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DÉCENTRALISER POUR INSTAURER ET CONSOLIDER LA DÉMOCRATIE

«Suivre le chemin de la décentralisation, c´est donner des garanties que ce chemin amène à la démocratie»180.

Cette phrase d’André Yves FAURÉ qui établit un rapport entre la décentralisation et la démocratisation en Angola et au Mozambique, caractérise bien l´autre partie du discours politique sur la décentralisation dans ces pays, principalement chez les acteurs politiques [le gouvernement et les partis politiques], pour qui la décentralisation est consubstantielle à la démocratisation de ces pays.

Ainsi, la démocratisation de ces pays y est vue comme l’un des principaux leitmotivs de la décentralisation, comme d´ailleurs dans une grande partie des pays africains181. Mais, pourquoi ? Et de quelle démocratie parle-t-on ? Ce sont là les questions qui s´imposent.

Le rapport entre décentralisation et démocratie a été déjà établi et décrit par des auteurs comme Alexis DE TOCQUEVILLE, pour qui la décentralisation permettait l’épanouissement de l’idéal démocratique. En effet, selon Tocqueville,

«Les institutions communales [L’une des institutions de la décentralisation] sont à la liberté [le fondement de la démocratie] ce que les écoles primaires sont à la science ; elles la mettent à la portée du peuple ; elles lui en font goûter l'usage paisible et l'habituent à s'en servir. Sans institutions communales une nation peut se donner un gouvernement libre, mais elle n'a pas l'esprit de la liberté»182.

180FAURÉ, Yves-A : Angola e Moçambique: de uma descentralização prometida a uma descentralização tímida. Op.Cit. p. 346.

181 NACH MBACK, CHARLES : Démocratisation et décentralisation - Genèse et dynamiques comparés des processus de décentralisation en Afrique subsaharienne. Karthala /PDM, Cotonou (Bénin), Paris, 2003.

Décentraliser signifierait, ainsi, permettre le plein exercice de la démocratie par le peuple, à travers la pratique de la démocratie locale, vue ainsi comme «la plus complète des démocraties» pour utiliser l´expression de Michel KOEBEL183. Et cela grâce au rapprochement spatial, géographique et affectif entre les habitants d’un territoire local184.

En d´autres termes, le niveau local constituerait la fondation de la démocratie, car c’est en exerçant la démocratie locale que le peuple comprend et éprouve la valeur du pouvoir que la démocratie lui confère. En effet, les décisions qu’il prend dans le cadre de l’exercice de cette démocratie locale ont des répercussions visibles dans leur vie quotidienne.

Cependant, il faut noter que le lien entre « décentralisation et démocratie » reste contesté parmi certains auteurs, comme Hans KELSEN, le doyen VEDEL185 ou Charles EISENMANN, pour qui l´un pouvait bien survivre sans l´autre en argumentant qu’« en elle-même, la décentralisation est un système sans couleur politique déterminée. Elle peut être non démocratique aussi bien que démocratique» 186. Néanmoins, en observant non seulement la coïncidence de calendrier entre les débuts de la démocratisation et de la décentralisation en Angola et au Mozambique, mais aussi les discours des acteurs politiques, dans ces deux pays on peut dire, comme l´affirme René OTAYEK187, en analysant le cas d´une grande partie des pays africains, que le discours qui prévaut dans ces pays est celui qui veut que la démocratie se conjugue invariablement avec la décentralisation. C’est-à-dire, faire de la décentralisation à la fois un indicateur et un instrument de démocratisation de ces pays.

Le discours de démocratisation qu´on trouve dans ces deux pays s´appuierait aussi sur la faible démocratisation qu´on attribue à ces deux pays188. Alors, à une époque où la démocratie est l´apanage des sociétés contemporaines, la démocratisation

183 KOEBEL, Michel : Le pouvoir local ou la démocratie improbable. Éditions du Croquant, 2005, p.06.

184 Ibidem.

185VEDEL, Georges : Droit administratif, Thémis, 1973, p.641. Cité par RASERA, Michel : La démocratie locale. LGDJ, Paris, 2002. p.10.

186 RASERA, Michel : La démocratie locale. LGDJ, Paris, 2002. p.10

187OTAYEK, René : Op. Cit. p.131.

188 Selon l´index de l´Economist intelligence 2015 l´Angola occupe la 131e position et le Mozambique la 109e position.

apparait pour les acteurs politiques comme inévitable et la décentralisation comme nécessaire à cette reconversion démocratique.

La capacité de la décentralisation à permettre cette reconversion démocratique serait démontrée, selon les acteurs politiques, principalement, par son aptitude à créer des espaces politiques au niveau local [longtemps monopolisés par les anciens partis uniques], où les partis politiques, les organisations de la société civile et les populations, en générale, pourraient participer activement à la vie politique de ces pays. En d´autres termes, la décentralisation permettrait la libéralisation et l’autonomisation politique du local.

Parallèlement l´influence de la décentralisation sur la démocratisation de ces pays se manifesterait aussi, selon certains acteurs politiques, par la consécration de la transparence et de la responsabilité dans la gestion des affaires publiques locales, deux principes démocratiques.

En d´autres termes, longtemps soumis à «l´idéologie» nourrie des anciens partis uniques de secret et de non responsabilité, ces deux pays consacreraient, avec la décentralisation, les principes démocratiques de la transparence et de la responsabilité.

Outre les annonces d’effets démocratiques du mariage entre décentralisation et démocratisation, le discours décentralisateur se penche aussi sur le modèle de démocratie locale à adopter.

La démocratie est, selon Georges BURDEAU, «une philosophie, une manière de vivre, une religion et, presque accessoirement, une forme de gouvernement »189. Cela signifie que la notion de démocratie est une notion polysémique, avec un contenu politique et un contenu social190.

189 BURDEAU, Georges : La démocratie. Ed. Du seul, 1986, Paris, p. 11.

190Selon Georges Burdeau, à la démocratie politique qui ne met qu’indirectement en cause l’individu dans la mesure où il est englobé par la masse indifférenciée des nationaux, se substitue alors la démocratie sociale qui vise à maîtrise de la société entière en contrôlant chacune des relations, chacun des actes dont est formée la vie collective. « Une société démocratique est donc celle d’où sont exclues les inégalités dues aux aléas de la vie économique, où les travailleurs sont à l’abri de l’oppression que pourrait faciliter leur besoin de trouver un emploi, où chacun enfin peut faire valoir un droit à obtenir de la société une protection contre les risques de la vie. La démocratie sociale vise ainsi à établir entre les

La démocratie locale est normalement assimilée au droit des populations locales à choisir leurs dirigeants au niveau local selon des procédures électorales où, comme l’affirme Charles NACH MBACK, « l’élection des autorités locales au suffrage universel, expression des libertés locales, est l’élément associatif de la décentralisation et de la démocratie locale »191.

Alors, c´est dans ce sens que la décentralisation démocratique est attendue aussi en Angola et au Mozambique. C´est-à-dire, comme un «Système politique qui laisse le pouvoir politique aux mains du peuple, à travers des élections libres, transparentes, justes et périodiques, pour choisir les autorités publiques», utilisant une définition de Brigitte LACHARTE qui a analysé le cas du Mozambique192.

Cependant, certains acteurs politiques ne réduisent pas la démocratie locale à la démocratie représentative. Pour ces acteurs l´établissement de la démocratie locale passerait, pour être non seulement représentative mais aussi et plutôt participative, par l´adoption de mécanismes de participation.

Ainsi, la décentralisation est vue par les acteurs politiques en Angola et au Mozambique comme consubstantielle de la démocratisation, en vertu de ses effets sur la démocratisation de ces pays (Section I). C’est une démocratisation selon un modèle représentatif aussi bien que participatif (Section II).

individus une égalité de fait que leur liberté théorique est impuissante à assurer ». BURDEAU, Georges: Idem, p. 63.

191MBACK, Charles Nach. Op.cit. p.35.

192 LACHARTRE, Brigitte: Elections municipales et démocratisation au Mozambique. Politique Africaine, 75, 1999, pp.162-169.