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SECTION II. LA DÉCENTRALISATION : UNE RÉPONSE À LA RÉALITÉ SOCIALE

2. La question de Cabinda

Si les discours fédéralistes mettent en cause un quasi consensus sur la forme unitaire de l´État dans ces deux pays, il existe des revendications faites hors du cadre décentralisateur et qui mettent en cause l´intégrité même du territoire et du très cher principe "Uti possidetis iuris" normalement établi pour stopper toute revendication sécessionniste. C´est le cas pour Cabinda, en Angola.

Cabinda est une région de 7.680 km2 avec une population proche de 500.000 habitants. Dans sa majorité, elle appartient au groupe ethnolinguistique Kikongo et à l´ethnie Bakongo, au nord de l´Angola, dans un territoire discontinu de la plus grande partie du territoire angolais150.

L´inclusion du territoire de Cabinda dans le territoire de la République de l´Angola après l’Independence du Portugal n´a pas été un accord consensuel. Ce qui liait le Portugal et ce territoire était perçu par les populations comme une forme de protectorat du Portugal, régi par le traité de Simulambuco du 1 février 1885 et signé par les autorités traditionnelles de Cabinda et celles du Portugal151.

C´est sur la base du lien de protectorat entre le Portugal et Cabinda, de sa discontinuité territoriale et de sa spécificité ethnique socioculturelle que les mouvements politiques, notamment le FLEC, se battaient pour la sécession de la province de Cabinda152. La sécession n´est pas acceptée par les autres acteurs politiques, notamment, le gouvernement MPLA. Cela se comprends quand on sait que plus de la moitié de la richesse nationale angolaise provient de l´exploitation du pétrole à Cabinda153. Il y a cependant aujourd´hui une reconnaissance de ses particularités, historiques, géographiques, sociopolitiques et culturelles154. Si cela ne justifie pas l'indépendance

150 BEMBE, Miguel Domingos: op.cit. p.34. 151 Ibidem. p.36.

152 Voir le programme du gouvernement Cabindais en Exil du Front de libération de l´État de Cabinda. http://www.cabinda.org/programme.htm. Consulté le 05/06/2015.

153MANGOVO, Patrício Munengo: Os Desafios da Paz em Angola e as Dinâmicas do Conflito em Cabinda. Revista Nação e Defesa. IDN. nº131, 5ª série, 2012. p.110.

de Cabinda, cela plaide pour plus de décentralisation en faveur de cette province angolaise.

D´ailleurs, c'est ce qu’ont reconnu les accords entre le gouvernement angolais et le Forum cabindais pour le dialogue en 2006 [les accords de Namibe]. Ils décidèrent l´octroi d´un statut spécial pour la Province de Cabinda. Si la signature des accords de Namibe peut être comprise comme l´abandon des revendications sécessionnistes155

par les mouvements politiques cabindais, elle n´a pas mis fin aux revendications. Elles sont à présent décentralisatrices. Dix ans après leur signature, les accords n'ont pas été appliqués156, et conflits [militaires] n'ont pas cessé157.

Les revendications décentralisatrices actuelles visent, non seulement l´application de l´Accord de Namibe mais principalement l´adoption d´un modèle de décentralisation qui permette une véritable autonomie pour Cabinda, en prenant en compte, ses particularités.

L´UNITA a depuis toujours proposé pour Cabinda un modèle de région autonome comme celui déjà appliqué aux régions de Madeira et Açores, au Portugal158. Quant à lui, le gouvernement angolais est pour l´application d´un statut spécial qui, selon certains auteurs, reste peu ou pas du tout décentralisateur159.

Ainsi, les discours sécessionnistes se sont transformés en discours décentralisateurs. Même considérés comme légitimes par tous les acteurs politiques, à cause des particularités de Cabinda, ils demeuraient ignorés par le modèle de décentralisation adopté en Angola.

155 MANGOVO, Patrício Munengo: op.cit. p.111.

156Ibidem. p.39.

157DW :Tendências independentistas ganham força em Angola.

http://www.dw.com/pt/tend%C3%AAncias-independentistas-ganham-for%C3%A7a-em-angola/a 19061229. Consulté le 10/04/2016.

158BEMBE, Miguel Domingos: op.cit.p.38

Sous-section II. Le discours socioculturel sur la décentralisation

La prédisposition sociale de l´Afrique à la décentralisation est presque un consensus160. Cela rendrait toute idée de centralisation contraire à cette prédisposition naturelle et par conséquent, immédiatement contestable.

Or, ignorant ou même combattant cette prédisposition naturelle de l´Afrique à la décentralisation, l´Angola et le Mozambique ont chacun adopté la centralisation, dès leur indépendance. Ils l'ont fait pour des impératifs principalement d´unité nationale. La décentralisation, justifiée par la multiplicité ethnique et d´organisation politique, administrative et sociale à laquelle sont attachées les populations161 était vue comme une menace à l´unité nationale nécessaire et à la survie de ces États. Ils voyaient là l’instrument du colonialisme pour «diviser et régner» et donc un obstacle à la « Nation »que ces partis cherchaient à construire.

De façon à combattre le "péril" que la décentralisation pouvait amener dans ces pays, priorisant les intérêts locaux sur les nationaux, les partis uniques qui dirigeaient ces pays, ont adopté la centralisation comme mode d´organisation politique, administrative et sociale. Ils pensaient alors que cette option était soutenue par les populations, celles-là même qui avaient appuyé leur lutte contre le colonialisme.

Or, loin de là, on trouve dans ces pays l´appui d´une partie de la population à la décentralisation [parfois cristallisé par des mouvements de revendications, comme le «mouvement du protectorat Lunda-Tchokwe», en Angola]. Cet appui est basé sur l’idée qu´elle permettrait de mieux reconnaitre et prendre en compte la multiplicité sociale et culturelle, mais aussi d’en finir avec le sentiment d´exclusion de certains groupes socioculturels dans ces deux pays. Car le centralisme est aussi compris par

160 Voir :

Ø DE GAUDUSSON, J. du Bois : La décentralisation en Afrique : nouvelles perspectives», Encyclopédie Universalis, Symposium, 1990.

Ø FAU-NOUGARET, Matthieu: Originalité et convergence des phénomènes de décentralisation en Afrique Sub- saharienne. Revue électronique Afrilex. (http://afrilex.u-bordeaux4.fr).

Ø SAWADOGO, Raogo A. : L’État africain face à la décentralisation : la chaussure sur la tête ; Karthala, Paris, 2002.

161Comme l’affirme Matthieu Fau-Nougaret,” l’individu, souvent, s’identifie par rapport à un groupe, plus restreint que la Nation. Il peut s’agir du village, de l’ethnie, de la région (au sens physique et non administratif du terme), etc.". FAU-NOUGARET, Matthieu: Op. Cit. p.14.

une partie de la population comme instrument de réfutation de la diversité socioculturelle de ces pays, mais aussi comme organisation politique et administrative qui favorise certains groupes socioculturels au détriment d´autres.

Cet appui d´une partie de la population à la décentralisation ou à la reconnaissance et promotion de leur diversité socioculturelle serait démontré aussi, selon Luis DE BRITO qui a analysé le cas du Mozambique, justement par leur combat contre le colonialisme qui, lui, ignorait ces particularismes162. Ensuite ces populations ont su résister au nationalisme radical des partis uniques163.

Ainsi, il y a, en Angola et au Mozambique, un discours social sur la décentralisation nourri par une partie de la population qui croit que la décentralisation permettrait de reconnaitre et prendre en compte leurs spécificités socioculturelles (1), mais aussi d´établir une «égalité» politique et administrative entre les différents groupes socioculturels de ces deux pays (2).