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3.3.1.1 La littérature fantastique et les phénomènes psychiques : Drogues et magnétisme

paradigme de la folie chez

II. 3.3.1.1 La littérature fantastique et les phénomènes psychiques : Drogues et magnétisme

Servant à exprimer généralement les œuvres qui se moquent des lois de la raison pour donner la primauté à l‟imaginaire surnaturel, le terme « fantastique » est employé dès le début des années 1830 en référence aux récits d‟Hoffmann, comme le constate Champfleury :

C’est en France que nous avons trouvé le mot fantastique, à cause de l’étonnement et de la stupéfaction dans laquelle nous tenaient certaines œuvres d’Hoffmann 377

Tiré plus précisément du titre du recueil d‟Hoffmann, Phantasiestucke in Calliot’s Manier ; le mot Phantasiestucke pris seul signifie « pièces, morceaux de fantaisie». C‟est donc au prix d‟un contresens de la langue que le mot désignera cette

ambiguïté même qui s‟offre à l‟esprit. Cette nouvelle acception du mot, d‟ambigüité

sensorielle de l‟esprit, sera questionnée par les critiques littéraires qui ne tarderont pas à souligner notamment le rapport de causalité entre : l’étrangeté psychique d’un auteur et le caractère profondément irrationnel et déroutant de son œuvre. 378

Cette recherche du lien qui existerait entre le psychisme de l‟auteur et ses personnages, explore ces frontières minces et ambiguës, parfois imperceptible au lecteur.

La nosographie de cas de folie et d’aberrations imputées par l’écrivain à ses personnages imaginaires et le compte rendu, pour ainsi dire

377

HOFFMANN, Ernst Theodor Amadeus. Contes posthumes d’Hoffmann. Paris, France : M. Lévy, 1856. p 28

378

PONNAU, Gwenhaël. La folie dans la littérature fantastique. Paris, France : Centre national de la recherche scientifique, 1987. p 37

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autobiographique, d’expériences aberrantes effectivement vécues.379

Cependant, cette recherche du lien n‟aurait jamais pu exister sans l‟émergence des sciences qui étudient les phénomènes psychiques. La vogue du magnétisme, l‟intérêt à la vie onirique, l‟étude psychiatrique des hallucinations et des visions provoquées par le haschisch et l‟opium offrent pour les écrivains un réservoir immense d‟« images » supranaturelle et morbide qui serviront de matières à leur imagination créatrice.

L‟auteur normand n‟échappe pas à cette ferveur. Son attirance particulière des mystères liés à la vie énigmatique de l‟esprit le pousseront à adapter son genre du fantastique aux explications et aux hypothèses des sciences positives.et plus spécialement au magnétisme qui ; autant que la psychiatrie relève donc ce surnaturel

vrai,380auquel il assurera dans sa nouvelle intitulée Magnétisme : Si vous ne croyez pas au magnétisme, vous êtes ingrats.381

Ce prisme au Magnétisme apparaît clairement aussi dans sa nouvelle Le Horla, où nous nous proposons ici de vous soumettre l‟expérience dont le narrateur était témoin :

Ma cousine, très incrédule aussi, souriait. Le docteur Parent lui dit : "Voulez-vous que j'essaie de vous endormir, madame ?

- Oui, je veux bien."

Elle s'assit dans un fauteuil et il commença à la regarder fixement en la fascinant. Moi, je me sentis soudain un peu troublé, le cœur battant, la gorge serrée. Je voyais les yeux de Mme Sablé s'alourdir, sa bouche se crisper, sa poitrine haleter. Au bout de dix minutes, elle dormait.

379 Ibid. 380 Ibid. p 39 381

MAUPASSANT, Guy de. Magnétisme. Paris, France : Éditions Classiques Garnier Numérique, 2000. p 9

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"Mettez-vous derrière elle", dit le médecin.

Et je m'assis derrière elle. Il lui plaça entre les mains une carte de visite en lui disant : "Ceci est un miroir; que voyez-vous dedans ?"

Elle répondit :

"Je vois mon cousin.

- Que fait -il ?

- Il se tord la moustache.

- Et maintenant ?

- Il tire de sa poche une photographie.

- Quelle est cette photographie ?

- La sienne."

C'était vrai ! Et cette photographie venait de m'être livrée, le soir même, à l'hôtel.

"Comment est-il sur ce portrait ?

- Il se tient debout avec son chapeau à la main."

Donc elle voyait dans cette carte, dans ce carton blanc, comme elle eût vu dans une glace.

Les jeunes femmes, épouvantées, disaient : "Assez ! Assez ! Assez !"

Mais le docteur ordonna : "Vous vous lèverez demain à huit heures ; puis vous irez trouver à son hôtel votre cousin, et vous le supplierez de vous prêter cinq mille francs que votre mari vous demande et qu'il vous réclamera à son prochain voyage."

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Puis il la réveilla.382

Le baron du Potet, expose dans son journal du Magnétisme, l‟intérêt manifeste et l‟extraordinaire succès mondain, littéraire et scientifique de la suggestion, des magnétiseurs et des hypnotiseurs :

Le magnétisme deviendra surtout un moyen explicatif non seulement de bien des énigmes considérées jusqu’à présent comme inexplicable (comme, par exemple, différentes maladies), mais plus encore par rapport à la sphère intérieure et mystique du sommeil et des songes, où la nature poétique de l’homme joue de sa cachette sans rôle magique de tant de différentes manières 383

Si l‟intérêt paradoxal, à la fois irrationnel et logique du magnétisme (qui guérit et explique mais reste tapi dans l‟ombre de l‟esprit humain) a influencé les conteurs du fantastique dont Maupassant. Les effets des drogues et des différents breuvages ont eu la même influence.

Les différentes expériences auxquelles s‟adonne l‟esprit intellectuel du XIXe siècle, pour recréer un paradis artificiel regroupera au sein de la même table médecins et écrivains. Les effets du haschisch, du vin, de l‟alcool sont donc le support à la fois organique et psychique de certains récits fantastiques. Maupassant décrira ces hallucinations et ces états seconds engendrés par ces drogues et ces breuvages aux caractères spécifiques. Des thèmes particulièrement modernes dans la littérature fantastique que Maupassant tentera de les faires intégrer à la lueur de la médecine psychiatrique.

382

MAUPASSANT, Guy de. Le Horla: et autres contes cruels et fantastiques. Paris, France : Garnier frères, 1976 / Deuxième version. p 36

383

POTET. Le Magnétiseur spiritualiste: journal rédigé par les membres de la Société des magnétiseurs

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C‟est plus précisément dans sa nouvelle Rêves que Maupassant revient longuement sur les écrits de ces drogues. Plus précisément celle de l‟éther que son docteur lui prescrira, afin de soulager ces migraines effroyables :

J'avais dans la tête et dans le cou de vives douleurs, et une insupportable chaleur de la peau, une inquiétude de fièvre. Je pris un grand flacon d'éther et, m'étant couché, je me mis à l'aspirer lentement.

Au bout de quelques minutes, je crus entendre un murmure vague qui devint bientôt une espèce de bourdonnement, et il me semblait que tout l'intérieur de mon corps devenait léger, léger comme de l'air, qu'il se vaporisait. Puis ce fut une sorte de torpeur de l'âme, de bien-être somnolent, malgré les douleurs qui persistaient, mais qui cessaient cependant d'être pénibles. C'était une de ces souffrances qu'on consent à supporter, et non plus ces déchirements affreux contre lesquels tout notre corps torturé proteste. Bientôt l'étrange et charmante sensation de vide que j'avais dans la poitrine s'étendit, gagna les membres qui devinrent à leur tour légers, légers comme si la chair et les os se fussent fondus et que la peau seule fût restée, la peau nécessaire pour me faire percevoir la douceur de vivre, d'être couché dans ce bien-être. Je m'aperçus alors que je ne souffrais plus. La douleur s'en était allée, fondu aussi, évaporée. Et j'entendis des voix, quatre voix, deux dialogues, sans rien comprendre des paroles. Tantôt ce n'étaient que des sons indistincts, tantôt un mot me parvenait. Mais je reconnus que c'étaient là simplement les bourdonnements accentués de mes oreilles. Je ne dormais pas, je veillais ; je comprenais, je sentais, je raisonnais avec une netteté, une profondeur, une puissance extraordinaires, et une joie d'esprit, une ivresse étrange venue de ce décuplement de mes facultés mentales.

Ce n'était pas du rêve comme avec le haschich, ce n'étaient pas les visions un peu maladives de l'opium c'était une acuité prodigieuse de raisonnement, une nouvelle manière de voir, de juger, d'apprécier les choses de la vie, et avec la certitude, la conscience absolue que cette manière était la vraie.

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Et la vieille image de l'Écriture m'est revenue soudain à la pensée. Il me semblait que j'avais goûté à l'arbre de science, que tous les mystères se dévoilaient, tant je me trouvais sous l'empire d'une logique nouvelle, étrange, irréfutable. Et des arguments, des raisonnements, des preuves me venaient en foule, renversés immédiatement par une preuve, un raisonnement, un argument plus fort. Ma tête était devenue le champ de lutte des idées. J'étais un être supérieur, armé d'une intelligence invincible, et je goûtais une jouissance prodigieuse à la constatation de ma puissance...384