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2.2.2 Le deuxième phénomène: “Le politique pop star Edi Rama” et la propagation du du politique médiatique

Ce n’est pas en vain qu’on les a appelés « les trois révolutions superposées », car une autre révolution s’est produite aussi dans la conduite de la classe politique. Pour saisir cette nouvelle réalité, comme partout, il y a une condition qui fait apparaître ou découvre le phénomène, et ce phénomène c’était Edi Rama, un peintre, âgé de 35 ans lorsqu’il est venu à la tête de la mairie de Tirana, en 2000, après avoir été ministre de la Culture peu d’années auparavant, celui qui inventa un nouveau mode dans la communication politique en Albanie. Il est un politique non-conventionnel, peintre de profession, professeur à l’Académie des Beaux arts, une figure politique controversée, aussi bien dans sa vie privée et de famille que dans la vie politique. Donc, d’une certaine façon il s’est introduit energiquement , avec sa puissante personnalité, en dirigeant la Mairie de Tirana depuis l’an 2000.

Tirana était jusqu’alors chaotique, nullement esthétique sur le plan de l’image. Edi Rama commença son mandat de maire en faisant détruire les constructions sauvages, peindre les immeubles de couleurs vives, donnant à la ville une nouvelle identité visuelle à travers les couleurs, en re-concevant l’espace visuel de la ville. Il a manifesté cela même dans ses rapports avec les médias devant lesquels il se présentait vêtu de manière non conventionnelle,

sans carvate, en habit riche en couleurs comme il l’avait fait pour la ville. C’est cette personne qui d’une certaine façon a développé la communication politique en Albanie. Il était le premier qui a fait introduire dans le pays un professionnel d’origine juive pour sa communication, M.Bercovic, qui est resté à ses côtés pendant quelques années. Rama a révolutionné son mode de communication, le style de communication politique, en opérant surtout à travers l’image et les couleurs, même s’il fut targué d’être “un politique des

façades » mais cela mène en fait à la conclusion qu’il était le premier à avancer vers l’image,

parce que c’était justement l’image qui avait de l’importance dorénavant, dans cette société télévisuelle, donc cette société où les choses doivent être plaisantes à l’oeil, et pour lui ce qui avait plus d’impact c’était l’aspect extérieur.

D’autre part, Edi Rama a introduit quelques autres éléments télévisuels. Par exemple, dans les premiers spots publicitaires , dans les spots télévisés pour le maire de Tirana, il a décidé de se faire présenter au milieu du spot en train de nager dans une piscine ou en se faisant photographier devant un monument mémorable qui avait été créé par son père, un sculpteur, durant la période communiste, ou près du Cimetière des Martyrs, faisant en sorte que ses spots publicitaires reflètent une couleur, une vivacité, comme une espèce d’explosion d’une Albanie nouvelle , d’une Albanie qui cherchait à laisser le passé derrière elle, à trouver de nouveaux moyens d’expression, à s’exprimer ou à s’identifier en recourant à de nouveaux modes. Rama a fait plus que cette innovation dans la vie politique. Aux élections de 2003, il a chanté une chanson avec groupe alors en vogue en Albanie, West Side Family. Cette chanson qu’il a chanté lui-même s’intitulait “Tirona”, mais il avait fait aussi son vidéo-clip où il était présenté avec son amante, une show girl de renom. Tout ressemble à un spectacle, à un gala, à quelque chose d’agréable, de beau, d’esthétique, de simple, et ainsi de suite. Il a agi de la même façon, aussi bien sur le plan de la structuration de son image personnelle, par exemple il ne s’habillait pas en costume parce qu’il le considérait comme quelque chose d’ennuyeux, de schématique , que sur le plan des spectacles, ou même dans la façon dont il a fait peindre les édifices de la capitale, en faisant des choses abstractionnistes.

Edi Rama créa une nouvelle forme d’image dans la vie politique. Son style a relativement suscité l’envie et inspira une mode dans la vie politique où tous se mirent à penser différemment. Après lui, le PD et les autres adversaires ont noué un contrat avec une compagnie américaine des relations publiques. Avec elle le PD a accompli une évolution dans

le style tout en gardant les traits fondamentaux du style, plus conservateur, de la droite et de son leader historique Sali Berisha.

Edi Rama a créé spécialement une mode qui était en cohérence avec tous ces développements de la société albanaise, qui a coïncidé avec la nouvelle décennie de la transition, avec l’amélioration infrastructurelle, de l’état spirituel, l’introduction de la tendance de la société albanaise en tant qu’une société nouvelle qui jouissait des premiers fruits d’une décennie dans la liberté et le capitalisme. L’avancé politique d’Edi Rama ne s’arrête pas là. Il devint le leader de l’opposition et maire de Tirana en même temps, et ce modèle il l’installa comme le modèle de la politique de l’opposition, il l’installa après l’année 2005, en gardant ces aspects : le show, le spectacle. En 2009, il apparaît de nouveau avec une chanson, installant ainsi un style politique propre à celui que l’un des hommes d’études de la communication politique dans le pays a qualifié de politique pop (uliste) star , et créant pour ainsi dire les expressions lapidaires de M.Rama lors d’une interview au journal “The Guardian”: “ Je suis un star parmi les politiques et un politique parmi les stars”. Donc, le tout est une réponse raisonnable à un moment nouveau pour la politique, lorsque la politique devient spectacle, l’image devient plus importante que la parole, lorsque une vue, une image, quelque chose de beau est commercialisé beaucoup mieux que de nouvelles idées.

De manière structurée Edi Rama a définitivement transformé la communication politique en Albanie par la campagne électorale pour son élection au poste de maire de Tirana. La façon dont est né ce qu’on peut nommer le “phénomène Rama ‘dans la politique est rappelé ainsi par l’un de ses collaborateurs les plus proches dans la structuration de l’aspect imagé de sa campagne électorale. Même si c’était lui-même qui décidait, le maire Edi Rama s’est fortement appuyé sur les idées et le travail de son groupe de peintres, de professeurs de l’Académie des Beaux Arts où il avait été formé en tant que professionnel au début des années 90. Voilà ce qu’Ilir Butka, peintre, raconte au sujet de la campagne électorale de l’an 2000 : A l’époque je travaillais pour l’agence « Façades-Studio » que j’avais installée avec trois autres collaborateurs. A vrai dire c’était l’unique studio en Albanie qui pouvait offrir à ce temps-la des services professionnels audio et vidéo. Je connaissais Edi Rama depuis longtemps, depuis les études supérieures à l’Académie, et de temps en temps nos chemins se croisaient lorsqu’il souhaitait un service spécialisé en matière de publicité. Nous avions organisé également l’image pour le festival folklorique de Gjirokastra, pour le compte du Ministère de la Culture lorsque Edi Rama était ministre et les bons résultats enregistrés nous

ont alignés parmi “les favoris”. Nous avions également réalisé la campagne électorale de l’an 2000 lorsque Edi Rama présenta pour la première fois sa candidature au poste de maire de la capitale. Je crois qu’on ne pouvait presque pas trouver un candidat au poste de maire plus extravaguant que lu. Je vous assure que son action politique n’a pas été moins extravagante du point de vue de l’image plus particulièrement durant la campagne électorale. Mais j’aimerais mieux parler de la deuxième campagne municipale d’Edi Rama où nous étions de nouveau engagés. Le cas le plus remarquable a été celui d’Edi Rama qui a construit lui même son image multicolore et extravagante, en créant ainsi un point fort de son identité. Edi Rama a construit cette image grâce à sa formation artistique. Pour tous ceux qui ne le savent pas, Edi Rama était le designer de ses propres vêtements, un peu comme une espèce de réminiscence des années du communisme lorsqu’on allait chez le couturier illegal du quartier pour faire coudre ses vêtements.

Son habit a reflété inévitablement la trajectoire entre l’artiste et l’homme politique. Petit à petit l’image extravagante du maire a été remplacée par l’image conformiste du leader de gauche où sa veste avec des épaules d’ uniforme militaire a été remplacée par le costume à rayures, tandis que sa cravate à motif canard était toujours celle qui faisait partie de son ancienne garde-robe83.

Tout cela était une grande expérimentation non seulement pour la société albanaise et pour l’environnement politique et public, mais aussi et avant tout pour le Parti socialiste, l’ancien Parti des communistes albanais renommé pour son conservatisme et certainement, à première vue, réticente par rapport à ces pratiques, non seulement nouvelles, mais controversées par les membres et les militants de ce parti. Malgré cela, le Parti socialiste accueille favorablement et soutient cette expérimentation comme l’une des façons pour s’adapter à la nouvelle époque, à l’époque de la communication politique intégrale.

Au sujet de ce moment de l’entrée d’Edi Rama sur la scène politique et de ses pratiques de la communication politique, Musa Ulqini, chef de la section du Parti socialiste pour Tirana dit: Dans l’histoire du Parti socialiste, c’est sans aucun doute Edi Rama qui a fait une révolution véritable dans l’utilisation de la plupart des paramètres modernes pour la construction d’une campagne électorale. En tant que candidat du Parti socialiste au poste de maire de Tirana,

aux municipales de 2000, il est une pierre angulaire, un point de détour radical, extraordinaire, dans toute la conception de la campagne électorale. Des éléments qu’on n’avait jamais vus jusqu’alors, dans aucune des campagnes électorales législatives et municipales de n’importe quel parti, ni lors du référendum pour la Constitution. Edi Rama a appliqué des choses qui n’avaient été appliquées par personne et dans aucune sorte de campagne.

Ces éléments n’avaient été utilisés lors d’aucune sorte d’élection, lors d’aucune confrontation politique. Dans sa totalité la campagne électorale d’Edi Rama était toute à fait différente. C’est pour la première fois que l’image des posters, des dépliants n’était pas primordial. Il attacha une importance exceptionnelle à un nouvel élément, qui avait subi un développement impétueux: aux médias électroniques.

Ce média avait subi un développement impétueux de 1997 jusqu’en 2000. Ce nouvel élément qui n’avait pas été présent aux autres élections, c’est Edi Rama qui l’a saisi. Il utilisa l’image des médias électroniques d’une manière parfaite. Mais il utilisa comme personne d’autre tous les autres éléments aussi. La révolution véritable dans l’histoire du Parti socialiste, pour la réalisation d’une campagne aux standards les plus avancées, a été apportée à mon avis par Edi Rama, qui avait à ses côtés pour la première fois des experts étrangers, qui avaient construit des campagnes électorales à succès aux Etats-Unis et dans d’autres pays. Donc il consultait des experts proprement dits, qui avaient déjà géré des campagnes électorales, il aimait les nouveaux éléments dans la réalisation de ces campagnes. Rama attachait plus d’importance non pas tellement à ce qu’il dirait lui-même mais à la manière dont cela serait transmis au public. Pour lui, chaque détail de l’image, de l’habit, de la parole, du message électronique, du message écrit, avait une importance primordiale.

Tel un véritable maître, Rama a secoué dans ses fondements tous les schémas électoraux de jusqu’à présent, en enterrant définitivement les schémas tout prêts et obligeant toutes les autres forces politiques à s’y adapter. Edi Rama a transformé de façon si radicale ce processus qu’il a contraint toutes les forces politiques, après l’an 2000, à s’adapter à de nouveaux standards. Après cette année-là toutes les forces politiques, d’ailleurs même la force politique la plus modeste, étaient obligées d’inviter des compagnies de l’image, d’entraîner les candidats sur la façon dont il fallait transmettre le message. Edi Rama est l’homme qui a apporté une révolution. Après Edi Rama, les partis, dont aussi le Parti

démocratique et le Parti socialiste, ont promu cet esprit. Il est pourtant le premier réformateur, qui a apporté le premier changement après l’année 1991, un très grand changement84.

Cette expérimentation, cette apparition dans la communication politique à travers des schémas et des stratégies tout à fait inhabituels pour le Parti qu’il représentait, est constaté par tout le monde, et là ou tout le monde croit qu’il va échouer, c’est justement là qu’Edi Rama remporte un succès, car, étant certain d’avoir un électorat fidèle à la gauche, il se lance avec beaucoup de courage vers le centre. Elvis Themeli, militant des états-majors électoraux du parti rival, du Parti des démocrates remarque :Ce qui a aidé Rama, c’est qu’il recourut à une image différente du parti qu’il rerésentait. Il introduisit d’autres couleurs, ce qui était en général un tabou dans la politique, dont aussi l’utilisation du bleu, l’utilisation du rouge aussi étant un tabou. Il introduisit en même temps l’utilisation de quelques éléments festifs, juvéniles et modernes que le traditionnel n’accepte pas facilement. Ce qui l’a aidé à se mettre en valeur, c’est justement ce qui l’a empêché à imposer à son parti cette image de lui-même qu’il présentait lors de la campagne municipale. Il n’est toujours pas parvenu à le faire. En quelque sorte, très rapidement et avec peu d’efforts le Parti démocratique parvint à se situer à un niveau plus haut par rapport au Parti socialiste. Mais par rapport à la campagne du maire, Edi Rama, aucune stratégie publicitaire de ses adversaires ne pouvait pas se montrer efficace85.

Après la campagne électorale de l’an 2000, les autres élections sont vite arrivées et dans la campagne électorale de 2003, pour un deuxième mandat à la Mairie de Tirana, Edi Rama a fait peut-être sa deuxième et dernière performance la plus remarquable du point de vue visuel, qu’il avait courageusement conçue avec l’aide de ses amis de l’école des peintres de Tirana. Ilir Butka, peintre et amis d’Edi Rama, qui a eu un rôle particulier même durant cette campagne, souligne: Année 2003. A la campagne électorale de cette année, j’ai reçu, avec un certain retard, une invitation de la part d’Edi Rama en personne, à m’engager dans la campagne des élections municipales. Je dis avec un certain retard, parce que le candidat rival avait déjà avancé sensiblement profitant d’une sorte d’apathie qui avait envahi l’équipe

84Interview avec Musa Ulqini, chef de la section du Parti socialiste & journaliste du journal du Parti socialiste “Zëri i

popullit”,1 september 2010

de Rama, ou qui avait été sans doute influencé par cette grande confiance que Rama avait en lui-même. Son rival avait déjà commencé à placarder les premières affiches et posters dans la ville et il avait reçu les premières réactions positives de la part du public. Ce qui sautait aux yeux c’était la ponctualité professionnelle, loin de l’amateurisme profane qui avait été reflété le long des années dans les matériels politiques publicitaires. Le respect rigoureux des standards des médias imprimes, en s’en tenant à tous les paramètres techniques, la retenue compositionnelle et coloristique, donnaient à ces matériels un charme étonnant. Il y avait une raison derrière cela. Edi était arrivé dans la vie politique comme un nouveau personnage qui a cherché à changer l’image de la ville, l’image du maire, mais avant tout à changer l’image d el’homme politique lui-même. Il apporta la couleur, supprima le costume et rompit avec la ponctualité monotone par laquelle cette classe avait été identifiée jusqu’à cette époque-là. Mais cette image de rebelle de la politique a peut-être fatigué un peu les citoyens durant les trois ans de son mandat du maire de Tirana et une nouvelle présence (non pas du point de vue de l’âge mais de la forme) comme celle du nouveau candidat pouvait être un défi à prendre en considération. Tel était le contexte (visuel) où il m’a été proposé de m’engager dans la campagne électorale de 2003. On ne pouvait pas recommander un tournant dans l’image d’Edi abandonnant son image de jusqu’alors , car cela voudrait dire choisir les armes de l’adversaire et cela serait considéré comme une réddition et une dénaturation. J’étais convaincu qu’il fallait avancer dans le sens contraire de celui vers lequel avançait l’autre rival politique en évitant à tout prix la possibilité d’un parallélisme artificiel dont bénéficierait certainement l’adversaire.

Voila le recit d’où est nait le concept visuel de la campagne de Edi Rama en 2003 selon le peintre Ilir Butka : A table, au restaurant où nous étions rendus pour déjeuner, mis devant l’urgence de trouver un leitmotiv qui couronnerait de victoire ce nouveau défi, alors que je me creusais le cerveau pour passer comme en revue mon expérience en la matière, j’ai tout d’un coup trouvé la solution d’une campagne qui entrera peut-être dans l’histoire moderne des campagnes électorale albanaise comme l’une des campagnes les plus intéressantes, au moins sur le plan visuel86. Nous sommes un cercle de peintres, de gens de l’image et des

couleurs, et on peut tout attendre de nous.

Une idée spontanée du peintre Ilir Butka a donné vie à la deuxième campagne électorale la plus impressionnante de la communication politique d’Edi Rama, celle des municipales de 2003, lorsqu’il briguait un deuxième mandat, mais maintenant dans un nouveau contexte, car il avait devant lui un rival comme Spartak Ngjela, son ancien ami, on peut même dire son vrai professeur. Ngjela, un personnage moderne et complexe , avec une histoire politique brillante, ancien détenu politique auquel le régime communiste avait fait subir 15 ans de prison, représentait non seulement l’un des excellents personnages de la rotation dans la politique albanaise, mais il était également considéré par l’opinion publique comme n’ayant pas de concurrent pour la force de ses idées mais aussi pour sa cohérence politique longue de presque 30 ans. C’est pourquoi il fallait trouver quelque chose de nouveau, une autre expérimentation. L’idée ne tarde pas de venir à l’esprit: les enfants. Eureka! Nous étions cinq à six personnes, assis autour de cette table, ensemble avec Edi Rama, alors que les enfants de deux de nos amis jouaient autour de nous en faisant du bruit et en nous distrayant de nos efforts de trouver le leitmotiv de victoire de la campagne électorale C’étaient justement leur énergie, leur bruit, leur jubilation et leur vif désir de nous distraire à tout prix, qui m’ont inspiré: j’avais trouvé la solution qu’il nous fallait. J’ai quitté la table emmenant les deux enfants par la main, pour acheter avec eux du papier, des crayons de couleur, des stylos à bille, de la peinture, des pinceaux, des ciseaux et tout ce qui pouvait nous servir pour leur créer une atmosphère visuelle créative. Pas très à l’aise, puisqu’ils n’avaient même pas plus de 4 ans, je leur ai demandé de peindre la ville de Tirana, et j’ai été surpris qu’il n’ont nullement