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Quelques exemples de l’activité finlandaise

PARTIE II. La Finlande, un médiateur pour la paix

Chapitre 4. L’intérêt croissant de la Finlande dans le domaine de la médiation depuis les

4.2. Quelques exemples de l’activité finlandaise

La guerre en Bosnie prit fin avec l'Accord de paix de Dayton du 21 novembre 1995, négocié sous la direction des États-Unis et signé formellement le 14 décembre 1995 à Paris.121 Un peu plus tard, le 21 décembre 1995, le Conseil de sécurité créa, par sa résolution 1035 (1995)122, l'Équipe spéciale de police internationale des Nations Unies et un bureau civil des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine. Cela fut fait conformément à l'Accord de paix signé par les dirigeants de la Bosnie-Herzégovine, de la Croatie et de la République fédérale de Yougoslavie le 14 décembre 1995. L'opération prit le nom de Mission des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine (MINUBH). Le Conseil de sécurité renouvela le mandat de la MINUBH à plusieurs reprises. C'est dans ce contexte que le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, nomma Elisabeth Rehn, ancienne ministre finlandaise et membre du parlement, Représentante spéciale et Coordonnatrice des opérations des Nations Unies en Bosnie-Herzégovine. Rehn commença cette mission le 16 janvier 1998, ayant terminé la veille ses fonctions en tant que Rapporteuse spéciale des Nations Unies pour la situation des droits de l'Homme en Bosnie-Herzégovine, en République de Croatie et en République fédérale de Yougoslavie, mission qu’elle avait occupée depuis le 27 septembre 1995.123

Pendant ses missions, Rehn était en contact étroit avec les différentes parties. Et lors son mandat en tant que Représentante spéciale, elle servit aussi de médiateur. Dans son interview, à la fin de 2017, elle se souvient de ses expériences dans les Balkans et raconte que le fait qu’elle était une ancienne ministre de la Défense avait relevé l’appréciation qu’on avait d’elle : de nombreux interlocuteurs, pas moins que des criminels de guerre, jugeaient spécial que le rôle de ministre de la Défense puisse être attribué à une femme. Rehn souligne qu'il était essentiel d'établir des relations de confiance, de rencontrer les gens dans leur propre environnement quotidien, de parler avec eux. Elle raconte aussi qu’elle avait reçu une formation par la police en Finlande en vue des situations potentiellement menaçantes. Une des leçons tirées avait été qu’il ne faut jamais perdre son sang-froid et qu’il faut s’asseoir toujours

121 Voir par exemple Erlanger 1996, The Dayton Accords: A Status Report. NY Times on the Web. https://archive.nytimes.com/www.nytimes.com/specials/bosnia/context/dayton.html (consulté le 19 mai 2018)

122 Résolution 1035 (1995) adoptée par le Conseil de sécurité sur la situation en République de Bosnie-Herzégovine le 21 décembre 1995

123 Le rapport final (E/CN.4/1998/63) de la Rapporteuse spéciale est consultable en ligne :

plus haut que l’autre partie.124 Dans son ensemble, le rôle de Rehn peut être considéré comme une extension assez traditionnelle et directe de la politique de neutralité antérieure de la Finlande. Dans le même temps, Rehn était, en tant que femme, une pionnière importante dans la médiation pour la paix – une priorité actuelle de la Finlande.

Le rôle des femmes dans les missions internationales et dans la diplomatie finlandaise n'a pas toujours été aussi visible qu'aujourd'hui, maintenant que la moitié des ambassadeurs finlandais sont des femmes.125 Bien que l'égalité en Finlande ait de longues traditions et que, par exemple, les premières femmes parlementaires du monde aient été élues en Finlande en 1907126, les premières femmes admises dans la carrière diplomatique ne l’ont été qu'à partir de 1950.127 Tyyne Leivo-Larsson, nommée ambassadrice à Oslo en 1958, n'était pourtant pas une diplomate mais une politicienne dont la nomination avait été reçue avec une hostilité ouverte au ministère des Affaires étrangères.128 Il fallut attendre les années 1970 pour que les premières diplomates soient nommées ambassadrices : les premières furent Riitta Örö, nommée à New Delhi en octobre 1974 et Eeva-Kristiina Forsman, nommée en novembre 1975 à Belgrade.

En politique, les femmes finlandaises sont actives depuis le début du XXe siècle et elles ont commencé à gagner de plus en plus de postes de haut rang à partir de 1990. Elisabeth Rehn en fournit un bon exemple. Rehn a été la première femme au monde à occuper le poste de ministre de la Défense à temps plein.129 Nous pouvons encore noter que la loi sur l'égalité entre les femmes et les hommes date de l’an 1986 et est entrée en vigueur en 1987. La loi a interdit la discrimination fondée sur le sexe et soutient l'égalité entre les hommes et les femmes dans la vie professionnelle. La participation politique des femmes est également indiquée par l'élection de Tarja Halonen en tant que présidente en 2000.130 En 2017, elle a été

124 https://www.mtv.fi/uutiset/kotimaa/artikkeli/ihmisoikeustarkkailijana-toiminut-elisabeth-rehn-naki- joukkohaudat-ja-sodan-kauhut-bosnian-teurastajan-tuomionluku-oli-kuin-kiertomatka-surullisiin-muistoihin/6670500#gs.f02uhJ4 (publié le 25 novembre 2017, consulté le 19 mai 2018)

125 Voir l’article de Helsingin Sanomat, publié le 13.2.2016 : https://www.hs.fi/ulkomaat/art-2000002885907.html

126 Il s’agit du premier Parlement, élu en 1907 pendant l’autonomie. Le parlement de 1907 comptait 19 femmes. L'une d'entre elles était Miina Sillanpää, devenue plus tard, en 1926, la première femme ministre.

127 http://www.formin.fi/public/default.aspx?contentid=41376&contentlan=1 (Femmes et la carrière diplomatique, ma traduction)

128 Voir l’article sur Leivo-Larsson dans le livre publié en l'honneur du 85e anniversaire du ministère des Affaires étrangères : Friberg 2003, p. 468-497. Elle faisait aussi de la diplomatie publique et, entre autres choses, construisit un sauna en liaison avec l’ambassade à Oslo.

129 Sur le site Web du gouvernement, toutes les 88 femmes ministres pendant l'indépendance sont présentées. Voir : http://valtioneuvosto.fi/hallitukset. Elisabeth Rehn a servi comme la ministre de Défense du 13 juin 1990 au 1er janvier 1995.

130 Elle a également été élue pour un mandat prolongé. Elle a donc servi comme présidente du 1er mars 2000 au 1er mars 2012.

nommée membre du Conseil consultatif de haut niveau du Secrétaire général des Nations Unies sur la médiation. Cette nomination peut être considérée comme une reconnaissance du rôle de la Finlande en tant que médiateur pour la paix. Le conseil est basé sur une initiative d'intensification de la médiation, faite par le secrétaire général de l'ONU, M. António Guterres.131

Prenons un autre exemple de médiation des années 1990 : la médiation qui a mené à la signature de l'accord du Vendredi saint le 10 avril 1998, mettant fin à la période de trente années troublées en Irlande du Nord. L'ancien sénateur américain George Mitchell a présidé le processus de médiation où ses co-présidents étaient le général canadien John de Chastelain et l'ancien premier ministre finlandais Harri Holkeri.132 Selon Hancock, il est évident que les stratégies utilisées par les médiateurs ont été déterminantes pour obtenir le consentement des parties afin de conclure un accord.133 Il est donc intéressant de se pencher sur ce qu’a dit Holkeri lui-même en parlant de son rôle et de cette médiation historique. Dans le cadre d’un séminaire134 organisé pour le dixième anniversaire de l'accord du Vendredi saint, Holkeri a cité quelques raisons qui pouvaient, selon lui, expliquer pourquoi il a été appelé à rejoindre l’équipe des médiateurs en novembre 1995.135 Comme nous le savons, le processus de paix avait déjà commencé plus tôt.

Holkeri pensait que les raisons historiques étaient importantes – en effet il a mis l’accent sur plusieurs événements que nous avons traités également dans ce mémoire. Il a constaté que les efforts de réconciliation de la Finlande ont valu aux Finlandais une réputation de défenseurs des principes démocratiques et des droits des citoyens sur la scène internationale. Or, le parcours que le peuple finlandais a fait depuis son indépendance est aussi symboliquement très important. M. Holkeri a fait référence aux profondes divisions idéologiques et à la guerre civile en 1918 et aux guerres sur le sol finlandais. Il a souligné que les Finlandais ont dû apprendre à concilier leurs différences par des moyens politiques simplement pour survivre en tant que nation.

131 Voir le communiqué de presse publié par le ministère des Affaires étrangères le 16 septembre : 2017.http://formin.finland.fi/public/default.aspx?contentid=366441&nodeid=15146&contentlan=2&culture=en-US

132 Harri Holkeri (6.1.1937-7.8.2011) était un homme politique qui servit comme premier ministre en 1987-1991. Après la carrière en Finlande, il a reçut un nombre de tâches importantes surtout au sein de l’ONU.

133 Hancock 2008, p. 216.

134 "Lessons Learned in the Northern Ireland Peace Process", le 9 avril 2008, Helsinki.

135 Voir le discours de M. Holkeri :

Certains autres éléments clés ont également été mentionnés par M. Holkeri : celui que l’État finlandais a deux langues officielles, le finnois et le suédois, et la nation a réussi à surmonter une grande partie de différences linguistiques. Dans le contexte de l'Irlande du Nord, il a aussi été intéressant de noter que depuis longtemps, deux églises ont un statut spécial en Finlande : l'église luthérienne et l'église orthodoxe.136 M. Holkeri a également parlé du statut des îles d’Åland, réglé par la convention faite à Genève en octobre 1921 et confirmant la démilitarisation et la neutralisation de l’archipel. Il a mis l’accent sur la nécessité de protéger les droits des minorités et la diversité. Toutes ces raisons étaient selon M. Holkeri parmi les raisons pour lesquelles lui en tant que Finlandais avait été choisi pour participer aux négociations sur l'Irlande du Nord.

Dans son discours, M. Holkeri a aussi examiné les principes qu’un médiateur devrait appliquer, en introduisant dix commandements pour les négociateurs. Le principe le plus important est la confiance. Aucun processus de paix ne peut réussir sans instaurer un certain degré de confiance, mais le plus souvent cela prend beaucoup de temps. Par conséquent, les petites étapes dans la bonne direction sont importantes, comme amener les parties au conflit à s'asseoir ensemble dans la même pièce. Deuxièmement, il est impératif que chaque partie comprenne les besoins de l'autre partie, puisque des résultats durables ne sont possibles que si les intérêts des deux parties sont respectés. Selon M. Holkeri, la loi de la réconciliation dit qu'une partie ne peut atteindre ses objectifs que si les besoins de l'autre partie ont été compris. Troisièmement, les médiateurs doivent rester absolument impartiaux à tout moment.137 M. Holkeri a aussi souligné la capacité des négociateurs d’être véritablement en mesure de livrer tout ce qu'ils ont engagé – il s’agit de la crédibilité de chaque côté – ainsi que le rôle central de la patience. De plus, il est évident qu'il ne peut y avoir de négociations de paix à moins qu'un cessez-le-feu inconditionnel n’entre en vigueur ; la violence ne fait qu'accroître la violence. Holkeri a également souligné que les désarmements forcés durent rarement et, plutôt, le médiateur devrait chercher le changement de mentalités.138 En même temps, il a rappelé que les solutions politique ne sont pas permanentes. Et enfin, le médiateur est un être humain, que ce soit le chagrin ou la joie que l'on ressent. Montrer de l'émotion ou de l'esprit

136 L'église évangélique luthérienne et l'église orthodoxe sont toutes les deux régies par leurs propres lois et ont le droit de faire payer leurs membres pour l'impôt ecclésiastique.

137 Cependant, il existe différentes interprétations de l'impartialité et sa place. Par exemple M. Ahtisaari a rapporté qu’il peut rejeter les suggestions irréalistes et tient à ce que le médiateur voit où vont les négociations. Il préfère souligner le rôle du médiateur en tant que médiateur honnête (honest broker). Dieckhoff 2012, p. 92-94.

n'est pas exclu dans les situations de la médiation. La contribution significative de M. Holkeri au processus de paix en Irlande du Nord peut être considérée comme faisant partie de la même continuité d'impartialité que le président Kekkonen avait décrit comme le rôle d'un médecin plutôt que celui d'un juge.

Un autre effort finlandais pour la région des Balkans pendant les années 1990 et 2000 est lié au Kosovo. Martti Ahtisaari, désormais le médiateur finlandais le plus célèbre, a d’abord été le Président du groupe de travail de la Conférence internationale sur l’ex-Yougoslavie et le représentant spécial du secrétaire général de l’ONU en ex-Yougoslavie en 1992-1993 et puis en 1999 le médiateur de l’UE pour l’ex-Yougoslavie.139 Plus récemment, en octobre 2005, le Conseil de sécurité de l'ONU l’a nommé au poste de Représentant spécial des Nations unies pour les pourparlers sur le statut du Kosovo. Dans ce cas difficile, sa légitimité en tant que médiateur ainsi que son impartialité ont été mises en question par les Serbes qui le voyaient prendre la partie des Kosovars.140

Comme nous le savons, la position serbe est qu'il ne quittera jamais le Kosovo. La Serbie a même adopté en octobre 2006 une nouvelle constitution selon laquelle le Kosovo fait partie intégrante de la Serbie. C’est en avril 2007 que M. Ahtisaari a proposé au Kosovo une indépendance contrôlée par l'UE. Quelques mois plus tard, en juin 2007, la Russie a déclaré son intention de renverser la proposition d'Ahtisaari au Conseil de sécurité de l'ONU. Pourtant, les Etats-Unis ont exigé que le Kosovo soit indépendant, malgré l'opposition de la Russie et de la Serbie. En août 2007 les représentants des États-Unis, de l'UE et de la Russie ont entamé de nouvelles négociations sur le statut du Kosovo, mais en décembre les négociations se sont terminées dans une impasse. Les pays occidentaux ont cependant déclaré leur intention de continuer à mettre en œuvre le plan d'Ahtisaari et le Kosovo a publié une déclaration unilatérale d'indépendance en février 2008. 141

Ces trois exemples montrent l'activité de la Finlande et son soutien aux organisations internationales dans le domaine de la médiation pour la paix. En même temps, dans les années

139 Un résumé de la carrière d'Ahtisaari se trouve, par exemple, dans l'article du Monde, paru pour marquer son prix Nobel de la paix en 2008 : https://www.lemonde.fr/international/article/2008/10/11/martti-ahtisaari-infatigable-mediateur-de-la-paix_1105738_3210.html. Il a aussi servi comme le président de la Finlande du 1er

mars 1994 au 1er mars 2000. (consulté le 9 juin 2018)

140 Voir Dieckhoff 2012, p. 71-76, sur ces questions.

141 Plusieurs chronologies du Kosovo peuvent être consultées en ligne, en français par exemple : https://www.nouvelobs.com/monde/20080216.OBS0828/chronologie-du-kosovo.html et en finnois : https://suomenkuvalehti.fi/jutut/ulkomaat/kosovon-pitka-tie-itsenaisyyteen/?shared=11124-44085deb-1.

1990 et dans une certaine mesure aussi au début du XXIe siècle, les activités finlandaises peuvent être considérées comme ayant la nature d'activités ad hoc.142Or, la participation de la Finlande aux efforts de paix au Kosovo peut être envisagée dans la perspective plus large de l'après-guerre froide. Dans un sens, cela reflète le fait que la Finlande avait déjà abandonné sa neutralité rigide et qu’il n’y avait pas de problème pour l'ancien président du pays d'accepter la tâche du médiateur dans un conflit rampant, divisant nettement les anciennes superpuissances.