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1.3.2.2 Hallucinations autoscopiques

aventure du texte

III. 1.3.2.2 Hallucinations autoscopiques

À en croire Jean-Paul Sartre dans son essai philosophique l‟être et le néant toute technique romanesque renvoie toujours à la métaphysique du romancier435. Avec

433

Ibid. p 16

434

MAUPASSANT, Guy de. Divorce. Paris, France : Éditions Classiques Garnier Numérique, 2000. p 6

435

SARTRE, Jean-Paul. L’être et le néant: essai d’ontologie phénoménologique. Paris, France : Gallimard, impr. 1976, 1976. p 452

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III.1.3 Thématique de la folie chez Maupassant.

Guy de Maupassant, les hallucinations décrites amplement dans ses œuvres découlent de son métaphysique. Les visions fantasmagoriques qui s‟offrent à des personnages souvent médusés par un tel spectacle, ont bien été pour la plupart du temps, vécues par l‟écrivain lui-même comme en témoigne cette scène qui lui est arrivé où il est raconté qu‟Assis à sa table de travail, il entend la porte qui s'ouvre. En se retournant, il voit que c'est lui-même qui entre. En effet, c'est Maupassant qui vient s'asseoir devant Maupassant et prend sa tête dans ses mains.436

On remarque aisément à travers cette scène réelle que même si Maupassant reprend les figures traditionnelles des hallucinations du fantastique dans ses nouvelles, à savoir les apparitions des fantômes et des spectres ou des phénomènes surnaturels liés aux objets ; c‟est bien la terreur hallucinatoire d‟un invisible soi-même, comme dans ses expériences personnelles, qu‟on croise le plus. C‟est ainsi que dans Le Horlà, Maupassant reprend cette scène :

Je ne vis rien d'abord, puis, tout à coup, il me sembla qu'une page du livre resté ouvert sur ma table venait de tourner toute seule. Aucun souffle d'air n'était entré par ma fenêtre. Je fus surpris et j'attendis. Au bout de quatre minutes environ, je vis, je vis, oui, je vis de mes yeux une autre page se soulever et se rabattre sur la précédente, comme si un doigt l'eût feuilletée. Mon fauteuil était vide, semblait vide ; mais je compris qu'il était là, lui, assis à ma place, et qu'il lisait. D'un bond furieux, d'un bond de bête révoltée, qui va éventrer son dompteur, je traversai ma chambre pour le saisir, pour l'étreindre, pour le tuer !... Mais mon siège, avant que je l'eusse atteint, se renversa comme si on eût fui devant moi... ma table oscilla, ma lampe tomba et s'éteignit, et ma fenêtre se ferma comme si un malfaiteur surpris se fût élancé dans la nuit, en prenant à pleines mains les battants.437

436

KELLNER, Sven. Maupassant, un météore dans le ciel littéraire de l’époque. Paris, France : Publibook, 2012. p 58

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MAUPASSANT, Guy de. Le Horla: et autres contes cruels et fantastiques. Paris, France : Garnier frères, 1976/ Deuxième version. p 32

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Ces hallucinations dites Autoscopiques qui font apparaitre l‟image de soi, à travers une présence surréelle ou bien transfigurée, comme dans le cas de la scène du Miroir dans Le Horlà dans lequel un autre/soi prend la place d‟un soi.

Je me dressai, les mains tendues, en me tournant si vite que je faillis tomber. Eh bien ?... on y voyait comme en plein jour, et je ne me vis pas dans ma glace !... Elle était vide, claire, profonde, pleine de lumière ! Mon image n'était pas dedans... et j'étais en face, moi ! Je voyais le grand verre limpide du haut en bas. Et je regardais cela avec des yeux affolés ; et je n'osais plus avancer, je n'osais plus faire un mouvement, sentant bien pourtant qu'il était là, mais qu'il m'échapperait encore, lui dont le corps imperceptible avait dévoré mon reflet.438

Pierre Glaude affirme que c‟est par l‟autoscopie (hallucination de soi vue de l‟extérieur par le sujet malade) qu‟on se rapproche le plus des cas du dédoublement (qui serait un autre soi mais senti cette fois à l‟intérieur par le même sujet) :

Toute rencontre dans une glace, par la différence virtuelle qu'elle implique, est déjà en soi rencontre avec l'Etranger que chacun porte en lui. Mais si l'on va plus loin encore, la crainte dépasse la différence, aussi grande soit-elle. Elle est de ne plus se voir du tout, de rencontrer dans le miroir, non plus soi-même changé mais l'absence de soi, comme si l'Autre, ayant gagné, s'était entièrement substitué au je 439

Comme on le constate, la nouvelle du Horlà, concentre à elle seule la majorité de ses phénomènes autosocopiques, où la présence d‟un autre soi hante le quotidien du narrateur :

438

Ibid. p 41

439

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Cette fois, je ne suis pas fou. J'ai vu... j'ai vu... j'ai vu !... Je ne puis plus douter... j'ai vu !... J'ai encore froid jusque dans les ongles... j'ai encore peur jusque dans les moelles... j'ai vu !... Je me promenais à deux heures, en plein soleil, dans mon parterre de rosiers... dans l'allée des rosiers d'automne qui commencent à fleurir. Comme je m'arrêtais à regarder un géant des batailles, qui portait trois fleurs magnifiques, je vis, je vis distinctement, tout près de moi, la tige d'une de ces roses se plier, comme si une main invisible l'eût tordue, puis se casser, comme si cette main l'eût cueillie ! Puis la fleur s'éleva, suivant une courbe qu'aurait décrite un bras en la portant vers une bouche, et elle resta suspendue dans l'air transparent, toute seule, immobile, effrayante tache rouge à trois pas de mes yeux. (…)Mais était-ce bien une hallucination ? Je me retournai pour chercher la tige, et je la retrouvai immédiatement sur l'arbuste, fraîchement brisée entre les deux autres roses demeurées à la branche. Alors, je rentrai chez moi l'âme bouleversée, car je suis certain, maintenant, certain comme de l'alternance des jours et des nuits, qu'il existe près de moi un être invisible, qui se nourrit de lait et d'eau, qui peut toucher aux choses, les prendre et les changer de place, doué par conséquent d'une nature matérielle, bien qu'imperceptible pour nos sens, et qui habite comme moi, sous mon toit...440

D‟autres nouvelles font état aussi de cet être / soi invisible qui guette, surveille et colle au narrateur dans ses moindres gestes et mouvements. C‟est le cas dans Lettre d’un fou :

Or, un soir, j'ai entendu craquer mon parquet derrière moi. Il a craque d'une façon singulière. J'ai frémi. Je me suis tourne. Je n'ai rien vu. Et je n'y ai plus songe. Mais le lendemain, à la même heure, le même bruit s'est produit. J'ai eu tellement peur que je me suis lève, sur, sur, sur, que je n'étais pas seul dans ma chambre. On ne voyait rien pourtant. L'air était limpide, transparent partout. Mes deux lampes éclairaient tous les coins. Le

440

MAUPASSANT, Guy de. Le Horla: et autres contes cruels et fantastiques. Paris, France : Garnier frères, 1976/ Deuxième version. pp 34-35

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bruit ne recommença pas et je me calmai peu à peu ; je restais inquiet cependant, je me retournais souvent. Le lendemain je m'enfermai de bonne heure, cherchant comment je pourrais parvenir à voir l'invisible qui me visitait. Et je l'ai vu. J'en ai failli mourir de terreur.441

Dans Apparition c‟est le même sentiment de présence qui se profile à l‟esprit troublé du narrateur :

Je m'écarquillais les yeux à déchiffrer les suscriptions, quand je crus entendre ou plutôt sentir un frôlement derrière moi. Je n'y pris point garde, pensant qu'un courant d'air avait fait remuer quelque étoffe. Mais, au bout d'une minute, un autre mouvement, presque indistinct, me fit passer sur la peau un singulier petit frisson désagréable. C'était tellement bête d'être ému, même à peine, que je ne voulus pas me retourner, par pudeur pour moi-même. Je venais alors de découvrir la seconde des liasses qu'il me fallait ; et je trouvais justement la troisième, quand un grand et pénible soupir, poussé contre mon épaule, me fit faire un bond de fou à deux mètres de là. Dans mon élan je m'étais retourné, la main sur la poignée de mon sabre, et certes, si je ne l'avais pas senti à mon côté, je me serais enfui comme un lâche.442

Dans la nouvelle Magnétisme, cette présence d‟un autre soi/ invisible se transfigure et prend la forme d‟une femme. C‟est donc par la présence de cette forme féminine que se déploie la folie du narrateur :

Or, un soir, comme j'écrivais des lettres au coin de mon feu avant de me mettre au lit, j'ai senti au milieu de ce dévergondage d'idées, de cette procession d'images qui vous effleurent le cerveau quand on reste quelques minutes rêvassant, la plume en l'air, une sorte de petit souffle qui me passait dans l'esprit, un tout léger frisson du cœur, et immédiatement, sans raison,

441

MAUPASSANT, Guy de. Lettre d’un fou: Bègles, France : le Castor astral, 1993. p 10

442

MAUPASSANT, Guy de. Apparition. Paris, France : Éditions Classiques Garnier Numérique, 2000. p 1

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sans aucun enchaînement de pensées logiques, j'ai vu distinctement, vu comme si je la touchais, vu des pieds à la tête, et sans un voile, cette jeune femme à qui je n'avais jamais songé plus de trois secondes de suite, le temps que son nom me traversât la tête. Et soudain je lui découvris un tas de qualités que je n'avais point observées, un charme doux, un attrait langoureux ; elle éveilla chez moi cette sorte d'inquiétude d'amour qui vous met à la poursuite d'une femme. Mais je n'y pensai pas longtemps. Je me couchai, je m'endormis. Et je rêvai.443

III.1.3.2.3 Dédoublements.

Mettant en scène d‟insolites histoires de doubles vies, les textes cliniques du XIXe siècle abondent de récits tirés des observations dont ont eu à connaitre professionnellement nombreux psychiatres. Ces récits aux formes fantastiques qui ont largement inspiré les écrivains de l‟époque, renvoient les lecteurs à l’image bizarre de la dualité constitutive de l’esprit humain. 444Or cette dualité de l‟esprit, qu‟on appelle communément aujourd‟hui dédoublement de la personnalité, n‟est pas fille des observations nosologiques modernes. Le thème du double est exploité déjà par les différentes mythologies antiques jusqu'à la période romantique, où le thème change constamment de figures allant du comique à l‟identité complémentaire. Il sera finalement introduit en littérature fantastique par Hoffman qui s‟est inspiré du terme de l‟écrivain Jean-Paul Richter Doppelgänger445

(le sosie). Avec Hoffman le double devient une marque de scission du personnage pour qui :

L’expérience du dédoublement de sa personnalité est déchirante et aliénante. Elle survient

443

MAUPASSANT, Guy de. Magnétisme. Paris, France : Éditions Classiques Garnier Numérique, 2000. p 7

444

PONNAU, Gwenhaël. La folie dans la littérature fantastique. Paris, France : Centre national de la recherche scientifique, 1987. p 163

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généralement dans les moments de crise, lorsqu’il souffre d'une perte d'identité.446

La duplication identitaire placée sous le signe des recherches psychiatriques s‟illustre de manière exemplaire chez Guy de Maupassant. Bien présente dans les symptômes de la paraphrénie qu‟il développera par suite de syphilis, l‟Angoisse de l‟Autre qui habite ses personnages, domine leurs raisons et leurs êtres et les expulses d‟eux même, devient un thème majeur pour l‟écrivain. Cette formule intériorisée du fantastique qui se place dans l‟esprit en conflit avec un autre Moi, fait la particularité des récits de Maupassant selon Magdalena Wandzioch qui conclut sa réflexion sur la duplicité dans l‟œuvre de l‟écrivain en avançant que :

Le double qui assiège le héros ne se situe pas dans le monde environnant, extérieur donc, mais il s'installe dans le for intérieur. Il n'est plus hors de l'esprit, il est là, dans la raison ébranlée, et il est la source même de la démence. Et c'est pour cette raison que les tentatives de regagner l'équilibre mental sont tout à fait aléatoires, car rien ne peut détruire une entité inconnaissable, invisible, dont le nom même signifie à la fois son absence (hors) et sa présence immédiate (là), marquant ainsi le caractère dédoublé de son essence même. 447

Encore une fois, c‟est à travers son œuvre fantastique du Horlà que Maupassant décrit majestueusement cette emprise graduelle de cette autre âme sur son corps et son cerveau. Les hallucinations autoscopiques d‟un autre soi qui se présente à l‟extérieur de lui, pénètre en lui et l‟occupe :

J'ai passé hier une affreuse soirée. Il ne se manifeste plus, mais je le sens près de moi, m'épiant, me regardant, me pénétrant, me dominant et plus redoutable, en se cachant ainsi, que s'il signalait par

446

KOOPMAN-THURLINGS, Mariska. Vers un autre fantastique: étude de l’affabulation dans l’œuvre

de Michel Tournier. Amsterdam, Pays-Bas, 1995. p 113

447

PÉROUSE, Gabriel-André. Doubles et dédoublement en littérature. Saint-Etienne, France : Publ. de l‟université de Saint-Etienne, 1995, 1995. p 210.

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des phénomènes surnaturels sa présence invisible et constante.448

L‟invisible le possède désormais :

Je suis perdu ! Quelqu'un possède mon âme et la gouverne ! Quelqu’un ordonne tous mes actes, tous mes mouvements, toutes mes pensées. Je ne suis plus rien en moi, rien qu'un spectateur esclave et terrifié de toutes les choses que j'accomplis. Je désire sortir. Je ne peux pas. Il ne veut pas ; et je reste, éperdu, tremblant, dans le fauteuil où il me tient assis. Je désire seulement me lever, me soulever, afin de me croire maître de moi. Je ne peux pas ! Je suis rivé à mon siège et mon siège adhère au sol, de telle sorte qu'aucune force ne nous soulèverait.449

L‟autre c‟est lui :

Qu'ai-je donc ? C'est lui, lui, le Horla, qui me hante, qui me fait penser ces folies ! Il est en moi, il devient mon âme ; je le tuerai !450

III.1.3.3 Le champ lexico-sémantique de l’insensé dans l’écrit de Maupassant III.1.3.3.1 Folie et Termes

Contrairement aux idées reçues, les nouvelles fantastiques de Guy de Maupassant, si elles sont certes grandement imprégnées par la folie de leur auteur, ne représentent pas tant un manifeste, un thésaurus de la maladie mentale qu‟il s‟agit d‟en faire un glossaire ou un dictionnaire pour déchiffrer son vocabulaire. Les termes et les mots employés sont d‟une aisance et d‟une simplicité qui sied parfaitement au style de l‟écrivain. Un Style qui se veut simple, net et précis adressé à un lectorat ordinaire et

448

MAUPASSANT, Guy de. Le Horla: et autres contes cruels et fantastiques. Paris, France : Garnier frères, 1976 / Deuxième version. p 29

449

Ibid. p 30

450

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banal. Il est donc important de signaler ici qu‟à l‟inverse de ce que pourrait faire transparaitre notre recherche et l‟emphase que nous aurions pu utiliser pour décrire la folie dans le texte Maupassien, ce dernier n‟est pas à considérer comme un livre de psychiatrie au sens propre du mot.

En effet, Caroline Quesnel de l‟université McGill à Montréal affirme dans sa thèse « Folie et Raison chez Guy de Maupassant » que l‟écrivain a souvent recours aux médecins dans ses nouvelles pour introduire le vocabulaire savant. Elle avance :

On retrouve dans cette catégorie un nombre considérable de médecins : leur statut social leur confère une autorité qui n'est pas contestée. L'autorité, médicale ou non, repose également sur le prestige du vocabulaire savant. La terminologie érudite impose le respect particulièrement à ceux qui n'y ont pas accès. 451

C‟est donc par procuration et avec précaution que Maupassant utilise les termes savants. Il dira lui-même dans sa préface de Pierre et jean :

Il n'est point besoin du vocabulaire bizarre, compliqué, nombreux et chinois qu'on nous impose aujourd'hui sous le nom d'écriture artiste, pour fixer toutes les nuances de la pensée ; mais il faut discerner avec une extrême lucidité toutes les modifications de la valeur d'un mot suivant la place qu'il occupe. Ayant moins de noms, de verbes et d'affectifs au sens presque insaisissables, mais plus de phrases différentes, diversement construite, ingénieusement coupées, plein de sonorités et de rythmes savants. Efforçons-nous d'être des stylistes excellents plutôt que des collectionneurs de termes rares.452

451

QUESNEL, Caroline. Folie et raison chez Guy de Maupassant ; suivi, de Propriété privée. 1991. p 102

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