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Quelles relations entre la terre et la biodiversité ?

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Les « Grands Biens » : de la Biodiversité à la Terre

I. Quelles relations entre la terre et la biodiversité ?

La biodiversité n’est pas la terre mais la terre et la biodiversité sont mêlées. Comprendre cette relation peut s’avérer utile au moment de protéger la biodi-versité car nous entretenons avec la terre une relation multiséculaire qui nous éclaire sur les moyens dont nous disposons pour réconcilier droits humains et protection du vivant.

I.1. La biodiversité

La biodiversité est l’affaire de l’humanité comme elle est l’affaire de tout un chacun et de toutes les cultures. La biodiversité n’est pas seulement une idée noble, c’est aussi une série de comportements qu’il faudrait pouvoir mettre en place. Si tout le monde s’accorde aujourd’hui à dire qu’il faut la respecter et la protéger pour ce qu’elle est, la force de persuasion qu’elle dicte à la conscience morale s’arrête au seuil de la conscience pratique.

La biodiversité a en quelques années seulement investi le champ des différents discours médiatiques et politiques où elle occupe aujourd’hui une place impor-tante. Cette présence pourrait être étonnante quand on pense que le terme ne fut façonné par l’écologue Walter G. Rosen qu’en 1985. Cette diffusion fulgurante, à peine sortie des laboratoires de recherche et son adhésion auprès du grand public

jusqu’au sommet de Rio en 1992 où est ratifiée la Convention sur la diversité

biologique, prouve son extraordinaire puissance persuasive. Dans cet engouement international, l’année 2010 est même consacrée par les Nations Unies « année internationale de la biodiversité ».

Pourtant, en dépit des nombreux indicateurs qui traduisent la vigueur de la notion, la biodiversité reste un concept difficile.

Pour Gilles Boeuf qui s’efforce de proposer une approche accessible à tous :

« la biodiversité c’est « la fraction vivante de la nature »3. Cette définition

présup-pose que si la biodiversité n’est pas la nature, elle en est au moins la partie. Mais c’est aussi présager du fait, qu’elle lui emprunte certaines qualités. La biodiversité

est non seulement un état, celui de la diversité des espèces vivantes et de leur

abondance relative, mais aussi un processusde croissance qui implique un tissu de

relations entre les êtres vivants et leur environnement. C’est encore une capacité à

différencier une infinité de formes de vies qui se sont associées, pour reconstruire les écosystèmes en relation étroite avec leur environnement.

I.2. La terre

La terre n’est pas moins complexe, investissant le champ lexical avec la même familiarité que les matriochkas. Le mot « terre » est en effet chargé par les sédi-ments de l’histoire sur lequel nous avons, à la différence de la biodiversité, un bénéfice de proximité.

Dans le domaine de l’infiniment petit, la terre est un élément constitutif de la

substance organique. Elle est cette matière extraite du sol par la main, l’humus du

champ, dont la consistance plus ou moins épaisse, perméable, sableuse ou glaise

convoque la main de l’homme qui fait du travail de l’agriculteur à l’imaginaire

du potier.

Cette terre est aussi un symbole élémentaire de la participation du vivant. Dans la philosophie grecque d’Empédocle comme dans la pensée orientale,

la terre est l’un des quatre ou des cinq éléments premiers qui participe de la

génération des corps et qui s’étend jusque dans la compréhension de la Terre cosmique. Cette dernière devient planète dans le domaine de l’infiniment grand, hôte exceptionnel de la nature vivante depuis quelques milliards d’années. Dans l’entre-deux, la terre du milieu est notre terre quotidienne, celle de toutes les conquêtes domestiques et politiques. Elle est le lieu que nous habitons, que nous arpentons, que nous traversons et que nous exploitons : le paysage de nos existences, l’espace matériel de nos ressources, le socle de nos constructions psychiques et identitaires.

L’abondance sémantique du terme fait de lui un concept composé de signi-fications reliées par des interactions permanentes : l’élément terre, la terre du milieu et la terre cosmique. Mais l’abondance de sens autour du mot ne dit pas tout.

3. G. Bœuf, La biodiversité, de l’océan à la cité, Leçons inaugurales du Collège de France, Paris, Fayard, 2014, p. 19.

Tout se passe comme si la familiarité que nous entretenions avec elle nous empêchait de la voir telle qu’elle était. Il y a en effet dans la terre quelque chose d’impénétrable ; une part inaccessible. Toutes les projections mentales qui nous permettent de la définir où se côtoient : la physique des solides, la métaphy-sique, les figures de l’imaginaire, l’écologie appliquée ou encore l’expérience du sol natal, finissent par jeter un voile sur son être même. La terre qui est là, celle que l’on foule sous le pied, celle qu’on représente dans nos esprits, peut bien être objet de sciences. Mais la science n’en perce jamais le mystère. De ce point de vue la matière de la terre n’est pas sa matérialité. À chaque fois que l’esprit lui assigne une forme, qu’il lui donne vie dans la représentation, d’une certaine façon, il voile ses autres manifestations. Derrière, le mode de présence présumé objectif de la terre que nous voyons, derrière la profusion de significations, la

terre conserve toujours, par sa nature, une part cachée, un fonds inconnaissable4.

I.3. La relation holiste

Quelles relations entre la biodiversité et la terre ? La biodiversité est la fraction

vivante de la nature et la terre la fraction minérale et végétale de cette même nature. La terre n’est donc pas assimilable à la nature, pas plus qu’elle ne saurait se confondre avec la biodiversité. 700 000 millions d’années s’écoulent avant que le processus de séparation du vivant sorti de l’océan ancestral via la respiration aérienne n’advienne. La terre est une sorte de réservoir d’énergie à partir duquel surgit la diversité biologique. On pourrait dire que la biodiversité apparaît à partir de la terre autant que la terre apparaît à partir de la biodiversité. C’est une relation qui ne peut être pensée en dehors de l’ensemble qu’elle constitue, incluant, parmi les communautés biotiques qui la composent : la communauté humaine. Et c’est avec elle qu’elle devient (à un certain moment dans l’histoire) problématique.

L’Odyssée humaine qui commence à l’échelle de l’anthropocène, se déroule sur un fonds vivant indistinct. Au regard de l’évolution, les temps de la terre, de la biodiversité et celui des hommes, vont se rencontrer. Au départ sans impact, celui des hommes, qui est aussi celui de l’avènement de la civilisation de puissance,

comme le qualifiait Bertrand de Jouvenel5, va progressivement venir perturber la

capacité de la terre à promouvoir le vivant. Dans cette rencontre des tempora-lités, aujourd’hui c’est toute la biodiversité, comprenant l’homme qui se trouve menacée.

4. V° notre La Terre et le Droit. Du droit civil à la philosophie du droit, Bordeaux, Bière, 2007.

I.4. Le rapport au droit

Le rapport au droit dépend du temps humain. Il est en notre pouvoir de transformer la menace en harmonie par les moyens dont nous disposons. Deux voies traditionnelles, inhérentes à la nature du droit, méritent d’être explorées. L’une passe par la considération normative touchant les comportements humains via les contrôles d’usages et des comportements autorisés ou interdits. L’autre passe par la considération de la relation de l’homme à la chose qui nous apprend que la terre abrite la biodiversité, et qu’à eux deux, ils constituent des « grands biens », que le droit devrait être en mesure de protéger.

II.  Pourquoi certains obstacles épistémologiques empêchent

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