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La médiation : une pratique de règlement diplomatique des conflits

PARTIE II. La Finlande, un médiateur pour la paix

Chapitre 3. La médiation : une pratique de règlement diplomatique des conflits

Avant d’étudier les activités finlandaises dans le domaine de la médiation depuis les années 1990, nous allons brièvement examiner les particularités de cette pratique : la terminologie, les acteurs et les méthodes. Puis, après avoir examiné la Finlande comme un médiateur pour la paix, nous allons conclurons cette deuxième partie avec un regard sur la coopération nordique et sur les profils nationaux des pays nordiques.

Au mieux, la médiation pour la paix est une diplomatie préventive qui règle les différends avant qu'ils ne soient au bord du conflit. Cette pratique a connu un essor depuis la fin de la guerre froide et il paraît qu’il y a maintenant plus de demande de médiation pour la paix que jamais. Selon Zartman, la médiation est fréquemment pratiquée dans les relations internationales depuis au moins 400 ans, donc bien avant la paix de Westphalie. Zartman caractérise la médiation comme une forme d'intervention d'une tierce partie dans un conflit : « Mediation is best thought of as a mode of negotiation in which a third party helps the

parties find a solution which they cannot find by themselves. » 82 Si la médiation pour la paix

dans son sens moderne est liée à la diplomatie étatique et aux autres parties prenantes, il ne faut pas oublier que la médiation est profondément enracinée dans différentes cultures et religions du monde entier.83

Dans le droit international le terme médiation fait déjà partie de la Convention pour le règlement pacifique des conflits internationaux, conclue à la Haye en 1907.84 Dans son titre II, la Convention fait référence aussi bien aux bons offices qu’à la médiation, mais comme le note Guillaume-Hofnung, la distinction entre ces deux concepts et la conciliation n’est pas claire.85 Le fondement de la médiation dans le système actuel du droit international public se fait surtout par l’Article 33, paragraphe 1, de la Charte de l’ONU, qui stipule que :

Les parties à tout différend dont la prolongation est susceptible de menacer le maintien de la paix et de la sécurité internationales doivent en rechercher la solution, avant tout, par voie de négociation, d'enquête, de médiation, de conciliation, d'arbitrage, de règlement

82 Zartman 2008, p. 155.

83 Moore 2003, p. 20-22. Moore fait aussi la remarque suivante (p. 21) : Until the Renaissance, the Catholic Church in Western Europe and the Orthodox Church in the Eastern Mediterranean world were probably the central mediation and conflict management organizations in Western society.

84 Voir : https://www.admin.ch/opc/fr/classified-compilation/19070025/201106090000/0.193.212.pdf

judiciaire, de recours aux organismes ou accords régionaux, ou par d'autres moyens pacifiques de leur choix.86

Comme déjà évoqué dans l'introduction87, Zartman également souligne que la médiation n’est pas une méthode contraignante ; l'usage de la force est exclu et il ne s’agit non plus d’aider l'un des participants à gagner. La médiation vise à régler un conflit sans que les parties soient tenues à accepter les propositions du médiateur.88 Moore insiste également sur les aspects psychologiques de la médiation et rappelle que ce ne sont pas seulement les questions de fond qui sont en jeu : la médiation peut aussi aider à créer ou renforcer la confiance et le respect entre les parties ou contribuer à minimiser les émotions négatives.89

La médiation diffère donc de l'arbitrage, ce dernier étant une méthode juridictionnelle où les parties se sont préalablement engagées à accepter un verdict ultérieur. Dieckhoff résume le cadre théorique de la médiation pour la paix et note que même si la négociation est une partie intégrale de la médiation, la présence d’une tierce partie « n’est pas indispensable à la

négociation », tandis cette présence est essentielle pour qu’on puisse parler de la médiation.90

Pourtant elle note que certains auteurs considèrent que la ligne n'est pas si claire entre la négociation et la médiation.91

Tenenbaum a aussi remarqué que différents types de médiation existent : la médiation peut s’approcher de la facilitation mais il y a aussi des cas où le médiateur plus ou moins impose une solution. La conciliation, pour sa part, est située entre une procédure juridictionnelle et ce qu’on appelle les modes alternatifs de règlement de conflit, comme la médiation. Entre les différentes modes de règlement de conflit, la médiation s’est avérée efficace dans les situations les plus complexes.92 Jean-François Six, pour sa part, a proposé de diviser la médiation en quatre sous-types : médiation créatrice, rénovatrice, préventive et curative.93 Selon nous, il pourrait être possible de réduire la différence conceptuelle entre les bons offices et la médiation. Un État ou un autre acteur qui offre de bons offices joue un rôle plus passif

86 Voir : http://www.un.org/fr/sections/un-charter/chapter-vi/index.html. Tenenbaum constate : la médiation n’est ni définie ni encadrée par une quelconque procédure. Tenenbaum 2009, p. 105.

87 Voir Tenenbaum 2009, op. cit. 2.

88 Zartman 2008, p. 155.

89 Moore 2003, p. 15. Il fait référence à des situations où les relations se terminent quand il met en évidence la manière that minimizes emotional costs and psychological harm.

90 Dieckhoff 2011, p. 3.

91 Ibid. Dieckhoff mentionne particulièrement Jacob Bercovitch et Richard Jackson.

92 Cours donné par Tenenbaum à l’ÉNA le 8 février 2018.

93 Six 1990, p. 164. Il constate : Ces quatre sortes de médiations sont toutes destinées à établir une communication, inexistante ou perturbée, entre des personnes ou des groupes ; la médiation est, par nature, relationnelle.

que ne l’est celui du médiateur, mais les bons offices font en tout cas partie de l’arsenal avec lequel on s’efforce de résoudre des conflits dans leur différentes phases. Un tel travail de définition pourrait constituer un projet intéressant pour la Finlande car, par exemple, par rapport à la Norvège, les activités de la Finlande ont souvent été plus axées sur le soutien à la médiation pour la paix que des activités en tant que véritable médiateur. Alors que le concept traditionnel de sécurité comprend la sécurité externe et interne de l'État, le concept large de sécurité inclut, en plus de ceux déjà mentionnés, la dimension de sécurité et de prospérité sociales, économiques, environnementales et publiques. La Finlande pourrait également définir, au moins pour son propre usage, un concept large de médiation pour la paix et l'utiliser aussi dans sa diplomatie publique.

Comme nous l’avons vu, les différents chercheurs ont des accentuations variées concernant les concepts de négociation, de médiation, de conciliation et les bons offices. Nous utilisons personnellement la médiation pour la paix comme un concept général. L'arbitrage, cependant, a son propre domaine juridique distinct.

Il convient de noter que les opérations de l'OSCE sont basées sur un concept très large de sécurité que la Finlande s'efforce activement de promouvoir.94 De plus, des efforts ont été faits pour garantir une capacité de médiation aussi au sein de l'OSCE. Les bouleversements de 1989 et des années suivantes ont conduit à d'importantes initiatives et engagements en matière de droits de l’Homme, soulignant l'importance de la troisième corbeille95 de l'Acte final de Helsinki. Les États participants de la CSCE/OSCE ont adopté plusieurs documents et mesures dans ce domaine, renforçant l'accent mis sur la démocratie et les droits de l'Homme en tant que conditions préalables à la stabilité. Tenenbaum constate : « l’OSCE symbolise sans doute l’implication la plus significative d’une organisation intergouvernementale régionale dans la

pratique de la médiation. »96 De ce point de vue, une institution clé est le Haut-Commissariat

pour les minorités nationales (HCMN). Cette institution a été créée par les États participants lors du sommet de Helsinki de la CSCE en juillet 1992.97

94 Ce fait est aussi indiqué sur le site du ministère des Affaires étrangères : The OSCE's strength lies in its wide concept of security: the organization emphasizes not only politico-military security but also the critical significance that human rights and democracy and economic and environmental issues have on security. The activities of the OSCE are based on the Helsinki Final Act, signed in 1975. Voir : http://www.formin.fi/public/default.aspx?contentid=326692&nodeid=49303&contentlan=2&culture=en-US

95 Les corbeilles sont les différentes dimensions de la sécurité : la dimension politico-militaire, la dimension économique et environnementale et la dimension humaine.

96 Tenenbaum 2009, p. 110.

97 Voir note de bas de page 10 pour le mandat. Le premier Haut-Commissaire était le néerlandais Max van der Stoel (1993-2001). Il a été suivi par le suédois Rolf Ekéus (2001-2007), le norvégien Knut Vollebaek (2007-2013) et la finlandaise Astrid Thors (2013-2016). Le Haut-Commissaire actuel est l’italien Lamberto Zannier.

Les questions relatives aux minorités nationales étaient également inclues dans la Charte de Paris pour une nouvelle Europe, signée en novembre 1990. Les États participants avaient promis le plein respect pour les droits des minorités et les droits de l'Homme en général, la priorité étant de fonder la nouvelle Europe sur ces valeurs. Cependant, des crises ont continué d'apparaître dans la zone de la CSCE, souvent liées aux questions relatives aux minorités. Au début de 1991, la Lettonie et la Lituanie ont été témoins d'une agression soviétique contre des bâtiments gouvernementaux, la guerre s'est intensifiée au Nagorno-Karabakh, enclave arménienne en Azerbaïdjan, et des batailles ont éclaté entre la Croatie et la Yougoslavie. La même chose s'est produite durant été de la même année en Slovénie. Les troubles se sont poursuivis en Moldavie, en Géorgie, en Russie et les tensions sont montées entre les Roumains et la minorité hongroise en Transylvanie. Des préoccupations ont également été exprimées par exemple concernant la péninsule de Crimée et la Bosnie-Herzégovine.98 Le Haut Commissaire travaille par la diplomatie tranquille pour assurer la confidentialité nécessaire afin que les efforts de médiation puissent réussir. L’OSCE a aussi participé à la médiation autrement qu’à travers les activités du Haut Commissaire, par en exemple en 1994 l’organisation a été le médiateur entre l’Ossétie du Sud et la Géorgie.99

Comme indiqué ci-dessus, les États et les organisations internationales agissent en tant que médiateurs pour la paix. Les États et les organisations intergouvernementales sont souvent appelés les acteurs privilégiés des médiations internationales.100 Or, ils sont loin d’être les seules organisations à pratiquer la médiation. Par exemple les organisations religieuses ont une longue histoire en tant qu’acteurs actifs, mais aussi d’autres organisations sont entrées dans le jeu. Il est même justifié de parler de la privatisation, de la professionnalisation et de la prolifération dans le domaine de la médiation.101 Le phénomène de la privatisation concerne aussi bien les ONG que des personnalités éminentes qui ont généralement joué un rôle politique, leur accordant également une influence par la suite.

Zartman note que l'intérêt propre est un facteur qui motive aussi bien les grandes que les petites et moyennes puissances dans leurs efforts de médiation. Alors que ce sont surtout les grands États qui peuvent tenter de refuser à leurs rivaux des opportunités d'intervention ou de chercher une solution leur permettant de continuer à jouer un rôle dans la région en question

98 Kemp (ed.) 2001, p. 8-9.

99 Hille 2017, p. 206.

100 Voir par exemple Dieckhoff 2012, p. 63.

101 Tenenbaum, cours donné à l’ÉNA le 8 février 2018. Il a aussi employé l’expression des logiques de privatisation, d’institutionnalisation et de professionnalisation. Tenenbaum 2013, p. 263.

aussi dans l’avenir, tous les États sont probablement motivés par la possibilité de renforcer leur influence et leur prestige par la médiation. Pour les puissances moins grandes les intérêts propres peuvent inclure la volonté de prévenir le débordement de conflits dans la région voisine ou sur le territoire du médiateur ou bien le désir d'éviter l'entrée des puissants acteurs externes dans la région. Zartman note aussi que les organisations internationales sont motivées d’une part par leurs propres objectifs et chartes et d’autre part au moins indirectement par les intérêts de leurs États membres. Et enfin les acteurs non étatiques peuvent avoir un point de départ plus altruiste que d'autres, mais eux aussi ont intérêt à maintenir une bonne réputation de médiateur fiable et efficace.102

Une division bien connue en médiation est la séparation des voies (Tracks) 1 et 2, soit les diplomaties de type 1 et de type 2 : par la première, on entend les efforts de résolution de conflit qui sont officiels, facilités par des représentants du gouvernement ou des représentants d'organisations internationales telles que l'ONU ou les organisations régionales. Cependant, en ce qui concerne la diplomatie de type 2, les parties impliquées dans la médiation ne sont pas des représentants officiels des parties en conflit, mais des citoyens influents.103 Enfin, dans la diplomatie de la voie 1.5, les parties impliquées sont des représentants officiels des groupes en conflit, mais le médiateur ne représente aucune institution politique. Ainsi la diplomatie de type 1.5 peut également être décrite comme diplomatie hybride. Elle est caractérisée par l'agilité du médiateur à changer les modes de fonctionnement, selon la situation. Mapendere constate que la médiation en 2005 par l'ancien président finlandais Martti Ahtisaari à Aceh, une province d’Indonésie, est un cas de la diplomatie de type 1.5.104 Selon Zartman, il existe trois modes auxquels les médiateurs recourent pour essayer d'aider les parties à parvenir à un accord. L'intensité de l'implication du médiateur croît au fur et à mesure qu'il passe de la communication à la formulation et, en dernier recours, à la manipulation dans l'effort de guider les parties vers une solution qui satisfait les deux.105 En outre, les caractéristiques requises du médiateur sont la clé du succès du travail : interaction humaine, écoute active, communication, respect, réceptivité, neutralité, compréhension mutuelle et dialogue infatigable sont des qualités qui répètent dans différentes sources.

102 Zartman 2008, p. 156-160.

103 Voir per exemple Mapendere 2005, p. 67-69.

104 Mapendere 2005, p. 70.

François Six mentionne également une combinaison d'autorité inhérente et d'humilité - sans oublier une bonne forme physique et mentale.106

Un autre concept important est celui de maturité (ripeness) qui signifie que la désescalade est possible. Zartman a développé cette notion : La théorie de la maturité explique pourquoi et quand les parties à un conflit ont atteint le stade où elles sont prêtes pour prendre les pas requis vers une solution négociée. Le concept d'une impasse mutuellement douloureuse (Mutually Hurting Stalemate, MHS) est au centre de la théorie. Le MHS fournit l'impulsion pour commencer les négociations et cette dynamique doit être maintenue. Zartman distingue également l’importance d’une stratégie commune de sortie (Way Out) comme une solution négociée.107

106 Six 1990, 209-210.

107 Voir Zartman 2008, p. 232-244 pour un résumé global (Ripeness revisited: the push and pull of conflict management).

Chapitre 4. L’intérêt croissant de la Finlande dans le domaine de la médiation depuis les