du mot dans les prochains points. Reste à savoir que imitons-nous au juste ?

L‟antagonisme croissant entre les classes sociales et l‟évolution capitaliste a largement modelé et changé la nature des villes et des rapports humains. Il a surtout contribué à un changement radical du discours et des valeurs politiques et philosophiques. L‟idéal politique de la démocratie véhiculé par la pensée d‟Hegel, de Proudhon, de Marx et par la suite des précurseurs de la sociologie, invitent à étudier non seulement l‟homme mais aussi et surtout son état social. Cette évolution se répercuta sur l‟idéal littéraire qui se veut utile, en représentant la réalité sociale et en particulier les classes défavorisées. Les auteurs réalistes se voient donc confier la mission de colporter

77 Ibid, p 200 78 Ibid 79

REY, Alain. Le nouveau petit Robert: dictionnaire alphabétique et analogique de la langue française. Paris, France : Dictionnaires Le Robert, 1988. / Nature.

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le miroir, à la métaphore de Stendhal dans le Rouge et le noir :un roman est un miroir que l’on promène sur une grande route.80

Emile Zola, estimant le projet pas mené à son bout, définit une nouvelle conception du roman qu‟il nomme « Naturalisme ».En effet, le terme « Réalisme » sombra dans le discrédit, et qualifiera de façon péjorative des auteurs qui exploitent des recettes toutes faites. Pour sortir de ce caractère trop populiste de la revendication réaliste, Zola y développe la figure de « l‟écrivain savant » sous l‟influence de la méthode de Claude Bernard, qui rampera avec la figure romantique de « l‟écrivain prophète ».

Le Naturalisme, en tant que vocable sera donc adopté par Zola en 1877.Il réunira autour de lui les frères Goncourt, puis les écrivains du groupe de Médan en 1880, qui signeront un recueil de nouvelles qui s‟imposera en tant que manifeste d‟une nouvelle école littéraire. Une école qui entend donner une inflexion au roman réaliste en le dotant d‟outils scientifiques. C‟est dans cette voie que Zola instaura une feuille de route pour le mouvement ; un ensemble d‟articles critiques regroupés en un ouvrage sous l‟appellation du Roman expérimental et qui expose pleinement sa vision de « scientificité de l‟acte littéraire ».

Donc, une fois encore, le Naturalisme est purement une formule, la méthode analytique et expérimentale. Vous êtes naturaliste, si vous employez cette méthode81

Il ajoutera quelques lignes plus tard s‟adressant aux jeunes écrivains :

On vous demande de chercher et de classer votre part de documents humains, de découvrir votre point de vérité, grâce à la méthode.82

80

STENDHAL. Stendhal, « Le rouge et le noir ». Paris, France : Bordas, 1968.

81

ZOLA, Émile. Le Roman expérimental. Paris, France : G. Charpentier, 1887.p 51

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Procéder par méthode et appeler l‟écrivain à n‟être qu‟un homme de science, semble être donc l‟idée motrice partagée par l‟ensemble des écrivains du groupe de Médan. Le groupe est constitué d‟hommes de lettres ambivalents, Joris-Karl Huysmans (1851-1907), Henry Céard (1851-1924), Léon Hennique (1851-1935) ou encore Guy de Maupassant aspirent tous au savoir encyclopédique. Regroupés derrière la bannière de leur chef de file Emile Zola, la troupe finit par battre en retraite et à cause de soucis financiers et de quête de reconnaissance médiatique et institutionnelle, les disciples finirent par renier et s‟opposer à leur chef, pour des motifs liés aux chances de chacun d’acquérir une notoriété particulière.83

Quoi qu‟il en soit Maupassant, derrière l‟idée, rappelez-vous, de vouloir rendre compte de son individualité et d‟échapper à la catégorisation des mouvements, veut lui aussi prétendre à une rigueur d‟érudition. Il se veut comme le proclame le naturalisme «scientifique » et vise comme les autres à l’objectivité de son discours, et procède d’une documentation exemplaire.84Tout ça, contrasté par une écriture d‟artiste en insistant sur le style et volontiers sur la thématique.

Il est donc indéniable que Maupassant cherchant avant tout l‟originalité se place à mi-chemin entre la conception Zolienne de la méthode et de la rigueur scientifique et la conception Flaubertienne du style et du beau. Un mi-chemin qui sans un aucun doute, penche légèrement vers la conception Flaubertienne et qui influencera largement sa production littéraire et notamment, celle qui se rapporte, nous le verrons quelques pages après, à son écriture fantastique de la folie. Comme l‟atteste Jean Weisgerber :

Maupassant confie à l'aliéné la mission de dévoiler la magie noire du réel, parce qu'il est celui qui a dépassé la scission de l'objectif et du subjectif dans une perception neuve de l'extérieur.85

83

ARON, Paul, SAINT-JACQUES, Denis et VIALA, Alain (éd.). Le dictionnaire du littéraire. Paris, France : Presses universitaires de France, DL 2010, 2010. / Naturalisme

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Ibid

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WEISGERBER, Jean et CENTRE D‟ÉTUDE DES AVANT-GARDES LITTÉRAIRES (éd.). Le

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