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Le positionnement nouveau de la Finlande et la médiation pour la paix

PARTIE II. La Finlande, un médiateur pour la paix

Chapitre 5. L’usage actuel que la Finlande fait de cette tradition

5.1. Le positionnement nouveau de la Finlande et la médiation pour la paix

La fin de la guerre froide et l'intégration européenne de la Finlande se sont naturellement reflétées dans les documents de stratégie du gouvernement. En été 1995, le Rapport du Gouvernement au Parlement sur les lignes directrices pour la politique de sécurité finlandaise constate que le statut international de la Finlande a changé après la guerre froide mais que « la Finlande promeut la stabilité de l'Europe du Nord en restant à l'écart des alliances militaires

et en maintenant une défense indépendante crédible. »143 Le rapport indique que la

coopération nordique et l'adhésion à l'Union européenne font partie de l'identité internationale de la Finlande et mentionne aussi la coopération avec l'OTAN dans la gestion de crises. De plus, le rapport souligne que les valeurs, les expériences et ce que la Finlande a réalisé sur la scène internationale ont créé une ligne politique à continuer.144

La ligne de base du non-alignement militaire décrite ci-dessus n'a toujours pas changé même si, depuis 2004, le texte a pris une forme plus active, indiquant que la Finlande n’est pas seulement un partenaire de l'OTAN mais qu’elle a la possibilité de demander à devenir membre de l'OTAN. Selon le rapport le plus récent sur la politique étrangère et de sécurité, datant de 2016, « La Finlande maintient la possibilité de poser sa candidature à l'OTAN, en

suivant de près l'évolution de son environnement de sécurité. » 145 La sortie d'une neutralité

prudente apparait clairement, mais d'autre part, des éléments familiers se retrouvent dans la

143 Rapport du Gouvernement au Parlement sur les lignes directrices pour la politique de sécurité finlandaise le 6 juin 1995, p. 5. Traduction personnelle. Voir : http://www.defmin.fi/files/246/2513_2143_selonteko95_1_.pdf

144 Ibid, p. 4-6.

145 Rapport du gouvernement au Parlement sur la politique étrangère et de sécurité le 17 juin 2016, p. 26. Traduction personnelle. Le rapport spécifie encore que la coopération avec l'OTAN tient compte du fait qu’elle n'inclut pas les garanties ou obligations de sécurité au titre de l'article 5 du Traité de l’OTAN mais souligne aussi la compatibilité militaire. Voir :

http://vnk.fi/documents/10616/1986338/VNKJ072016_fi.pdf/9a3a074a-d97f-43c4-a1d8-e3ddbbd8d1da?version=1.0

stratégie : déjà le résumé mentionne l'égalité et les droits de l'Homme, l'efficacité de la gestion des conflits, l'importance d'un système basé sur des règles ainsi que la médiation pour la paix.146 Ce dernier est un élément plus récent. Au niveau de programmes gouvernementaux, la première mention du rôle central de la médiation pour la paix figure dans le programme de l’an 2011.147

Il semble que la Finlande a en effet modifié sa politique étrangère d’une manière peu surprenante dans une perspective historique148, ajoutant des éléments qui sont favorisés aussi par des autres États européens qui ont été ou sont encore neutres. La médiation pour la paix en donne l’exemple par excellence. L’analyse de M. Hanhimäki paraît pertinente : il constate que la neutralité peut être et a été interprétée de différentes façons, que c'est un concept évolutif et dynamique.149 Nous pouvons dire que la Finlande avait adopté une approche pragmatique vis-à-vis la neutralité, notamment en raison des circonstances géopolitiques. Pour ces raisons, la Finlande était parmi les États neutres de l’Europe le plus coincé. La politique de neutralité signifiait équilibrer entre l'est et l'ouest, mais était en même temps la meilleure solution disponible.150 Quitter cette neutralité ne signifie néanmoins pas la volonté de quitter le rôle du constructeur de ponts.

M. Hanhimäki met également l’accent sur le fait que la Finlande a souhaité maintenir de bonnes relations avec l'Union soviétique tout en s'assurant une place dans le développement de l'intégration européenne – cet objectif de l’intégration a même été une raison importante pour la politique de neutralité.151 M. Hanhimäki note aussi que la neutralité suisse ou suédoise était déjà plus vieille que celle de la Finlande et formait plus clairement une partie de l’identité de ces pays. Les opinions divergent quant à la place de la neutralité dans l'identité finlandaise. Törnudd et Hanhimäki semblent penser que la neutralité n'était pas si centrale à l'identité finlandaise tandis qu’Aunesluoma et Rainio-Niemi constatent que la neutralité était devenue une partie essentielle non seulement de l'identité mais aussi de l'idéologie finlandaise.152 En tout cas, la Finlande est toujours considérée comme un acteur relativement

146 Ibid, p. 3.

147 Le programme du gouvernement de M. Katainen, p. 21-22 : http://vm.fi/documents/10616/622966/H0111_P%C3%A4%C3%A4ministeri+Jyrki+Kataisen+hallituksen+ohjel ma.pdf/a49b3eb5-9e98-44c6-bd92-b054bea36f61?version=1.0

148 Voir par exemple Törnudd 2005, p. 51. Il constate : Finland has come a long way from its earlier policy of neutrality. This is not to say that Finland has completely abandoned its earlier policy of neutrality. Generally speaking, a great deal remains.

149 Hanhimäki 2017, p. 21.

150 Hanhimäki 2017, p. 22-23.

151 Hanhimäki 2017, p. 25.

neutre ce qui est également ressenti dans les activités de médiation153. De plus, la plupart de la population s'opposent à l'adhésion à l'OTAN.154

En tout cas, au début des années 2000, la Finlande avait déjà établi sa place dans l'UE. Nous pouvons assumer que le besoin de manifester le rôle international de la Finlande s’est inscrit dans la continuité d’une neutralité active. Outre le rôle du constructeur de ponts, joué par la Finlande pendant la guerre froide, la gestion des crises, le contrôle des armements et le désarmement, le règlement pacifique des différends, les droits de l'Homme, l’égalité, le droit international, la coopération au développement et la protection de l'environnement sont autant de thèmes que la Finlande a soulignés et qui restent importants pour elle.155 La médiation pour la paix est très bien adaptée à cet ensemble.

Le début du XXIe siècle a marqué un intérêt plus global pour la médiation pour la paix – au plan international et aussi en Finlande. C’est une chance inouïe pour la Finlande qu’un médiateur exceptionnel tel que M. Martti Ahtisaari ait dirigé son activité à temps plein pour la médiation après la fin de sa présidence.156 Son travail a été et reste toujours d’une importance primordiale pour le profil de la Finlande. Il convient de noter que le parcours d'Ahtisaari est aussi un travail de diplomatie finlandaise : dans les années 1970, il a servi comme ambassadeur en Tanzanie. Cette carrière a créé la base pour les relations d'Ahtisaari avec le mouvement de libération namibien et il a été nommé en 1977 Commissaire des Nations Unies pour la Namibie. Sa contribution importante à l'indépendance de la Namibie en 1990 a été une des principales raisons pour lesquelles M. Ahtisaari a reçu le prix Nobel de la paix en 2008.157 Comme l’indique par exemple Tenenbaum, la nouvelle dynamique en matière de la médiation fait preuve d’un rôle fortement accroissant des acteurs non-étatiques. Un exemple très pertinent est la naissance de Crisis Management Initiative (CMI, l'Initiative de gestion de crise). Il s’agit d’une organisation finlandaise de résolution des conflits qui prévient et résout les conflits violents par le biais de négociations et de dialogues informels. L'organisation a été

153 L’entretien téléphonique avec Hussein Al-Taee le 14 mai 2018. Il a confirmé l’expérience de CMI : la Finlande est considérée comme un acteur neutre. Le même point a été soulevé par l’ambassadrice Mäenpää dans l’entretien téléphonique le 21 mai 2018.

154 Voir par exemple https://yle.fi/uutiset/3-9917279 : Selon un sondage réalisé en novembre 2017, 59 % de la population sont contre l’adhésion à l’OTAN.

155 Törnudd 2005, p. 49 et 52.

156 M. Ahtisaari a servi comme le Président de la République du 1e mars 1994 au 1er mars 2000)

fondée par Martti Ahtisaari, après sa présidence, en 2000. Il est justifié de dire que CMI est un des principaux acteurs mondiaux dans son domaine.158

Le ministre finlandais actuel des affaires étrangères, M. Timo Soini, a récemment constaté dans un discours que la promotion des activités de médiation ainsi que le fait de fonctionner comme un médiateur font partie des priorités stratégiques de la politique étrangère finlandaise.159 Ces lignes directrices figurent également dans les documents officiels comme parmi les priorités stratégiques publiées en mars 2018. 160 Selon les priorités, la politique étrangère de la Finlande vise à renforcer sa position internationale, à préserver l'indépendance et l'intégrité territoriale de la Finlande et à améliorer la sécurité et le bien-être de la Finlande. Dans le cadre mentionné ci-dessus la Finlande promeut le développement durable, la stabilité internationale, la paix, la démocratie, les droits de l'Homme, la primauté du droit et l'égalité. Le document liste aussi un nombre de priorités opérationnelles telles que les zones arctiques, la sécurité de la mer Baltique, le renforcement de la coopération entre la Finlande et la Suède et la médiation pour la paix, qui vont tous être prises en compte de manière cohérente. La médiation semble donc être une composante essentielle de la politique étrangère. Mais comment est-elle mise en œuvre dans la pratique et comment peut-elle être caractérisée ? Cette question sera étudiée dans les deux sous-parties suivantes, regardant d’abord le rôle politique de la Finlande et ensuite les actions relatives aux certaines situations spécifiques.