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Les actions opérationnelles et la coopération multipartite

PARTIE II. La Finlande, un médiateur pour la paix

Chapitre 5. L’usage actuel que la Finlande fait de cette tradition

5.3. Les actions opérationnelles et la coopération multipartite

Pour le moment, une petite équipe chargée du soutien à la médiation pour la paix travaille au sein du ministère des Affaires étrangères, au Service des affaires de l’ONU. L’équipe se compose de quatre membres et dispose également du rôle de quelques ambassadeurs thématiques pour accomplir sa mission. L'ambassadeur pour les processus de dialogue interculturel et interreligieux se trouve ainsi impliqué. Environ 13 millions d'euros par an sont consacrés à la médiation pour la paix et à son soutien, en grande partie versés par le fonds de coopération au développement. Jusqu’à 90% du financement proviennent des fonds de coopération au développement. L’Unité des affaires de l’ONU dispose également d'un petit montant annuel de 500 000 euros, qui fait partie du budget de gestion de crise et est relativement disponible. La plus grande partie de l'aide passant par la coopération au développement est versée aux ONG. À l'heure actuelle, le travail et le financement sont donc effectués d’une manière décentralisée.176 Pourtant, selon mes entretiens, la volonté existe pour qu’un nouveau service soit créé au ministère afin de rendre le travail plus stratégique et

172 Suomi vaikuttaa muuttuvassa maailmassa 2018, p. 15. Voir :

http://urn.fi/URN:ISBN:978-952-287-590-7 (abstrait aussi en anglais Finland acts in a changing world)

173 L’entretien téléphonique avec Mme Sini Paukkunen le 2 mai 2018.

174 Peace Mediation - Finland’s Guidelines 2010 (ISBN 978-951-724-832-7, PDF) et Action Plan for Mediation, Publications of the Ministry for Foreign Affairs 12/2011.

175 Mission for Finland!, p. 37. Final report of the Country Brand Delegation 25.11.2010.

visible. Nous pouvons aussi noter que la mention du rôle central de la médiation pour la paix est apparue pour la première fois dans le programme de gouvernement décidé en 2011.177 Les principaux partenaires du ministère sont CMI, FCA (Finn Church Aid)178 et FELM (la Société missionnaire finlandaise)179. Avec CMI, la coopération a progressé au point qu’actuellement, un fonctionnaire du ministère est passe une année d’échange au sein de CMI. L’objectif de cet échange est de réaliser une coopération mutuellement bénéfique, d'établir des relations plus étroites et de renforcer en même temps la capacité du ministère. Dans une phase ultérieure, il est possible qu’un agent de la CMI aille travailler en échange au sein du ministère.180

Les priorités de la Finlande comprennent le renforcement de la position des femmes dans des processus de paix et, en général, de la nature inclusive de ces processus. Renforcer la participation et l'autodétermination des femmes est un thème important pour la Finlande dans tous les domaines politiques et une priorité à long terme, qui restera certainement un thème important à l'avenir. Il est également bon pour le profil finlandais que la représentante spéciale du ministre des Affaires étrangères soit actuellement une femme, en l’occurrence la députée Jutta Urpilainen. Elle peut crédiblement évoquer la position des femmes puisqu'elle avait déjà, alors qu’elle avait moins de 40 ans, assumé les responsabilités de leader d'un grand parti politique et œuvré en tant que ministre des finances.181 Mme Urpilainen a mis l'accent sur les contacts avec les organisations internationales dans son travail. En particulier l’importance de l'ONU et de l'UE a été souligné.182 Le prédécesseur de Mme Urpilainen, M. Pekka Haavisto, était actif en Somalie et en Érythrée, où il avait établi des contacts antérieurs avec des missions de l'UE.183 Dans l’entretien téléphonique, Mme Mäenpää a aussi constaté le développement positif des réseaux de médiatrices féminines. Ces réseaux, tels que le réseau nordique des médiatrices, ont été capables d'apporter un nouveau dynamisme.

177 Le programme du gouvernement de M. Katainen 2011, p. 21-22. Voir : http://vm.fi/documents/10616/622966/H0111_P%C3%A4%C3%A4ministeri+Jyrki+Kataisen+hallituksen+ohjel ma.pdf/a49b3eb5-9e98-44c6-bd92-b054bea36f61?version=1.0

178 FCA est la plus grande organisation finlandaise de coopération au développement. Elle a été fondée en 1947, lorsque l'Église luthérienne de Finlande a officiellement rejoint le Réseau d'assistance internationale des Églises. À l'époque, la Finlande était parmi les bénéficiaires de l'aide. https://www.kirkonulkomaanapu.fi/en/us/history/

179 Suomen Lähetysseura ou la Société missionnaire finlandaise qui, en coopération internationale, utilise l'acronyme anglais FELM (Finnish Evangelical Lutheran Mission).

180 Entretien téléphonique avec Mme Lindgren du 27 avril 2018.

181 Jutta Urpilainen a été la première femme présidente du Parti social-démocrate de Finlande, qu'elle a dirigé de 2008 à 2014. Elle a été ministre des finances de Finlande de 2011 à 2014 (du 22 juin 2011 au 6 juin 2014).

182 Entretien téléphonique avec l’ambassadrice Sirpa Mäenpää du 21 mai 2018.

La Finlande attache également de l'importance au dialogue interreligieux dans le cadre de la résolution des conflits. Une caractéristique des activités finlandaises est le soutien à l'idée qui souligne le rôle potentiel que peuvent jouer les chefs religieux dans la médiation et en tant que militants des droits de l'Homme. Cette approche se manifeste aussi au sein de l’ONU. Nous pourrions même dire que l'inclusion des leaders religieux et coutumiers dans la médiation pour la paix est une autre priorité finlandaise. Or, celle-là a, selon Mme Mäenpää, été sélectionnée à cause des raisons liées aux ressources : les ONG finlandaises avaient déjà travaillé sur ces questions et il a été facile pour le gouvernement de les soutenir. Par exemple, le leader de Finn Church Aid, M. Antti Pentikäinen, fonctionne depuis 2015 comme directeur exécutif du réseau Network for Religious and Traditional Peacemakers, ayant des liens étroits avec l’ONU et son siège New York.184 Les activités officielles s’ajoutent à l’ensemble. Au titre d’exemple, deux représentants du ministère des Affaires étrangères participeront mi-juin 2018 à un séminaire sur la religion et la paix à Berlin, l’événement étant organisé par les autorités allemandes et destiné à des participants asiatiques.185

Nous pouvons pourtant poser la question sur la cohérence de ces priorités : le rôle des femmes et le rôle des acteurs traditionnels et religieux. Comment ces priorités fonctionnent-elles et sont-elles contradictoires ? Le représentant de CMI a noté que les chefs religieux et coutumiers ont souvent une puissance relativement importante, de sorte que leur implication bénéficie aux processus de paix. Ils n’ont cependant pas besoin de pouvoir supplémentaire et il faut en même temps prendre garde à ce que l’État de droit ne soit pas affaibli sous couvert de traditions. Il faut aussi prendre garde à la corruption. Les questions afférentes à la participation des femmes n’apparaissent pas nécessairement dans les conversations avec les chefs religieux. L’incorporation des femmes dans le processus politique est un obstacle facile à surmonter et une affaire importante. Il n’y a pas lieu d’en exagérer les risques.186

Comme nouvelle ouverture possible, Mme Mäenpää a évoqué les questions en matière de la responsabilité de protéger187 dans lesquelles la Finlande a beaucoup de savoir-faire et un profil solide. Comme une règle générale, il a été constaté que la compétence dans un secteur particulier est un atout important. Dans de plusieurs entretiens, le potentiel de la Finlande

184 Voir par exemple le site Web du réseau : https://www.peacemakersnetwork.org/about-us/organization-structure/network-secretariat/

185 Entretien téléphonique avec Mme Mäenpää du 21 mai 2018. Elle va y participer conjointement avec l’ambassadeur pour les processus de dialogue interculturel et interreligieux.

186 L’entretien téléphonique avec M. Al-Taee, le 14 mai 2018.

187 Pour se renseigner sur ce concept, voir le rapport de la Commission internationale de l’intervention et de la souveraineté des États, publié par le Gouvernement canadien en décembre 2001 :

dans le domaine de la technologie de l'eau a été mis en évidence : l’eau est liée aux conflits et l’expertise technique est d’importance. La Finlande dispose d'un grand savoir-faire technique dans le secteur de l'eau et il serait possible d'impliquer plus largement la société finlandaise, y compris les universités.188 Par exemple M. Al-Taee a pointé l’influence préventive de la diplomatie de l’eau et le fait que, selon les observations, les traités mutuels en matière d’eau réduisent les conflits entre les pays. Il a aussi constaté que les questions liées aux ressources naturelles sont des questions concrètes de négociation ; il est possible de déboucher sur un consensus.

Plusieurs personnes interviewées ont noté que le développement de la médiation diplomatique nécessite du temps et de la patience. Mme Mäenpää a constaté que le développement de la médiation diplomatique pour la paix était un processus lent et qu’il s’agissait là d’une réalité dont il fallait tenir compte au stade de la planification des opérations. Du point de vue de la diplomatie publique et de l’élaboration de l’image de marque nationale, la médiation pour la paix est déjà placée en haute priorité depuis un certain temps. En revanche, il serait opportun que les représentations diplomatiques contribuent davantage à l’effort demandé afin que le soutien apporté aux processus de paix soit plus englobant. Mme Mäenpää a constaté que la Finlande projetait d’elle-même une image neutre, raison pour laquelle on faisait appel à ses bons offices.189 Également M. Al-Taee a fait valoir qu’il reste encore beaucoup à faire pour développer le rôle de la Finlande et son image de marque nationale, notamment la diplomatie préventive de l’eau en fournit un bel exemple. En Finlande, la CMI a aussi lancé ses propres programmes de jeune à jeune et la Journée Ahtisaari est mise à profit.190 Aujourd’hui, la CMI organise des journées Ahtisaari en coopération avec le ministère des Affaires étrangères pour les écoliers. Le but de ces journées est d'enseigner les techniques de médiation et de négociation déjà pour les enfants, comme les conflits et les crises existent non seulement sur le niveau international mais aussi en famille, à l’école, au travail – bref, dans la vie quotidienne.191

Un point fort de la Finlande est la coopération multipartite : la coopération entre autorités, organisations non gouvernementales et communauté académique est aisée et sans failles et les cloisonnements hiérarchiques inexistants ou très petits. Cela étant le cas, les stratégies nationales de haut niveau et l’action pratique devraient mieux s’harmoniser que dans le

188 Entretiens téléphoniques avec M. Turunen le 8 mai, M. Al-Taee le 14 mai et Mme Mäenpää le 21 mai 2018.

189 Entretien téléphonique avec Mme Mäenpää du 21 mai 2018.

190 Entretien téléphonique avec M. Al-Taee du 14 mai 2018.

passé.192 La Finlande peut être considérée comme un bon partenaire pour de nombreux pays dans le domaine de la médiation pour la paix, car ses ONG fortes et indépendantes travaillent en coopération avec l'État finlandais. D'autre part, comme l'a dit Al-Taee, il faut observer que les questions de souveraineté agissent sur les possibilités d’agir des États dès lors qu’on a affaire à des conflits internes aux États. Dans ces cas de figure, il est typique des organisations de garder plus de portes ouvertes que les acteurs étatiques. De ce point de vue, il est également bon que la Finlande connaisse une bonne coopération multipartite.193

Comme déjà indiqué, le ministre Soini a caractérisé les activités finlandaises de médiation en disant qu’il s’agit d’une approche holistique qui couvre aussi la participation inclusive des acteurs de la société civile dans les processus de paix. Les caractérisations avancées par le ministre peuvent être considérées comme pertinentes aussi à la lumière des estimations faites par les chercheurs. Un rapport récent produit par le TAPRI194 (Tampere Peace Research Institute) a mis en avant des conclusions similaires ayant étudié les politiques finlandaises dans le domaine de la médiation. Selon ce projet de recherche les ONG finlandaises (CMI, FCA et FELM) utilisent des pratiques qui se ressemblent bien qu’ils ne soient pas uniformes dans leurs approches de la médiation et de la consolidation de la paix. Selon le rapport, les trois organisations se concentrent par exemple sur le dialogue, le changement à long terme et la durabilité des résultats. De plus, elles mettent l'accent sur la spécificité du contexte, les approches localisées, la fluidité et la flexibilité de leurs interventions.195

L’étude mentionnée ci-dessus a eu comme cadre le maintien de la paix inclusif et la prévention des conflits. Une étude de cas a été menée en Colombie et une autre au Burundi, les deux pays se trouvant à des stades différents du cycle du conflit. Les chercheurs ont interviewé des organisations de femmes locales travaillant dans des zones de conflit et participant à la consolidation de la paix. À leur tour, les organisations locales de femmes représentent, dans de nombreux conflits violents, la continuité, la flexibilité et la persévérance dans la résolution des conflits. Les soutenir constitue un moyen efficace de faire participer les acteurs de la société civile à toutes les étapes des processus de paix.

192 Entretien téléphonique avec Mme Mekri du 4 mai 2018.

193 Entretien téléphonique avec M. Al-Taee du 14 mai 2018.

194 Inclusive Mediation and Conflict Prevention: The Finnish Model, 2018.