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3. Champs de recherche

3.2. Quelles méthodes et quels outils pour quelles problématiques de gestion du

L’appui conceptuel, méthodologique et instrumental à la gestion durable d’un territoire nécessite de :

(1) bien identifier les questions que soulèvent la gestion d’un territoire rural donné ; cette étape pourrait sembler d’une banalité sans nom, si ce n’est que l’on sait désormais -notamment grâce aux travaux de Jean-Pierre Olivier de Sardan et de ses collaborateurs (Olivier De Sardan, 1995 ; Bierschenk et al., 2000)- que les discours des acteurs de cette gestion doivent être passés au filtre à la fois de leurs ambitions personnelles ou collectives, ainsi que des discours dominants qu’ils ont entendus ; identifier « les » bonnes questions de gestion durable prend donc de ce fait du temps et il est nécessaire de prendre ce temps car il s’agit là d’une étape clé du processus ; (2) afin de répondre à ce questionnement, faire le choix de la meilleure combinaison de

méthodes et outils possible, en lien avec les représentations et savoirs des acteurs qui interviennent dans la gestion territoriale ; il est important de s'autoriser à changer de questionnement si l’étape (1) n’a pas été bien réalisée, ou encore à le dépasser de sorte que de nouvelles perspectives de gestion puissent être mises en débat ;

(3) mettre en œuvre cet ensemble de méthodes, relevant notamment de l’analyse et de la modélisation spatiale, pour identifier et caractériser les processus en jeu ;

(4) enfin, formaliser les règles de fonctionnement du territoire, afin de pouvoir simuler des scenarii de dynamiques territoriales qui puissent être discutées par les acteurs de la gestion territoriale, soit par des modèles type SMA comme nous l’avons entrepris dans le cadre du projet LUPIS dans le Delta intérieur du Niger à Niono, soit par des jeux de rôle comme nous l’avons fait pour faciliter la concertation entre acteurs de la filière bois autour de Bamako (Gazull et al., 2010).

Cette démarche nécessite donc d’une part de coller au plus près des logiques territoriales et des stratégies et pratiques des acteurs de la gestion, sans quoi l’analyse des dynamiques territoriales pourrait conduire à proposer des actions de gestion qui ne soient pas durables. Il y a ainsi nécessité de travailler sur des méthodes d’explicitation des savoirs et pratiques

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des acteurs en matière de gestion territoriale, et cela tout au long de la démarche qui peut aller de l’observation, parfois participante, à la co-construction de modèles prospectifs en passant par des interviews ou des exercices de représentations spatiales.

Cette démarche nécessite également d’avoir une bonne connaissance des méthodes et outils de l’analyse spatiale, afin de pouvoir simuler ce que les acteurs proposent, individuellement ou après une négociation collective, avec des codes de communication textuels, graphiques ou symboliques qui leur soient familiers et permettre un dialogue : quelles sont les possibilités et les limites des différents outils de l’analyse spatiale ? Quels éléments peuvent-ils apporter à l’analyse et à la négociation et comment ces éléments s’articulent-ils avec les analyses des systèmes socio-économiques ? Comment enfin ces éléments sont-ils en lien avec les savoirs des intervenants de la gestion territoriale ?

Cette question de l’évaluation des outils de l’analyse spatiale a été au centre des travaux de l’axe du GdR CASSINI sur la formalisation de l’information spatio-temporelle, auxquels j’ai participé (Andrew et al., 2000). Elle m’a permis d’appréhender tout l’intérêt de l’outil SIG pour observer et quantifier les dynamiques spatiales, mais aussi toute la rigidité de cet outil dans lequel il est finalement facile de s’enfermer dans des normes d’analyses et de représentations spatiales qu’il est difficile après coup de partager avec les acteurs du territoire, comme je l’ai appris à mes dépends au cours de ma thèse en Cévennes.

Fort de cette expérience et de celle, parallèle, de mon collègue Laurent Gazull qui a un itinéraire tout à fait identique au mien (ingénieur agronome, géomaticien, puis géographe social), nous avons décidé de travailler, en amont, sur la conception même d’un SIG en partenariat étroit avec tous les acteurs de la filière bois de Bamako, ces acteurs ayant en partage l’ambition de pérenniser l’approvisionnement en bois de la ville, même si leurs intérêts et leurs difficultés propres rendent difficile ce partage. Dans le cadre du projet de recherche SICOGER (Conception et utilisation de Systèmes d’Informations pour faciliter la

Coordination entre des Organisations Gérant une Ressource commune) financé par le CIRAD

(2005-2008), nous sommes partis du constat suivant, issu de nos travaux sur les filières bois et charbon (Gazull et al., 2006) : la gestion durable passe par une meilleure répartition spatiale des coupes (afin de diminuer localement la pression sur la ressource et ainsi améliorer son renouvellement) et une meilleure équité sociale au sein de la filière (afin de partager équitablement les revenus du bois, les charges et les décisions).

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Sur la base de ce constat, nous avons considéré que le devenir de la filière et la durabilité de la ressource passent par un meilleur dialogue et une meilleure coordination entre tous les acteurs de l’approvisionnement en bois-énergie, y compris l’administration forestière qui tente depuis quelques années d’organiser la profession. Nous avons émis l’hypothèse qu’un Système d’Information (SI) environnemental et géographique pouvait être un bon objet intermédiaire pour faciliter la mise en œuvre de cette coordination (Vinck, 1999), à condition qu’il soit co-conçu et mis en œuvre et piloté par l’ensemble des acteurs de la filière (d'Aquino et al., 2002). Pour co-concevoir ce SI, nous avons étudié la manière dont l’administration forestière construit et gère habituellement l’information nécessaire pour piloter la filière ; puis nous avons organisé des ateliers pour identifier les informations dont souhaitaient disposer les acteurs de la profession, et, parmi celles-ci, celles qu’ils souhaitaient partager avec les autres dans un SI collectif et celles qu’ils souhaitent garder pour eux. Nous avons ainsi abouti à ce qui pourrait être l’architecture d’un SI coopératif, ouvert à tous les acteurs de la filière. Cette proposition est cependant restée en état, l’administration centrale préférant sans doute garder le contrôle de l’information sur la filière et/ou n’estimant pas les acteurs ruraux capables de participer à cet outil de pilotage de la filière.

La question des représentations spatiales pour la gestion territoriale a quant à elle été débattue au cours d’une école-chercheur co-organisée par l’INRA, le CEMAGREF et l’ENGREF en 1999 à laquelle j’ai assistée (Gautier, 2001a) et qui a permis de faire un premier bilan des méthodes utilisées (Lardon et al., 2001). Cette question des représentations, qui est essentielle au dialogue entre les acteurs du territoire, a également été abordée dans un livre édité par Bernard Debarbieux et Martin Vanier en 2002 qui part du constat, que je partage, que « de nouvelles territorialités se dessinent que nous ne savons pas encore… dessiner », les modes traditionnels de représentation, dans tous les sens du terme, y compris politique, ayant du mal à appréhender ces nouvelles territorialités vécues dans leur dynamisme (Debarbieux et al., 2002). Des progrès restent à accomplir sur ce plan, notamment dans les régions du monde qui ne partagent pas nos représentations occidentales de l’espace. C’est un vaste chantier que j’ouvre de loin en loin au cours de mes recherches au service du développement durable en Afrique mais qui mériterait un investissement plus conséquent

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ou de solides collaborations avec des cogniticiens de l’espace et avec des spécialistes de la modélisation d’accompagnement.

Figure 14 : Comparaison d’un schéma d’organisation de l’espace à dires d’acteurs avec une représentation SIG de l’occupation du sol dans le cas du territoire villageois de Mowo au Nord Cameroun (source : Denis Gautier, non publié)

La thèse de Sarah Audouin sur les questions de prospective territoriale dans le contexte soudanien de crise cotonnière et d’émergence des agrocarburants, thèse dirigée par Bernard Tallet de l’Université Paris I – Panthéon La Sorbonne, et dont je suis co-encadrant, devrait permettre d’avancer sur ces questions de représentations territoriales.

Enfin, l’utilisation de la simulation a pour objectif d’intégrer les stratégies d’acteurs dans la modélisation et de voir comment elles se combinent aux processus spatiaux révélés par l’analyse spatiale pour former de nouveaux territoires. Mes collaborations sur ce thème tant avec les micro-modélisateurs suédois, qu’avec l’équipe du CIRAD travaillant sur la Simulation Multi-Agents, conduisent à simuler des dynamiques territoriales en introduisant des règles de comportement au niveau de l’individu ou du groupe d’usagers.

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Si ces méthodes permettent l’intégration du jeu des acteurs dans le modèle, elles posent toutefois la question du contrôle des processus qui interagissent dans le modèle et en particulier, le problème de la gestion des changements de niveau et des phénomènes aléatoires : en quoi des processus modélisés au niveau d’entités élémentaires sont-ils pertinents pour simuler, par agrégation, des processus observés au niveau supérieur et en quoi permettent-ils de simuler l’émergence de processus ?

Ces méthodes posent aussi la question des entités spatiales modélisées. Faut-il partir de la vision la plus classique des représentations de l’espace, à savoir la carte basée sur une métrique euclidienne, et chercher ensuite à l’adapter aux représentations des sociétés locales, afin de faciliter le dialogue avec elles et faire en sorte d’accroitre leur participation à la construction d’un projet territorial ? Ou faut-il au contraire démarrer le processus d’accompagnement du projet territorial sur un mode très ouvert de représentations de l’espace, qu’il reviendra ensuite au chercheur de formaliser sous une forme qui permette à la fois un dialogue entre chercheurs et acteurs de terrain et une mise en débat entre acteurs ayant en partage la gestion d’un territoire ?

Il s’agit de poursuivre cet effort de recherche sur les démarches d’accompagnement pour aller dans le sens d’une plus grande intégration des logiques d’acteurs dans les modèles de simulation sous la forme de pratiques liées à des savoirs, des techniques, des stratégies et à des visions du monde. C’est ce qui a été entrepris dans le cadre de l’ADD ComMod sur la modélisation d’accompagnement des projets visant une gestion plus concertée des ressources naturelles (leader Michel Etienne, INRA) (ComMod, 2005 ; Etienne, 2010), ANR à laquelle je participais et qui se prolonge par des discussions au sein d’un réseau ComMod dont je suis membre.

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4. Bilan critique de l’itinéraire de recherche