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Bayle158 et Dayan159 ont étudié la clinique des négations de grossesse, apportant une explication psychopathologique à la possibilité de percevoir les transformations corporelles à des degrés variables dans le déni de grossesse.

La dénégation est « un procédé par lequel le sujet, tout en formulant un de ses désirs, pensées, sentiments jusqu’ici refoulé, continue à s’en défendre en niant qu’il lui appartienne. »160

La dénégation dans le déni de grossesse semble témoigner d’une altération de la perception du corps. En l’absence de perception corporelle la représentation de la grossesse ne peut avoir lieu. Cependant ces femmes ne présentent pas, comme dans le cas du déni, une méconnaissance radicale de ce qui se passe en elles, témoins d’un mécanisme de clivage. Une perception de la grossesse vient à la conscience mais se trouve aussitôt annulée. La femme sent bien « quelque chose » mais ce « quelque chose n’est pas possible » ; le sujet voit mais

« n’en croit pas ses yeux ». L’aveuglement est sélectif, il porte sur l’ensemble des indices       

158 Bayle B,2005; Ibid.

159 Dayan J, 1999, 2008 ; Ibid 

160  Laplanche J., Pontalis JB. (Dé)négation. In Vocabulaire de la psychanalyse. Paris : PUF, 1967(1990).

susceptibles de révéler la grossesse. La représentation écartée de la conscience est « Je suis enceinte ». Pour être maintenue, la dénégation nécessite un « travail constant » ayant pour objet de réprimer de la conscience les stimuli perçus susceptibles de conduire à une représentation de la grossesse. Il est nécessaire de supposer qu’il existe paradoxalement une vigilance exacerbée de ces mères à écarter ces stimuli. La dénégation s’associe au processus de « refoulement ». Le refoulement est maintenu par un mécanisme d’annulation ; la représentation de l’événement en terme de grossesse ne peut pas parvenir à l’esprit. Ainsi la dénégation est déterminée par le refus inconscient de reconnaître qu’un élément perçu ou admis dans son existence puisse se rapporter à un état du sujet. Ce désaveu se produit en relation avec un désir barré par l’interdit et marqué par la culpabilité : par exemple que le ventre rond ou l’aménorrhée puisse se rapporter à la grossesse. Ainsi, la rationalisation serait spécifique aux dénégations.

La dénégation de grossesse fait appel à un mécanisme de défense de type névrotique. Ce symptôme témoigne d’un conflit intra-psychique inconscient. Dans la métapsychologie freudienne, la dénégation est un moyen de prendre connaissance du refoulé. Le contenu représentatif est maintenu à l’écart de la conscience, en même temps qu’apparaît une sorte d’admission intellectuelle du refoulé. La pensée se libère alors des limitations du refoulement161.

La particularité de la dénégation dans le déni de grossesse porte sur la nature cénesthésique des éléments perceptifs. Ainsi, certains auteurs ont rapproché le déni de grossesse de la conversion hystérique : une sorte « d’hystérisation négative »162.

Le terme de déni est employé par Freud dans un sens spécifique : il s’agit d’un « mode de défense consistant en un refus par le sujet de reconnaître la réalité d’une perception

      

161 Laplanche J., Pontalis JB, 1990; Ibid.

162  Milden R., Rosenthal M.,Winegardner J., Smith D. Denial of pregnancy : an exploratory investigation. J Psychos Obstet Gynaecol 1985; 4: 255-261.

traumatisante. »163 Le déni permet de se prémunir de l’intrusion de tout élément rappelant à l’individu sa vulnérabilité de façon désorganisante. Le déni est structural chez le petit enfant car il soutient les croyances infantiles, tel le déni de l’absence de l’autre. La persistance du recours au déni au-delà de la période oedipienne peut mettre en danger l’économie psychique du sujet et conduire à la psychose ou la perversion. Cette notion de déni est complétée par celle de clivage du moi, qui est « à distinguer de la division qu’institue dans la personne tout refoulement névrotique : 1) Il s’agit de la coexistence de deux types différents de défense du moi, et non d’un conflit entre le moi et le ça ; 2) Une des défenses du moi porte sur la réalité extérieure : déni d’une perception ». Le déni serait donc un mécanisme de défense archaïque, immature et pathologique, en dehors de l’enfance jusqu’à la période oedipienne. « Le déni, le clivage, la projection, sont des mécanismes de défense qui entrent en activité avant que le refoulement ne se constitue »164. Pour Dayan, le véritable « déni » de grossesse est rare, il est à associer à l’absence de perception des modifications corporelles quand le clivage est un mécanisme prévalent du fonctionnement psychique : il se rencontre dans cette forme quasi-exclusivement lors d’épisodes psychotiques aigus ou chez les mères schizophrènes. Pour autant le clivage ne peut-il pas s’installer de façon transitoire le temps d’une grossesse, sans atteindre le fonctionnement global de la personne ?

Pour Delassus165, concernant le déni de grossesse, il ne faut pas faire de distinction tranchée entre déni et dénégation. Il peut y avoir des formes transitoires et des passages entre la dénégation et le déni.

Certains auteurs166 évoquent la personnalité pathologique « état limite » décrite par Kernberg dans certains cas de déni de grossesse, plus particulièrement dans les cas où se produit un néonaticide. Ces personnes utilisent l’identification projective, le clivage comme mode de défense sans psychose caractérisée. L’état limite demeure dans une situation « aménagée », mais non fixée, ce qui explique l’apparition de mécanismes tantôt psychotiques (projection,       

163 Laplanche J., Pontalis JB. Déni (de la réalité). In Vocabulaire de la psychanalyse. Paris : PUF 1967(1990).

164 Lauret M., Raynaud JP. Mélanie Klein, une pensée vivante. Paris : 2008.

165  Delassus JM. Le syndrome de l’enfant invisible et le déni de grossesse. Les dossiers de l’obstétrique 2009 ; 381 : 48-50.

166 Margaret G, 2010 ; Ibid.

clivage) tantôt névrotiques (conversion). Ce mode de fonctionnement psychopathologique a été décrit lors de l’expertise n°1. Les « pseudo-règles » de la grossesse, l’analgésie de l’accouchement sont associés à des mécanismes de conversion. L’absence de connaissance de la grossesse est associée à un mécanisme de clivage.

« La névrose ne dénie pas la réalité, elle veut simplement ne rien savoir d’elle ; la psychose la dénie et cherche à la remplacer »167. Cette formule indique deux voies distinctes (dénégation et déni) par lesquelles le psychisme se défend d’une réalité qui lui pèse. Quelle réalité se trouve concernée par le refoulement ou le déni ? Les négations semblent témoigner d’émotions hostiles contre l’enfant. Cependant, toutes les négations de grossesses correspondent-elles à de telles émotions ?

La dissimulation de la grossesse est une négation consciente de la grossesse qui est perçue et reconnue comme telle par l’intéressée. A côté de dissimulations qui relèvent du mensonge conscient visant à protéger la femme enceinte d’un contexte environnemental qui lui est manifestement hostile, certaines dissimulations semblent correspondre davantage à un trouble de l’énonciation de la grossesse à l’entourage qui n’est pas consciemment jugé comme hostile. Ce trouble de l’énonciation de la grossesse a été clairement identifié dans les cas d’expertise n°2. Mme O a découvert ses deux grossesses antérieures à 3 et 4 mois de grossesse, lors d’une consultation chez son médecin traitant. Annoncer ses deux premières grossesses à son mari a toujours été une épreuve pour elle, chacune des grossesses n’étant pas inscrites dans un projet d’enfant de la part du couple. Elle découvre seule sa troisième grossesse (par la perception des mouvements du bébé) et se trouve dans l’incapacité totale de l’annoncer à son mari et sa famille. Pour autant, elle investit affectivement son bébé. Elle a présenté un virage dépressif de l’humeur au décours avec tentative de néonaticide après son accouchement seule au domicile. Ce cas met en évidence l’importance de la capacité psychique de la femme enceinte à annoncer la grossesse, étape majeure du processus de maternogénèse.

      

167 Freud S. La perte de la réalité dans la névrose et dans la psychose. In Névrose, psychose et perversion. Paris : PUF, 1973.

Bayle soulève la question des rapports qu’entretient le symptôme de négation de grossesse avec la personnalité ou le fonctionnement psychique habituel. Il semblerait selon lui qu’il n’y ait pas de corrélation entre la personnalité et le type de symptôme de négation développé. En effet, la « crise aigüe de la grossesse » sollicite des mécanismes de défense qui ne correspondent pas toujours aux mécanismes habituels de la personnalité. Le déni de grossesse serait alors possiblement un mécanisme adaptatif.