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Questions particulières liées à la négociation collective impliquant des pompiers

Chapitre 1 Le régime de la négociation collective applicable aux pompiers

1.3. Caractéristiques particulières de la négociation collective impliquant les pompiers

1.3.1. Questions particulières liées à la négociation collective impliquant des pompiers

La négociation collective impliquant des pompiers municipaux, bien qu’encadrée par le régime général prévu au Code du travail, répond à quelques caractéristiques particulières qui peuvent en affecter l’efficacité. Pour bien comprendre de quelle manière celle-ci peut être affectée, il sera successivement question de l’absence du droit de grève et de lock-out (1.3.1.1.), de l’absence d’un contexte de libre concurrence (1.3.1.2.) ainsi que de la difficile identification des intérêts de l’employeur (1.3.1.3.).

1.3.1.1. L’absence du droit de grève et de lock-out

Comme illustré précédemment170, le rôle de la grève et du lock-out dans la négociation

collective peut être qualifié d’essentiel. Il est par ailleurs objectivement justifié que la grève soit interdite ou balisée dans certains cas. Il en est ainsi dans le cas des pompiers municipaux au Québec171. On ne peut pas mettre en danger la sécurité des tiers, et ce, même

si cela « fausse le jeu de la négociation »172. Ne pas interdire la grève aux pompiers

s’avèrerait un jeu dangereux dans la mesure où celle-ci « peut devenir, entre leurs mains, un instrument de chantage ; ils tiennent en quelque sorte à leur merci la population »173. Il ne

saurait ainsi être question de mettre en danger l’intégrité physique de la population pour des raisons économiques :

« Firefighters and hospital workers are other examples of what I will describe as «public safety» employees. I do not think that anyone would claim that there should be an absolute, unrestricted right to strike by this kind of employee. It is unacceptable as a matter of principle that a trade union (or an employer) have the right to risk serious physical injury or even death to other human beings as a means of resolving what is essentially an economic struggle in collective bargaining. The most committed of trade unionists would take his sick or injured child to a struck hospital for essential emergency treatment, even if in so doing he was forced to ignore the ethic of the trade union picket line174.

Malgré la légitimité d’une telle interdiction légale, le retrait aux pompiers de ce droit fondamental peut tout de même s’avérer néfaste pour le bon déroulement de la négociation. En effet, en perdant ce droit à la grève en cours de négociation, les salariés pompiers perdent aussi le catalyseur pouvant stimuler l’avancement de cette dernière puisque l’employeur n’a plus l’appréhension d’un arrêt de travail. C’est d’ailleurs cette appréhension, plus que l’arrêt de travail lui-même, qui joue ce rôle de catalyseur : « It is the

170 Supra, p. 26-29

171 Code du travail, art. 105

172 G. HEBERT, préc., note 11, p. 893 173 Id., p. 653

credible threat of the strike to both sides even more than its actual occurrence, which plays the major role in our system of collective bargaining »175.

De façon plus générale, une interdiction légale de grève pour tous les travailleurs aurait un impact considérablement nuisible sur la négociation collective : « If the law were just to ban strikes by employees, that would effectively end collective bargaining. It would deprive the union of the ultimate lever it has to extract concessions from a recalcitrant employer »176. Ce levier ultime évoqué par Weiler est pourtant absent chez les pompiers et ces

derniers sont alors parfois limités à supplier l’employeur, et donc à faire du « collective

begging »177 plutôt qu’à réellement négocier. Les pompiers perdent ainsi l’accès à une des

quatre tactiques de négociation possibles, soit celle de la coercition, et doivent alors se rabattre sur les autres tactiques que sont l’information, la persuasion et la coopération178.

La possibilité de recourir à la grève ou au lock-out peut également être bénéfique pour les parties dans la mesure où son avènement peut mener à un effet de catharsis, c’est-à-dire à un certain apaisement des tensions entre les parties. Weiler donne à cet égard l’exemple du National Day of Protest ayant eu lieu le 14 octobre 1976 à travers le Canada179. Cet

exutoire n’est toutefois pas envisageable chez les pompiers qui n’ont pas droit à la grève. Les frustrations perdurent ainsi parfois longtemps après un conflit de travail qui s’est étiré dans le temps, faute d’un moyen permettant de se débarrasser d’une amertume accumulée au fil du temps.

1.3.1.2. L’absence d’un contexte de libre concurrence

La transposition intégrale du régime général de négociation collective, comme illustré précédemment180, s’effectue difficilement dans le contexte où l’employeur est une

municipalité. Ainsi, « on relèvera avec à propos que les principes du caractère privé des

175 Id., p. 66 176 Id., p. 66 177 Id., p. 67

178 Lire à ce sujet, G. HEBERT, préc., note 11, p. 716-718 179 Lire à ce sujet, P. C. WEILER, préc., note 87, p. 57-60 180 Supra, p. 29 et 30

négociations collectives et de l’intervention fonctionnelle de l’État pour déterminer les règles du jeu s’adaptent mal à la réalité des secteurs publics et parapublic »181.

Les municipalités ne subissent pas certains des inconvénients liés à la libre concurrence en matière de sécurité publique. Le fait, pour ces dernières, de subir une grève ou des moyens de pression relatifs à des services essentiels ne les exposent pas à une perte de clientèle. C’est que les municipalités détiennent le monopole relativement à la protection incendie de leur territoire : « when a government undertakes an activity, it usually secures a monopoly in it, whether by force of law or for practical, economic reasons »182.

Même si La Loi sur la sécurité incendie183 aborde brièvement la possibilité de confier la protection incendie d’un territoire à une entreprise privée, il demeure que la protection incendie est actuellement exclusivement dévolue aux employés municipaux dans la province de Québec. La présence de pompiers travaillant pour une entreprise privée est ainsi limitée à certaines industries présentant des risques d’incendie particulièrement élevés.

La crainte des municipalités de voir leurs employés quitter vers d’autres employeurs, ce qui les inciterait à vouloir éviter tout conflit de travail, n’est également pas très présente. En effet, les conditions salariales des employés municipaux sont actuellement supérieures à celles retrouvées ailleurs pour un travail équivalent : « municipal workers are significantly better paid than their counterparts in other sectors…»184. De plus, les processus

d’embauche dans les municipalités sont souvent longs et ardus, ce qui implique qu’un changement d’emploi peut difficilement se faire rapidement. Les salariés pompiers ont ainsi peu d’options lorsqu’il s’agit de menacer de quitter un emploi qui offrirait de moins bonnes conditions de travail que celui d’un autre employeur.

181 Rapport Martin-Bouchard, préc., note 36, p. 12 182 P. C. WEILER, préc., note 87, p. 219

183 Loi sur la sécurité incendie, RLRQ, c. S-3.4, art. 48

184 Bernard ADELL, Michel GRANT et Allen PONAK, Strikes in Essential Services, Kingston, Industrial Relations Centre, Queen’s University, 2001, p. 95

1.3.1.3. La difficile identification des intérêts de l’employeur

Lorsqu’un employeur négocie avec l’association de salariés, il doit évaluer le cost of

disagreement185. Il doit ainsi évaluer s’il est plus coûteux pour lui d’accepter ou de refuser

de donner suite aux demandes syndicales.

Il n’est pas toujours aisé de savoir ce qui peut ainsi être qualifié de coûteux pour les dirigeants d’une municipalité. Si l’intérêt d’une entreprise privée est essentiellement de faire du profit, à défaut de quoi elle devrait éventuellement fermer les portes, on ne peut faire une telle affirmation, sans nuances, au niveau municipal. En effet, les ressources financières d’une municipalité sont théoriquement illimitées : « le problème de la capacité de payer ne se pose pas, en tout cas pas de la même manière ; l’employeur ne peut faire faillite et il peut toujours augmenter les impôts »186.

Le citoyen étant celui qui, ultimement, assumera l’augmentation des frais de service, sa perception du conflit devient alors cruciale, d’où l’aspect nécessairement politique de la négociation:

« Toute négociation dans le secteur public comporte donc un aspect politique important. Qu’elle mette en cause le gouvernement fédéral, un gouvernement municipal ou encore une régie intermunicipale, une négociation du secteur public affecte obligatoirement un nombre considérable de citoyens et de contribuables »187.

L’intérêt des dirigeants à la table de négociation déborde ainsi le simple cadre financier : « la situation dégénère souvent en un affrontement politique et de ce fait s’écarte de la situation de négociation normale où l’on chercherait des compromis économiques »188.

Les dirigeants pourront ainsi chercher à plaire à la population dans le but éventuel de se faire réélire, et ce, particulièrement lorsque la sécurité publique est un enjeu. En arriver rapidement à une entente avec les pompiers peut ainsi donner un sentiment de protection à la population et procurer un capital de sympathie à objet politique: « dans tout conflit

185 Supra, p. 24

186 G. HEBERT, préc., note 11, p. 871. Lire également : H.D.WOODS, préc., note 17, p. 15 et 16 187 G. HEBERT, préc., p. 894

susceptible de créer une situation d’urgence, il y a un élément politique qui invite les parties à passer outre à la procédure de règlement et à porter le conflit sur la scène politique »189.

C’est pourquoi « il y a tout lieu de croire que le court-circuit que tous les syndicats utilisent dans le secteur public se pratique également dans les municipalités »190. Cet aspect

politique nuit considérablement à la réelle négociation collective puisqu’il tend à rendre les premières étapes de la négociation moins utiles et à ainsi faire en sorte que le « résultat final dépendra entièrement du contexte politique au moment du dénouement »191.

Ces trois caractéristiques particulières de la négociation chez les pompiers municipaux contribuent à affecter – voire diminuer – l’efficacité de la négociation collective telle que prévue par le Code du travail.