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La décentralisation en tant que nouveau sujet d´étude juridique, en Angola et au Mozambique, soulève inévitablement, plusieurs questionnements. Cependant, c´est sur la question de sa consécration juridique que cette étude va se pencher.

Depuis le début des années quatre-vingt-dix, avec l´introduction des nouvelles Constituions, la décentralisation a trouvé sa place dans le nouvel ordre juridique de ces pays.

La consécration juridique de la décentralisation n´a pas été simplement une innovation juridique. Elle visait aussi répondre à un environnement politique, social, économique et administratif qui la demandait et qui existe toujours.

C´est cet environnement qui nourrit en grande partie le discours sur la décentralisation tenu principalement par les tenants du pouvoir étatique, mais aussi par les acteurs politiques, acteurs sociaux, les académiciens et même une partrie de la population. Ce discours voit, en grande partie, la décentralisation comme une nécessité. L’idée est qu´elle serait porteuse de solutions à plusieurs enjeux politiques, sociaux, économiques et administratifs, notamment, conflits politiques, revendications sociales, pauvreté, déséquilibre économique régional, l´inefficacité administrative, etc. Et l’on attend que la consécration juridique la prenne en compte comme étant plus apte à répondre à ces enjeux et que le droit lui consacre son rôle dans l´organisation et fonctionnement de la société.

Or, il semblerait que la consécration juridique de la décentralisation dans ces deux pays, n´ait pas réussi cette prise en compte du discours sur la décentralisation. Alors, on la critique pour cette ignorance du discours et des enjeux et l’on craint son inutilité70. La consécration juridique de la décentralisation, dans les deux pays, est critiquée. On

70 PEREIRA, Virgílio Ferreira de Fontes: O Poder Local: da Imprecisão Conceptual à Incerteza da sua Evolução em Angola – Contributos para a Hipótese de um Modelo. Mémoire de master. Université de Lisboa, 1997.

lui reproche d´être décalée de la réalité qu´elle vise à régler, alors que les temps sont au rapprochement entre le droit et la réalité sociale71.

C´est dans ce contexte que l’on se propose d’analyser la consécration juridique de la décentralisation de ces pays, en prenant en compte le discours sur la décentralisation. On se demandera quelles sont les principes juridiques sur lesquelles s´assoit la décentralisation dans ces deux pays ? Mais aussi quelles sont les entités de la décentralisation? Comment s´organisent-elles ? Comment fonctionnent-elles ? Quelles sont ses compétences? Et quelles sont ses ressources ? Et nous verrons voir si les réponses à ces questions prennent bien en compte le discours sur la décentralisation dans ces deux pays.

C.

La démarche

La présente étude aura comme champ d´application l´Angola et le Mozambique, deux pays africains ayant comme langue officielle le portugais, très similaires aussi en termes politiques, sociaux, économiques et administratifs, résultat soit du même passé colonial, soit d´une trajectoire postcoloniale presque identique.

Avec une extension territoriale de 1 246 700 km² et une population estimée à plus de 25 millions pour l´Angola et de 801.590 km² et une population estimé à plus de 25 millions pour le Mozambique72, ces deux pays ont été les deux principales anciennes colonies portugaises et le traitement qui leur était réservé par la métropole, en termes politiques et administratifs, était presque le même. Cela fait qu´elles héritent de la colonisation une structure organisatrice presque similaire : institutions, normes et mode de fonctionnement.

Devenus indépendants en 1975, ces deux pays suivent presque la même trajectoire postcoloniale, principalement en termes politiques et administratifs, avec l´instauration d´un régime centraliste et l´explosion d´une guerre civile, ce qui influençait tous les

71 GARCIA-VILLEGAS, Mauricio et LEJEUNE, Aude : La désobéissance au droit : approche sociologique comparée. Présentation du dossier. Revue Droit et société 2015/3 (N° 91) p. 565-577. 72 INE Angola. www.ine.gov.ao ; INE Mozambique. www.ine.gov.mz.

aspects de la vie sociale et économique de ces pays. Cela explique que les enjeux politiques, sociaux, économiques et administratives soient presque les mêmes dans ces deux pays.

Alors, le discours sur la décentralisation dans ces pays est lui aussi presque le même, étant alimenté par les mêmes enjeux. Ce qui nous permet de suivre une démarche qui considère un même discours sur la décentralisation dans ces pays.

C´est ce discours qui défend la décentralisation pour ces pays qu´on exposera sans appréciations qualitatives, même si nous sommes bien conscient que «la décentralisation n'est pas intrinsèquement «une bonne chose» qui devrait être recommandée sans la moindre réserve» comme nous l’a démontré Remy PRUDHOMME73 ou encore que les vertus de la décentralisation sont encore à démontrer, selon certains autres auteurs74. Ceci inviterait à un approche plus nuancée sur la décentralisation, comme nous en avertit le professeur Jean du Bois DE GAUDUSSON pour qui «dans la réflexion (…) la décentralisation est considérée tout autant comme le problème que comme la solution»75.

L´exposition du discours sur la décentralisation vise à déterminer les enjeux de la décentralisation dans ces deux pays et l’on verra si ces derniers sont présents dans la consécration juridique de la décentralisation. Nous examinerons principalement la consécration juridique-constitutionnelle, pas seulement parce que c´est principalement à ce niveau que la consécration juridique de la décentralisation a été faite dans ces deux pays, mais aussi en souscrivant l´idée défendue par le doyen HAURIOU selon laquelle les raisons de la décentralisation sont, principalement, d´ordre constitutionnel76.

73 PRUD'HOMME, Rémy : Décentralisation et développement. In Annuaire des collectivités locales, Tome 16, 1996, p.15.

74DUBRESSON Alain, FAURE Yves-André : Décentralisation et développement local : un lien à penser. In: Tiers-Monde, tome 46, n°181, 2005. Décentralisation et développement local : un lien à repenser. pp. 7-20. ; PRUD'HOMME, Remy: The dangers of decentralization. The World Bank Research Observer, vol. 10, n°2. août 1995. p. 201-20. ; PRUD'HOMME, Rémy : Décentralisation et développement. In: Annuaire des collectivités locales. Tome 16, 1996. pp. 1116. ; HOMMES, Rudolf: Conflicts and Dilemmas of Decentralisation. Washington, La Banque Mondiale, 29 p., article préparé pour l'Annual Bank Conférence on Development Economies, Washington, D.C. Mai, 1995.

75 DE GAUDUSSON, Jean du Bois: Op. Cit. p.15.

Cette démarche retrouve son point d´appui dans l´idée défendue par Jean-Bernard AUBY, selon laquelle «il n´est pas impossible non plus de plaider qu´en consacrant la décentralisation (…) l´État ne fait que prendre acte de ce que lui imposent les exigences économiques et managériales»77, [et aussi politiques et sociales].

Cela permet à notre avis de changer l´approche juridique souvent faite de la décentralisation, vue comme une création fictive de l´État et donc analysée « par le haut». Nous envisagerons au contraire son étude «par le bas»78, c´est-à-dire, en partant des réalités sociologiques.

Ainsi, c´est sur deux parties que cette étude se déroulera : une exposition du discours sur la décentralisation (Partie I) et une analyse de la consécration juridique (Partie II) qui en est faite pour voir si elle lui est conforme.

77 AUBY, Jean-Bernard : La décentralisation et le droit. LGDJ. Paris, 2006, p.134.

PARTIE I