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Chapitre 4 Analyse des données recueillies

4.2. Réflexions sur la négociation collective impliquant les pompiers municipaux

4.2.2. Le caractère public de l’employeur

Comme il fut possible de le constater préalablement463, l’interdiction légale de grève

pour les pompiers, implantée dès 1944, n’a pas réussi à empêcher toute occurrence d’arrêts de travail chez les pompiers de Montréal. Sur les 32 rondes de négociation ayant eu lieu depuis l’implantation de cette interdiction, cinq ont ainsi débouché sur ce moyen de pression ultime. Doit-on alors en déduire que ces grèves illégales s’expliquent uniquement par un cadre légal inadéquat?

Les municipalités sont les employeurs de la grande majorité des pompiers québécois. Celles-ci, étant des émanations de l’État et revêtant donc un caractère public, voient tout processus de négociation collective affecté par leur nature même. Or, les années les plus tumultueuses chez les pompiers de Montréal coïncident avec ce que des auteurs qualifient d’âge d’or du syndicalisme au Québec. Ainsi, les cinq épisodes de grève illégale impliquant les pompiers montréalais, depuis 1944, ont tous eu lieu dans une courte période, soit entre 1969 et 1978. Considérant l’agitation généralisée du mouvement syndical durant ces années, il convient de se demander si un lien important existe réellement entre ces débrayages illégaux et une contestation du cadre de négociation collective applicable aux pompiers. N’est-il pas logique de penser qu’il s’agit plus du contexte politique, qui teinte nécessairement toute négociation impliquant un service public464, plutôt que l’inefficacité

d’un régime de négociation prévoyant l’interdiction de grève et son remplacement par l’arbitrage exécutoire, qui ont mené à de telles actions illégales des pompiers de Montréal? Le nœud du problème, et ce qui peut parfois mener à des débordements chez les travailleurs, n’est ainsi peut-être pas, du moins pas exclusivement, l’interdiction du droit de grève chez les policiers et pompiers, et son remplacement par l’arbitrage exécutoire.

Dans une perspective plus globale, la place occupée par la grève dans les relations de travail nord-américaine perd, depuis un certain temps déjà, de l’importance et « il est devenu évident que la grève ne joue plus son rôle névralgique d’antan dans les relations ouvrières contemporaines»465. Bien que formellement interdit uniquement pour les

463 Supra, p. 91 464 Supra, p. 41-42

policiers et pompiers dans le Code du travail, le droit de grève semble néanmoins de plus en plus attaqué dans plusieurs domaines d’activités associés aux services publics, qui se le voient pourtant reconnaître par le législateur466. Les gouvernements ont de plus en plus

fréquemment recours à des lois spéciales pour empêcher tout déclenchement de grève ou pour forcer l’arrêt de celle-ci lorsqu’elle survient. Il semble même que ce soit le reflet de la volonté populaire alors que certains auteurs affirment avoir « parfois l’impression que le public tolère de moins en moins les inconvénients résultant des arrêts de travail dans certains services, couverts ou non par la notion de services essentiels selon les mécanismes prévus au Code du travail »467. Un régime de négociation collective prévoyant une

interdiction légale de grève, n’est ainsi peut-être pas tant en marge de la situation actuelle dans le secteur public.

Les débordements impliquant les pompiers ne découleraient-ils pas plutôt principalement d’un difficile arrimage entre employeur public et cadre légal conçu à la base pour le secteur privé de l’économie ? Les événements récents en lien avec la question des régimes de retraite des salariés municipaux468 sont d’ailleurs très éloquents relativement à

l’impact négatif possible, sur le bon déroulement des négociations, d’un interventionnisme gouvernemental. Les interventions gouvernementales peuvent ainsi donner l’impression aux travailleurs que la libre négociation n’existe pas réellement469. Aussi, il convient de se

questionner sur l’impact négatif sur le climat de travail, et sur le bon déroulement des négociations, de certaines interventions sur la place publique, à saveur politique, de

466 À titre d’exemple, relativement aux médecins québécois, lire Jean-Marc SALVET, Négos avec les médecins :

une loi spéciale à l’automne s’il le faut, La Presse (site web), 20 juin 2014 ; relativement à l’industrie de la

construction, lire Magdaline BOUTROS, Loi spéciale : les 77 000 travailleurs touchés seront de retour au travail

mardi, La Presse Canadienne, 1ier juillet 2013 ; relativement à Postes Canada, lire Stéphanie MARIN, La loi de

retour au travail pour Postes Canada, pas justifiée selon l’OIT, La Presse Canadienne, 2 avril 2013

467 François DELORME et Gaston NADEAU, « Un aperçu des lois de retour au travail adoptées au Québec entre 1964 et 2001 », Relations industrielles/Industrial Relations, vol.57, n°4, 2002, p. 760

468 À ce sujet, lire successivement Karim BENESSAIEH, Projet de loi sur les régimes de retraite – Les syndicats

laissent planer de grèves illégales, La Presse, 17 juin 2014, p. A3 ; Hugo PILON-LAROSE, Plusieurs policiers malades en même temps : nouveau moyen de pression ?, La Presse, 26 juillet 2014 ; Pierre-André NORMANDIN

et Marie-Michèle SIOUI, Régimes de retraite – Saccage à l’hôtel de ville, La Presse, 19 août 2014, p. A2-A3 ; Mélanie MARQUIS, Saccage à l’hôtel de ville : flopée d’accusations criminelles et de suspensions, La Presse Canadienne, 29 août 2014

469 Le nom du regroupement de travailleurs dénonçant le projet de loi 3, soit la Coalition syndicale pour la libre

négociation, est d’ailleurs évocateur relativement à cette impression d’« impossibilité de discuter » avec

l’employeur : Mélanie LOISEL, Les syndicats somment Couillard de changer de ton – La Coalition se prépare à

certains dirigeants municipaux470. Ce type de déclaration peut contribuer à transformer des

tensions liées au conflit de travail, en tensions d’ordre plus personnel. La dimension publique de la négociation peut-elle ainsi être ultimement responsable, en lieu et place d’un système de négociation, de dérives comportementales de certains salariés ? Il semble qu’elle puisse, à tout le moins, en assumer une grande responsabilité.