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Chapitre 2. Conditions économiques de production

3. Les bailleurs sociaux

3.2. Les règles de majorations des loyers et la promesse de l’équilibre financier

social, c’est parce que les surcoûts qu’ils induisent sur le poste de construction sont compensés d’un côté par des taux d’intérêt bancaire minorés par la Caisse des Dépôts et Consignations et de l’autre par des modes de calcul des loyers et subventions publiques spécifiques que nous allons ici détailler. Ainsi, la Caisse des Dépôts et Consignation (CDC) lance fin 2006 un premier prêt « écologique » appelé « Energie Performance et Construction » qui bonifie les taux d’intérêts des emprunts mobilisés pour la construction de logements sociaux neufs labélisés en Très Haute Performance Energétique (THPE sur RT2000). Cette mesure incitative permet alors aux bailleurs français d’emprunter à taux réduit (2,45% au lieu de 3,25%) sur 40 ans le montant de leurs dépenses initiales correspondant au surinvestissement nécessaire à la construction des dispositifs écologiques. Fixé forfaitairement par la banque CDC à 7% de la valeur totale des dépenses sur le bilan d’opération, ce montant emprunté à taux réduit cible ainsi le poste de surcoût du bailleur et se situe donc en complémentarité des prêts usuels contractés sur les PLUS, PLAI et PRU-CD. Puis après deux années de fonctionnement, ce premier prêt écologique se réactualise en 2009 sous le nom « Energie Performance BBC » et modifie ses règles d’emprunt au regard de l’évolution des coûts de la construction en France et en préparation des nouvelles réglementations thermiques (RT 2012). A ce stade, l’assiette de financement correspond à l’intégralité du montant du poste travaux du bailleur social et les taux d’intérêts sont minorés de 20

1 Soit le plafond autorisé de 67,24 €/m2 de surface utile dont nous détaillerons les modes de calcul par la suite : cf. infra §3.2. 2 Source : [données OPAC38, 2006]

points de base, c’est-à-dire de 0,2 % afin de couvrir environ un dixième des surcoûts initiaux à l’investissement1.

Tableau 25 : Règles de majorations des loyers et subventions publiques dans le logement social2

Critères techniques subventions publiques majoration sur les majoration sur les loyers maximum (MQ) Barème national automatique

Certification selon la méthode Qualitel 8%

Label HPE 5%

Label THPE 10%

Ascenseurs suivant calcul

Taille de l'opération suivant calcul

Plafond sur (MQ) 24% (ML) Barème des majorations locales

1. Performances énergétiques

Label THPE 2005 7% 7%

Label THPE ENR 2005 8% 8%

Label BBC 2005 10% 10%

Habitat passif 12% 12%

2. Utilisation des énergies renouvelables a) production de chaleur

au moins 15% de la consommation totale est couverte par ENR 1% 0,5%

au moins 50% de la consommation totale est couverte par ENR 2% 1%

b) production d'électricité

Au moins 50% de la consommation totale est couverte par ENR 1% 0,5%

Au moins 80% de la consommation totale est couverte par ENR 1,5% 0,5%

3. Travaux concernant les bâtiments existants

a) isolation thermique (justification sur au moins 2 domaines) 5%

toitures 2%

façades 2%

vitrage à isolation renforcée 2%

b) systèmes techniques performants

chauffage 2% 2%

ventilation performante : double flux, hydroréglable 1,50%

4. Autres caractéristiques techniques

Taille de l'opération jusqu'à 2% jusqu'à 2%

Local à vélo 2%

surcoût sur risque technologique ou naturel 3%

ascenseurs suivant calcul

5. Contexte foncier local jusqu'à 4%

Plafond sur (ML) 12%

Plafond général sur (MQ)+(ML) 30% 12% ou 18% si ascenseurs

Puis en second lieu, les modes de calcul des subventions ainsi que des loyers sociaux maximums conventionnés sont construits de manière à assurer la rentabilité financière des opérations de logements performants énergétiquement des bailleurs sociaux. Actualisés chaque année3 par l’Etat et

son ministère du logement (Unité UHC/DH2) – au regard de l’article L.351-2 du Code de la construction et de l’habitation relatif à l’habitat conventionné –, ces modes de calculs sont ensuite transmis par circulaire à l’ensemble de ses mandataires locaux tels que les préfets de région et département, les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DREAL), ou encore les directions de l’environnement, de l’aménagement et du logement (DEAL). Plus précisément, il apparaît dans cette circulaire que le calcul des loyers maximum ainsi que des subventions publiques est déterminé à partir de deux types de barèmes cumulables : un premier –

1 Cf. [concepteur d’opération, OPAC38, entretien, 2011] 2 Source : [Circulaire ministérielle UHC/DH2, 2010]

3 En application de l’article 65 de la loi n° 2009-323 du 25 mars 2009 de mobilisation pour le logement et la lutte contre

l’exclusion, les loyers et redevances maximums des conventions en cours sont désormais révisés chaque année au 1er janvier en fonction de l’indice de référence des loyers (IRL) du 2ème trimestre de l’année précédente. Cette modification permet d’harmoniser les dates de révision des montants de l’aide personnalisée au logement (APL) avec celles des conventions APL.

appelé national – qui juge de la qualité du bâtiment (MQ) au regard de ses certifications et de son accessibilité, notamment à l’attention des personnes à mobilité réduite ; puis un second – appelé local (ML) – qui caractérise le projet architectural à partir de ses performances énergétiques, de son utilisation en énergies renouvelables, de sa taille, et de son contexte foncier sur le marché immobilier (Cf. supra Tableau 25). Dans leurs modalités de calcul, les deux barèmes (ML + MQ) encouragent largement la production d’habitat écologique innovant. En effet, construire un bâtiment basse consommation (BBC) permet au bailleur social d’augmenter de 22% ses subventions initiales et de 10% le seuil du loyer maximum conventionné dont la variable est au cœur de l’équilibre financier de sa trésorerie actualisée1. A ce titre, la différence en valeur absolue des majorations entre loyer

maximum et subventions doit être pondérée à la fois au regard du poids relatif qu’occupe chacun de ces postes dans l’équilibre global mais également dans la trésorerie annuelle. Ainsi, sur un bilan financier type d’un bâtiment Basse Consommation (BBC)2, une majoration de 10% sur le prix du

loyer permet au bailleur d’augmenter de 15% le montant des annuités sans modifier l’équilibre de son bilan économique d’exploitation. En conséquence, si l’on observe l’ensemble des flux financiers sur la durée d’opération, la valeur totale en euros induite par l’augmentation des recettes locatives est équivalente à 1,6 fois3 celle des subventions publiques supplémentaires investies initialement. Enfin,

les allocations supplémentaires de subventions publiques dans le cas de bâtiments écologiques explicitent leurs attentes de résultats énergétiques de la part des bailleurs sociaux et exigent en ce sens des retours annuels sur les consommations des bâtiments en phase d’exploitation.

Tableau 26 : Majorations simulées du loyer maximum et des subventions sur Le Pallium (De Bonne)4

Critères techniques Majoration sur les subventions publiques Majoration sur le loyer maximum (MQ) Majoration pour qualité

1. Label Qualitel énergétique 17,00%

2. Ascenseurs 6,00% 3. Taille opération 2,13% TOTAL (MQ) 25,13% (ML) Majoration Locale 1. Performance thermique 4,50% 5,50% 2. Opération HQE 2,00% 1% 3. Energie Renouvelable 2,00% 1%

4. Qualité architecturale écologique 3,05% 6,05%

5. Contexte local 4,00% 1%

TOTAL (ML) 12% 14,55%

Pour illustrer, prenons le cas du bâtiment Le Pallium de l’écoquartier De Bonne à Grenoble construit en 2007 et mis en location début 2009. Sur le calcul des assiettes de subventions de 2006, le Label

« Qualitel énergétique » du bâtiment majore alors de 17% le coefficient du barème national (MQ),

puis les caractéristiques écologiques de son architecture (thermique, HQE) renforcent de 11,55% celui

1 Cf. p. 24, Annexe 8 [Circulaire ministérielle UHC/DH2, 2010] « Une majoration de loyer est possible pour tenir compte des

choix énergétiques et des équipements favorisant la maîtrise de la facture énergétique à la charge du locataire. Cette majoration est destinée à favoriser des investissements permettant une réduction des charges sans remettre en cause l’équilibre de l’opération » et Cf. [concepteur d’opération, OPAC38, entretien NE, 2011] : « L’objectif de ces majorations sur les loyers type BBC, c’est de compenser les surcoûts que nous bailleur, on peut avoir en phase construction, c’est pour qu’on puisse boucler la faisabilité financière et rester dans l’innovation. »

2 Nous prenons les hypothèses usuelles suivantes : répartition des dépenses en bilan d’opération (15% de fonds propres, 25%

de subventions et 60% d’emprunt) puis répartition des recettes en phase exploitation (80% annuités d’emprunt, 20% gestion, provisions travaux, entretien courant et taxes foncières)

3 Calculé proportionnellement selon la formule suivante : (60% d’emprunt * 15% de majoration) / (25% de subventions *

22% de majoration)

du barème local (ML), ce qui constitue au final 28,55% de recettes supplémentaires sur ce poste en phase opérationnelle, c’est-à-dire 625 000 euros selon les chiffres de l’OPAC38. Parallèlement, le seuil du loyer maximum est augmenté dans le bilan d’exploitation de 13,55%, c’est-à-dire : 5,5% pour la performance thermique, 1% pour la caractère HQE de l’opération, 1% pour la présence d’énergie renouvelable et 6,05% pour le caractère écologique innovant de son architecture. Rapporté à l’ensemble des recettes locatives, ces majorations induisent alors en trésorerie annuelle 19 300 euros de flux positifs supplémentaires, autrement dit 965 000 euros sur la durée totale de désendettement1.

Choisi comme loyer d’équilibre par le bailleur, ce loyer maximum conventionné et majoré projette alors des bilans économiques rentables selon les règles de jugement en vigueur, c’est-à-dire selon les règles d’équilibre du bilan d’opération et d’exploitation que nous avons décrites précédemment (Cf.

supra §3.1).

Conclusion de la première partie.

Un mode de fabrication économique conservateur

En conclusion de cette première partie, il apparaît tout d’abord (Chapitre 1) que le processus de fabrication des écoquartiers français réunit des acteurs sous la forme de collectifs organisés autour de l’activité de production et d’exploitation des dispositifs techniques écologiques de l’aménagement urbain. Nous avons alors montré au sein de ces collectifs la présence usuelle des commanditaires opérationnels que sont les collectivités publiques, les aménageurs, les promoteurs immobiliers et les bailleurs sociaux ainsi que de leurs financeurs, c’est-à-dire les banques privées (le marché financier international), la Caisse des Dépôts et Consignation et enfin l’administration (Europe, Etat, régions, départements, collectivités) par l’intermédiaire de subventions publiques. Puis, les différents commanditaires mobilisent leurs experts que sont les architectes, les paysagistes, les bureaux d’études, les entreprises de construction, les géomètres, les contrôleurs techniques ou encore les notaires et assureurs. Cette assemblée de spécialistes se complète alors de trois nouveaux acteurs dont nous avons souligné l’émergence selon les différentes phases du projet. Ainsi, le rôle d’assistant développement durable aux commanditaires (AMO QE), que ce soit par l’écriture des cahiers des charges ou le contrôle de la maîtrise d’œuvre, traduit en premier lieu le rôle dominant joué par l’ingénierie environnementale et ses bureaux d’études lors de chaque étape déterminante de la conception. Puis la montée en puissance des pédagogues en comportements sociaux, que ce soit à l’attention des travailleurs en phase réalisation ou des usagers en phase fonctionnement, implique l’intégration de nouveaux experts issus des métiers de la communication, de la sensibilisation, de la médiation, de l’éducation ou encore du management en entreprise. Autrement dit, l’organisation de l’expertise au sein de la fabrication des écoquartiers sous-tend à la fois une bifurcation environnementale des collectifs usuels (bureaux d’études, architectes, entreprises de construction, etc.) mais également leur élargissement aux différents métiers contemporains afférents au contrôle des travailleurs et usagers. Enfin, l’interdépendance entre commanditaires et experts que nous avons identifiée est aussi celle des financiers, des producteurs privés et des institutions publiques. Elle renouvelle donc dans la division du travail contemporaine la délégation que chacun reconnaît aux collectifs existants pour produire et entretenir les objets nécessaires à sa vie urbaine. A ce titre, elle actualise le mode de légitimation

idéologique1 [Ricœur, 1997 : 32] de l’appareil productif urbain français fondé schématiquement sur le

1 Nous utilisons le concept de P. Ricœur [1997 : 32]. Dans ce cadre, l’idéologie est définie comme ce qui légitime le pouvoir

sans mobiliser la force policière, c’est à dire l'autorité : « Dès qu’une différenciation apparaît entre un corps gouvernant et le reste du groupe, le corps gouvernant a à la fois le pouvoir de commander et celui d’imposer un ordre au moyen de la force. L’idéologie intervient ici parce qu’aucun système de domination, fût-ce le plus brutal, ne gouverne seulement par la force. Chaque système de domination exige non seulement notre soumission physique, mais notre consentement et notre coopération. Chaque système de domination veut dès lors que son pouvoir ne repose pas sur la seule domination ; il veut aussi que son pouvoir soit fondé parce que son autorité est légitime. C’est le rôle de l’idéologie de légitimer l’autorité. Plus précisément, tandis que l’idéologie sert, comme nous venons de le voir, de code d’interprétation qui assure l’intégration, elle le fait en justifiant le système présent d’autorité. »

mandat électif pour les personnels politiques et sur la reconnaissance sociale des titres et diplômes pour les professionnels.

Puis dans un second temps (Chapitre 2), nous avons montré les projections économiques des commanditaires des écoquartiers, c’est-à-dire la manière dont chaque collectif projette sur le processus d’édification et de maintenance des objets écologiques la constitution de ressources financières nécessaires à son existence dans l’organisation du travail. Il apparaît alors que les conditions de production que nous avons décrites fonctionnent sur des règles économiques particulières qui s’encastrent dans le modèle dominant du capitalisme néolibéral financiarisé institué par les néoconservateurs anglo-saxons à la fin de Trente Glorieuses et dont nous précisons ici la contingence historique depuis l’avènement de la société industrielle dans les pays occidentaux.

Ainsi, dans les sociétés préindustrielles, le système économique se construit schématiquement entre les règles de la réciprocité fondée sur l’obligation sociale de donner, de rendre et de recevoir1

(économie du don), et celles de la redistribution qui émergent sous deux formes différentes : l’appropriation des ressources par une autorité (un roi, un chef, un maître de maisonnée, etc.) qui en assure la redistribution ou bien l’échange administré à taux préfixés avec des prix institutionnels ou taxés. Par exemple, dans l’empire babylonien, égyptien ou romain, c’est l’échange administré ainsi que la redistribution qui prédominent dans l’organisation économique jusqu’au début du 1er siècle

après J.C. A ce titre, le cas de la ville de Rome est particulièrement significatif puisque les lois frumentaires fixent à la fois les prix commerciaux sur le territoire, mais oblige également la redistribution quotidienne d’une ration de pain (entre 1 à 1,5kg) à l’ensemble des citoyens romains, c’est dire vers -45 avant J.C environ 320 000 bénéficiaires adultes [Bairoch, 1985 : 116]. Nous nous inscrivons donc dans le sillage de Karl Polanyi, qui caractérise l’ensemble des systèmes économiques préindustriels par leur encastrement systématique dans la coutume, le droit, la magie ou encore la religion : « Dans les sociétés préindustrielles, le système économique est toujours immergé dans le

social, qu’il soit question de la cité-Etat de l’Antiquité, de l’empire despotique, du féodalisme, de la vie urbaine au XIIIe siècle, du système mercantiliste au XVIe siècle ou du marché réglementé au XVIIIe siècle. Les incitations ont des sources particulièrement variées : les coutumes et les traditions, les devoirs publics et l’engagement personnel, la pratique religieuse et l’allégeance politique, les obligations juridiques et les règles administratives telles qu’elles sont établies par le prince, la commune ou la guilde. Ce sont le rang et le statut, la contrainte de la loi et la peur du châtiment, les honneurs publics et la réputation, qui garantissent que l’individu contribue à la production. »2.

L’émergence de l’industrialisation au XIXe siècle dans les pays occidentaux s’accompagne ensuite d’une domination progressive de l’économie capitaliste – auparavant marginale et dissidente3 – sur les

règles d’organisation usuelles des sociétés. Cette transformation se construit tout d’abord par la

1 Pour illustrer, les Trobriandais de la Mélanésie occidentale étudiés par l’anthropologue B. K. Malinowski [1922] remettent

par exemple une partie considérable de leurs productions au chef suprême de l’île (chief) par l’intermédiaire des chefs de village (headmen) qui en assure alors la redistribution aux familles selon leur étiquette sociale lors de visites hebdomadaires définies par la coutume. Puis une économie du don s’organise parallèlement entre les villages côtiers et les villages intérieurs de chaque île qui échangent alors les fruits de l’arbre à pain avec des poissons lors de cérémonies successives dans lesquelles la manifestation de la générosité du village est la signe de sa puissance ainsi que du lien pacifique qu’il cultive avec ses voisins.

2 Cf. [Polanyi, 2008 : 511]

3 Cf. [Généreux, 2011 : 66] : « Dans son principe essentiel, le capitalisme n’est pas né avec la révolution industrielle. Il existe

dès le XVIe siècle, sous la forme des sociétés commerciales montées par les marchands engagés dans le commerce au long cours, en vue de tirer un profit des écarts entre le prix d’achat de certains produits dans des pays lointains et leur prix de vente à l’importation dans quelques riches cités européennes »

marchandisation de la terre et du travail, dont l’abolition de la loi sur les pauvres1 en Angleterre (Poor

Law Amendment Bill, 1834) votée après plusieurs années de luttes bourgeoises en est l’emblème. La

faim est alors érigée en sanction motrice des travailleurs et le salaire des firmes capitalistes le moyen universel de subvenir à leurs besoins par l’achat de biens autorégulés sur le marché. Puis au milieu du XIXe siècle, le capitalisme se libéralise, c’est-à-dire à la fois s’émancipe progressivement des barrières douanières régionales et nationales mais également introduit une stabilité des taux de change monétaires entre les principales puissances économiques occidentales. A ce titre, la loi d’abrogation des taxes douanières anglaises sur le blé (1846) ainsi que l’introduction de la convertibilité des monnaies en or (1844 en Angleterre, 1871 en Allemagne, 1873 aux Etats-Unis, 1876 en France, etc.) traduisent les premières victoires de la bourgeoisie libérale sur les républicains, les radicaux et l’aristocratie. Mais les conséquences induites sur le chômage et la précarité des travailleurs (notamment sur le logement), entraîne rapidement l’indignation religieuse (puritaine ou catholique), hygiéniste, et provoque des luttes ouvrières et syndicales. Le capitalisme libéral se mute alors en diverses formes de paternalisme et renforce le pouvoir de l’Etat ainsi que des municipalités publiques à qui revient la charge de résoudre les problèmes sociaux, notamment par l’urbanisme et l’aménagement de l’habitat, comme le note Lewis Mumford « Ainsi, en dépit de la doctrine du

"laisser-faire", le XIXe siècle devint le siècle du socialisme municipal. La propriété collective et la gestion publique étaient la condition même du progrès de l’aménagement de l’habitat : conduites, réservoirs d’eau, aqueducs, stations de pompage, tout-à-l’égout, usines d’utilisation des déchets, etc. »2. Parallèlement, le système économique capitaliste connaît régulièrement des crises inhérentes à

ses règles de reproduction fondées sur le renouvellement de l’offre en objets sur le marché disponible. Comme le montre J. Schumpeter dans son ouvrage capitalisme, socialisme et démocratie [e1951], l’offre en nouveaux objets techniques (innovations) est inhérente à la reproduction de l’économie capitaliste. En élargissant les branches de production, elle renouvelle les possibilités d’écoulement de biens fabriqués et par là même tend à surmonter la saturation des besoins et de la demande. Elle participe ainsi selon l’auteur à un processus de « destruction créatrice »3 qui fait naître de nouveaux

secteurs d’activités au détriment d’autres – ce qui régénère la croissance du système économique. De manière cyclique, des outils de travail, méthodes de production, et savoir-faire des travailleurs deviennent donc obsolètes au bénéfice de ceux exigés par les innovations marchandes et objets de consommation. Dans ce cadre spécifique de reproduction, l’économie capitaliste connaît donc deux types de crises.

Dans l’économie productive, tout d’abord, la baisse de la part salariale dans la valeur ajoutée nécessaire à l’augmentation de la rémunération des capitaux dans les contextes de forte concurrence ne permet pas toujours aux revenus distribués d’absorber l’ensemble des biens accumulés à la production. Cette situation engendre alors une crise de surproduction, c’est-à-dire que les marchandises sont bradées, les stocks réduits et les investissements arrêtés. Les entreprises les plus

1 La loi sur les pauvres du XVIIe siècle en Angleterre exige un complément de salaire, indexé sur les prix du pain pour les

pauvres, indépendamment de leurs gains.

2 Cf. [Mumford, 1964 : 595]

3 Cf. [Schumpeter, 1951 : 106-107] : « L'impulsion fondamentale qui met et maintient en mouvement la machine capitaliste

est imprimée par les nouveaux objets de consommation, les nouvelles méthodes de production et de transport, les nouveaux marchés, les nouveaux types d'organisation industrielle - tous éléments créés par l'initiative capitaliste. [...] L'histoire de l'équipement productif d'énergie, depuis la roue hydraulique jusqu'à la turbine moderne, ou l'histoire des transports, depuis la diligence jusqu'à l'avion. L'ouverture de nouveaux marchés nationaux ou extérieurs et le développement des organisations productives, depuis l'atelier artisanal et la manufacture jusqu'aux entreprises amalgamées telles que l’U.S. Steel, constituent d'autres exemples du même processus de mutation industrielle - si l'on me passe cette expression biologique - qui révolutionne incessamment de l'intérieur la structure économique, en détruisant continuellement ses éléments vieillis et en

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