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6. Activités d’enseignement, encadrement d’étudiants et direction de

6.5. Encadrement de thèses et appui à la recherche

6.5.1. Quelques principes de direction de travaux de recherche

La direction de travaux de recherche, que ce soit dans le cadre d’une thèse ou d’un appui aux chercheurs du Sud, nécessite une posture pédagogique bien différente de celles des travaux de stage. Il ne s’agit plus de proposer un sujet avec une démarche qui l’accompagne pour son traitement en 3 à 6 mois, mais d’accompagner un exercice très personnel qui consiste, dans la plus pure tradition académique qui n’est pas forcément suivie, à se construire une problématique, formuler des hypothèses et définir une démarche méthodologique pour tester ces hypothèses et tenter de répondre à la question énoncée. De plus, l’encadrement se déroule sur le temps long des travaux de recherche et tient plus de l’affinage de l’esprit scientifique que de son modelage, d’un co-cheminement plus que d’une mise sur le chemin qui doit déjà avoir été effectuée en master 2.

Il arrive cependant parfois qu’il soit nécessaire de revenir sur les fondamentaux de la démarche scientifique, et de celle du géographe en particulier. En effet, la définition d’une question de recherche, à l’interface de la nature et de la société, implique de se placer dans une perspective systémique et de convoquer plusieurs disciplines, au minimum pour poser la problématique quitte ensuite à n’en traiter qu’une partie, sinon pour tenter d’en résoudre la totalité. Cette posture systémique conduit à privilégier les démarches inductives, voire

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hypothético-déductives, à celles de type déductif. En effet, l’apprenti chercheur doit dans un premier temps se plonger dans la complexité du système qu’il étudie, au contact du terrain (phase d’induction), afin de définir ses hypothèses de travail et les théories auxquelles elles renvoient et qu’il mettra à l’épreuve de ses observations (phase déductive). La définition des hypothèses et le choix des théories conduisent nécessairement à une réduction de la complexité du système et au choix d’un angle d’approche privilégié, qui peut être relatif à un sous-système ou à une ou deux disciplines. Aussi, il est nécessaire que cette réduction ne s’opère pas trop vite afin que l’analyse du système rural ou périurbain étudié puisse être menée à terme dans toutes ses dimensions ; mais il est aussi important qu’elle s’opère à un moment, de sorte que le chercheur ne se perde pas dans la complexité du système et dans une analyse de plus en plus approfondie mais sans portée scientifique générale, même si un bon travail monographique sur un territoire donné n’a rien de déshonorant et que les monographies manquent de plus en plus dans un monde globalisé où on a besoin de situations de référence étudiées en profondeur et dans toute leur complexité.

Dans cette recherche d’un équilibre entre induction et déduction, analyse et mise à l’épreuve de théories, il n’est pas inutile de recadrer régulièrement le chercheur dont on accompagne les travaux sur les fondamentaux de la démarche scientifique : où en est-il de son analyse ; qu’a-t-il compris des faits et processus qui expliquent le fonctionnement et la dynamique du système qu’il étudie ; quelle question de recherche lui semble importante pour mieux comprendre les modalités d’une gestion durable des ressources et accompagner l’évolution du système en ce sens ; quel point précis le jeune chercheur va-t-il chercher à résoudre relativement à cette question de recherche, pourquoi et comment ?

Pour ce qui concerne en particulier la géographie -puisque toute systémique que soit la recherche, elle s’intéressera de façon privilégiée à l’espace et aux territoires-, il n’est pas non plus inutile de régulièrement rappeler au chercheur que les dimensions spatiales et temporelles doivent être prises en compte de façon explicite dans ses recherches. Il ne me semble en effet pas suffisant, si l’on souhaite faire de la recherche en géographie, de définir un espace géographique de travail et de le cartographier, comme c’est trop souvent le cas. Il faut chercher à expliquer l’organisation de cet espace, ce qui conduit à s’intéresser aux processus anciens et récents qui l’ont façonné, à localiser ces processus, à en évaluer l’impact spatial et territorial. Cela conduit aussi à changer d’échelle d’observation pour

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appréhender la portée spatiale de ces processus, leur importance respective dans le fonctionnement du système localisé étudié. Cela conduit enfin à considérer les interactions spatiales de ces processus à travers une analyse des dynamiques spatiales, pouvant amener à un exercice de simulation.

En bref, il me semble qu’il faut toujours que le chercheur en géographie que j’accompagne dans ses premiers pas garde en tête deux questions : pourquoi le processus que j’observe se localise-t-il là et pas autre part ? Comment l’ensemble des processus qui contribuent au fonctionnement du système que j’étudie interagissent-ils dans l’espace et dans le temps (Pumain et al., 1997) ? Pour répondre à ces questions, il n’y a pas a priori de méthodes qui soient meilleures que d’autres, même si la mise en œuvre des outils de l’analyse spatiale conduit immanquablement à les aborder. Il est simplement important de rappeler de temps en temps ces questions aux chercheurs dont on dirige les travaux, de sorte que le déroulement de leur démarche systémique ne marginalise pas les questions d’espace et de territoire.

Dans la pratique, au cours de mes trois ans de travaux au Nord Cameroun, j’ai cherché à décliner cette volonté de positionner et de maintenir les jeunes chercheurs que j’accompagnais dans une démarche scientifique bien ancrée en des principes concrets d’appui à la recherche que je pouvais appliquer. Deux axes de mes activités qui se recoupaient m’y ont aidé : mon rôle d’animateur de la composante “Gestion des ressources et de l’espace” du projet régional PRASAC et mon implication dans l’organisation des voyages d’étude de l’ENGREF, auxquels étaient associés des collègues camerounais avec qui je travaillais dans le cadre du PRASAC.

Intégrant en cours de route le PRASAC en 2000, qui avait officiellement démarré deux ans auparavant mais tardait à trouver un mode de fonctionnement efficace, j’ai trouvé des actions de recherche pour la plupart disciplinaires menées à l’échelle de la parcelle (relevé de biomasse, inventaire forestier, entre autres). Partant de ces méthodes bien assimilées, j’ai cherché la première année de mon séjour à faire travailler mes collègues sur l’idée que derrière la ressource et son exploitation, il y avait des systèmes de production avec leur cohérence propre et que la pression sur la ressource en un lieu était à mettre en lien avec des stratégies d’acteurs intervenant sur le territoire villageois.

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Le premier voyage d’étude de l’ENGREF auquel ces jeunes chercheurs ont été associés a été l’occasion d’appliquer cet élargissement de leur champ d’étude, de la parcelle à un territoire villageois. Assez vite cependant, une fois réalisée cette étude au niveau du territoire villageois, avec cartes d’occupation des sols, inventaires des ressources et enquêtes socio- économiques, le chercheur doit être amené à sortir du cadre de ce territoire de gouvernance coutumière pour s’intéresser aux processus d’appropriation et d’usage qui fondent d’autres territoires, plus flous mais ô combien importants pour la gestion des ressources naturelles.

Un des objectifs du deuxième voyage d’étude de l’ENGREF a donc consisté à faire éclater le cadre du territoire villageois pour s’intéresser aux territoires d’activités, que ce soit en étudiant les pratiques des différents groupes d’usagers à une échelle équivalente à celle d’une commune, ou en étudiant les filières à l’échelle de la petite région. C’est au cours de cette deuxième année que j’ai également poussé les thésards en géographie du PRASAC à sortir de leurs études “terroir” et à changer d’échelles d’observation.

Pour ce faire, j’ai organisé des ateliers de réflexion méthodologique et instrumentale, et je les ai accompagnés sur le terrain. Prenant désormais pour échelle d’observation non plus le territoire villageois mais la petite région centrée sur lui, ils ont ainsi pu mieux raisonner les stratégies de conquête foncière, ainsi que les stratégies pastorales, agricoles et d’exploitation des ressources. C’est enfin dans la continuité méthodologique de ce changement d’échelle que j’ai proposé à mes collègues forestiers de travailler sur les “brousses”28, non pas en tant que ressource végétale, mais en tant que “ressource partagée” dans le cadre d’un multi-usage de l’espace.

Enfin, la troisième année a été celle d’un renforcement de l’accent mis sur les liens entre les ressources, les acteurs et les territoires au niveau de la petite région, ainsi qu’à un nouvel élargissement du champ d’observation, de la petite région à la région, qui a été par ailleurs l’objet d’étude d’une des composantes du PRASAC. Ainsi, partant d’études à l’échelle de la parcelle pour les chercheurs forestiers et pastoralistes et à celle du au territoire villageois pour les thésards en géographie, mon principal appui à leurs recherches a consisté à les pousser à des changements d’échelle pour mieux comprendre ce qu’ils observaient au niveau local. J’ai ainsi décliné un premier principe d’appui à la recherche, basé sur une des

28Le terme de “brousse” peut paraître vague et inapproprié. Je retiens pourtant ce mot utilisé par les villageois

pour désigner les espaces non habités et non cultivés de leurs territoires et au-delà. Il correspond aux espaces de jachères longue durée et aux savanes.

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bases de la géographie : promouvoir le changement d’échelle pour mieux comprendre ce que l’on observe en un lieu.

Un deuxième principe, hérité de mon travail de thèse, est de contraindre le jeune chercheur à ne pas s’arrêter aux structures et organisations observées, mais à approfondir l’analyse de “ce qui bouge” : c’est en effet en observant et en analysant les évolutions du territoire et des ressources que l’on comprend mieux les processus qui génèrent ces évolutions, ainsi que le fonctionnement d’un système territorial, avec ses éventuelles bifurcations. J’essaie donc autant que faire se peut de faire travailler les chercheurs dans une perspective dynamique, un recul historique de 5 à 10 ans ou plus sur les processus observés me semblant un minimum nécessaire pour comprendre l’évolution de la ressource, de son exploitation et de sa gestion. Cela exclut de fait une analyse diachronique limitée à des levées de terroir répétées 3 années de suite, qui semblent bien utiles pour comprendre les assolements (Mathieu et al., 2003) et les dynamiques foncières, mais ne permet pas de saisir totalement les dynamiques d’évolution des ressources naturelles qui se comprennent sur le temps long. Un travail de thèse sur ces thématiques ne peut donc se contenter des seuls relevés de terrain sur sa durée. Il doit également s’appuyer sur des données secondaires qui lui donnent une perspective dynamique, même quand ces données sont fragmentées ou incertaines et qu’il convient de les croiser pour les consolider, ce que l’on est souvent amené à faire dans les pays du Sud tant les données géographiques manquent.

Ces considérations m’ont conduit à développer un troisième principe d’appui aux recherches, particulièrement adapté aux pays du Sud, qui est de toujours privilégier les méthodes simples d’acquisition et de traitement de l’information, à celles peut-être plus séduisantes, mais souvent plus coûteuses, aléatoires et pas forcément reproductibles dans l’espace et dans le temps. Concrètement, cela signifie qu’avant de lancer un chercheur dans l’aventure d’un traitement d’images satellites ou de la construction d’un SIG, il faut s’assurer que cela répond bien à ses besoins, qu’il a les compétences pour traiter suffisamment d’information sur 1 ou 2 ans pour en sortir des résultats aboutis, et que cette information existe bien, si possible à plusieurs dates, avec une qualité telle que des comparaisons soient possibles. Mon expérience personnelle de thèse ainsi que l’expérience acquise au cours de mes premiers appuis de chercheurs me poussent à être réservé sur l’investissement en un outil si l’on n’a pas au préalable totalement circonscrit le rôle et la place exacts que celui-ci

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doit occuper dans la démarche de recherche. Cette place étant également liée à l’information disponible, il faut s’assurer que toutes les conditions sont réunies pour une utilisation efficace de l’outil.

En parallèle à ce questionnement sur le choix et la place de l’outil, je pousse les chercheurs que j’appuie à travailler sur des méthodes simples d’acquisition d’une information pouvant les renseigner à moindre coût sur les dynamiques des ressources et des territoires. Parmi ces méthodes simples, on peut noter les schémas ou maquettes à dire d’acteurs pour appréhender les représentations qu’ont les acteurs de l’espace et ce qui leur semble être des enjeux territoriaux (Milgram et al., 1976 ; Partoune et al., 2001 ; Paulet, 2002 ; Gautier et al., 2003c) ; les relevés de points GPS pour localiser les pratiques, ou les mouvements spatiaux relativement à une cartographie de référence29, tout en profitant pour avoir des discussions informelles avec le paysan, sur ce que l’on observe in vivo lors de ce relevé afin de rendre certains points plus intelligibles que lors des enquêtes plus formalisées ; la combinaison de cartes à dire d’acteur et de relevés GPS afin de caler ces cartes dans des systèmes géographiques géoréférencés et de pouvoir croiser les différentes sources d’information (Bazile et al., 2004). On peut également noter les indicateurs de pressions anthropiques sur la ressource, qui permettent de caractériser ces pressions mais aussi de replacer les différentes parcelles inventoriées dans une chronoséquence d’exploitation, ce qui permet de construire une trajectoire d’évolution à partir d’une série de stades d’évolution observés à une même date (Gautier et al., 2003b).

On est là dans le domaine de l’inventivité, de l’originalité dont devra faire preuve le chercheur pour tirer le maximum d’informations à partir de méthodes simples et facilement reproductibles, par lui ou par d’autres. Aussi convient-il de stimuler cette inventivité, pourvu qu’elle soit pertinente (ce que l’on ne peut pas toujours savoir a priori) et qu’elle épargne véritablement des traitements plus coûteux en temps, dans lesquels le chercheur peut perdre le fil de sa problématique.

Cette considération sur l’inventivité m’amène, plus largement, à un quatrième principe d’appui à la recherche qui est de trouver un bon équilibre entre (1) ce qui est susceptible de

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Le relevé GPS des lieux d’importance parcourus par les usagers des ressources et leur report sur un fond de carte devrait être un geste élémentaire du chercheur en géographie. Tant en terme technique que financier, c’est désormais une pratique très accessible. Et il n’y a plus aucune bonne raison de se priver de ce premier brouillon permettant de déchiffrer l’organisation et les dynamiques de l’espace.

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rassurer le chercheur et de lui donner le sentiment d’accumulation et de progression, et (2) ce qui nécessite de lui davantage de réflexion, d’originalité, de tentatives, en somme tout ce qui rendra son travail personnel et éventuellement novateur. Cet équilibre s’applique aux méthodes et aux outils, entre ceux qui sont relativement simples et éprouvés et d’autres qu’il faut élaborer et mettre au point, comme cela a été discuté dans le cas des voyages d’étude de l’ENGREF mais aussi des thèses que je co-encadre.

Cet équilibre s’applique aussi aux concepts et aux théories mobilisées. Après avoir laissé le chercheur à la découverte du système territorial et de son fonctionnement, on peut l’orienter assez vite vers une question qui se rapporte à une théorie dont on sait qu’elle s’applique bien aux dynamiques du territoire étudié ; ou bien, autre option si on sent qu’il en a la volonté et la capacité, on peut le laisser poursuivre cette découverte jusqu’à ce qu’il trouve sa propre voie, cette voie pouvant être un angle d’approche insolite du système, la confrontation de deux théories, l’association de deux écoles de pensée en une même démarche, etc… Concernant les concepts mobilisés, on peut l’orienter au départ vers une étude classique de l’espace chorotaxique (Cauvin, 1999), sur la base de cartes et de SIG, puis lui proposer, selon son désir, de travailler sur les espaces vécus ou même cognitifs, selon un équilibre qu’il lui faudra trouver.

Il me semble de fait important d’évaluer régulièrement où en est cet équilibre entre les méthodes de recherche éprouvées et celles plus novatrices mais risquées. Il faut veiller à ce que le chercheur ne passe pas trop de temps à accumuler des données avec des méthodes éprouvées sans trop savoir ce qu’il va en faire, et a contrario, qu’il ne se lance pas dans une démarche trop ambitieuse qui risque de le laisser sans résultats tangibles au bout du temps habituel de thèse.