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Chapitre 2. Conditions économiques de production

1. L’aménageur et la collectivité

1.1. Les conditions générales de production

Dans la fabrication des écoquartiers français, la situation économique de l’aménageur relève des conditions usuelles de production d’un nouveau quartier que nous proposons ici de montrer à partir des différents flux financiers qu’elles projettent dans sa trésorerie. Nous allons donc décrire comment l’aménageur ainsi que l’ensemble de ses prestataires se constituent des ressources économiques à partir du rôle qu’ils jouent dans la fabrication d’un écoquartier. En ce sens, nous verrons tout d’abord la construction de son équilibre financier prévisionnel dans sa forme la plus statique, c’est-à-dire dans l’assemblage général des différents postes de recettes et de dépenses du projet (Cf. infra Tableau 17), puis nous nous intéresserons ensuite à la manière dont les flux escomptés de trésorerie se répartissent sur toute la durée de l’opération.

Tableau 17 : Les postes de dépenses et de recettes de l’aménageur des écoquartiers1

D

ép

en

se

s

(D1) Acquisition foncière : achat des terrains, déconstruction, dépollution, frais d’actes,

indemnités d’éviction, honoraire du géomètre, impôts fonciers.

(D2) Etudes et honoraires techniques : études et honoraires de la maîtrise d’œuvre

(D3) Travaux : aménagement des infrastructures (voiries et réseaux divers) et construction des

superstructures publiques (école, médiathèque, etc.), assurances.

(D4) Communication : réalisation d’un plan de communication et de sensibilisation au projet (D5) Rémunération : rémunération des frais de l’aménageur, de ses prestataires (gestion) et prise

d’une marge (liquidité financière).

(D6) Frais financiers : rémunération des banques prêteuses à taux actuariel

R

ecet

tes (R1) Cessions des charges foncières : vente des droits à construire aux promoteurs privés et bailleurs sociaux et taxe de participation des constructeurs aux équipements publics.

(R2) Subventions des acteurs publics locaux : fonds propres, apports de capitaux, participation

stratégique au projet (équipement public, acquisition foncière, etc.)

A la charge de l’aménageur d’un écoquartier apparaît tout d’abord la maîtrise foncière du quartier définie par le périmètre d’intervention de la ZAC. Ce premier poste (D1) rassemble à la fois les frais d’acquisition des terrains (achat, frais d’actes, honoraires du géomètre, indemnités d’éviction, relogements, etc.) mais également de démolition ainsi que les dépollutions éventuelles à réaliser en fonction de l’usage futur et de la réglementation en vigueur. Il inclut aussi les impôts fonciers à la charge de l’aménageur sur les espaces acquis entre la date d’achat et de revente. Un second poste (D2) concerne ensuite les frais d’études (études de marché, de faisabilité, voire remboursement des études préalables de la collectivité) ainsi que les honoraires de la maîtrise d’œuvre et de son équipe qui assure le pilotage et le suivi des travaux. Elle comprend l’architecte-urbaniste, le paysagiste, les bureaux

d’études et les coordinateurs sécurité-santé. Puis le troisième poste de dépenses correspond aux coûts des travaux d’aménagement des espaces publics à réaliser in-situ par les entreprises de construction (D3). Ces coûts comprennent à la fois les dépenses liées à la réalisation des voiries, parcs, venelles, zones de biodiversité et jardins (terrassement, construction, mise en place du mobilier urbain, assurances travaux) mais également liées aux différents réseaux qui s’y affèrent tels que l’éclairage, l’eau potable, l’assainissement, l’électricité, le gaz ou encore les télécommunications. Dans certains cas, selon le type de contrat passé entre l’aménageur et la collectivité, le poste des travaux peut également s’élargir aux différents équipements publics présents au sein du quartier (école, médiathèque, gymnase, etc.). Puis, un quatrième poste (D4) met à la charge de l’aménageur les frais de communication de l’opération, c’est-à-dire à la fois les dépenses de publicité destinées à vendre les lots aménagés mais également celles qui visent la sensibilisation, la communication, et parfois la concertation auprès de la population locale et futurs usagers. Un cinquième poste (D5) réunit ensuite l’ensemble des frais de gestion de l’aménageur, autrement dit la rémunération du maître d’ouvrage ainsi que celle des différents prestataires qu’il mobilise comme les assistants (AMO) en énergie et développement durable du projet. Une marge (liquidité financière) vient alors s’ajouter et sa part relative varie selon la stratégie de capitalisation définie par les actionnaires de l’aménageur pour consolider ses risques financiers et par la même la confiance des banques. Elle correspond donc à la rémunération des capitaux de l’aménageur, c’est-à-dire in fine à la rentabilité de l’opération1. Enfin, au

regard d’une production qui s’effectue à crédit, le dernier poste de dépense renvoie aux frais financiers de l’opération (D6) qu’induit la différence temporellement actualisée entre les postes de dépenses et de recettes. Il s’agit donc des intérêts actuariels exigés par les différentes banques (Dexia, Caisse des Dépôts et Consignation, Crédit Agricole, etc.) qui financent l’opération dans la temporalité du projet d’aménagement urbain. Nous insisterons plus précisément sur ce point lorsque nous présenterons la dynamique temporelle des flux financiers sur l’opération.

Concernant le poids relatif qu’occupe chacun de ces postes au regard de la charge totale, les bilans économiques prévisionnels (Cf. infra Tableau 18) montrent principalement la prédominance des coûts d’acquisition foncière et des travaux, puis viennent ensuite la rémunération et les honoraires techniques, et enfin les frais financiers et la communication. Quant à l’ensemble des dépenses engagées par l’aménageur, le flux financier global n’est pas sensiblement modifié par le caractère écologique des aménagements fabriqués, tels que les espaces rustiques, les zones de biodiversité, les venelles vertes, les grands parcs et jardins. En effet, notre enquête montre que les surcoûts représentés d’un côté par la montée en puissance des prestations d’experts (AMO développement durable, AMO Energie, études des sols) et de l’autre par la multiplication des outils de sensibilisation à la population (Cf. infra Extrait 13) sont au final compensés dans les bilans prévisionnels par une réduction du poste des travaux qu’induit la tendance végétale des matériaux mobilisés2. Pour illustrer, nous détaillons

1 Situation renforcée par la mise en concurrence des aménageurs (2005), Cf. Guide de rémunération des SEM interne au

réseau SEM-SCET [SCET, 2008] : « La mise en concurrence a modifié la perception des rapports entre l’aménageur et la collectivité : d’une démarche partenariale où la SEM est l’outil de la collectivité, on évolue progressivement vers une relation contractuelle où l’appréhension du résultat opérationnel devient essentiellement financière. (…) Une nouvelle question est également posée : celle des fonds propres des SEM. Jusqu’alors faiblement capitalisées parce que faiblement exposées au risque, elles doivent les renforcer au plus tôt pour garantir leur capacité à s’engager, tant vis-à-vis des collectivités locales clientes peut enclines désormais à fournir leur garanties, que vis-à-vis de leurs banquiers inquiets du remboursement de leurs prêts. Ces nouveaux capitaux ne pourront pas venir exclusivement d’augmentation de capital. Les SEM devront engranger des résultats sur leurs propres activités et adapter leur niveau de rémunération, et donc de marge, en conséquence.».

2 Cf. [chargé d’opération, SPLA NA, aménageur de Bottière-Chénaie, entretien NE, 2010] : « Dans notre bilan financier, le

fait d’avoir des espaces publics plus écologiques, donc en gros des espaces en pleine terre, des espaces verts, des zones rustiques de biodiversité, c’est pas plus cher qu’avant parce que ce qu’on paie en plus en expertise on le paie moins en travaux vu qu’on est sur des matériaux plus simples et moins coûteux. Donc, économiquement, pour nous, c’est pas un problème. » ; et Cf. [chef de projet, Bouygues Immobilier, aménageur de Ginko, entretien NE, 2010] : « Alors, le fait d’avoir des nouveaux types d’aménagements, avec notamment un quota d’espaces verts par rapport aux espaces minéraux plus

plus précisément le poste de travaux dédié à la construction des espaces publics écologiques dans la section suivante (Cf. infra §1.2).

Tableau 18 : Bilans financiers prévisionnels des aménageurs (De Bonne, Bottière-Chénaie)1

Extrait 13 : Les frais de communication prévisionnel de l’aménageur (Ginko)2

Ensuite, les aménageurs des écoquartiers distinguent deux postes prévisionnels différents de recettes. Le premier concerne la vente des droits à construire de l’espace privé dans le respect du cahier des charges (l’espace public étant cédé gratuitement à la collectivité qui en assure l’exploitation), c’est-à- dire la cession des charges foncières3 aux différents promoteurs et bailleurs sociaux sélectionnés sur le

marché (R1). Chaque valeur de charge diffère alors selon le type de logement (libre, accession, aidé, social) ou d’espace économique (commerces, bureaux) qui la caractérise. Enfin, le second poste relève des différentes subventions publiques (R2) qui peuvent venir compléter les recettes pour équilibrer le bilan de l’opération. Elles apparaissent généralement ciblées sur un ou plusieurs postes précis de surcoût que la collectivité prend partiellement en charge, comme par exemple la maîtrise foncière, la important, c’est plutôt neutre côté bilan économique parce que même si on a quelques dépenses supplémentaires dans l’assistance à maîtrise d’ouvrage énergie ou dans des expertises spécifiques, c’est compensé sur le poste travaux avec des coûts d’investissement plus faibles. »

1 Source : [dossier de réalisation de la ZAC Ginko, 2008 ; dossier de réalisation de la ZAC Bottière-Chénaie, 2005] 2 Source : [dossier de réalisation de la ZAC Ginko, 2008]

3 Lorsque des équipements publics sont présents au sein de l’opération, une participation réglementée des constructeurs vient

alors majorée les recettes de cessions foncière.

Ecoquartier Ginko Ecoquartier Bottière-Chénaie (D) Postes de dépenses en euros HT en % du TOTAL en euros HT en % du TOTAL

(D1) Acquisition foncière 26 480 000 43,6% 15 747 000 34,7% (D2) Etudes et honoraires techniques 3 522 000 5,8% 3 833 000 8,4% (D3) Travaux 24 515 000 40,4% 19 574 000 43,1% (D4) Communication 900 000 1,5% 241 000 0,5% (D5) Rémunération 4 641 000 7,6% 3 269 000 7,2% (D6) Frais financiers 640 000 1,1% 2 701 000 6,0% TOTAL 60 698 000 45 365 000 (R) Postes de recettes

(R1) Cessions charges foncières 58 448 000 96,3% 40 867 000 90,1%

(R2) Subvention communautaire 1 250 000 2,1% 2 056 000 4,5%

(R2) Subvention communale 1 000 000 1,6% 2 442 000 5,4%

TOTAL 60 698 000 45 365 000

• Les frais de communication afin de faire connaître l’opération sur le plan national, régional et local les frais de

marketing afin de mettre au point et en œuvre une stratégie de communication et de marketing afin de faire découvrir et connaître ce nouveau quartier et ses spécificités en tant qu’ « écoquartier » et de « quartier jardin ». (600 000 euros HT)

• Les participation à des manifestations et salons nationaux dans le domaine du développement durable, de

l’urbanisme, de l’aménagement de l’architecture et de l’immobilier, la production de documents de communication et de présentation du projet : images de synthèse, plaquettes, ouvrage, films, maquette évolutive de la ZAC. (140 000 €uros HT)

• Les frais d’études et de construction du Pavillon de la Berge du Lac, espace de communication, information,

construction d’une infrastructure ou encore celle d’un équipement public emblématique (médiathèque, gymnase, etc.) du nouveau quartier.

Dans ce cadre de projection économique, le mode de répartition des recettes des aménageurs des écoquartiers est usuel. Il s’agit de faire porter la quasi-totalité des dépenses générées par l’opération sur les charges foncières cédées aux promoteurs et bailleurs sociaux1, c’est-à-dire par conséquent aux

futurs acquéreurs et propriétaires du quartier. Autrement dit, la typologie des valeurs foncières cédées dans les écoquartiers correspond à une optimisation entre d’un côté celle qui assure l’équilibre du bilan financier de l’aménageur et de l’autre celle qui projette aux constructeurs une rentabilité acceptable sur chaque type de marché immobilier concerné (logements, commerces, bureaux). Au regard des exigences énergétiques des cahiers des charges, elle correspond alors à la valeur du marché des constructeurs (promoteurs et bailleurs sociaux) qui misent sur les bâtiments performants énergétiquement pour assurer leur avenir économique2. En ce sens, dans le cas des écoquartiers Ginko

et Bottière-Chénaie, les recettes proviennent pour l’essentiel (plus de 90%) de la cession des droits à construire aux différents opérateurs immobiliers. Autrement dit, le programme de construction du quartier (densité, mixité sociale, fonctionnelle) est construit de manière à permettre à l’aménageur de financer la quasi totalité des charges qui lui incombent par la plus-value foncière qu’il fabrique sur le marché des constructeurs, le reste provenant de subventions usuelles et mineures de la part des collectivités publiques partenaires.

Graphique 1 : Evolution prévisionnelle de chaque poste de trésorerie de l’aménageur (Ginko)3

Du point de vue dynamique, la représentation des flux financiers temporalisés des aménageurs des écoquartiers montrent ensuite un décalage habituel entre les postes de dépenses et de recettes au cours

1 Cf. [chef de projet, Bouygues Immobilier, aménageur de Ginko, entretien NE, 2010] : « Pour nous, aménageur, et de plus en

plus aujourd’hui avec la crise des finances publiques, l’objectif est véritablement de faire financer l’aménagement le plus possible par la cession des charges foncières donc par les futurs acquéreurs et propriétaires qui au final vont payer et le moins possible par les collectivités. ».

2 Cf. [chef de projet, Bouygues Immobilier, aménageur de Ginko, entretien NE, 2010] : « Nous, en tant qu’aménageur,

écoquartier ou pas, on est toujours dans la même démarche pour équilibrer notre bilan. On s’adresse au marché des constructeurs, donc aux promoteurs et bailleurs sociaux puis on leur dit : voilà, on vous offre un nouveau marché qui a le vent en poupe, qui vous offre aussi pas mal d’avantages fiscaux et qui vous assure de bonnes perspectives économiques pour l’avenir, donc faites votre offre ! Alors bien sûr c’est un pari au départ, mais la perspective des nouvelles normes thermiques oblige aussi les constructeurs à s’ouvrir sur ce marché là qui va se banaliser dans le futur. » ; et Cf. [chargé d’opération, SPLA NA, aménageur de Bottière-Chénaie, entretien NE, 2010] : « Nous, notre marché économique, c’est ceux des constructeurs sauf que dans le cadre de Bottière-Chénaie, l’objectif était plutôt de s’orienter sur un marché vert dont en pense qu’il va se développer à l’avenir. ».

des différentes phases du projet. En effet, dans une production financiarisée (à crédit), le hiatus temporel entre l’acquisition foncière, la viabilisation et la commercialisation des lots conduit les aménageurs à contracter un ou plusieurs emprunts sur le marché bancaire. En ce sens, la production économique des écoquartiers – comme toute opération urbaine usuelle – débute par la confiance des banques (Dexia, Caisse des Dépôts et Consignation, Banque postale, Crédit Agricole, etc.) envers la rentabilité de l’opération et la solvabilité de son maître d’ouvrage. La production étant financiarisée, elle engendre des frais financiers dont la valeur s’actualise dans le bilan prévisionnel selon l’état de la trésorerie, autrement dit principalement selon le degré d’avancement des travaux et la vitesse de commercialisation. Ainsi, si la vente des droits à construire prend du retard sur le phasage prévisionnel, les frais financiers augmentent et par là même réduisent la rentabilité de l’opération. La stratégie de l’aménageur consiste donc à commercialiser au plus vite les lots qu’il acquiert afin non seulement de limiter les taxes foncières, mais surtout afin de maîtriser son poste de frais financiers. Pour illustrer, le cas de la trésorerie dynamique de l’écoquartier Ginko est particulièrement révélateur (Cf. supra Graphique 1 et infra Graphique 2). Il traduit la manière dont Bouygues Immobilier (aménageur) projette dans le temps les flux financiers de l’opération urbaine afin de limiter l’immobilisation de ses propres liquidités et les durées d’emprunt. Ainsi, l’apport de subventions publiques prévu dès la première année amortit tout d’abord le premier flot de dépenses dans lequel la quasi-totalité (92%) du poste communication est libérée pour construire des conditions favorables de commercialisation auprès des constructeurs et de leurs futurs clients. Puis la stratégie de Bouygues Immobilier consiste à rapprocher chaque acquisition foncière constructible avec la commercialisation de manière à limiter les impôts fonciers et les frais bancaires. En ce sens, la première phase d’acquisition qui débute en 2009 est cédée aux constructeurs pour deux tiers la première année (2009) et en totalité l’année suivante (2010) ; et ainsi de suite à chaque phase d’acquisition prévisionnelle. Cependant, concernant le poste plus spécifique de travaux des espaces publics de l’aménagement (jardin-promenade, cours du tramway, canal nord, etc.), la cession gratuite prévue à la collectivité conduit plutôt l’aménageur à répartir stratégiquement ses dépenses de construction sur la durée du cycle de manière à se financer au maximum sur ses recettes de trésorerie (flux entrants) et au minimum sur des crédits d’accompagnement ou sur de l’immobilisation de capitaux propres.

Graphique 2 : Evolution prévisionnelle des dépenses et recettes de l’aménageur (Ginko)1

1.2. Les promesses financières de la végétalisation et de la concentration des

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