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La prise de conscience de la grossesse peut s’effectuer de diverses manières et dans diverses circonstances :

- d’une part soit en cours de grossesse soit lors de l’accouchement,

- d’autre part la grossesse peut soit être annoncée par un médecin soit découverte par la patiente elle-même (perception des mouvements actifs fœtaux par exemple, perception de contractions),

- la présence d’une complication obstétricale peut aussi être une circonstance de découverte de grossesse.

      

101 Dayan J, 2009 ; Ibid 

Selon Houel (psychologue clinicienne) citée par Bayle102, la présence d’un tiers apparaît essentielle pour permettre la révélation de la grossesse : l’état de grossesse ne peut être pris en compte par la femme elle-même ; la manifestation de la grossesse demeure impossible tant que la femme n’est pas parvenue tisser un lien (de façon au moins inconsciente) avec un tiers capable de la soutenir dans sa démarche. La mise en lien de la grossesse avec autrui constituerait un aspect important de la clinique des dénis de grossesse.

Melle M, 18 ans découvre sa grossesse suite à un test suggéré par sa belle-sœur elle-même enceinte, qui remarque une prise de poids chez la jeune fille. La jeune fille ne s’est pas opposée à la réalisation du test de grossesse.

Le compagnon de Melle J lui demande de faire un test car il suspecte une grossesse au vue de sa prise de poids : Melle J réalise le test.

Les études n’ont pas établi avec précision les différentes réactions psychiques en fonction des circonstances de découverte de la grossesse, mais des rapports cliniques peuvent nous éclairer.

- La sidération

Brezinka rapporte des réactions variées et généralement bruyantes à la découverte de la grossesse : une symptomatologie délirante a été observé chez deux femmes atteintes de psychose (antérieurement à la grossesse). Pour les autres, des réactions inadaptées

« névrotiques » sont décrites. Immédiatement après l’annonce de la grossesse, une patiente s’enfuit en courant. Chez la plupart des autres femmes sont notées des réactions de sidération plus ou moins marquées : choc, sentiment d’insécurité, angoisse ou sentiment dépressif de courte durée. D’autres secondairement se surchargent de travail.

Dans le cas du déni complet, c’est le plus souvent le médecin des urgences qui annonce la grossesse. L’accouchement produit un choc émotionnel, intense, visible, pas toujours       

102 Bayle B. Comprendre la conception humaine. In L’embryon sur le divan. Psychopathologie de la

conception humaine. Paris : Masson, 2003 : 107-109.

 

verbalisé. Dans le cas de déni partiel, le choc peut survenir lors de la révélation brutale de la grossesse.

Mme G est dans un état de sidération lors de la découverte de sa grossesse, avec un vécu de souffrance intense et une difficulté à élaborer. Mme G présente une grande réactivité émotionnelle (elle pleure). Pour autant, elle exprime peu ses émotions. Elle évoque cependant sa grande difficulté à faire face à cette situation « c’est dur ».

Toutes ces réactions marquent l’ambivalence maternelle vis-à-vis de la grossesse et plus particulièrement de l’arrivée de l’enfant. L’intensité et la durée de ces symptômes sont dépendantes du soutien social et affectif des patientes à ce moment là mais aussi de la personnalité sous-jacente.

- La persistance du déni

Marinopoulos103, psychologue, souligne que la soudaineté de l’annonce oblige la femme à accepter le processus maturatif de la grossesse en un temps extrêmement court. Parfois, ces femmes refusent d’accepter la réalité et poursuivent une forme de déni, tout en ayant eu les preuves médicales de leur grossesse.

Green et Manohar104, dans une monographie « Néonaticide et déni de grossesse hystérique », ont décrit le cas d’une patiente qui a présenté une amnésie de la consultation diagnostique de sa grossesse ainsi que de l’examen échographique de confirmation où elle s’est rendue seule, aboutissant à un déni total de grossesse suivi de néonaticide.

Cette persistance du déni est retrouvée aussi par d’autres auteurs (Bonnet105, Finnegan106).

      

103 Marinopoulos, 2007; Ibid.

104 Green C.M., Manohar S.V.Neonaticide and hysterical denial of pregnancy. Brit Journ Psy 1990;

156:121-123.

105 Bonnet C. Geste d’amour et accouchement sous X. Paris : Ed Odile Jacob, 1996.

106 Finnegan P., McKintry E., Elrick Robinson E. Denial of pregnancy and childbirth. Can. Journal.

Psychiatry 1982; 27:672-674.

De plus, l’état de sidération est parfois tel qu’il crée une forme d’étrangeté déstabilisante dans les entretiens : il y a à la fois de l’illogisme et de la contradiction dans les propos qui accompagnent la levée du déni.

- L’hétéro agressivité dirigée contre le fœtus

Bonnet107, rapporte de ses entretiens cliniques, qu’après l’angoisse et la stupéfaction liées à la découverte de l’existence du fœtus, les femmes peuvent avoir des fantasmes d’impulsions violentes envers le fœtus : « je ne l’aime pas », « je veux qu’il disparaisse ». Ces femmes peuvent vivre dans l’espoir d’une fausse couche. Leur intensité est très variable. Ils surgissent de manière impulsive, malgré elles. Ils peuvent provoquer un sentiment de culpabilité intense, une anxiété, voire un état de panique. Elles craignent de ne pas pouvoir maitriser leur pensée et passer à l’acte.

Il a été décrit des passages à l’acte violents envers le fœtus : elles se tapent sur le ventre, prennent des risques en voiture ou s’activent de manière excessive pour « faire passer » l’enfant (« J’ai continué à courir plusieurs heures par jour, pour que ça s’arrête »108).

D’autres ont ingéré « tout » pour s’en débarrasser. D’autres auteurs109 rapportent le cas de femmes qui blessent leur abdomen dans le but de maltraiter le fœtus lorsqu’elles en perçoivent les mouvements. Ces passages à l’acte ont été désigné « syndrome du fœtus battu »110 et sont considérés par certains comme l’un des signes qui précèdent un risque de maltraitance ultérieure.

L’existence de ces comportements laissent craindre un risque d’infanticide à la naissance si elles accouchent seules et si elles n’ont pas pu verbaliser leurs pulsions violentes.

      

107 Bonnet C. Accompagner le déni de grossesse : de la grossesse impensable au projet de vie pour le

bébé. Perspectives Psy 2002 ; 41:3:189-194.

108 Romano H. Meurtres de nouveau-nés et processus à l’œuvre chez les femmes néonaticides. Devenir

2010; 22 : 4 : 309-320.

109 Kent L., Laidlaw J., Brockington I. Fetal abuse. Child abuse neglect 1997; 21:2:181-186.

110 Condom JT. The battered fetus syndrom. Preliminary data on the incidence of the urge to physically abuse the unborn child. J Ment Dis 1987; 76:12:722-725.

La thèse de Bonnet ne signifie pas que tout déni de grossesse recouvre des pulsions infanticides mais cette réalité clinique observée par l’auteur semble nécessaire à connaître.

Nous y reviendrons ultérieurement.

Certaines femmes demandent une interruption volontaire de grossesse (IVG), mais le délai légal est souvent dépassé (14 semaines d’aménorrhée en France), la grossesse étant rarement découverte avant le cinquième mois. D’ailleurs, Bonnet préconise la recherche d’un déni de grossesse devant toute demande d’IVG à délai dépassé. Sur 12 cas de demande d’avortement tardif (après 20 semaines de gestation), Savage111 montre que le déni de grossesse en était l’explication principale.

Melle J et Melle M se sont présentées au centre d’IVG immédiatement après la découverte de leur grossesse. L’échographie a révélé une grossesse évolutive à respectivement 25 SA et 34 SA. Le délai légal de réalisation de l’IVG étant dépassé, l’accouchement sous X a été évoqué.

Lors de la première échographie du bébé, à 34 SA, Mme G n’a pas regardé les images, « je n’ai pas pu ». L’état de bonne santé du bébé a eu un effet rassurant, mais Mme G dira

« maintenant on n’a plus le choix » de garder ou pas le bébé « puisqu’il est en bonne santé ».

En effet, des examens approfondis ont été effectué en raison de la prise de traitements potentiellement tératogènes (antalgiques).

- Les idées suicidaires

Certaines femmes n’expriment pas d’hétéroagressivité envers leur fœtus mais des idées de suicide impérieuses. L’émergence de pensées violentes envers leur fœtus, sans comprendre leur origine peut entrainer de la colère retournée contre elles-mêmes. Le risque de passage à l’acte est réduit dès qu’elles entament un travail psychothérapique112.

      

111 Savage W. Requests for late termination of pregnancy: Tower Hamlets 1983. Br Med J 1985 ; 290:621.

112 Bonnet C. La grossesse vulnérabilise les femmes maltraitées. Ecole des Parents 1997; 11:57-62.

D’autres femmes appréhendent la confrontation à leur bébé, elles sont si terrifiées de ne pas pouvoir contenir leurs impulsions violentes qu’elles demandent une anesthésie générale pour éviter toute interaction sensorielle avec le bébé113. On peut y voir là un équivalent suicidaire.

Les idées suicidaires peuvent également apparaitre dans le cadre d’un syndrome dépressif majeur.

Mme O (cas d’expertise n°2) a découvert tardivement sa grossesse elle-même par la perception des mouvements actifs fœtaux. Se trouvant dans l’incapacité d’annoncer sa grossesse, elle a présenté un syndrome dépressif au décours avec velléités suicidaires mais sans passage à l’acte auto-agressif.

- La culpabilité

Spielvogel et Hohener114 décrivent au cours de leurs entretiens la présence récurrente de sentiments de culpabilité exprimés par les mères d’avoir mis leur bébé en danger. Si elles avaient eu connaissance de leur grossesse plus tôt, elles auraient adapté leur mode de vie au mieux pour leur bébé.

Après s’être adaptée à la réalité de sa grossesse et du bébé, Mme G exprime un sentiment de culpabilité d’avoir mis son bébé en danger (absence de suivi de grossesse et de respect des conseils alimentaires et règles d’hygiène, prise de médicaments potentiellement tératogènes).

Pour Pierronne115, la verbalisation d’un sentiment de culpabilité n’est pas systématique : c’est le plus souvent un sentiment de honte qui est exprimé, comme si ces femmes « avaient honte d’avoir été traversées par un phénomène irrationnel défiant le sens commun ». Nous en reparlerons dans la partie dédiée aux conséquences du déni de grossesse.

      

113  Bonnet C, 1993; Ibid.

114 Spielvogel AM, 1995; Ibid.

115 Pierronne C, 2002 ; Ibid.