• Aucun résultat trouvé

2.3.2 Questionnements théoriques sur les langages médiatiques et politiques

Notre objectif durant cette recherche est de pouvoir comprendre les codes visuels de l’expression politique et médiatique effectuée particulièrement pendant les campagnes électorales en Albanie. Il s’agit de mettre en évidence les dynamiques concrètes de l’évolution des moyens d’expression des médias et de l’univers politique du pays.

Pendant une longue période de l’évolution de la vie politique en Albanie, c’est-à-dire depuis la Renaissance albanaise, durant les années de la constitution et du renforcement de l’Etat albanais à partir de sa fondation en 1912 et pendant la phase de sa consolidation, les années vingt et trente du siècle passé, ensuite la période de l’installation de la domination du régime communiste, ce sont les codes écrits, les signes alphabétisés articulés en langue albanaise écrite et en caractères latins qui dominent.

Une première question pourrait se formuler principalement par rapport à ce fait historique indéniable : Quel est le rôle de la langue albanaise écrite dans la constitution des nouvelles idées politiques en Albanie pendant le XIX° siècle ? Cette question est reliée forcément à une seconde qui voudrait bien connaître les raisons d’une place assez réduite des images dans l’univers de la communication politique pendant les périodes historiques déjà mentionnées ?

Il est bien clair que le code de l’expression politique fondé sur la langue écrite albanaise n’as jamais été entièrement privé d’un concours venant de l’univers des images, des signes – visuels ou des moyens non verbaux de la communication. Nous trouvons des photos, des

dessins, des caricatures, des symboles nationaux, des portraits, des couleurs, etc., dans les journaux albanais dès les premières décennies du XIX° siècle. Il est évident que ces moyens d’expression aient été très réduits, cependant ils existaient et jouaient un rôle non négligeable dans le processus de la maturation de la conscience politique albanaise.

La même situation s’est produite pendant l’histoire albanaise sous le régime communiste. La communication d’une propagande politique fondée sur une idéologie marxiste et léniniste, imprégnée d’un stalinisme primaire et orthodoxe, était considéré comme un parmi les fondements principaux du système politique autoritaire de l’époque. Malgré cela, les symboles visuels du pouvoir communiste se trouvaient partout, reproduits dans les journaux, gravés sur les côtes des montagnes, transmis par les médias audio-visuels du régime, affichés sur les panneaux qui dominaient les sommets des immeubles d’habitation dans les villes.

Cependant, nous pouvons dire que c’est à partir de l’année 1997 que le langage des images, des signes visuels, des codes iconique, etc., est devenu largement prépondérant en Albanie. Il a commencé à prendre sa place timidement au sein des autres formes d’expression des messages politiques. Les images dans la communication politique locale arrivent souvent en utilisant des techniques d’amateurs, en s’exprimant par des outils d’expression un peu naïfs, mais elles deviennent toujours plus explosives et surtout, elles sont adoptées rapidement par l’ensemble des acteurs politiques et médiatiques du pays.

Que s’est-il passé pendant cette époque-là ? Pourquoi la société albanaise et surtout son univers politico-médiatique commence à changer de langage d’expression ?

Le monde politico-médiatique aurait bien voulu s’exprimer prioritairement par la langue des images, mais ce souhait, aurait resté sans effets réels si la population, les publics, les électorats n’avaient pas voulu communiquer politiquement en utilisant les mêmes codes d’expression. Les publics étaient déjà mûrs de pouvoir faire ce pas, d’effectuer cette modification importante à l’intérieur du monde des signes et des symboles.

Nous insistons sur le fait qu’entre les deux codes d’expression en question, c’est-à-dire entre, d’un côté, l’écriture, ou les signes verbaux, et, de l’autre côté, le langage des images, il n’y a pas de ruptures radicales en ce qui concerne leur évolution. Pour des raisons essentielles, l’image ne peut pas exister sans la parole qui l’explique, l’interprète, la rend compréhensible pour le public auquel elle s’adresse. Surtout dans le monde des médias, entre un ancien

élément qui se trouve en train de perdre toujours plus de terrain et un élément nouveau qui gagne davantage du terrain en devenant dominant, les rapports restent compliqués.

En disant cela, il est bien compréhensible qu’il nous faudrait montrer les raisons structurelles et conjoncturelles qui font de la sorte que l’écriture commence à afficher ses propres limites en tant que langue traditionnelle de l’univers politique et médiatique local ?

Un film albanais, très suivi et apprécié par le public tant par la force de sa thématique que par le jeu artistique de ses acteurs, produit pendant la période socialiste, intitulé La voie des caractères, nous fait constater toute l’adoration de la culture albanaise du XIX° siècle par rapport à l’alphabet écrit et les caractères latins par le biais desquels il pouvait être écrit.

Le film montre une aventure personnelle mise au service de la cause nationale albanaise. Un des personnages les plus connus de la culture albanaise pendant le dix-neuvième siècle traverse les montagnes d’Albanie, accompagné d’un un paysan fidèle, presque illettré, mais fortement engagé dans les mouvements nationalistes albanais de cette époque. L’érudit albanais, d’un certain âge, monté sur un cheval arrive de fort loin, des provinces turques de l’empire ottoman. Il est épuisé du voyage, mais ses yeux brillent comme des étincelles. Il se manifeste négligent par rapport aux divers dangers qui menacent sa protection individuelle, bien que des militaires turcs le recherchent, malgré les hostilités affichées contre sa personne par les cercles religieux orthodoxes grecs qui voulaient interdire l’apprentissage de l’albanais à la population, indépendamment des voleurs qui attaquaient les caravanes qui véhiculaient des trésors ou des marchandises diverses à travers ces régions. Derrière le cheval qui portait l’érudit, un deuxième cheval lourdement chargé de gros sacs pleins de pièces métalliques était au centre de l’attention du voyageur. Le paysan accompagnateur l’avait bien compris cela.

Or, pendant, un moment de leur pénible et dangereux voyage, un évènement inattendu s’est produit. Le deuxième cheval glisse. Les sacs tombent par terre. Des caractères en plomb en sortent et se répandent par terre. L’érudit saute de son cheval très inquiet. Tandis que le paysan reste muets, troublé, déçu.

Leur dialogue est à peu près le suivant :

Le paysan : « Monsieur, avez-vous pris tout ce pénible voyage que pour nous apporter ces petits caractères en plomb ? Je croyais, vu la responsabilité que mon clan a voulu projeter sur moi au moment de mon engagement à cette mission d’accompagnement, que les sacs étaient

tous remplis d’or. » Et l’érudit qui lui répond toute de suite en portant son regard très loin : « Ces caractères valent bien plus que de l’or, mon fils ! Ils sont de l’or, plus cher même que l’or. »

Cet un épisode filmique qui a imprégné la mémoire collective des Albanais depuis des générations. On faisait bien évidemment des louanges fortement respectueuses à la langue écrite albanaise, à l’alphabet latin avec lequel elle allait s’écrire. L’alphabet était considéré comme un instrument important mis au service de la cause nationale, l’instrument essentiel de la renaissance de la conscience collective nationale albanaise.

Cette idée a bien traversé toutes les idéologies qui ont régné en Albanie depuis les deux ou les trois siècles derniers. Dans les textes écrits par des hommes politiques albanais de l’époque, on peut trouver facilement une définition politique essentielle selon laquelle l’identité nationale des Albanais repose essentiellement sur leur langue commune. Les confessions religieuses des Albanais sont diverses et multiples. Elles ne peuvent assurer une identité propre aux Albanais. Par contre, cette identité nationale peut reposer sur un élément matériel commun, la langue.

« De l’or qui vaut plus que le vrai or !» - postule l’érudit tout en étonnant son

accompagnateur fidèle entièrement déçu. Ce dernier croyait que la cause avait bien besoin d’argent. Et, non, c’est le plomb des caractères inventés par Gutenberg qui paraissait encore plus précieux que l’or. Avec l’arrivée de l’âge du langage des images, l’ « or » des caractères de l’alphabet connait un processus accéléré de dépréciation.

Pourquoi les médias écrits, ont montré leurs limites indépassables en ce qui concerne une communication politique efficace convaincante ? Par quels moyens le langage imagé a

réussi à satisfaire des exigences qui ne pouvaient pas être satisfaites par l’écriture ? Et, encore plus compliqué encore : Quelles sont les limites nouvelles de ce langage-image véhiculé par des symboles imagés ?

Pour pouvoir répondre à ces questions, il nous faudrait placer notre raisonnement sur une tradition bibliographique qui a déjà développé ses idées et ses définitions sur le monde des signes et sur le langage imagé des medias contemporains. En suivant cette piste, on se trouve devant des dilemmes de différents niveaux concernant les questions de la production des

signes par le biais d’un travail sémantique effectué par des acteurs politiques locaux et les médias. Nous avons repéré un certain nombre de questions dilemmatiques sur le chemin méthodologique à suivre pendant cette recherche. Sans avoir la prétention de dresser un inventaire complet de ces questions, on peut, cependant, mentionner quelques unes parmi les plus cruciales.

1- Une certaine distance que le langage des médias et de la communication politique a prise par rapport aux signes écrits, représenterait-elle un avantage qui aide à l’élargissement des capacités expressives des acteurs médiatiques et politiques locaux ?

2- Représenterait-elle, par contre, une réduction des outils de communication en manifestant une certaine crise qui a déjà touché l’expression politique dans le monde contemporain ? 3- La production des signes non verbaux représente-t-elle un travail collectif qui implique l’ensemble des acteurs de la communication dans le pays ?

4- Porte-t-elle exclusivement la marque des partis politiques et des agences médiatiques qui agissent dans le domaine ?

5- Le contenu des messages exprimés par des images représente-t-il des spécificités sémantiques particulières impossibles à apparaître dans le cadre d’un code fondé sur le langage parlé et écrit ?

5- L’information politique exprimée par un langage fondé sur les images, exerce-t-elle les mêmes influences sur les publics qu’une communication qui repose sur la langue écrite ? Evidemment que toutes ces question, nous allons les aborder à une seule fin, la clarification de la problématique relative à la communication politique et médiatique en Albanie.

2.3.3- Signes non verbaux dans la communication politique : Hiérarchies et