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Ce premier volume retrace mon itinéraire d’une manière que j’ai souhaitée critique, afin de pouvoir jeter les bases de ce qui sera le cadre de mes recherches futures exposées dans le volume 3 de cette HDR. Au terme de ce premier volume, il est bon cependant de s’arrêter un temps à l’ombre d’un caïlcédrat30 le long de ces routes africaines qui m’ont mené du monde des expertises dans le domaine de l’environnement à celui de la géographie sociale.

Pourquoi choisir un caïlcédrat et non pas un neem ou un manguier, qui supplantent désormais le caïlcédrat, voire le karité, dans l’espace domestique des populations soudano- sahéliennes ? C’est que le caïlcédrat est pour moi un peu le symbole d’un dialogue manqué, dans ces régions, entre les politiques publiques en matière d’environnement et le dialogue homme-nature. Le caïlcédrat est un arbre qu’on ne plante plus guère, alors qu’il est techniquement aisé de le planter, qu’il a une croissance étonnamment rapide pour un arbre de ces régions, qu’il produit un bois rouge dense, très apprécié en menuiserie, qu’il fournit du fourrage d’appoint aux bergers en période de soudure (Petit, 2003 ; Gautier et al., 2005b), et que ses graines ont des qualités oléagineuses qui étaient autrefois exploitées pour couvrir les besoins en lipides des populations locales (Seignobos, 1982). Qu’un de ces géants meure aujourd’hui sous l’effet des tempêtes de début de saison des pluies ou des pelleteuses venues élargir une route ou ouvrir un nouveau lotissement, et il est au mieux remplacé par un arbre exotique, à croissance rapide et usage unique, comme si nous étions encore dans l’urgence des années 1970 et 80, dans l’idée qu’il fallait arrêter l’avancée du désert avec des barrières vertes.

Une trentaine d’années après les grandes sécheresses, tout se passe comme si rien n’avait évolué, que les villes n’avaient pas grandi et les besoins en aliments et en bois énergie augmenté, que les plans d’ajustement structurel n’avaient pas rendu les administrations centrales inopérantes pour le contrôle et la gestion des ressources, que les populations rurales ne s’étaient pas affranchies, dans la loi sinon dans les faits, de la tutelle des capitales

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d’Etat. Les programmes de recherche des SNRA31 sont toujours basés sur le progrès technique, l’amélioration variétale, le greffage, etc… sans considération claire pour la tenure des ressources dans l’espace villageois. Les organismes internationaux qui ont perdu la bataille de la révolution verte sont désormais à la recherche du graal d’une révolution « doublement verte » (Griffon, 2006) : l’intensification écologique, les techniques de semis direct sous couverture végétale, etc… A l’ombre du caïlcédrat, j’ai vu l’Afrique bouger ces vingt dernières années sans, me semble-t-il, que les politiques environnementales et les chercheurs l’accompagnent utilement dans ces changements.

Berger Peul de Ouro Djaouro Adamou (Nord Cameroun) émondant un Khaya senegalensis. Le diamètre des branches coupées est faible, la moitié du houppier sera épargnée. Quelques feuilles sont épargnées au sommet de la branche émondée (Photo : Amélie Bonnérat, 2002)

La “femme-caïlcédrat” (photo : Marion Koen, Bobo- Dioulasso, Février 2011)

Figure 18 : Sous les Caïlcédrats…

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Qu’ai-je fais moi-même dans ce concert ? A Mamadou Kouyaté, l’ami forestier malien de toutes mes virées en brousse entre 2003 et 2008, je n’ai su que répondre lorsqu’il m’a conjuré de me demander, au moment de quitter le Mali, ce que je léguerai à ce pays. Recruté comme chercheur au CIRAD, je n’avais pas planté d’arbres ou aménagé de forêts comme mes grands anciens du CIRAD Forêt, précédemment CTFT, parmi lesquels Régis Peltier, Yves Nouvellet, ou encore Pierre Montagne dont on voit encore aujourd’hui les actions en faveur du développement, au Nord Cameroun, au Niger et au Burkina Faso notamment. J’avais certes tenté d’analyser finement les processus d’exploitation, de gestion et de commercialisation des ressources, au niveau local, puis régional, en lien avec les besoins de la ville et les politiques publiques de transfert d’autorités de gestion, elles-mêmes influencées par les bailleurs de fonds et ONG internationaux. Mais que valent ces analyses quand elles restent sans ambition ou possibilité d’influencer les politiques, africaines comme de coopération ?

Projet de barrage vert contre le désert à Hassi Bahbah en Algérie datant des années 1970. Sur les 3 millions d’hectares d’une gigantesque opération qui consistait à planter une bande forestière de 4 à 25 km de large sur 1200 km de long, entre les frontières tunisienne et marocaine, seuls 160.000 hectares furent effectivement boisés entre 1974 et 1981, dont de nombreux secteurs sont aujourd’hui desséchés, ou troués par les coupes illicites de bois (Photo : Yann Arthus-Bertrand)

Projet de Grande Muraille Verte contre la désertification lancé en 2005 par 11 pays africains. Ce projet ambitionne de mettre en place une ceinture de végétation multi -espèces, large de 15 km reliant Dakar à Djibouti sur une longueur d’environ 7000 km et située dans la zone sahélienne à l’isohyète comprise entre 100 et 400mm.

Figure 19 : Le mythe de la grande muraille verte pour lutter contre la désertification à 40 ans d’intervalle

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A l’ombre du caïlcédrat, je me suis assis et j’ai entendu les mêmes mots magiques qui grésillaient à la radio : « grande muraille verte », « arbre miracle », « nouveau coton de l’Afrique » ; une radio certainement vieille de 30 ans et tout juste un peu dépoussiérée par le nouveau siècle. De l’ombre du caïlcédrat, j’ai décidé de sortir, pour parcourir à nouveau la brousse mais aussi les couloirs des administrations, rafraichi, régénéré par une ambition nouvelle : celle de travailler davantage au contact des politiques, pour mieux comprendre leur genèse et leur fonctionnement et mieux cibler les besoins en connaissances de terrain, environnementales et sociales, qui pourraient influencer une construction de ces politiques dans le sens d’un développement durable.

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8. Références bibliographiques citées dans le