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CAS D’EXPERTISES PSYCHIATRIQUES (synthétisés) RECUEILLIS AUPRES DE PSYCHIATRES EXPERTS DE LA REGION DES PAYS DE LA LOIRE

Cas d’expertise n°1 (datant des années 1990) : Un déni total de grossesse suivi de néonaticide

Les faits :

« Melle N a été mise en examen pour avoir causé la mort de son enfant nouveau-né de sexe féminin. Ses déclarations au cours de l’instruction et lors des entretiens psychiatriques sont identiques : Melle N a rencontré il y a un an un garçon avec qui elle a eu des rapports sexuels.

Lorsqu’elle rompt avec lui elle est enceinte d’un mois. Elle affirme n’en n’avoir jamais eu conscience, soulignant qu’au moment prévu de ses règles elle présentait des saignements. Elle n’aurait pas été contrainte d’adopter des vêtements plus amples et, après une remarque de sa mère à propos de son poids, elle montre une serviette périodique ensanglantée. Ce n’est qu’au moment de l’accouchement qu’elle aurait réalisé son état. Après avoir perdu les eaux au petit matin, elle accouche seule au domicile familial, dans les toilettes. Elle dit alors avoir

« complètement paniqué », « je ne savais pas trop où j’en étais, je ne savais pas trop bien où aller…le bébé est tombé dans la cuvette…tout est parti quelques minutes plus tard ». Elle affirme ne pas avoir entendu l’enfant crier « il était mort, il ne bougeait pas », et

« l’emmitoufle » dans un drap, le pose dans sa chambre à coté de son lit. Elle s’allonge puis se lève, prépare le repas avec sa famille, regarde la télévision et va faire des emplettes dans un supermarché et se procure des médicaments pour sa mère. Malgré qu’elle se dise « un peu fatiguée », elle assiste au repas du soir et son entourage ne perçoit pas la situation. Ce n’est que le lendemain matin, lorsque sa mère vient la réveiller, qu’elle voit le corps de l’enfant. Le médecin prévenu adresse Melle N à l’hôpital ».

Conclusion et discussion de l’examen psychiatrique :

« Melle N est une jeune femme âgée de 22 ans, en bonne santé, consciente, lucide, dont l’intelligence se situe au niveau de la moyenne et ne présentant aucun altération des fonctions intellectuelles. Il s’agit d’une jeune femme immature, présentant d’importants troubles relationnels.

Elle présente en effet une anxiété chronique, diffuse, flottante, vécue sur un versant physique et psychique. Cette anxiété n’apparaît pas se systématiser au travers de manifestations à caractère phobique ou obsessionnel. Elle apparaît essentiellement vécue dans un contexte relationnel où nous pouvons faire le constat de sa sensitivité. Elle s’avère en effet particulièrement sensible aux réactions d’autrui. Toute relation apparaît être vécue sur un mode projectif, ne permettant pas une relation de confiance, équilibrée et mature. Sa vie affective et sexuelle est profondément marquée par des éléments de personnalité qui rendent compte de sa dépendance étroite au milieu familial et relative incapacité à intégrer la vie professionnelle et sociale. Elle présente une adaptation de surface. Elle ne présente aucune idéation délirante. Elle ne présente et n’a semble t-il jamais présenté de phénomène psycho-sensoriels et ni d’élément dissociatif faisant évoquer une psychose chronique du groupe des schizophrénies. La grossesse a été vécue dans un déni total, c'est-à-dire sans aucune conscience, opérant un clivage complet entre la réalité et son véritable état. Les phénomènes physiques, pseudo-règles pendant la grossesse, l’analgésie au moment des suites de couches constituent de véritables manifestations de conversion. Elle a vécu l’accouchement dans un état de panique anxieuse, prenant alors véritablement conscience de son état. L’enfant qu’elle a mis au monde n’a cependant au plan de sa conscience jamais eu véritablement d’existence et il n’apparaît toujours en avoir aucune, Melle N opérant toujours un clivage et éprouvant la même dénégation, ce qui rend compte de l’absence de sentiments de culpabilité vis-à-vis des faits.

Nous n’avons pas mis en évidence chez elle de syndrome dépressif, en particulier mélancolique et les faits ne résultent pas d’une pathologie du post-partum dans ses expressions cliniques diverses. Melle N nous paraît présenter des manifestations cliniques qui renvoient à une personnalité pathologique qui se caractérise par l’importance de mécanismes défensifs à caractère psychotique : dénégation, déni, clivage, identification projective particulièrement manifestes lors de la grossesse vécue dans la plus totale inconscience et la clandestinité, rendant compte d’un profond trouble de l’identité. Cette organisation de personnalité stable a certains traits de spécificité, les troubles plus manifestes survenus à l’occasion de cette grossesse coïncident dans la nosographie psychiatrique avec les états-limites (Borderline) notamment dans la conception de Kernberg qui rassemble une anxiété diffuse, des phénomènes de conversion bizarres, une sexualité perturbée, des éléments de personnalité infantile, une relation à l’autre marquée par la dépendance étroite.

Discussion : Ce cas met en exergue la problématique de la peur de l’abandon retrouvée chez les personnes présentant un trouble limite de la personnalité. Ceci fait écho à la littérature récente248 publiée à propos de la psychopathologie des femmes qui commettent un néonaticide chez qui la peur de l’abandon est fréquemment retrouvée.

Cas d’expertise n°2 (datant des années 2000): Un trouble de l’énonciation de la grossesse suivi de tentative de néonaticide

Les faits :

« Mme O se présente au Centre Hospitalier en compagnie de son mari pour des saignements importants. Le médecin qui reçoit la patiente est alors formel, il s’agit d’une jeune femme venant de donner naissance à un enfant. Il accompli alors une révision utérine, pour expulser le placenta qui était resté en intra-utérin. De l’examen gynécologique, il ressort que l’accouchement s’est effectivement produit au cours de la nuit écoulée, bien que Mme O nie cet accouchement, elle finit par l’admettre et prétend avoir déposé son enfant dans l’hôpital local des environs. Les recherches entreprises dans cet hôpital n’ont pas permis de découvrir un nouveau-né. Les recherches au domicile du couple permettent de trouver le nouveau-né dans le coffre du véhicule appartenant à M et Mme O. L’enfant vivant, enveloppé de serviettes, est transporté en service de pédiatrie du Centre Hospitalier. Mme O, interrogée, nie d’abord les faits, puis les affirme, après avoir déclaré que l’enfant était né d’un viol, elle reconnaît que le père de son enfant est bien son mari. »

Conclusion et discussion de l’examen psychiatrique :

« Mme O est une femme de 32 ans qui ne présente pas d’altération de l’état général. Elle a évolué au sein d’une famille qui ne semble pas désorganisée, et ne décrivant pas de maltraitance, ni de climat de violence, ni de désinvestissement affectif, elle a toujours été élevée au sein du foyer parental, jamais confiée à une institution ou à une famille d’accueil.

      

248 Le Nestour, 2010 ; Ibid.

Elle est un enfant timide, une adolescente inhibée, et a des difficultés dans la relation interpersonnelle, elle noue avec sa mère une relation de dépendance, a besoin de réassurance et de conseil de manière excessive par autrui. Elle a une perception assez négative d’elle-même, se décrit comme faible, incompétente, manquant d’énergie. Elle n’a pas d’insuffisance intellectuelle, elle a eu un parcours scolaire, socio-professionnel, affectif relativement stables.

A l’âge de 18 ans elle rencontre son futur mari avec qui elle noue une relation de totale dépendance, a peur d’être abandonnée par ce dernier, et livrée à elle-même. Elle se retourne vers lui, pour toutes ses décisions au quotidien, se soumet d’une manière excessive à sa volonté, l’autorise et l’encourage à prendre toutes les décisions importantes de sa vie à sa place. Elle a une totale réticence à faire des demandes ou des requêtes, même justifiées, noue un sentiment de crainte envers ce dernier. Elle ne décrit pas de dysfonctionnement dans la vie intime du couple. De leur union sont nés trois enfants :

- Leur fille ainée est née quelques mois avant le début de leur vie commune. La découverte de sa première grossesse est fortuite, le premier enfant n’étant pas désiré par le couple. Mme O dit « c’est arrivé plus vite qu’on voulait, j’ai toujours eu mes règles, je suis allée voir un médecin traitant pour une contraception et il a trouvé que j’étais enceinte de trois mois. » Mme O évoque même la possibilité d’avorter avec son médecin traitant : « j’étais choquée, j’ai demandé au docteur d’avorter mais c’était trop tard ». Son mari finit par accepter cette grossesse. Il ne souhaite pas avoir d’autre enfant. Mme O prend alors une contraception orale.

- Leur premier garçon est né trois ans plus tard. La grossesse est constatée à quatre mois de gestation de façon fortuite lors d’une visite chez un médecin traitant. A nouveau, Mme O se trouve dans la difficulté d’annoncer cette deuxième grossesse à son conjoint, qui finit par l’accepter.

- Un an plus tard, elle émet l’hypothèse d’avoir mal observé son traitement contraceptif, et se rend compte tardivement d’une gestation lors de la perception des mouvements fœtaux. Elle n’informe aucune personne de son entourage, ni familial, ni professionnel. Elle tente à plusieurs reprises d’en parler avec son époux, mais sidérée par la peur, envahie d’idées de ruine (« On n’y arrivera pas financièrement »), elle rumine seule cette douleur, s’épuise psychologiquement, et présente un virage dépressif de l’humeur avec idées et intentionnalités suicidaires. La nuit des faits, peu de temps après avoir présenté des douleurs abdominales, elle se rend compte qu’il

s’agit de contractions utérines. Elle accouche seule sur le canapé du salon, dans le noir, sortant seule le bébé. Elle affirme ne pas avoir touché au cordon ombilical (à cause de la phobie du sang qu’elle présente), ne clampe pas le cordon, ne fait pas de nœud, et alors prise d’hémorragie gynécologique importante l’affaiblissant, elle est prise d’un malaise probablement hypotensif, lié à l’épuisement secondaire à l’effort d’expulsion mais aussi à l’hémorragie. Elle se réveille par les cris de son bébé, souhaite à plusieurs reprises que des membres de son entourage, son mari ou ses parents entendent des cris pour accourir à son secours. Elle se dirige alors vers son véhicule, tentant d’aller chercher les premiers soins pour son enfant à l’hôpital local et surtout du lait pour le nourrir. Elle se trouve alors dans une situation de stress extrême.

Cet état de stress psychologique majeur est majoré par l’asthénie liée à l’accouchement et à l’hémorragie. Elle a alors un comportement désadapté, dépose son enfant dans la voiture et retourne, selon ses dires, pour s’habiller avant de l’amener à l’hôpital. Là, elle est victime d’un malaise, et son entourage la conduit à son médecin traitant, puis au Centre Hospitalier, où elle reçoit les premiers soins. Les praticiens qui l’accueillent constatent une anémie sévère. Elle nie sa grossesse, son accouchement, à l’interrogatoire du médecin traitant mais aussi des praticiens des urgences. Lors de la découverte du placenta par le gynécologue, elle revient sur ses dires, se trouvant dans un état extrême d’épuisement psychologique et physique, elle trace un scénario invraisemblable, évoque le dépôt du bébé à l’hôpital local, mais aussi explique le déni de son accouchement par le fait qu’il s’agit d’un enfant issu d’un viol imaginaire, mais revient rapidement sur ses dires. A aucun moment de l’entretien Mme O n’évoque de velléités infanticides sur son bébé, bien au contraire, elle exprime le désir de l’avoir, de l’élever, elle nous dit « Au moment de Noel, j’étais seule à le savoir, je pensais que Noël prochain, ils seront trois enfants, ça me faisait du bien, un enfant c’est la vie, c’est trop beau… ». Elle est animée d’un sentiment de honte mais surtout de culpabilité envahissante, regrettant profondément et authentiquement le déroulement de sa grossesse dans ces conditions, exprimant une souffrance psychologique majeure liée aux faits qui lui sont reprochés ; à aucun moment elle n’a tenté de les minimiser.

Malgré un traitement anti-dépresseur mis en place depuis son arrivée au centre pénitentiaire, elle présente une dépressivité de l’humeur mais sans velléité suicidaire.

Elle réclame un soutien psychothérapique auquel elle parait authentiquement adhérente.

Discussion : Après une probable phase initiale de déni de sa grossesse, Mme O découvre sa grossesse et se trouve dans une impossibilité d’annoncer sa grossesse, sans que l’on puisse parler déjà de dissimulation. Elle construit un imaginaire autour du bébé et se projette dans une vie de famille avec ce nouvel enfant. Ainsi, les processus psychiques de la grossesse sont en partie à l’œuvre. L’arrivée du bébé n’est pas anticipée, comme s’il y avait un déni de l’inéluctabilité de l’accouchement. Ce cas met en exergue l’énonciation de la grossesse à autrui comme étant une étape indispensable de la gestation psychique.

Un blocage dans l’énonciation de la grossesse a entrainé chez cette femme un syndrome dépressif avec un comportement inadapté lors de l’accouchement avec mise en danger la vie de son bébé.