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paradigme de la folie chez

II. 3.1.2.2 Médecin et prêtre

Confronté dans son enfance aux prêtres et à l‟enseignement religieux et plus tard à la fin de sa vie aux psychiatres et aux expériences médicales, Les œuvres de Maupassant gardent en elles les traces indélébiles de cette influence qui se matérialisera aux travers des personnages, et plus précisément des deux figures qui caractérisent à elles seules le rapport du fou à la norme et au dogme : Le médecin et l‟homme de l‟église.

Au médecin, Maupassant accorde le rôle souvent alambiqué d‟expliquer et de tenter de justifier par les soins de la science positive : l‟insolite. Les phénomènes littéralement insensés sont soumis à la norme empirique et c‟est au médecin de diagnostiquer et de juger l‟incompréhensible. L‟aliéniste occupe du fait une place prestigieuse. En parfait porte-parole du positivisme médical, il entend démontrer le caractère aberrant des faits prétendument surnaturels du personnage fou.

Dans la nouvelle L’Auberge, c‟est aux médecins qu‟il revient la charge de se prononcer sur le cas étrange de Monsieur Ulrich, retrouvé par sa famille après des nuits entières piégé par la neige

Il (Ulrich) les laissa venir ; il se laissa toucher ; mais il ne répondit point aux questions qu’on lui posa ; et il fallut le conduire à Loëche où les médecins constatèrent qu’il était fou 345

De même dans Mademoiselle Cocotte, où le narrateur raconte le pronostic sans appel du docteur, de cet homme bizarre rencontré dans l‟asile psychiatrique :

Nous allions sortir de l'Asile quand j'aperçus dans un coin de la cour un grand homme maigre qui faisait obstinément le simulacre d'appeler un chien imaginaire. Il criait, d'une voix douce, d'une voix tendre : "Cocotte,

345

MAUPASSANT, Guy de. L’Auberge. Paris, France : Éditions Classiques Garnier Numérique, 2000. p 28

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II.3.1 La folie comme refus de la positivité.

ma petite Cocotte, viens ici, Cocotte, viens ici, ma belle" en tapant sur sa cuisse comme on fait pour attirer les bêtes.

Je demandai au médecin : - Qu'est-ce que celui-là ?

Il me répondit : - Oh ! Celui-là n'est pas intéressant. C'est un cocher, nommé François, devenu fou après avoir noyé son chien.346

Or, Maupassant expose un deuxième type de médecins qui, face à des cas troublants, constatent l‟impossibilité de se prononcer et de soumettre leurs jugements et sont contraint de renoncer à leurs certitudes rationnelles devant des phénomènes qui résistent à leurs analyses et à leurs efforts de normalisation. 347 L‟homme de la science et de la norme partagé entre la science qu‟il représente et le surnaturel qu‟il constate fait tomber le masque de la raison et garde avec le personnage fou le lien de l‟aliéniste à son patient ; un simple serviteur du bon sens comme nous le rappelle d‟une cruelle ironie cette scène ou le docteur Raguine répond à son patient dans la célèbre lettre d’un fou du romancier russe Tchekhov :

Dans le fait que je suis un médecin et vous un aliéné, il n’y a ni morale, ni logique, mais un simple hasard (…). Du moment qu’il existe des prisons et des asiles d’aliénés, il faut qu’il y ait quelqu’un dedans. Si ce n’est pas vous, c’est moi…348

Dans une tirade presque à l‟identique, Maupassant démontre dans le Horlà (première version) ce hasard des choses, par la bouche du docteur Marrande, où devant l‟inexplicable, le médecin n‟a rien à en vouloir à l‟aliéné :

346

MAUPASSANT, Guy de. Mademoiselle Cocotte. Paris, France : Éditions Classiques Garnier Numérique, 2000. p 1

347

PONNAU, Gwenhaël. La folie dans la littérature fantastique. Paris, France : Centre national de la recherche scientifique, 1987. p 100

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II.3.1 La folie comme refus de la positivité.

Le docteur Marrande se leva et murmura : moi non plus. Je ne sais si cet homme est fou aussi nous le sommes tous les deux349

Par l‟homme de l‟église, Maupassant sur les pas de ses prédécesseurs romantiques, a contribué à faire de certains hommes d‟église, des âmes perdues, déchirées entre leurs croyances et leurs désirs. Si l‟obsession du péché coïncide avec l‟emprise du démon pour ne former que d‟autres symptômes de la folie, Maupassant investira cette alliance entre la folie et le surnaturel chrétien en le confrontant aux certitudes des sciences positives. Il confère parfois aux prêtres et hommes de foi le soin de se prononcer au même titre que le docteur sur de faits surnaturels que leur rapportent les personnages fous.

L‟épisode le plus célèbre est sans nul doute celle du Moine du Mont-Saint-Michel dans la nouvelle du Horlà qui vit dans ce décor gothique de têtes bizarres hérissées de chimères, de diables, de bêtes fantastiques, de fleurs monstrueuses.350Le narrateur rapporta dans son journal intime :

Et le moine me conta des histoires, toutes les vieilles histoires de ce lieu, des légendes, toujours des légendes. Une d'elles me frappa beaucoup. Les gens du pays, ceux du mont, prétendent qu'on entend parler la nuit dans les sables, puis qu'on entend bêler deux chèvres, l'une avec une voix forte, l'autre avec une voix faible.351

Il continua plus tard sur une discussion qu‟il aurait tenu avec lui et dans laquelle le Moine y donne une explication banale mais toute aussi raisonnable:

-Je dis au moine : "Y croyez-vous ?". Il murmura : "Je ne sais pas."

349

MAUPASSANT, Guy de. Le Horla: et autres contes cruels et fantastiques. Paris, France : Garnier frères, 1976 / Première version. p 16

350

Ibid / deuxième version. p 10

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II.3.2 Emergence d’une « littérature psychiatrique ».

-Je repris : "S'il existait sur la terre d'autres êtres que nous, comment ne les connaîtrions-nous point depuis longtemps ; comment ne les auriez-vous pas vus, vous ? Comment ne les aurais-je pas vus, moi ?"

-Il répondit : "Est-ce que nous voyons la cent millième partie de ce qui existe ? Tenez, voici le vent, qui est la plus grande force de la nature, qui renverse les hommes, abat les édifices, déracine les arbres, soulève la mer en montagnes d'eau, détruit les falaises, et jette aux brisants les grands navires, le vent qui tue, qui siffle, qui gémit, qui mugit, - l'avez-vous vu, et pouvez-vous le voir ? Il existe, pourtant."

-Je me tus devant ce simple raisonnement. Cet homme était un sage ou peut-être un sot. Je ne l'aurais pas pu affirmer au juste ; mais je me tus. Ce qu'il disait là, je l'avais pensé souvent.352

II.3.2 Emergence d’une « littérature psychiatrique ».

II.3.2.1 Une tentative de rationalisation de la folie.

Rationaliser l‟irrationnel était l‟enjeu primordial du champ médical au XIXe siècle. En tentant de comprendre les usages et les représentations de l‟expression de la folie, nombreux chercheurs se sont attelés à la lecture du délire en opérant très souvent une jonction sciemment voulue avec la littérature et la rhétorique.

Dès le XVIIIe siècle les travaux d‟Esquirol et de Pinel, reconnus à juste titre comme les précurseurs de la médecine mentale et des premiers asiles psychiatriques, préconisaient déjà l‟utilisation des outillages littéraires afin de percer et de lire dans la pensée. Cette métaphore du « lire dans la pensée » :

Alimente le mythe d’un clair alphabet de la folie auquel le regard aliéniste serait susceptible de recourir pour identifier dans chacune de ses combinaisons singulières, le syntagme d’une pathologie spécifique […] Le regard aliéniste ne

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II.3.2 Emergence d’une « littérature psychiatrique ».

peut que se rêver lecteur d’un texte plein, saturé de sens 353

Concevoir l‟aliéné à la fois comme texte et auteur et l‟aliéniste comme lecteur confère à la discipline émergente les bases de son institutionnalisation. Elle permet, en outre, au fou d‟accéder au titre de « patient » et donc de se prévaloir des différentes accusations marginalisantes auxquelles a été confronté tout au long d’une civilisation de la raison, disait Michel Foucault dans son livre Folie et déraison. Histoire de la folie à

l'âge classique, thèse majeur de son doctorat d‟état, dans laquelle il expose les

différentes périodes historiques de la folie en occident.