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L’imposition de critères décisionnels devant guider l’arbitre de différend

Chapitre 4 Analyse des données recueillies

4.2. Réflexions sur la négociation collective impliquant les pompiers municipaux

4.2.1. L’imposition de critères décisionnels devant guider l’arbitre de différend

Beaucoup d’importance fut accordée, ces dernières années, aux critères décisionnels devant guider les arbitres lors de différends impliquant les policiers et pompiers municipaux. Depuis longtemps il est question, du côté patronal, de rendre les critères décisionnels obligatoires, plutôt que facultatifs, et d’exclure le critère de l’équité externe pour ainsi ne considérer que celui de l’équité interne. Cela accorderait, du même coup, plus d’importance à la capacité de payer des municipalités. Un représentant de l’Union des municipalités du Québec résumait récemment ainsi cette question :

« Les augmentations salariales accordées aux policiers et pompiers municipaux, comme celles accordées aux autres groupes de travailleurs, doivent refléter les éléments pris en considération par l’employeur municipal dans l’élaboration de sa politique de rémunération. Ces éléments visent à respecter la capacité de payer des citoyens et à refléter les conditions économiques du milieu, que ce soit le salaire industriel moyen payé sur le territoire de la municipalité ou dans la région, et qui constitue

le véritable marché de référence, les indices de richesse foncière, d’effort fiscal et le taux d’endettement »457.

Cette idée d’imposer le critère décisionnel lié à la capacité de payer de la municipalité a déjà été celle privilégiée par le législateur. Ainsi, les quatre rondes de négociation qui se déroulèrent entre 1947 et 1952458 peuvent être considérées comme les premières

négociations, impliquant les pompiers de Montréal, survenant alors qu’étaient imposés des critères décisionnels obligatoires aux arbitres de différend. Trois de ces quatre rondes ont nécessité une intervention arbitrale et nécessairement une intervention du conciliateur, étant donné le cadre légal de l’époque qui en faisait une étape obligatoire vers l’arbitrage. Fait intéressant, sur les quatorze rondes de négociation ayant eu lieu sous la Loi des

différends entre les services publics et leurs salariés, la moitié des demandes d’arbitrage (soit

trois sur six) eurent donc lieu dans ce contexte de considération obligatoire de la capacité de payer. Il semble donc qu’il y ait eu une concentration d’interventions arbitrales dans ce contexte de critère décisionnel obligatoire. En ce qui concerne les délais pour la négociation, aucune constante particulière ne se dégage de ces quatre rondes puisque, si la première ronde nécessita un délai de 12 ½ mois de négociations, les trois autres rondes se réglèrent dans des délais beaucoup plus courts (soit zéro, cinq et neuf mois).

Après ce court épisode d’environ cinq ans et demi, les critères décisionnels redevinrent facultatifs pour les arbitres de différend, et ce, jusqu’aux modifications de 1996 au Code du

travail459, qui imposaient de considérer le critère de la situation et des perspectives salariales et économiques du Québec. D’ailleurs, ces modifications eurent un impact direct sur la négociation, un rapport de 1999 confirmant l’atteinte des objectifs fixés par la réforme de 1996460. Les objectifs recherchés par ces derniers amendements aux critères

décisionnels étaient de « responsabiliser les parties en favorisant la négociation de

457 Consultations particulières sur le rapport concernant l’arbitrage de différend chez les policiers et pompiers

municipaux, Journal des débats de la Commission de l’économie et du travail, 36e législature, 1re session (2 mars 1999 au 9 mars 2001), 22 mars 2000 – Vol.36 N°51, Commentaires de l’Union des municipalités du Québec, par. 18

458 En effet, l’article 2 de la Loi concernant les corporations municipales et scolaires et leurs employés, S.Q. 1947, c. 54, qui entrait en vigueur le 10 mai 1947, imposait à l’arbitre de tenir compte de la situation financière de la corporation municipale. Cet article fut ultérieurement abrogé, le 18 décembre 1952, par l’article 3 de la Loi

pour supprimer les retards dans le règlement des différends entre employés et employeurs, S.Q. 1952, c. 15

459 Supra, p. 62 460 Supra, p. 64

convention collective et rétablir la crédibilité de l’arbitrage chez les policiers et les pompiers municipaux »461.

Malgré ce rapport satisfaisant ayant porté sur une très courte période de temps, cette insistance à vouloir circonscrire le champ d’intervention de l’arbitre de différend est-elle réellement souhaitable ? Fait intéressant, le Rapport Boivin laissait croire à un certain scepticisme relativement à un encadrement trop rigide des critères décisionnels, qui valoriserait plus l’arbitrage que la négociation:

« Le Groupe continue de croire que la négociation doit demeurer le moyen privilégié d’élaboration des conditions de travail contenues dans une convention collective conclue entre une municipalité et ses policiers ou pompiers, contrairement en cela à ce que pouvaient laisser supposer certaines propositions qui nous furent adressées, notamment lorsque l’on nous a suggéré d’encadrer le pouvoir décisionnel de l’arbitre par une longue liste de critères obligatoires. Au mieux, de telles propositions ne contribuent qu’à une chose, valoriser l’arbitrage, certes pas la négociation. Nous sommes convaincus que, plus que tout autre, la négociation constitue le meilleur moyen d’obtenir des résultats qui correspondent aux aspirations, besoins et limites des parties »462 (nous soulignons).

L’imposition de critères décisionnels très précis sur lesquels se basera l’arbitre de différend ne peut-elle pas mener à une prévisibilité trop importante du contenu de la sentence arbitrale ? La très courte expérience de 1947 à 1952, qui a démontré une concentration d’interventions arbitrales dans la négociation collective, illustre-t-elle que, lorsqu’elle prévoit sortir gagnante d’un arbitrage prévisible, une partie pourra rechercher l’intervention arbitrale au détriment de la libre négociation ? Et a fortiori, n’est-il pas réaliste de croire qu’une partie, celle qui appréhende une ″défaite″, aura nécessairement comme réflexe de tenter de repousser le prononcé éventuel de l’arbitre ? Doit-on ainsi faire un lien entre l’augmentation notable des délais de négociation pour les trois dernières rondes impliquant les pompiers de Montréal et l’entrée en vigueur des modifications de 1996 ?

461 Rapport sur l’application de la section II du chapitre IV du Code du travail – Arbitrage des différends chez les

policiers et les pompiers municipaux, préc., note 293, p. 27

462 Groupe de travail sur l’arbitrage des différends chez les policiers et pompiers municipaux, (Rapport Boivin), préc., note 257, p. 62