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VERS UNE PRISE EN CHARGE DU DENI DE GROSSESSE

III- PRISE EN CHARGE PSYCHOLOGIQUE ET/OU PSYCHIATRIQUE

III.3- L’élaboration du déni de grossesse : jusqu’à quel point ?

L’expérience clinique de Bonnet l’amène à penser l’élaboration du déni de grossesse en deux temps :

- Dégager l’enfant des pulsions violentes lorsqu’elles sont présentes : écouter l’expression de ces pulsions hétéroagressives a un effet thérapeutique immédiat : les impulsions, le contenu violent, et les passages à l’acte diminuent. Elles éjectent leur colère, leur désarroi, leur culpabilité, leur honte. Parfois cette violence est si réprimée et culpabilisée qu’elles retournent la violence contre elles-mêmes.

- Comprendre le lien avec l’homme avec qui elles ont conçu l’enfant : certaines vivent avec lui et ne peuvent lui annoncer leur grossesse tant elles craignent ses réactions. Il est important de leur faire préciser s’il a ou non nié leur grossesse. Réaliser qu’il n’a pas remarqué les changements de leur corps peut être très douloureux. D’autres en revanche souhaitent annoncer leur grossesse mais ne savent pas trouver les mots.

D’autres ont espacé le lien avec cet homme et ne l’on plus revu. Parfois la relation s’est arrêtée sans qu’il ait imaginé qu’elle soit enceinte. Lorsqu’après plusieurs entretiens elles refusent de nommer celui avec lequel elles ont conçu l’enfant, on peut suspecter que la conception soit survenue dans un contexte de violences.

La résurgence d’expériences traumatiques passées peut survenir lors de ces entretiens psychothérapiques.

Ces points sont des pistes de réflexions, mais précisons que les entretiens sont souvent difficiles mener en raison du discours souvent peu spontané des patientes, leur capacité limitée à élaborer leurs émotions au moment où on les voit.

III.4- Et après

Pour Bonnet280, « les femmes à risque » sont celles dont le déni de grossesse a perduré jusqu’à l’accouchement et n’ont pas pu bénéficier d’entretiens psychologiques, celles qui ont été forcées de garder le bébé par l’entourage, celles qui s’en sont séparé puis se sont rétractées, celles dont l’ambivalence envers l’enfant se maintient malgré notre écoute attentive. Pour l’auteur, la poursuite du travail psychique est recommandée après la sortie de la maternité : que ce soit pour élaborer un travail de deuil indispensable à celles qui se séparent de leur enfant ou que ce soit pour conforter la relation de celles qui ont décidé de le garder.

Selon Dayan281, les mères doivent être suivies tant que subsistent des « ilots de dénégations » ou que les réactions au comportement du bébé semblent inappropriées.

Notre expérience clinique a montré que le suivi psychologique après la sortie de la maternité est rarement maintenu.

Mme G est revenue une seule fois en consultation avec son mari (sans son bébé) environ un mois après la naissance. La question du déni est réabordée avec difficulté. Le besoin d’en parler n’est plus présent.

L’intérêt d’une prise en charge pluridisciplinaire prend ici tout son sens : l’articulation avec les PMI (Protection Maternelle Infantile) depuis la maternité permet d’instaurer différents niveaux d’intervention auprès de la patiente. Ainsi, elle peut s’appuyer sur plusieurs intervenants qui ont un regard différent sur sa situation. Les services de PMI interviennent également au domicile et peuvent accompagner le déroulement de la relation mère-bébé.

Melle I a été vu à la maternité par la pédopsychiatrie de liaison lors de ses deux accouchements à 1 an d’intervalle. Elle a découvert tardivement ses deux grossesses. Après sa sortie de la maternité lors de son premier accouchement, Melle I n’a pas donné suite aux entretiens proposés. Entre ses deux grossesses, elle a gardé un lien avec la PMI, ce qui nous a permis de travailler en partenariat lors de son deuxième accouchement.

Lorsque la mère est séparée de son bébé (décès, adoption), nous insistons sur la nécessité de lui proposer de la revoir après sa sortie, de lui proposer d’informer son médecin traitant.

      

280 Bonnet C, 2002 ; Ibid.

281 Dayan J, 2009 ; Ibid. 

IV- CONCLUSION

Ainsi, nous pensons qu’une évaluation psychologique systématique dès la découverte de la grossesse est nécessaire et constitue la première étape vers une prise en charge de la dimension psychique du déni de grossesse. Nous pouvons aussi supposer que la prise en charge psychologique d’un premier déni de grossesse diminue le risque de récidive. Nous avons remarqué que la présence d’un tiers affectif concerné favorise en général l’adhésion aux entretiens. Les patientes affectivement isolées sont quant à elles plus fuyantes. Dans ce contexte, une articulation des prises en charges psychologique et obstétricale parait pertinente avant et après l’accouchement.

La mise en lien des patientes et de leur bébé avec les services de PMI permet de garder un contact avec elles en restant dans une vigilance bienveillante.

Par ailleurs des réunions ou campagnes d’information pourraient s’organiser au niveau local afin d’informer un maximum de soignants susceptibles de rencontrer une femme ayant dénié sa grossesse. On pourrait même imaginer des réunions (de sage-femme, de gynécologue-obstétricien, de médecin généraliste) où chacun puisse évoquer son expérience de prise en charge de femme ayant dénié sa grossesse.

CONCLUSION

Les connaissances sur le déni de grossesse n’en sont qu’à leur début probablement en raison d’un « déni du déni » et du caractère incroyable auquel il renvoie dans l’inconscient collectif à propos de la maternité. Nous découvrons alors peu à peu que le déni de grossesse existe et qu’il passe la plupart du temps inaperçu.

Il n’existe pas aujourd’hui de définition consensuelle concernant le déni de grossesse. La nécessité de définir des critères d’inclusion précis pour notre étude rétrospective a permis une réflexion sur sa définition. Tous les professionnels de santé sont susceptibles de rencontrer une patiente qui a dénié sa grossesse. Afin d’améliorer sa prévention et sa prise en charge, le

« déni de grossesse » nécessite en premier lieu sa connaissance, la compréhension de la pluralité des mécanismes psychiques auxquels il renvoie, la prise en compte de sa clinique et de ses conséquences.

Ainsi, une inclusion du déni de grossesse dans les classifications internationales des maladies serait intéressante afin de mieux appréhender cette entité encore mal connue.

Le déni de grossesse témoigne d’une vulnérabilité des mères concernant leur maternité à un moment donné de leur vie. Il n’existe pas de profil type de femme à risque de présenter un déni de grossesse. Une pluralité de facteurs inhérents à leur histoire de vie, leur rapport à leur corps, les circonstances actuelles de leur grossesse, leur fonctionnement psychique habituel entrent en jeu dans la survenue d’une grossesse déniée. Le déni de grossesse apparaît à la conjonction de plusieurs de ces facteurs. Ainsi, une femme qui dénie sa grossesse doit être abordée dans toute sa singularité.

Nous avons dégagé des caractéristiques psychopathologiques particulières chez les femmes présentant un déni de grossesse (la rationalisation, la contagion du déni, la sidération, la culpabilité, l’ambivalence, la période idyllique) qui apportent d’emblée des éléments de compréhension. La difficulté à verbaliser leurs émotions au moins au moment de la découverte de leur grossesse semble être un élément clinique fréquemment retrouvé.

Le déni de grossesse est une situation potentiellement à risques somatique et psychique pour la mère et son bébé. Les complications obstétricales et néonatales sont plus élevées et ajoutent

des facteurs de vulnérabilité pour la mise en place des interactions précoces. La répétition du déni de grossesse existe et n’est pas un phénomène rare dans notre étude.

L’ensemble de ces données justifient la prise en compte du déni de grossesse dans l’anamnèse obstétricale des patientes.

Nous proposons ainsi une évaluation psychologique ou psychiatrique systématique de toute femme au moment de la levée du déni de grossesse.

Une articulation en réseau avec les différents partenaires de soins parait ensuite pertinente.

Nous avons peu de données concernant l’évolution à long terme de la relation mère-enfant. En effet, ces mères ne sont pas ou rarement dans une demande de soin psychologique ou psychiatrique. Des études plus poussées seraient à entreprendre afin de savoir s’il existe une psychopathologie particulière de la relation mère-enfant à long terme.

BIBLIOGRAPHIE