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Le coût annuel de la dégradation des écosystèmes mondiaux évalué à quelque 20 000 milliards de dollars, soit plus que le PIB

Dans le document Quelle(s) valeur(s) pour la biodiversité ? (Page 103-109)

La valeur de la biodiversité en débat : l’évaluation monétaire des services

III. Le débat suscité par le papier et, à travers lui,

IV.3. Le coût annuel de la dégradation des écosystèmes mondiaux évalué à quelque 20 000 milliards de dollars, soit plus que le PIB

des États Unis

Sur la base de ces nouvelles surfaces et valeurs monétaires unitaires, Costanza et ses collègues déterminent la valeur globale des services écosystémiques rendus par la planète en 2011 à près de 124,8 billions de dollars 2007. Bien qu’il soit exprimé dans des dollars qui ne sont pas de la même année, ce montant est en très nette progression (+ 171 %) par rapport à celui calculé dans l’étude initiale, pour l’année 1997 (33 billions de dollars 1994, soit l’équivalent de 45,9 billions de dollars 2007).

Afin d’interpréter ce fort décalage – l’augmentation de valeur pouvant être lue comme le signe d’une amélioration de l’état des écosystèmes – les auteurs réalisent deux calculs complémentaires.

Le premier consiste à multiplier les surfaces des biomes de 2011 par les valeurs monétaires unitaires de 1997. Par ce raisonnement, les auteurs cherchent à isoler l’impact des modifications surfaciques, afin d’apprécier la variation de l’évalua-tion globale des services écosystémiques résultant de l’évolul’évalua-tion des biomes, en supposant que les valeurs monétaires unitaires n’aient pas changé.

Le second consiste à multiplier les surfaces des biomes en 1997 par les valeurs monétaires de 2011. L’objet ici recherché est d’isoler l’impact de la hausse des valeurs monétaires unitaires, en extrapolant quelle aurait été la valeur globale des écosystèmes si la répartition surfacique des biomes n’avait pas évolué depuis 1997.

Les deux calculs complémentaires produisent respectivement les valeurs de 41,6 et 145 billions de dollars 2007.

La première valeur doit être mise en regard de la valeur globale des écosys-tèmes calculée en 1997 (45,9 billions de dollars 2007). Elle indique quelle aurait été la valeur globale des écosystèmes calculée à cette époque, si les biomes avaient alors les surfaces qui étaient les leurs en 2011. Là encore, on observe que la modification de la répartition spatiale des biomes conduit à une perte de valeur.

La seconde valeur doit quant à elle être comparée à la valeur globale de 2011 (124,8 billions de dollars 2007). Elle indique que si les biomes planétaires avaient conservé la même répartition qu’en 1997, alors la valeur globale des services écosystémiques produits annuellement aurait été de 145 billions de dollars. Le fait que cette valeur soit désormais égale à 124,8 billions, et donc inférieure de 20,2 billions de dollars 2007 à ces 145 billions, signifie que la modification spatiale des biomes survenue entre 1997 et 2011 a été préjudiciable.

À travers ces différentes valeurs globales et leurs comparaisons, Costanza et ses coauteurs pensent confirmer à nouveau que la Nature contribue pour une part essentielle au bien-être des humains, à travers les services écosystémiques. En outre, la quantification de cette contribution tend à être plus importante que ne le suggérait l’étude de 1997, la valeur estimée en 2011 ayant progressé de 170 %. Cependant, l’estimation à la hausse masque une baisse de la valeur globale des services écosystémiques rendus par la planète. La dégradation de l’environnement entre 1997 et 2011, appréciée à l’aune des modifications surfaciques de biomes, aurait conduit à une perte de valeur de l’ordre de 20 billions de dollars 2007 chaque année, soit un montant supérieur au PIB des États-Unis.

Une part essentielle (11,9 billions de dollars 2007) de cette perte de valeur tient au recul des récifs coralliens. Ces écosystèmes ont vu, en 1997 et 2011, leur emprise surfacique se réduire très nettement alors même que la valeur monétaire des services écosystémiques qu’ils rendent a été fortement revue à la hausse. De même, les reculs des zones humides et des forêts tropicales conduisent à des pertes annuelles de valeurs respectivement de 7,2 et 3,5 billions de dollars 2011. En contraste, les biomes ayant connu une expansion surfacique, généralement en raison de l’artificialisation des sols (pâturages, cultures, milieux urbains), sont associés à des gains de valeurs inférieures à 4 billions de dollars 2007.

V. Conclusion

Peu d’évaluations monétaires de l’environnement auront autant fait parler que

celle publiée par Costanza et al. dans Nature en 1997.

Par leur initiative audacieuse – celui d’attribuer une valeur économique à la biosphère – les auteurs ont atteint leur objectif initial, politique : mettre en avant l’importance de la contribution des écosystèmes au bien-être humain, afin de faire progresser au sein de l’opinion la cause de la protection de la Nature.

Le pari semble un peu moins réussi sur le plan scientifique. D’aucuns diront que l’étude ne démontre rien que l’on ne savait déjà : la planète, comme support de la vie humaine, a nécessairement une valeur élevée, sinon infinie. Mais surtout elle paraît ne rien démontrer de façon solide, tant l’approche retenue est au mieux soumise à de graves imprécisions qui l’invalident, au pire dénuée de toute pertinence.

Le papier de Costanza met en lumière, notamment, les concepts essentiels que sont le capital naturel et les services écosystémiques, au sujet desquels la recherche s’est fortement intéressée et a progressé ces dernières années. Il s’appuie également sur un cadre méthodologique particulier, qui appose une vision anthropocentrée et utilitariste à l’environnement. Ce paradigme, pour être valide mais également utile sur le plan de l’aide à la décision, nécessite d’être mobilisé dans des condi-tions bien précises.

De ce point de vue, il paraît vain de vouloir proposer une évaluation globale des écosystèmes, comme le font les auteurs du papier. Les estimations monétaires de services écosystémiques n’ont vraiment de sens que dans un contexte bien précis, généralement local et qui doit être stipulé, en vue de répondre à une question donnée. De ce fait, ces valeurs sont difficilement extrapolables dans un autre contexte, qui plus est à un niveau plus global.

Clairement, les valeurs globales produites dans les articles de Costanza en 1997 et 2014 marquent les esprits et invitent à considérer plus sérieusement la dégradation des écosystèmes et ses conséquences. C’est là un mérite évident.

Cependant, ces papiers risquent également de conduire les lecteurs à une mauvaise appréhension de ce qui est quantifiable économiquement (clairement, tout ne l’est pas), et à quelles conditions l’évaluation monétaire des services écosystémiques peut être utile pour définir des politiques de conservation de la biodiversité.

Ce dernier point ne devrait pas être négligé. L’évaluation monétaire des services écosystémiques ne saurait être la panacée de la conservation, ne serait-ce qu’en raison des progrès qu’il reste à réaliser pour gagner en fiabilité et préci-sion. En outre, son caractère séduisant et sa force de communication invitent à l’envisager avec un minimum de précaution, ou du moins à garder une certaine distance à son égard.

Le paradigme des services écosystémiques est ainsi davantage remis en cause aujourd’hui qu’il ne l’était dans les années 1990. Ce constat tient notamment au fait qu’il dissèque le capital naturel en éléments distincts et identifiables (les services écosystémiques), et donnerait dans ces conditions l’idée que tout deviendrait évaluable voire additionnable, alors que le fonctionnement du vivant et les interactions de l’homme avec la Nature sont éminemment plus complexes et entremêlées (Norgaard 2010).

Par ailleurs, et comme le souligne McCauley (2012), la science n’est pas neutre dans la manière dont les politiques et les arbitrages en matière de protection de

l’environnement sont définis9. On peut craindre de ce point de vue un glissement

– sinon un renversement de perspective – préjudiciable en termes d’objectifs de politique de conservation.

Plus particulièrement, le paradigme des services écosystémiques et leur évalua-tion monétaire, que des auteurs comme Costanza envisagent en faveur de la protection de la Nature, pourraient ne plus être un moyen mais au contraire devenir une fin en soi. Ou pour le dire à la manière de François Sarrazin, le risque est fort, si l’on n’y prend pas suffisamment garde, de passer « des services écosys-témiques au service de la conservation de la biodiversité » à « la conservation de la biodiversité au service des services écosystémiques ».

VI. Bibliographie

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Les « Grands Biens » :

Dans le document Quelle(s) valeur(s) pour la biodiversité ? (Page 103-109)