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2.1.3 – L’évolution des années

Une propagande totalement communiste, appuyée essentiellement sur “la parole comme moyen de propagande” et fortement illustrée par l’image respective, requise par le système de propagande, tel était l’héritage au début des années 90 sur le plan de

la communication politique. Entre-temps il faut dire que la communication politique à travers l’organisation de base du Parti, ou plus précisément à travers son organisation verticale que le régime avait, de fond en comble, dans chaque cellule de la société, s’affaiblit graduellement. Cette catégorie de propagande communiste, ce système de persuasion en faveur du régime à travers la “communication capillaire » des structures“ se désintègre. Il devient inacceptable par les codes culturels des larges masses et à la fin des années 80, avec une certaine libéralisation autorisée d’en haut et du régime lui-même, nous avons une sorte d’adoucissement de la sévérité du régime par rapport à cinq ans auparavant. Dans le système de la propagande nous avons une espèce de séparation par rapport aux pratiques dogmatiques de la propagande précédente. L’on commence à projeter certains films, présenter quelques oeuvres artistiques visuelles, quelques chroniques télévisées qui présentent une vie plus naturelle, reflétant un certain adoucissement par rapport aux principes rigides de la propagande communiste. Certaines critiques et une espèce de désacralisation du héros sont également tolérées.

Les événements se précipitent rapidement en 1990 dans toute l’Europe de l’Est et, à la fin de décembre 1990, le régime communiste se libéralise, il autorise la création du premier parti de l’opposition et quelques mois plus tard , le 31 mars 1991, nous avons la première campagne électorale pluraliste et les premières élections libres. Le changement est si grand, “une révolution démocratique” a eu lieu et au début des années 90, en fonction de la communication politique ou de la propagande politique, nous nous retrouvons dans un espace vide parce que comme avec un coup de crayon l’on voit tomber toute la symbolique sémantique de l’image. Ce qui reste c’est la parole. La scène s’appauvrit sur le plan de l’image, car le temps de la vérité est venu, le temps des grands débats au sein de la société, de la famille, dans les rues, à chaque bordure des rues, dans des meetings, où les gens commencent à dire la vérité.

L’on voit tomber la belle platebande visuelle, nous avons des images et des photos hors du commun, nous avons d’ailleurs des images choquantes, des images reflétant la pauvreté, la disette, l’intérieur des prisons politiques et des camps de concentration, la destruction généralisée. Nous avons un espace vide sur le plan de l’image des symboles de l’époque moderne. Ce qui domine c’est la parole afin de décrire cette réalité qui était officiellement déguisée et qui tout d’un coup est issue du cadre “non officiel” pour devenir “officielle”, devenant acceptable pour tous. La conception de la réalité est complètement différente, les gens doivent être persuadés d’une autre façon , les professionnels doivent recourir à la parole comme l’essence même de la communication. Cette période est caractérisée par de vifs débats, la scénographie est vide, sans signes, ni symboles, ni image: ce qui importe c’est la parole, qui peut être écoutée et lue.

C’est l’époque d’or de la presse écrite. Les journaux de l’opposition sont imprimés à plus de 100 mille exemplaires, on assiste à une presse des vérités de telle ou telle partie, et ce n’est pas en vain que les premières campagnes électorales sont très pauvres sur le plan visuel, les posters-images contiennent beaucoup de paroles, peu d’images ou pas du tout. Ils sont vides et créent l’impression que quelque chose d’important s’est produit. La parole est le principal moyen de persuasion. En font exception seulement les caricatures.

Mero Baze, l’un des premiers journalistes de la nouvelle époque de la liberté de la presse, rappelle: Les caricatures ont été le moyen le plus efficace de la lutte politique dans les médias. Les quotidiens “Republika” (“La République”) et “Alternativa SD) (“L’Alternative Social démocrate”) s’en sont largement servis jusqu’au 22 mars 1992 et ils ont eu un vaste impact. Le cycle de Bujar Kapexhiu concernant le Premier ministre Fatos Nano a été très populaire. La caricature se fondait sur quelque déclaration ou quelque geste actuels du Premier ministre et le dénigrait51.

Les efforts sont intenses dans deux directions: la parole et l’organisation capillaire de parti. Le nouveau combat politique s’appuie sur ces deux éléments. Dans ces débuts l’image n’a aucune importance. D’autre part, du point de vue de la communication politique, ce n’est pas seulement la parole qui a de l’importance mais l’action structurelle aussi , donc c’est la phase

dans laquelle les partis s’organisent sérieusement sur le terrain. A la base de leur communication c’est la conviction, en communiquant avec de grandes foules, de petits groupes ou en créant des cellules et des sections de parti, qui par symétrie avec leur organisation, sur le terrain, par le Parti du Travail, sont produites et reproduites sur l’autre l’aile.

La première direction, la parole. Les partis politiques fournissent des efforts sérieux sur le

plan de leur presse quotidienne. Voilà ce qui se produit chez le Parti du Travail d’Albanie, déjà converti en Parti socialiste. Il change tout, il change de nom, de programme, de leader, mais il garde le titre du journal “Zëri i Popullit” (“La Voix du Peuple”) fondé dès 1942 et portant le nom, en tant qu’organe illégal du Parti communiste albanais durant la Seconde Guerre Mondiale. Voilà ce que raconte Musa Ulqini, chef de la section du Parti socialiste pour Tirana, à l’époque nouveau journaliste du journal du Parti socialiste “Zëri i popullit”, quant à la question relative au nom du journal du Parti socialiste « Zëri i Popullit » qui avait fait l’objet de débats au sein du parti en 1991: L’unique chose qui a provoqué un débat, aussi bien au congrès qu’à la première conférence, a été la question du journal “Zëri i popullit”. La division était presque 50 à 50 concernant l’appartenance ou le nom de ce journal. Une partie étaient en faveur de l’argument selon lequel le journal “Zêri i Popullit” ne devait plus être un journal du Parti socialiste, parce qu’il était un héritage du Parti communiste. L’autre groupe, dont je faisais partie, insistait, non pas par nostalgie, qu’on garde le nom “Zëri i Popullit. Pour quelle raison ? Parce qu”il était important que l’Albanie ait dans son histoire un journal de longue date. A cette époque, le Parti socialiste n’avait aucun autre moyen de propagande. Il y en a qui ont proposé les noms “Le socialiste » «Le social-démocrate » , des noms des plus divers, parallèlement au fameux débat sur la question de savoir s’il fallait ou non que le Parti socialiste porte ce nom.

D’une part il y avait une position pragmatiste demandant qu’il ne soit pas appelé “Parti socialiste », tandis que l’autre position était en faveur de ce nom, argumentant que l’Internationale n’était pas appelée ‘social-démocrate’ mais justement l’Internationale socialiste. A cause des malentendus du moment, notre pragmatisme ne devait pas être momentané. Nous devions être des missionnaires et en tant que tels nous devions contribuer à ce que ce parti garde absolument son attribut de “socialiste” car il fallait dépasser ces malentendus. Le nom du journal “Zëri i Popullit” devait être gardé justement pour une raison de tradition et non pas pour d’autres motifs. Tout de même cela a coûté au Parti

socialiste parce que l’un des principaux arguments utilisés par la partie adversaire qui nous considérait comme “étant les mêmes qu’auparavant” c’était que notre moyen de propagande demeurait toujours le journal “Zëri i Popullit”. Tandis que nos arguments étaient que si le “New York Times” avait pu continuer à demeurer si fameux et réputé dans l’histoire de la presse c’est parce qu’il avait gardé le titre. Le titre de « New York Times » a le même logo qu’il avait le premier jour de sa parution. Il en est de même pour “Zëri i Popullit” qui a gardé le titre, mais qui a totalement changé de contenu et de couleur.

Malgré cela, nos adversaires, les démocrates, ont continué à utiliser cet argument, leur principal argument. Lorsque quelqu’un lit sur l’Internet l’histoire de la presse albanaise, il constate qu’il y a un journal de très longue date par rapport aux autres journaux, que ce journal c’est “Zëri i popullit » ayant tout récemment célébré son 65eme anniversaire. En ce moment le quotidien “Zëri i Popullit » avait une arme très importante, il avait un tirage qui dépassait 50 mille exemplaires. Certes, ce tirage ne représentait que la moitié de celui qu’il avait eu à l’époque où il était l’organe du Comité central du Parti du Travail d’Albanie52.

D’autre part le journal du Parti démocratique, le premier journal d’opposition après environ 45 ans, s’appelle symboliquement Rilindja Demokratike (“la Renaissance démocratique”). Ses premiers numéros imprimés à 100 mille exemplaires sont immédiatement vendus, et les gens font la queue de très bonne heure pour acheter ce journal. Aux premiers mois ce journal est mis en vente à plusieurs reprises dans la journée, car les exemplaires mis en vente dans la matinée disparaissent très vite, et il devient même l’objet d’une lecture collective partout dans la société albanaise. Les jeunes leaders de l’opposition sont aussi les premiers “journalistes”. Ils font publier dans chaque numéro des articles, des discours et des notes politiques, “la parole” ne faisant qu’un avec le leadership politique.

Pour ce qui est l’organisation politique, outre la parole, c’est-à-dire la presse écrite, l’autre colonne où se fonde initialement le combat politique c’est justement le terrain, à travers une organisation capillaire du centre à la base. Dans le message politique des partis politiques la scénographie est presque inexistante et il n’y pas d’autre élément que la parole, et c’est celle- ci qui domine ensemble avec la forte personnalité de l’individu, du représentant politique, du militant politique, de l’opposant ou de la personne engagée dans la politique. Tous ces

52 Interview avec Musa Ulqini, chef de la section du Parti socialiste & journaliste du journal du Parti socialiste “Zëri i

personnages ne font autre que modifier sensiblement le sens des choses, convaincre le peuple, l’électorat: Comment nous avons vécu réellement, quels sont les crimes perpétrés par le communisme, quels sont les maux de l’adversaire et comment cette société doit-elle changer vers autre chose qu’on ne connaît pas, qu’on n’imagine pas mais qu’on peut décrire par des mots.

Voyons comment étaient organisées les premières campagnes électorales où l’accent a été mis particulièrement sur l’organisation sur le terrain chaque parti engageant ses structures locales. Ce qu’on constate en suivant le récit de Musa Ulqini, qui était à l’époque un candidat à la députation et plus tard responsable de la section du Parti socialiste pour la capitale, c’est justement la structuration du combat électoral autour du moment organisationnel, dans les circonstances où l’élément “image” est totalement absent dans ces premières campagnes électorales, à l’exception d’une photographie, sous forme de carte postale, des candidats du PS pour Tirana: Le Parti socialiste jouissait d’un appui seulement dans les zones rurales et non pas dans les grandes villes et il était donc très difficile de mener la campagne électorale. Je me rappelle que dans la capitale, l’unique élément “moderne” c’était une photo, sous forme de carte postale, de tous les candidats de la capitale. Cette carte postale a été distribuée par les candidats eux-mêmes dans la capitale, et il n’y avait aucun autre élément figuratif, au moyen duquel nous puissions transmettre notre message aux électeurs. Tout le travail était fourni par les candidats eux-mêmes, à travers les structures qui étaient, du point de vue organisationnel, meilleures que celles du Parti démocratique, car c’étaient des structures héritées du Parti du Travail. Nous organisions des rencontres individuelles, parce qu’il nous était difficile d’organiser de grandes rencontres, puisque dans de grands rassemblements il y aurait inévitablement des gens qui s’opposeraient à nous de manière pas très civile ni très étique. C’est pourquoi nous étions enclins à mener toute notre propagande dans de petits groupes de gens, nous mobilisant seize heures par jour. C’est tout ce que je me rappelle de la campagne du 22 mars dans la capitale. Donc, l’unique élément figuratif utilisé par les candidats socialistes c’était une carte postale sur laquelle posaient tous les candidats du PS à la députation. C’était une carte postale en couleurs, en petit format, qui était distribuée aux citoyens53.

53Interview avec Musa Ulqini, chef de la section du Parti socialiste & journaliste du journal du Parti socialiste “Zëri i

Cette façon de mener la campagne requérait des individus forts, des candidats forts capables de faire face, sur le terrain, au vif débat qui avait surgi dans la société albanaise au sujet de ce qui s’était produit et de ce qui devait se produire afin de sortir le pays de la misère et de l’état dans lequel il s’était réduit. Le fonctionnaire local du Parti socialiste, Musa Ulqini, se rappelle qu’à cette époque-là, pour pouvoir affronter cette campagne électorale sur le terrain, avec l’organisation de base du Parti, il fallait choisir des personnes déterminées, capables de frapper à chaque porte, comme on agissait lors des campagnes électorales « américaines ». Il paraphrase:

Premièrement, c’étaient les candidats. Ils étaient des jeunes, qui étaient très différents, à tous

les égards, des figures à travers lesquelles le Parti du Travail avait dominé et dirigé la vie politique, surtout durant les vingt dernières années. C’était une équipe qui apportait une nouveauté sur le plan de l’image. Cette nouvelle et principale image était transmise à travers les candidats, puisque les contacts avec les gens étaient la principale activité électorale. Les gens qui représentaient le PS étaient des intellectuels qui avaient terminé leurs études à l’étranger, des personnes très douées. Ils avaient r vu de leurs propres yeux une réalité qu’ils avaient touchée en France et dans les autres pays où ils avaient fréquenté leurs études. Face à eux, c’étaient les candidats du Parti démocratique qui n’avait pas un tel niveau d’instruction ni une telle expérience. Nous tâchions de transmettre le principal élément du lobbying du parti à travers l’image des candidats. Nous allions rencontrer les gens et nous soulignions par exemple le fait que Musa Ulqini dont le père n’avait jamais été brigadier sous l’ancien système, est maintenant le numéro un des socialistes de la capitale. Ce fait valait beaucoup pour dire que ce Parti était tout a fait différent du Parti qui avait existé sous l’ancien régime

Deuxièmement, c’était le programme. Nous n’invitions pas les électeurs à voter pour un

programme qui nous feraient revenir en arrière, au collectivisme, etc., mais à voter pour un programme qui avait les standards des programmes où étaient présents tous les éléments du fonctionnement d’une société démocratique, tels l’économie de marché, le pluralisme, etc.

Troisièmement, nous avons choisi une façon d’agir tout à fait simple. Pas de solennité, pas

de formes classiques. Pour la première fois on a recouru à un modèle qui tient particulièrement à cœur aux Américains, “frapper à chaque porte ». Dans l’histoire de 50 ans de l’époque que nous avons laissée derrière nous, il ne s’était jamais arrivé que les candidats rencontrent directement les gens, frappant à leur porte, leur serrant la main, et

s’entretenant avec eux. Pendant toutes ces longues années nous étions habituées aux messages donnés soit par le journal “Zëri i popullit”, soit par la télévision, ou dans des réunions imposantes. Maintenant c’était tout à fait une autre chose. C’étaient ces éléments rationnels qui constituaient la nouveauté de cette campagne électorale54.

Les changements aussi concernant le leadership du Parti étaient extrêmement importants, afin d’élire en tant que leader une personne au profil politique approprié en fonction aussi de la communication, une personne qui ait si possible et dans la mesure du possible une vocation occidentale, qui connaisse, se référant au jargon local de l’époque, “le plus de langues étrangères possible”, une personne qui soit « éloquente », afin de pouvoir faire face au débat politique, et en même temps de culture “occidentale”, un modèle auquel l’Albanie aspirait pour son avenir. Voici ce que le fonctionnaire local du Parti socialiste, Musa Ulqini, disait de la figure de Fatos Nano, le nouveau leader des anciens communistes albanais :

Je me souviens de la conférence de presse qui a suivi la défaite du Parti socialiste aux élections du 31 mars, lorsque Fatos Nano était Premier ministre. Nano est apparu tout seul devant environ 200 journalistes du monde entier, il n’était accompagné de personne et il a répondu à toutes les questions des journalistes étrangers dans leurs propres langues, à leur grande surprise, alors qu’ils avaient une autre idée de l’Albanie, comme le dernier pays communiste et un pays isolé. Fatos Nano répondait en anglais, en français, en italien, en russe et il a même répondu en espagnol à une journaliste de Catalogne. C’était une performance jusqu’alors sans précédent dans la vie politique albanaise, qui eut un écho extraordinaire non seulement dans le pays, mais à l’étranger aussi.

Je dois dire également que le vice-Premier ministre c’était Shkëlqim Cani, un jeune économiste, très compétent, qui venait de rentrer de ses études à Vienne, où il avait connu de près la culture de l’économie de marché, une toute autre culture économique. Ils constituaient tous les deux un tandem qui ne pouvait pas avoir besoin de conseillers. D’ailleurs c’étaient eux qui conseillaient souvent les autres. Donc, quant à l’idée que les leaders doivent avoir des conseillers afin de les consulter en fonction de leur performance, on peut dire que compte tenu des circonstances de l’époque en Albanie, ces deux personnes étaient très avancées. La

54Interview avec Musa Ulqini, chef de la section du Parti socialiste & journaliste du journal du Parti socialiste “Zëri i

performance de Fatos Nano dans la vie politique a été extraordinaire, à cause de son niveau culturel. Il s’était servi de ses connaissances en langues étrangères pour se renseigner sur ce qui se produisait dans le monde. Il a eu une influence exceptionnelle chez la communauté internationale, qui ne s’attendait pas à ce qu’il y ait en Albanie des dirigeants d’une telle formation et d’une telle stature, mais aussi chez les Albanais qui n’avaient jamais entendu auparavant une chose pareille. Je vous dis une chose: le premier discours, non écrit, que Fatos Nano a prononcé, en sa qualité de leader du Parti socialiste , à son X-e Congrès, est un discours que les hommes d’études doivent lire attentivement parce que toute la terminologie qu’il a emprunté n’avait rien de commun avec celle à laquelle, jusqu’à ces moments-là, les Albanais étaient habitués, lorsque les dirigeants s’adressaient à eux. Les termes qu’il utilisait étaient totalement différents, c’était un discours politique inhabituel. Si l’on parle d’éléments qui font distinguer le Parti socialiste du Parti du Travail, je peux dire sans hésiter