• Aucun résultat trouvé

La décentralisation : éléments de précision

On peut définir la décentralisation, en Angola et au Mozambique, comme le fait l´article 06 de la Loi nº7/2012 du 08 février [Loi d´organisation et fonctionnement de l´administration publique] au Mozambique, en la considérant «un processus de création par l´État d´autres personnes publiques morales». Cette définition reste, à notre avis, peu précise pour bien cerner la décentralisation, objet de cette étude. La décentralisation ainsi définie nous revoie à plusieurs réalités, notamment, les collectivités locales, les établissements publics, les associations publiques, etc. Comme d´ailleurs le prescrit l´article 67 de la Loi nº7/2012 du 08 février au Mozambique.

Dans cet univers des significations de la décentralisation, la décentralisation objet de cette étude, sera celle qui donne lieu, principalement, à l´existence des collectivités locales. Ceci d’abord suivant la ligne défendue par Freitas DO AMARAL, selon laquelle «seule la décentralisation, à travers l´existence des collectivités locales, est la véritable décentralisation»57, mais aussi parce que c´est la décentralisation qui répond le mieux au combat contre la centralisation du pouvoir politique et administratif. Néanmoins, il s´avère nécessaire de préciser cette décentralisation, car elle ne se réduit pas à la seule existence des collectivités locales.

Plusieurs critères sont utilisés pour bien préciser cette décentralisation. C’est d’abord le territoire qui est, selon le professeur Charles EISENMANN58, le critère principal qui caractérise la décentralisation. Il permet de définir comme appartenant à la décentralisation les organes liés à une circonscription donnée du territoire national, les organes qui ont des compétences par rapport à une partie du territoire national. L´utilisation de ce critère permettrait alors de considérer comme étrangères à la décentralisation les autres entités qui n´ont pas ce caractère, notamment, les établissements publics. Ceux-ci ont normalement des compétences sur l´ensemble du territoire national.

57 DO AMARAL, D. F.: Curso de Direito Administrativo. Vol. 1. Livraria Almedina. Coimbra. 2006. p.486.

Alors, la «véritable» décentralisation sera une décentralisation territoriale, l´autre sera une décentralisation dite technique ou spéciale59.

Au territoire, critère de précision de la décentralisation, il faut ajouter d´autres critères comme la reconnaissance d´une personnalité juridique et d´une autonomie, les deux critères essentiels de la décentralisation, selon Freitas DO AMARAL60.

Ces deux critères donnent une existence juridique et une liberté administrative aux entités de la décentralisation, ce qui s´avère essentiel pour les distinguer de l´État, comme personnes morales. Car l´autonomie des entités de la décentralisation par rapport à l´État est accrue si elles sont comparables aux autres personnes morales, même si l´État garde toujours son droit de regard eu égard au caractère unitaire de l´État61.

Ces critères donnent à la décentralisation un caractère administratif. C´est-à-dire qu’ils font d´elle un simple mode d´administration du territoire. Or, une décentralisation caractérisée seulement comme mode d’administration du territoire ne se montrerait pas totalement fidèle aux origines de la décentralisation, dans ces deux pays. La décentralisation est bien plus qu´un mode d´administration du territoire. Elle est aussi une question politique et elle a des caractères politiques qui contribuent à sa précision. Ce qui fait d´elle en même temps un concept administratif et politique. Si le caractère politique de la décentralisation est lié à l´octroi des pouvoirs législatifs et juridictionnels aux entités locales, c´est-à-dire, des véritables pouvoirs politiques, cela n´a pas lieu d´être dans des États unitaires, comme l´Angola et le Mozambique, où ces pouvoirs sont exercés de façon exclusive par l´État personne morale, au nom du principe de l´unité de la souveraineté.

Alors le caractère politique de la décentralisation se trouve principalement dans un rapport entre décentralisation et existence d´une démocratie locale.

59 Ibidem.

60 DO AMARAL, D. F.: Op. Cit. pp. 480-489.

La décentralisation liée à la démocratie locale, cela veut dire que les populations locales ont le droit de «prendre en mains leurs propres affaires sous la responsabilité politique de leurs représentants élus»62.

La participation des populations dans la gestion des affaires locales et la désignation des organes dirigeants par élection seront alors les principales manifestations de la décentralisation politique. Ainsi, la décentralisation présuppose, dans ces deux pays, la participation des populations, principalement par dégination des organes dirigeants. Cela va à l´encontre de l´idée défendue par le Doyen HAURIOU63, selon laquelle l´élection des organes dirigeants est le critère principal de la décentralisation. Il n´y a pas décentralisation si les organes dirigeants sont nommés, dirait Freitas DO AMARAL64.

Ainsi, la décentralisation, objet de cette étude, est le mode d´organisation politique et administrative qui donne lieu à l´existence au niveau local de personnes morales autonomes représentant les populations locales et responsables pour l´administration des affaires locales.

62 MELIN-SOUCRAMANIEN, Ferdinand et PACTET, Pierre : Op. Cit. p.40-41.

63 HAURIOU, Maurice : Précis de droit administratif et de droit public. Sirey. Paris. 1919. p.175. . Cité par NACH MBACK, CHARLES : Op. Cit.p.29.

III. L´APPROCHE DU SUJET

La présente étude traite de la décentralisation en Angola et au Mozambique, en analysant les liens de proximité ou d´éloignement entre le discours sur la décentralisation et sa consécration juridique, dans ces deux pays.

La décentralisation, dans ces deux pays, est demandée et attendue avec impatience par tous (acteurs politiques, société civile, population, etc.), principalement avec l’idée qu´elle est porteuse de vertus capables de répondre à certains enjeux existants, ce qui fait d´elle un sujet d´intérêt théorique autant que pratique.

La décentralisation a été juridiquement consacrée au début des années quatre-vingt-dix, avec les Constitutions qui ont introduit des réformes structurelles et instauré les deuxièmes Républiques dans ces deux pays. Elle a depuis été réaffirmée et même renforcée par les révisions constitutionnelles de 2004, au Mozambique, et 2010, en Angola, qui ont établi les Constitutions actuellement en vigueur.

Néanmoins, on trouve dans ces deux pays un débat sur le bienfondé de la consécration juridique de la décentralisation, alimenté par un soi-disant décalage entre la consécration juridique et les enjeux politiques, sociaux, économiques et administratifs auxquels la décentralisation est supposée répondre. Ces enjeux alimentent le discours sur la décentralisation dans ces deux pays.

En suivant une démarche qui considère les fortes similitudes entre l´Angola et le Mozambique permet de postuler de l´existence de mêmes enjeux et donc d´un même discours sur la décentralisation, nous exposerons ce discours et analyserons sa prise en compte par la consécration juridique dans les deux pays (C). Mais d´abord, il convient de montrer l´intérêt (A) et la problématique (B) qui entourent ce sujet.