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Chapitre 1. Organisation et jeu d’acteurs

2. Des ingénieurs environnementaux émergents en phase conception

Les types d’experts mobilisés par les commanditaires lors des phases d’études préalables, de conception et de réalisation du projet (Cf. infra Figure 14) montrent l’émergence d’un nouvel acteur emblématique des écoquartiers : l’Assistant à Maîtrise d’Ouvrage (AMO) en Qualité Environnementale (QE)1. Ainsi, les bureaux d’études Terre-Eco, Enertech, Elan, Saulnier et BCD,

s’avèrent en ce sens mandatés par les maîtres d’ouvrages aménagement dans les projets De Bonne à Grenoble ou Ginko à Bordeaux afin d’intégrer dès la commande leur expertise technique en développement durable. Composé essentiellement d’ingénieurs spécialistes en environnement issus des grandes écoles françaises traditionnelles telles que polytechnique, les ponts et chaussées, les mines, centrale ou encore l’Insa de Lyon2, cet acteur se révèle déterminant dans les orientations

techniques et spatiales de l’aménagement ainsi que dans celle des constructions au regard du pouvoir que lui confère ses commanditaires dans le processus de fabrication. Pour illustrer, nous prenons ici le cas de l’écoquartier De Bonne3 à Grenoble afin de décrire précisément le rôle joué par les ingénieurs

environnementaux au sein de l’assemblée usuelle des experts dans chaque phase déterminante du projet, c’est-à-dire des études préalables en amont jusqu’à sa réalisation in-situ par les entreprises de construction.

Figure 14 : Types d'experts mobilisés par les commanditaires selon les phases du projet (De Bonne)4

Ainsi, lorsque le service prospection urbaine de la Ville de Grenoble et la Mission de Réalisation des Actifs de l’Armée (MRAI) alors co-maître d’ouvrage lancent une consultation d’architectes-urbanistes autour d’un marché de définition en 2001, elle mobilise en phase pré-opérationnelle le bureau d’étude Terre-Eco alors appelé le Betrec dans une mission d’AMO QE pour l’assister dans la rédaction de son programme et y intégrer des grandes orientations techniques écologiques. Ces orientations se résument alors aux prescriptions emblématiques de l’ingénierie environnementale émergente en France au début des années 2000. Autrement dit, on y trouve dans les espaces publics l’attente de dispositifs à la fois

1 L’AMO QE peut également être appelé selon les cas AMO Haute Qualité Environnementale (HQE), AMO Développement

Durable (DD) ou AMO Energie. Ainsi, à De Bonne, le bureau d’étude Enertech est l’AMO Energie tandis que Terre-Eco est représenté AMO HQE. A Ginko, les bureaux d’études Terre-Eco accompagné de Elan sont nommés AMO Environnement et développement durable puis les bureaux d’études Saulnier et BCD assistent l’aménageur sur le thème énergétique.

2 Ainsi, le bureau d’étude Terre-Eco – qui joue le rôle d’AMO QE à De Bonne et Ginko – est composé de 6 ingénieurs

environnementaux issus des grandes écoles et de 2 techniciens. Puis son homologue Enertech – qui joue le rôle d’AMO Energie à De Bonne – est composé de 14 ingénieurs environnementaux (dont 3 ingénieurs polytechniciens, 5 ingénieurs centraliens, et 3 ingénieurs de l’insa) et de 3 techniciens.

3 Le cas de l’écoquartier De Bonne – par son degré d’avancement – permet en fait de montrer précisément le rôle joué par les

experts dont l’AMO QE sur l’ensemble des phases déterminantes du projet d’aménagement urbain jusqu’à sa réalisation par les entreprises de construction.

perméables (pour les eaux pluviales), végétalisés (pour la biodiversité), aquatiques (pour le confort thermique), et prioritaires aux modes doux1 tandis que les prescriptions sur les bâtiments se focalisent

sur les économies de chauffage, d’eau, d’électricité ainsi que sur l’apport en énergies renouvelables. A ce stade, le rôle du bureau d’ingénieurs Betrec/Terre-Eco est alors non seulement d’assister le maître d’ouvrage dans la définition environnementale de son programme mais également de superviser les intentions urbaines de l’architecte-urbaniste lauréat C. Devillers (réalisées entre 2003 et 2004), c’est-à- dire de contrôler l’adéquation des partis pris de l’aménagement qu’il développe avec les attentes en matière de qualité écologique définies au préalablement par la maîtrise d’ouvrage.

Tableau 13 : Le rôle des AMO QE sur chaque phase déterminante du projet (De Bonne)2

Phase d’études préalables

- Rédaction des cibles environnementales dans le programme de la ville de Grenoble lors du marché de définition (2001) du projet d’aménagement urbain.

- Contrôle de la proposition de l’architecte-urbaniste à partir des cibles HQE du programme

Phases de Conception opérationnelle

- Rédaction d’une charte « recommandations accessibilité et haute qualité

environnementale » en phase opérationnelle afin de définir les attentes de conception sur

chaque sous-ensemble de la ZAC (2004).

- Co-rédaction avec l’aménageur du cahier des charges des espaces publics. - Rédaction d’une « charte d’objectifs HQE » à destination des promoteurs et de leurs équipes de maîtrise d’œuvre sur chaque bâtiment du quartier (2005)

- Contrôle de l’évolution de la conception en phase APS, PC, et DCE au regard de la « charte

d’objectifs HQE ». Phases de

réalisation

- Contrôle des offres des entreprises au regard des prescriptions techniques du DCE. - Suivi de chantiers et contrôle des réalisations techniques in-situ avec les entreprises de construction.

Puis, lors de la phase de conception opérationnelle (Cf. supra Tableau 13), le bureau d’étude Terre- Eco renouvelle ensuite son marché d’AMO QE auprès de l’aménageur alors désigné par la Ville de Grenoble pour la représenter et mener à bien l’opération urbaine du quartier De Bonne. A ce titre, Terre-Eco rédige tout d’abord en 2004 un « cahier des recommandations accessibilité et haute qualité

environnementale »3 afin de prolonger les orientations écologiques emblématiques définies par

l’architecte-urbaniste C. Devillers en amont dans des recommandations techniques plus précises et relatives à chaque sous-ensemble de l’aménagement urbain. Pour illustrer, il apparaît par exemple pour les logements la nécessité d’isoler par l’extérieur, de rendre le bâtiment étanche à l’air, de mettre une ventilation double-flux ou encore de favoriser le confort d’été avec la présence de dispositifs végétaux en façade4. Ce document d’ingénierie environnementale est alors construit de manière à

1 Comme en témoigne cet extrait de la Cible 4 HQE du programme de la ville de Grenoble [2001] : « Cible 4 : Insertion

urbaine : relation harmonieuse de l'opération avec son environnement : - Les mobilités douces : maillage par les modes doux piétons et cycles. Maillage automobile et traitement des voiries favorisant une circulation apaisée. Desserte par les transports en commun. Qualité des espaces piétons. - La végétalisation : participation à la trame verte du secteur, lien avec le Parc Hoche : végétalisation d'un secteur à dominante minérale. Recherche d'un contraste avec le quartier Championnet très minéral : une opération "verte" serait un bon label. »

2 Source : [Réalisation personnelle, 2012]

3 Ce document est divisé en treize sous-ensembles définis en fonction de l’ouvrage (logements, commerces, hôtels, bureaux,

écoles, espaces publics, etc.), eux-mêmes alors déclinés en fiches correspondant aux 14 cibles HQE.

4 Extrait du cahier des recommandations accessibilité et haute qualité environnementale réalisé par l’AMO QE [2004] :

« On recherchera sur ces bâtiments une enveloppe très performante sur le plan thermique et pour inertie, le recours à une structure béton armé isolée par l’extérieur, ou à la bio-brique doit permettre d’atteindre cet objectif. La protection vis-à-vis de l’ensoleillement en été sera obtenue par des balcons filants de largeurs variables, ils seront munis ponctuellement d’éléments coulissants, ils seront végétalisables : On pourra créer des écrans végétaux, des pergolas etc., pour générer des conditions optimales d’ombrage l’été. Cette conception de bâtiments à enveloppe performante sera associée au recours à des techniques de ventilation double flux et de préchauffage d’eau chaude sanitaire solaire et à un chauffage collectif dont le mode de distribution sera compatible avec un rafraîchissement sur eau de nappe. ».

préparer la rédaction de l’ensemble des cahiers des charges de l’aménageur – qu’il s’agisse de l’aménagement ou de la construction – et par conséquent d’assurer la qualité environnementale des prescriptions techniques qui s’y trouvent. En ce sens, le programme du parc central du projet De Bonne réalisé début 2006 en vue de désigner par concours une équipe de paysagistes reprend précisément les points techniques recommandés dans le « cahier des recommandations accessibilité et

haute qualité environnementale » de l’AMO QE, telle que la nécessité d’aménager des végétaux

endémiques, d’accueillir la biodiversité, de choisir des dispositifs d’éclairages économes ou encore de mettre des plans d’eau afin de favoriser le confort hygrothermique.

Tableau 14 : Types de dispositifs techniques imposés par le cahier des charges environnemental aux promoteurs et bailleurs sociaux (De Bonne)1

Enveloppe du bâtiment

- isolation par l’extérieur - toitures terrasses plantées

- double-vitrage peu émissif à lame d’argon

Espaces

collectifs - détecteurs de présence - disposition spatiale favorisant l’éclairage naturel

Espaces privés

- ventilation double-flux

- matériaux sans fibres et sans émanation de composés organiques volatiles

- réducteurs de débits sur la robinetterie - interrupteurs coupeurs de veille

Quant aux différents programmes de la cession des droits à construire, ils sont associés d’une « charte

d’objectifs HQE » dont l’aménageur confie en 2005 la rédaction à son AMO QE et qui prolongent

dans un document contractuel les prescriptions déjà formalisées dans le « cahier des recommandations

accessibilité et haute qualité environnementale ». Cette charte doit alors nécessairement être signée

par chaque promoteur et bailleur social du quartier afin d’obtenir le permis de construire de la ville de Grenoble, c’est-à-dire d’amorcer l’opération. En ce sens, il engage les commanditaires immobiliers sur des conditions spécifiques de production qui traduisent le rôle dominant joué par l’AMO QE dans l’orientation architecturale des bâtiments de l’écoquartier. Plus précisément, ce cahier des charges HQE vise en premier lieu à imposer des innovations techniques écologiques à l’équipe de maîtrise d’œuvre de chaque opérateur immobilier. A ce titre, afin d’atteindre les objectifs d’économies de chauffage, l’aménageur rend obligatoire les solutions techniques de l’ingénierie environnementale portée par l’AMO QE tels que l’isolation par l’extérieur, l’étanchéité à l’air, le double-vitrage peu émissif à lame d’argon ou encore la ventilation double-flux. Puis sur le thème des économies d’électricité, les parties communes doivent nécessairement comporter des détecteurs de présence et favoriser l’apport en éclairage naturel tandis qu’il est attendu des logements qu’ils comprennent des interrupteurs coupeurs de veille (Cf. supra Tableau 14). Puis sur le thème de la qualité de l’air – thème dominant chez les ingénieurs HQE –, les types de matériaux autorisés à la conception ne peuvent être ni fibreux (comme la moquette par exemple) ni risquer des émanations de composé organiques volatiles (COV). Autrement dit, de manière plus générale, cette « charte d’objectifs HQE » décline sur chaque lot constructible et par thématique l’ensemble des dispositifs techniques imposés par l’AMO QE de l’aménageur en vertu des performances énergétiques qu’induisent les simulations dynamiques réalisées par son partenaire l’AMO Energie.

Puis en second lieu, la « charte d’objectifs HQE » oblige les commanditaires immobiliers – c’est-à-

dire les promoteurs et bailleurs sociaux – à se plier au contrôle continu des AMO QE de l’aménageur tout au long du processus de conception mené par leurs équipes de maîtrise d’œuvre dans le cadre d’un système de management environnemental (SME). Ainsi, un cahier de conception spécifique doit être tenu par la maîtrise d’ouvrage construction afin de permettre aux AMO QE de suivre l’évolution de la conception du projet architectural par la maîtrise d’œuvre. A ce titre, les simulations dynamiques effectuées par les ingénieurs environnementaux de l’AMO Enertech tentent de vérifier la concordance entre les résultats exigés par les cahiers des charges de l’aménageur et ceux induits par les différents arbitrages techniques lors de la conception des bâtiments écologiques. De plus, les promoteurs s’engagent également à fournir des rapports aux AMO QE de l’aménageur à chaque phase déterminante de la conception (APS, PC, DCE) puis à répondre aux questionnaires d’évaluation qui y sont associés. Par conséquent, l’aménageur donne aux AMO QE le pouvoir de contrôler la maîtrise d’œuvre des commanditaires immobiliers au regard des différentes prescriptions techniques imposées dans le cahier des charges initial et des performances énergétiques qu’elles sous-tendent. A cet effet, le rôle joué par les ingénieurs du bureau d’étude HQE mobilisés à la conception avec l’architecte du bâtiment pour le compte du promoteur (ou du bailleur social) est déterminant. Ces bureaux d’études relaient l’ensemble des solutions techniques des AMO QE au sein de la maîtrise d’œuvre et en deviennent les porte-paroles lors du processus interne de conception du bâtiment1.

Enfin, en troisième lieu, l’aménageur délègue aux AMO QE le pouvoir de contrôler la bonne mise en œuvre des choix techniques écologiques lors de la phase de réalisation in-situ par les entreprises de travaux publics. En ce sens, les commanditaires immobiliers s’engagent tout d’abord dans la « charte

d’objectifs HQE » à permettre aux ingénieurs environnementaux de l’AMO QE d’analyser les appels

d’offre des entreprises de construction au regard des exigences techniques attendues par l’architecte et son bureau d’étude HQE. Puis dans un second temps, le rôle de l’AMO QE est d’organiser le suivi de chantier des bâtiments écologiques produits, c’est-à-dire de contrôler leur réalisation par les ouvriers, techniciens et ingénieurs des entreprises de construction. A ce titre, l’aménageur impose aux promoteurs de remplir des fiches de suivi à chaque phase déterminante des travaux afin de faciliter le contrôle de ses AMO QE à la fois sur la bonne mise en œuvre des innovations techniques environnementales mais également sur le tri des déchets induits par les travaux. En ce sens, les promoteurs et bailleurs sociaux s’engagent à intégrer une annexe comprenant les règles de tri des déchets fournie par l’AMO QE de l’aménageur au dossier de consultation puis au dossier de marché des entreprises.

1 Cf. [architecte, agence Y. Lion, entretien, 2010] : « Nous, pour te parler franchement, il y a tout un tas de solutions

techniques dont on voulait pas vraiment sur ce projet, mais ce qui s’est passé, c’est que toutes les prescriptions des AMO de l’aménageur et que t’as certainement vu sur le cahier des charges ont été reprises en cœur par le bureau d’étude avec lequel on a bossé. Donc ventilation double-flux, détecteurs de présence, coupeurs de veille et compagnie. Donc nous, on a suivi et on n’a pas tellement eu le choix. » ; puis Cf. [chargé de projet, SEM SAGES, entretien, 2010] : « Je pense à mon avis que ce qui a aussi aidé à imposer les innovations techniques aux bâtiments, c’est que le discours de nos deux AMO, il s’est retrouvé récupéré en phase conception par les bureaux d’études de la maîtrise d’œuvre et qui généralement étaient spécialisés sur les questions environnementales donc finalement les choix techniques que nous on imposait sur le cahier des charges, ils correspondaient aussi aux envies d’innovations des bureaux d’études. »

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