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4. Bilan critique de l’itinéraire de recherche pour une projection dans l’avenir

4.3. Dimension pluridisciplinaire de l’itinéraire

La question de l’interaction entre disciplines scientifiques est au cœur des problématiques d’interface entre Nature et Société et des recherches sur la gestion durable de l’environnement. La plupart des chercheurs et des développeurs qui travaillent dans cette interface sont formés à une seule discipline (agronomie, écologie, économie, sociologie, géographie, etc…). Cependant, certains problèmes complexes comme ceux liés à l’environnement, à son exploitation et à sa gestion durable échappent au domaine d’une seule discipline. Une situation complexe nécessite en effet de la part des chercheurs qu’ils aient une vision globale du contexte, c’est-à-dire, de considérer tous les facteurs impliqués dans le problème qu’ils traitent, mais aussi d’insérer ce problème dans un cadre plus large. Les problèmes complexes ne peuvent ainsi être étudiés et résolus que grâce à la coopération entre personnes de compétences propres à plusieurs disciplines, que l’on appellera en première approximation “interdisciplinarité”. Cette coopération permet une meilleure compréhension des problèmes, ainsi qu’une meilleure compréhension des autres disciplines et de la sienne.

C’est dans cette perspective que j’ai souhaité compléter ma formation initiale d’ingénieur agronome spécialisé en foresterie tropicale par une solide formation en géographie sociale. Ma formation initiale me donnait les bases pour analyser les systèmes productifs à base de ressources naturelles renouvelables et leurs pratiques de gestion, mais ne me permettait ni de comprendre les interactions de ces pratiques dans l’espace et dans le temps (qui sont pourtant cruciales à saisir pour analyser la viabilité d’un système de gestion) ni les effets d’échelle entre les niveaux géographiques. La formation en géographie sociale m’a permis de combler ces lacunes. Si elle ne m’a pas permis de couvrir l’interpénétration nature/société dans toutes ses dimensions, elle m’a donné un nouvel angle d’attaque et offert un nouveau média, l’espace, qui est particulièrement adapté pour révéler certains aspects importants de la relation Humains/Environnement, comme par exemple les processus de territorialisation qui sont en partie dépendants des systèmes productifs, mais

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également des droits d’accès et d’usage des ressources, eux-mêmes résultants, à l’échelle locale, de l’ajustement entre des registres de normes de différents niveaux d’échelle.

Avant de développer le cheminement qui m’a conduit à construire des interactions entre disciplines scientifiques pour étudier les problématiques liées à la gestion des ressources naturelles et de l’environnement, il est toutefois nécessaire de définir les termes relatifs à ces interactions et avant tout celui de discipline.

Selon la définition qu’en donne Edgar Morin, le concept de “discipline” scientifique renvoie à « une catégorie organisationnelle au sein de la connaissance scientifique ; elle y institue la division et la spécialisation du travail et elle répond à la diversité des domaines que recouvrent les sciences. Bien qu'englobée dans un ensemble scientifique plus vaste, une discipline tend naturellement à l'autonomie, par la délimitation de ses frontières, le langage qu'elle se constitue, les techniques qu'elle est amenée à élaborer ou à utiliser, et éventuellement par les théories qui lui sont propres » (Morin, 1994). Cet auteur souligne combien cette délimitation a permis de passer d’une phase dite « classique » où « tout le

monde pensait sur tout », sachant que le savoir universel a été de plus en plus difficile à

acquérir au fur et à mesure de l’avancée des connaissances scientifiques, à une phase dite de « modernité » de la recherche scientifique.

Selon cette définition, on peut ainsi considéré que chaque discipline correspond à un “modèle conceptuel” spécifique et que des chercheurs appartenant à plusieurs disciplines auront des savoirs et des valeurs différents. Ces valeurs vont se refléter dans l’importance accordée aux différents types de données (opposant souvent numérique / quantitatif / scientifique à descriptif / qualitatif / informel), et ce que sont en règle générale des preuves valides ou fiables.

Il y a cependant un risque à la délimitation du champ de connaissance dans une logique disciplinaire qui est celui de l’hyperspécialisation et de la “chosification” de l’objet étudié qui est un “modèle conceptuel”, donc un construit. La frontière disciplinaire, son langage et ses concepts propres peuvent isoler une discipline par rapport aux autres et par rapport aux problèmes qui chevauchent les disciplines (Morin, 1994), comme ceux liés à l’environnement.

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Après une phase de constitution et de prolifération des disciplines, l’histoire des sciences a cependant était marquée, du fait de la complexification des objets d’étude et du besoin de convocation de plusieurs disciplines pour traiter des problèmes, par une rupture des frontières disciplinaires, par la circulation des concepts et des méthodes d’une discipline à l’autre et par la formation de complexes où des disciplines vont s’hybrider avant de s’autonomiser, ou bien encore s’agréger entre elles (Morin, 1994).

Ce besoin indispensable d’interaction et de liens entre les disciplines et le travail en commun de collègues de disciplines différentes qui nécessite une compréhension mutuelle des “modèles conceptuels” spécifiques, s'est traduit par l'émergence, vers le milieu du XXème siècle, de la pluridisciplinarité et de l'interdisciplinarité, puis plus tard de la transdisciplinarité. Mais avant d’en arriver à définir ces notions, je voudrais attirer l’attention sur l’importance de faire dialoguer concepts et méthodes dans l’établissement des liens entre disciplines et sur l’importance des échelles d’espace et de temps pour ce faire.

Dans une interaction entre disciplines pour l’étude d’un objet complexe, il s’agit tout à la fois de :

● Mieux comprendre et apprécier l’apport des différentes disciplines et leur contribution possible à l’étude en cours ;

● Mieux comprendre le langage spécifique (le “jargon”) de chaque discipline, afin par exemple de pouvoir mieux communiquer et collaborer avec des collègues ;

● Mieux cerner les différences et similarités entre disciplines et notamment celles liées aux concepts et méthodes mobilisées en fonction de l’objet d’étude.

Parmi ces différences, la question des échelles est particulièrement importante, et la géographie, en tant que discipline, est particulièrement en pointe pour réfléchir à la manière de la traiter dans une perspective de dialogue entre disciplines :

● Echelles spatiales : certains spécialistes travailleront au niveau de la parcelle, comme les phyto-pathologistes, les généticiens ou les écologues, d’autres à l’échelle de l’exploitation comme les micro-économistes, les zootechniciens ou les agronomes, d’autres au niveau régional comme les économistes institutionnels ou filières, les agro-pastoralistes ou les écologues du paysage, d’autres enfin seront amenés à changer d’échelles régulièrement pour comprendre les processus à l’œuvre sur leur

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objet d’étude, comme les géographes ou les agronomes systémiciens (Deffontaines, Blanc-Pamard, etc…).

● Echelles temporelles : Divers temps sont mêlés dans l’espace géographique, ainsi que l’a démontré Fernand Braudel qui a étayé sa thèse de “géo-histoire” dans le cas de la Méditerranée (Braudel, 1949) : le temps long de la « part du milieu » qui « met en cause une histoire quasi immobile *presque hors du temps+, celle de l’homme dans ses rapports avec le milieu qui l’entoure » ; le temps social des « destins collectifs et mouvements d’ensemble », encore appelé temps de la conjoncture où s’étudie, selon « une histoire lentement rythmée *…+, une histoire sociale, celle des groupes et des groupements », les économies, les sociétés, les civilisations et leur démographie qui laissent des traces et des géosymboles (Bonnemaison, 1981) ; et enfin, le temps court, individuel, relatif aux événements, la politique et les hommes, et donc à une « histoire événementielle » « à la dimension non de l’homme, mais de l’individu » qui est aussi une « histoire à « oscillations brèves, rapides, nerveuses ». Le « temps rond » (Pierret et al., 2000), lié aux saisons, des activités humaines et de la végétation, est associé à ce temps court. Chaque point de vue disciplinaire retient des pas de temps estimés pertinents au vu de ses théories et de ses méthodes. Par exemple, le géographe s’intéressera aux rythmes des changements des structures, tandis que l’agronome, aux transformations des façons de produire (Deffontaines et al., 2007). Les anthropologues ou les sociologues, et a fortiori les historiens, étudieront leur objet (même si celui-ci est lié à un événement très ponctuel qui changera le cours de l’histoire18) sur un pas de temps généralement plus long, en s’aidant de sources secondaires (archives, personnes ressources âgées…) que les agronomes, les zootechniciens ou les économistes qui peuvent obtenir des informations de premières mains sur une saison, si celle-ci est bien choisie. Cependant, ces spécialistes auront malgré tout intérêt à travailler sur plusieurs saisons pour éviter les effets conjoncturels des variations de l’environnement et pour comprendre les processus en jeu et les stratégies des sociétés. De même, les économistes et les géographes auront-ils intérêt à travailler en diachronique, en comparant au moins deux dates, pour saisir les dynamiques en cours, et si possible

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A l’instar de Georges Duby qui montre qu'un événement – en l'occurrence la bataille de Bouvines – peut éclairer toute une époque (Duby, 1973)

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plus pour gommer les changements liés à des événements inhabituels. L’échelle temporelle des méthodes utilisées par les disciplines en interaction sur un objet d’étude est ainsi un élément important de ce dialogue.

Figure 15 : Niveaux d’analyse des dynamiques spatio-temporelles des systèmes arborés en région soudano-sahélienne (source : Denis Gautier, non publié)

Pour traiter, de façon pratique, de problèmes aussi complexes que ceux relevant de l’interpénétration nature/sociétés, les notions de pluridisciplinarité et d'interdisciplinarité ont émergé dans la communauté scientifique et universitaire, au cours des années soixante- dix. Parmi les travaux les plus remarquables en France, on peut noter tout le travail entrepris autour de Marcel Jollivet, Nicole Jean, Michel Godron et d’autres, sur le Causse Méjan, et plus largement les travaux réalisés dans le cadre du Programme interdisciplinaire de recherche sur l’environnement (CNRS-PIREN) (Jollivet, 1983 ; Latour et al., 1989 ; Beck et al.,

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1993 ; Barrué-Pastor et al., 2000), dont le livre au titre évocateur : “Sciences de la nature, sciences de la société - Les passeurs de frontière” (Jollivet, 1992) est un des aboutissements. Parmi les travaux les plus notables en Afrique, on peut noter également “l’opération Bafou” en pays Bamiléké, au Cameroun, où une équipe de chercheurs de plusieurs disciplines, rassemblée autour de l’agronome Guy Ducret et appuyée par un agronome systémicien (Philippe Jouve), a travaillé sur les dynamiques des systèmes agraires d’une chefferie (Jouve, 1992).

J’ai eu la chance de pouvoir m’imprégner des résultats de la première expérience citée, grâce aux relations scientifiques que j’ai entretenues avec le professeur Godron de l’Université des sciences de Montpellier, qui avait fait partie de l’aventure interdisciplinaire du Méjan, et d’être totalement partie prenante de la deuxième expérience, au Cameroun, en tant que stagiaire pour mon diplôme d’ingénieur agronome (Gautier, 1989), puis en tant qu’enseignant-chercheur au département de foresterie de l’Université de Dschang. Par la suite, mon implication dans le programme “Châtaigneraie” du Parc National des Cévennes géré par Jean-Paul Chassany, économiste à l’INRA (Chassany et al., 2006), au cours de ma thèse de géographie, puis dans le programme européen Archaeomedes dirigé par un archéologue du CNRS Sander van der Leeuw (van der Leeuw, 1998) au cours de mon post- doctorat (bourse Marie-Curie), et enfin dans le projet PRASAC en Afrique Centrale savanicole (Jamin et al., 2003), m’ont permis de poursuivre mes expériences et mon apprentissage de travail en collaboration avec des chercheurs de disciplines différentes de la mienne.

Comment ai-je tiré profit de ces expériences d’interactions avec d’autres disciplines et comment mon itinéraire de chercheur s’en est-il trouvé modifié ? Pour aller plus avant dans cette analyse, il m’est nécessaire de préciser ce que j’entends par pluri, inter et transdisciplinarité.

La pluridisciplinarité est la rencontre entre chercheurs de disciplines distinctes autour d'un thème commun qu’aucun ne peut étudier par lui-même et où il y a addition des contributions spécifiques, mais où chacun conserve la spécificité de ses concepts et méthodes. L'objet d’étude est ainsi enrichi du croisement de plusieurs disciplines. La connaissance de l'objet dans une discipline particulière est approfondie par un apport pluridisciplinaire fécond. La recherche pluridisciplinaire apporte un plus à la discipline en question, mais ce “plus” est au service exclusif de cette même discipline. Autrement dit, la

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démarche pluridisciplinaire déborde les disciplines mais sa finalité reste inscrite dans le

cadre de la recherche disciplinaire.

Mes expériences de collaborations avec des chercheurs d’autres disciplines que ce soit dans le cadre de “l’opération Bafou” en Pays Bamiléké, du programme Châtaigneraie Cévennes, du projet européen Archaeomedes sur le Causse Méjan, ou du projet PRASAC dans les savanes d’Afrique Centrale relèvent ainsi de la pluridisciplinarité. Mes connaissances, concepts et méthodes de géographe ont été mis au service d’un projet scientifique, celui de mieux comprendre les dynamiques environnementales et sociales à l’œuvre sur un espace donné : des territoires villageois africains ou des communes de l’arrière-pays montpelliérain, des régions en pleine mutation soit du fait de migrations, soit du fait de nouvelles politiques qui changeaient le rapport de l’homme à la nature.

L'interdisciplinarité a quant à elle une ambition différente de celle de la pluridisciplinarité. Elle concerne le transfert des méthodes d'une discipline à l'autre. Elle suppose un dialogue et l'échange de connaissances, d'analyses, de méthodes entre deux ou plusieurs disciplines. Elle implique qu'il y ait des interactions et un enrichissement mutuel entre plusieurs spécialistes. L’objectif de l’interdisciplinarité est de traiter une problématique dans son ensemble, en identifiant et en intégrant toutes les relations entre les différents éléments impliqués. Elle tente de synthétiser et de relier le savoir disciplinaire et de le replacer dans un cadre systémique plus large. L’interdisciplinarité se construit dans l’élaboration des questions de telle sorte qu’elles ne soient pas adressables par des disciplines séparées. Elle se conforte par des concepts et des outils qui soient interdisciplinaires par construction, permettant et organisant le débat entre spécialistes. Dans sa forme la plus aboutie, l’interdisciplinarité peut cependant engendrer de nouvelles disciplines.

Pluridisciplinarité et interdisciplinarité présentent l’avantage de la complémentarité entre disciplines : ce qu’aucune discipline à elle toute seule ne peut expliquer, peut être élucidé par les contributions de plusieurs d’entre elles. En revanche, l’interdisciplinarité apporte de la créativité : les interactions entre disciplines remettent en question les opinions des membres d’une équipe et les mettent dans l’obligation de produire des explications plus originales et des innovations conceptuelles et méthodologiques. La capacité pour les chercheurs d’avoir une image d’ensemble, les aidant à développer une compréhension élargie, leur permet d’adapter leurs propres méthodes de recherche, leurs concepts et leurs

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compétences à des problématiques plus larges. Dès lors, ils peuvent poser un regard nouveau sur les limites et les biais de leur propre discipline et acquérir un savoir plus vaste. Prendre de la distance avec ses méthodes et les comparer avec d’autres permet de mieux comprendre sa propre discipline.

Dans un travail interdisciplinaire, les produits de chaque discipline doivent ainsi être comparables et complémentaires, ce qui pose de fait des questions d’échelle spatiale et temporelle (Muxart et al., 1992). Par exemple, l’échelle à laquelle chaque spécialiste travaille doit permettre à l’équipe de faire la synthèse de toutes les contributions disciplinaires. C’est en particulier ce qu’a essayé de faire l’équipe pluridisciplinaire qui a travaillé sur le Causse Méjan dans les années 1970 en s’interrogeant sur la plus petite entité spatiale permettant de relier processus biophysiques et processus sociaux. C’est également l’ambition de la proposition du concept de “facette” comme entité spatio-écologique socialisée (Blanc- Pamard et al., 1990) (Cf. Partie 2.1.).

Cependant, les unités d’organisation définies par chaque discipline sont fondées sur des rationalités différentes et leur disjonction conceptuelle fait que leur possible superposition spatiale, à une même échelle de grandeur, et leur synchronisme à un même pas de temps, sont peu probables (Deffontaines, 1988 ; Guerrini et al., 1989). Or les produits de chaque discipline doivent aussi être présentés dans un langage compréhensible pour les autres et qui puisse être intégré dans le résultat collectif (Janssen et al., 1996 ; Blanc-Pamard et al., 2005).

Dans le cadre d’un travail interdisciplinaire, les conflits entre visions disciplinaires sont ainsi inévitables voire souhaités, à condition qu’ils restent gérables ; ils sont l’essence même de la recherche interdisciplinaire. La raison d’être de celle-ci est précisément pour une équipe, de trouver un moyen d’intégrer concepts et méthodes, de manière à en utiliser les avantages comparatifs.

L’interdisciplinarité n’est cependant pas forcément un travail d’équipe. Elle peut consister en un savoir maîtrisé par une seule personne dans plus d’une discipline. Ainsi un scientifique peut étudier un problème en exploitant par exemple ses connaissances en agronomie, en économie, en sociologie ou en géographie. Une telle approche de l’interdisciplinarité ne fonctionne cependant que lorsque les questions traitées ne sont pas trop complexes ou que les connaissances spécifiques à acquérir ne sont pas trop difficiles. Comme il est impossible

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d’être un expert dans tous les domaines, cette manière de faire de l’interdisciplinarité est assez limitée. Très modestement, c’est cette voie de « l’interdisciplinarité de proximité » (Bühler et al., 2006) que j’ai choisie en essayant d’intégrer mes connaissances agronomiques et forestières dans mon activité de chercheur en géographie, suivant en cela les traces d’illustres ainés aux premiers rangs desquels Jean-Pierre Deffontaines, inventeur du métier d’agro-géographe (Deffontaines, 1998), lui-même sur les traces de son non moins illustre père sylvo-géographe (Deffontaines, 1932 [1945]), mais aussi de Chantal Blanc-Pamard (Blanc-Pamard et al., 1985) ou Patrick Caron (Caron, 2005), entre autres.

Cette intégration entre mes deux disciplines de formation, la foresterie tropicale et la géographie, n’est pas des plus compliquées : ces disciplines ont en effet en partage de travailler sur l’analyse de processus naturels et sociaux sur des espaces géographiques, ainsi que sur la gestion et l’aménagement de ces espaces.

En revanche, dès lors que l’on s’intéresse aux rapports de pouvoir pour l’accès à ces espaces et l’usage de ces ressources, aux bénéfices économiques, sociaux et culturels tirés de ces espaces et à l’équité de leur distribution, aux relations entre ceux qui préservent, ceux qui exploitent et ceux qui contrôlent, il est nécessaire de faire appel à des concepts et des méthodes d’autres disciplines qui ne sont plus forcément de proximité mais que l’on pourrait qualifier de dédaléenne19, et ce même si on peut comprendre certaines de leurs méthodes et les appliquer sur le terrain. Il est alors nécessaire de travailler avec des chercheurs d’autres disciplines et de trouver ensemble le chemin du dialogue interdisciplinaire, celui qui permettra notamment de résoudre les questions des échelles d’espace et de temps, mais aussi de groupes sociaux que l’on souhaite étudier, en adaptant les méthodes des uns et des autres pour que les disciplines puissent se féconder et innover pour la compréhension de systèmes complexes.

La dernière expérience importante de travail interdisciplinaire qu’il m’a été donné de vivre, au Mali, dans le cas de la gestion des espaces de savane exploités pour approvisionner en bois la ville de Bamako montre toute la difficulté de l’entreprise : les recherches réalisées à la parcelle ou sur des écosystèmes donnés par les écologues avec lesquels je travaillais ne m’ont que peu servi dans la mesure où les bûcherons ne respectent pas les espaces qui leur

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Pratique de l’interdisciplinarité qui consiste à vouloir comprendre comment un objet de recherche peut être questionné par d’autres disciplines (Bühler et al, 2006).

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ont été désignés non plus que les règles d’aménagement. Les résultats qu’ils obtenaient sur la dynamique des écosystèmes de savanes n’étaient donc d’un intérêt que relatif pour moi qui m’intéressais à l’exploitation de ces savanes et à leur contribution à l’atténuation de la vulnérabilité des groupes sociaux qui en vivent. Un important travail interdisciplinaire reste encore à entreprendre pour réussir à faire dialoguer données sur les processus sociaux et