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La biodiversité comme processus : une valeur incommensurable au droit ?

Dans le document Quelle(s) valeur(s) pour la biodiversité ? (Page 127-147)

Alain PAPAUX

Université de Lausanne, professeur de philosophie du droit et de méthodologie juridique à la faculté de droit, des sciences criminelles et d’administration publique et de philosophie du droit de l’environnement

à la faculté des géosciences et de l’environnement

« Le monde que nous habitons est celui qu’habitait Aristote. C’est celui-là que nous voulons préserver, ce foisonnement du divers, qui ne participe pas d’une réalité plus haute, et que nous aimons observer. »1

Introduction – problématisation générale

Eu égard au thème du colloque, nous aurons à traiter d’une part une notion

scientifique ou descriptive, se déployant sous l’égide du vrai – la biodiversité –,

d’autre part une notion philosophique (de philosophie pratique), prescriptive, se

développant dans l’orbe du juste – la valeur – traversant les champs de la

poli-tique, de l’éthique, du juridique et de l’économique. En bref, des considérations

sur la science – épistémologie – et des réflexions sur la valeur – axiologie.

Maris campe fort bien cette double dimension : « d’une part on constate que la diversité biologique diminue […] D’autre part, on décrit ce phénomène

comme un mal à enrayer »2. Poursuivant l’explicitation de cette ambivalence, elle

relève que le terme « biodiversité », par contraste avec celui de « diversité biolo-gique », exprime simultanément les deux ordres de considération ; il se trouve

1. C. et R. Larrère, Du bon usage de la nature. Pour une philosophie de l’environnement, Champs essais, Flammarion, Paris, 2009, p. 43.

« à l’interface du discours politique et du discours scientifique », suite à la migra-tion du second vers le premier, devant au reste son succès à un « manque de

précision »3. Il conviendrait toutefois de ne pas recevoir ce « manque » de

préci-sion comme un défaut, de là un affaiblissement de la réflexion, mais la reconnais-sance, propédeutique, de la finitude cognitive humaine, laquelle organise tous les domaines, singulièrement le droit. Qui prétendrait le sens un, précis, objectif, « uni-voque » à tout dire, des notions de bonne foi, de dignité humaine, d’ordre public, d’équité, … Nous problématiserons les notions de biodiversité et de valeur dans l’ordre du titre, y ajoutant leurs relations (réciproques), leurs points de contact, cœur des enjeux écologiques – écouménaux en vérité, verrons-nous. Enfin aborderons-nous ce que le droit peut dire sur ces notions et leurs relations.

Chapitre I

La biodiversité ou le point de vue du vrai : problématisation épistémologique

Notre étude se déploiera dans le cadre de la science contemporaine et non de

la science moderne structurellement incongrue au phénomène de la biodiversité,

verrons-nous.

Les lignes de force les distinguant tiennent principalement à l’esprit, voire la prétention, de maîtrise, de certitude, de déterminisme, d’univocité que la

science contemporaine a largement abandonné au profit de notions plus souples,

plus « épaisses », de l’ordre de la « vrai-semblance » davantage que de la « vérité absolue » : scenarii, modèles (par définition pluriels), simulations (à usage heuris-tique), controverses scientifiques assumées comme telles, discussions par les pairs ou intersubjectivité acceptée – et non objectivité, davantage rêvée et affirmée en

science moderne que démontrée ou obtenue –, sans que l’on sache toujours dans

quel régime de vérité on se situe4, et spécialement pour le vivant répondant à

la figure holiste « le tout est plus que la somme des parties », à l’exemple des propriétés émergentes.

Considérant l’environnement ou la seule biodiversité, nous sommes face à des

problèmes de nature systémique, ce que traduit la notion d’écosystème si

impor-tante pour la biodiversité. L’épistémologie contemporaine – théorie du chaos et son corrélat la théorie des systèmes à extrême sensibilité aux conditions initiales (rendue métaphoriquement par « l’effet papillon »), théorie des catastrophes de R. Thom, théorie des structures dissipatives de I. Prigogine, théorie générale des

systèmes, etc. – nous a avertis que l’évolution d’un système est pour nous, frappée

3. V. Maris, op. cit., p. 39 pour les deux citations.

4. Régimes assez nombreux, L. Soler, Introduction à l’épistémologie, Paris, ellipses, 2009, p. 320, par exemple, recensant sept entrées principales sous vérité : correspondance, cohérence, consensus, valeur, absolue, première, formelle-matérielle.

d’une incognoscibilité insurmontable, si ce n’est intrinsèque, comme le relève Dupuy à trois titres au moins concernant l’environnement : l’avenir comme tel ; la trajectoire d’une technique introduite dans la cité ; l’évolution des écosystèmes,

a fortiori s’ils sont, désormais, des « socio-écosystèmes » (infra).

La nature de système admise, s’ensuit la question du genre de système dont il

s’agit : statique ou dynamique, schématiquement ensemble d’espèces5 ou

proces-sus, « une collection d’espèces fixées en un lieu » ou « un tout vivant »6 ? Le

système statique a l’avantage de la simplicité, du simplisme même, et la force d’un

enracinement culturel des plus profonds : le Créateur a donné les vraies espèces7,

Noé réalisé la première opération de biologie de la conservation8, thème biblique

réactualisé par le Global Seed Vault au Svalbard (Norvège) : « il s’agit de conserver

la biodiversité en s’appuyant sur des technologies de pointe (biotech) mises au service d’une vision scientifique de la diversité du type “Arche de Noé” dépassée

depuis plus d’un siècle. »9 Semblable vision scientifique précisément participe

d’une science moderne vouée en son principe aux états bien plus qu’aux processus

ou devenir, aux « atomes » bien plus qu’aux relations, au statique et mécanique bien plus qu’au dynamique et systémique.

Or, même en s’en tenant à la version statique de la collection, les problèmes ne manquent pas, jusqu’aux paradoxes, exemplairement « un jardin botanique ou un

zoo sont des lieux à forte diversité »10. Dénombrer la collection et, partant,

calcu-ler un taux d’extinction n’est pas démarche aisée : l’approximation du nombre d’espèces existantes varie entre cinq et cent millions, pour deux millions d’espèces

décrites, environ11. Définir l’objet de la protection ne semble guère plus aisé :

faut-il protéger les espèces comme telles ou leur habitat, plus exactement l’habi-tabilité de leur habitat ? La notion même d’espèce ne bénéficie d’aucune unité ou unicité, ouvrant à une définition pluraliste élaborée autour de la notion de

pertinence et non plus de vérité (ontologique).

La notion de pertinence est propre à la science contemporaine en ce qu’elle

admet une part de subjectivité, de choix et donc de jugement de valeur au sein de

5. « […] pour apprécier la diversité des espèces à l’intérieur d’une communauté. Il faut connaître sa richesse spécifique (le nombre d’espèces), le taux de différenciation (la distance taxinomique entre ces espèces) ainsi que l’abondance relative des différentes espèces présentes », V. Maris, op. cit., p. 43.

6. J.-C. Genot, La nature malade de la gestion. La gestion de la biodiversité ou la domination de la nature, éditions Sang de la Terre, 2010, Paris, p. 171.

7. L’Auteur comme l’écrit Linné, cité par P. -H. Gouyon, « Les harmonies de la Nature à l’épreuve de la biologie. Évolution et biodiversité », INRA, Groupes Sciences en ques-tions, 23 mars 2000.

8. In P. -H. Gouyon, idem.

9. P. -H. Gouyon, « Aux origines de la biodiversité : les ressources génétiques », in Aux origines de l’environnement, Fayard, 2010, p. 108 en commentaire d’image.

10. J.-C. Genot, op. cit., p. 211. 11. V. Maris, op. cit., p. 28-29.

la démarche scientifique même : sélectionner une échelle ou un niveau d’énergie,

tel instrument plutôt qu’un autre12 pour l’observation-provocation-apurement

du phénomène naturel, c’est déjà choisir donc négliger, abandonner, narcotiser certains aspects, certaines données. Qui dit pertinence présuppose une position épistémologique délicate : le rejet de l’ontologique comme fondement (absolu)

du scientifique. La science n’atteint plus à la réalité ultime des choses, ordo essendi

(ordre de l’essence) et ordo cognoscendi (ordre de la connaissance) ne se recouvrent

plus… s’ils ne le firent jamais. Les théories scientifiques déterminent pour partie nos besoins conceptuels en matière de biodiversité, et de manière plus générale en sciences, comme le relève exemplairement Soler discutant la question du

contin-gentisme en physique, lequel aucunement n’équivaut à un relativisme13. On se

doute que la subjectivité – laquelle en rien ne se confond avec l’arbitraire – de la démarche sera plus grande encore dans les sciences humaines telles que l’on qualifie souvent l’économie ou le droit alors qu’elles semblent principiellement

ressortir de systèmes axiologiques, dussent-ils comporter des données

intersubjec-tives (et non objecintersubjec-tives) solides.

Aussi la connaissance se révèle-t-elle aspectuelle, sans ontologie pure ou

inté-grale : nous connaissons véritablement le réel mais sous certains aspects seulement

dont l’intégration et la totalité posent d’insurmontables difficultés cognitives. La science contemporaine ne prétend plus à une objectivité absolue mais explicite ses choix, tentant de les justifier, à l’image de la biodiversité écosystémique, dont la définition est dépendante de ce que l’écologue juge pertinent scientifiquement pour définir un écosystème, la diversité de ces écosystèmes étant à son tour liée à la définition retenue.

Cette donation de pertinence ne signifie aucunement de l’arbitraire mais, plus finement, un pluralisme scientifique plus ou moins réglé, se situant entre

les formes logiques de l’équivocité – lesquelles, si on les épousait véritablement,

conduiraient au relativisme c’est-à-dire à l’absence de toute pertinence au sens

strict – et celles de l’univocité – le monisme de la signification une et unique,

d’une identité parfaitement circonscrite, sans recouvrement (overlaps) des

caté-gories notamment, perfection logique qui excède nos capacités, comme s’en

rendit compte Russel lui-même14. La pertinence renvoie à une pensée selon

12. La physique quantique est tout à fait exemplaire de cette structuration autour d’un instrument, l’« existence » d’une particule se « prouvant » ou par un système de comptage requérant un grand nombre d’occurrences pour élaborer une statistique robuste ou par un système de détection de traces (ou photos) se pouvant contenter d’une seule « image » (golden event) pour établir cette preuve. Sur cette controverse et les résultats concrets différents auxquels elle peut aboutir, lire Soler, op. cit., pp. 278 ss.

13. L. Soler, op. cit., pp. 305 ss en particulier.

14. G.G. Granger, La science et les sciences, Puf, Paris, 1993, p. 123, présente comme suit le paradoxe de Russel : « si l’on imagine un ensemble comme un catalogue mentionnant ces éléments. Certains catalogues se mentionnent eux-mêmes, d’autres non. Mais le cata-logue de tous les catacata-logues qui ne se mentionnent pas eux-mêmes […] est un concept

l’analogie, tissée de même (ressemblances) et d’autre (dissemblances) intriqués, rendant raison de l’ambivalence (certes contenue) de nos concepts fondamen-taux. Gouyon ne relève-t-il pas que la terre, par exemple, est un être vivant pour les physiologistes – parce qu’ils définissent le vivant comme un ensemble matériel animé par des flux d’énergie – mais pas pour les généticiens – pour lesquels le vivant est le produit de la sélection naturelle sur un flux d’information –, et

inversement pour les virus15.

Nous n’échappons donc en aucune façon, sous aucun angle, aux alternatives

qui nous obligent à choisir dont à raréfier le réel, déjà pour en parler, surtout

pour le juridiciser, le normer : sont-ce les classements à logique morphologique

– diversité spécifique – ou à clé génétique – diversité génétique – que nous devons

retenir ? ou encore la diversité écosystémique ? Quid de la diversité fonctionnelle ?

et de celle culturelle ? et de celle dite « diversité-processus »16 ? De surcroît, les

diversités croisent les niveaux d’organisation de manière non linéaire : on peut avoir un « paysage » (ensemble d’écosystèmes) très homogène et pourtant une diversité spécifique importante, etc. On ne saurait donc produire une et une seule mesure de la biodiversité, en délicatesse avec les réquisits de la science moderne visant à l’univocité.

Si l’on opte pour l’autre branche de l’opposition initiale, à savoir la

biodiver-sité-processus (plutôt qu’état ou ensembles d’espèces), nous nous engageons sur

la voie du savoir conjectural, de la logique indiciaire et de la modélisation, toutes

démarches marquées par l’approximation et la mètis au rebours du rassurant logos,

de l’ordre de la raison, de l’univoque, du déductif, de la certitude, offrant maîtrise

comme y aspire homo sapiens. La mètis « est bien une forme d’intelligence et de

pensée, un mode du connaître ; elle implique un ensemble complexe, mais très cohérent, d’attitudes mentales, de comportements intellectuels qui combinent le flair, la sagacité, la prévision, la souplesse d’esprit, la feinte, la débrouillardise, l’attention vigilante, le sens de l’opportunité, des habiletés diverses, une expé-rience longuement acquise ; elle s’applique à des réalités fugaces, mouvantes, déconcertantes et ambiguës, qui ne se prêtent ni à la mesure précise, ni au calcul exact, ni au raisonnement rigoureux. Or dans le tableau de la pensée et du savoir qu’ont dressé ces professionnels de l’intelligence que sont les philosophes,

toutes les qualités d’esprit dont est faite la mètis, ses tours de main, ses adresses,

ses stratagèmes, sont le plus souvent rejetées dans l’ombre, effacées du domaine

de la connaissance véritable […] [Pour Platon] la dextérité (euchéreia), la sûreté

du coup d’œil (eustochia), la pénétration d’esprit (agchinoia), à l’œuvre dans les

entreprises où la mètis s’efforce, en tâtonnant et par conjecture, d’atteindre le but

contradictoire : car ce super catalogue ne peut pas, de par sa définition, se mentionner lui-même ; mais alors c’est qu’il devrait pourtant se mentionner lui-même… »

15. P. -H. Gouyon, « Sélection et coopération », in L’homme peut-il s’adapter à lui-même ?, Éditions Quae, 2012, p. 71-72.

visé, relèvent d’un mode de connaissance extérieur à l’episteme, au savoir, étranger à la vérité. Par contre chez Aristote, la “prudence” au moins retient, dans son

orientation et ses démarches, bien des traits de la mètis. »17

Intelligence de la ruse ou ruses de l’intelligence, la mètis ou logique

indi-ciaire ou encore savoir conjectural semble pourtant la voie la plus adaptée à un système en évolution constante, dont le propre est la montée en complexité et en diversification. Protéger la diversité actuelle ne répond alors que partiellement à cette dynamique, ne valant en effet que pour un temps t°. En d’autres termes,

il s’agit surtout de protéger les potentialités du système existant, ses « vertus » au

sens aristotélicien, naturellement convoqué ici, puisque la potentialité procède

d’une description du réel par les corrélats puissance et acte du philosophe grec.

On confessera toutefois que la figure « puissance-acte », comme en général celles ayant trait aux changements, aux mouvements, ou de manière plus générale encore au devenir, s’avère d’appréhension difficile, posant notamment de

déli-cates questions de rétroactions et d’échelles temporelles18. La difficulté n’en sera

pour le droit qu’accrue (voir chapitre IV).

Pour illustrer les contrications et les choix auxquels ces alternatives, voire même le jeu du descriptif et du prescriptif, nous contraignent : face à des espèces

« invasives »19, la défense de la biodiversité commande-t-elle de les éradiquer,

de les contenir par introduction de prédateur (comme si nous maîtrisions le résultat de leur interférence), de les respecter en ce qu’elles conduiront à un nouvel équilibre, un nouvel écosystème, de nouvelles espèces ? L’idée d’espèces « nuisibles » appelle un raisonnement analogue. Cette dernière qualification, par le vocabulaire anthropomorphique accentué dont elle use, montre clairement

la nécessité de distinguer entre l’écologique et l’écouménal d’Augustin Berque, le

nuisible ne pouvant concerner que le second : « L’écoumène, c’est à la fois la

Terre et l’humanité ; mais ce n’est pas la Terre plus l’humanité, ni l’inverse ; c’est

la Terre en tant qu’elle est habitée par l’humanité, et c’est aussi l’humanité en tant

17. M. Detienne J.-P. Vernant, Les ruses de l’intelligence. La mètis des Grecs, Flammarion, Champs essais, Paris, 2009 (1974), p. 10. La quatrième de couverture précise didacti-quement qu’elle « s’exerçait sur des plans très divers mais toujours à des fins pratiques, savoir-faire de l’artisan, habileté du sophiste, prudence du politique ou art du pilote dirigeant son navire ».

18. Le catastrophisme éclairé de J.-P. Dupuy, notamment emprunte cette voie d’un temps qui boucle, pour rendre en quelque sorte déjà présent, plus précisément déjà réel, l’avenir, manière de concevoir le temps qu’Aristote avait pour une part théorisée en désignant comme potentiel un état du réel, certes différent de l’actuel, mais tout aussi réel, en exerçant une logique abductive, propre à un paradigme indiciaire ; ou encore, emblématiquement, par son affirmation que tout être en acte l’est ou y passe sous l’effet d’un être déjà en acte, rendant de la sorte inanines les recherches d’un point-origine absolu.

19. Le vocabulaire de l’invasion présuppose quelque qualité d’ennemi et, en cela, trahit une option axiologique affirmée, à défaut d’être scientifiquement fondée.

qu’elle habite la Terre. L’écoumène est donc une réalité relative […], relationnelle […] c’est la relation de l’humanité à l’étendue terrestre. »20

Pour appréhender la nature dynamique de la biodiversité, certains auteurs

proposent la notion de biocomplexité : « La complexité biologique résulte des

interactions fonctionnelles entre les entités biologiques, à tous les niveaux d’or-ganisation, et l’environnement biologique, chimique, physique et humain à

tous les niveaux d’agrégation, l’homme y compris. »21 La mention de « l’homme

y compris » indique une nature duale de l’homme, écologique et écouménale

à la fois, par où l’on rejoint la position subtile d’Aristote sur l’homme zoon politikon : l’humain relève simultanément de la phusis (ce qui a en lui-même

son propre principe de croissance, soit la nature), zoon indiquant le vivant,

et du nomos, de la culture, du prescriptif, politikon venant de polis, la cité.

L’homme est alors lui-même un point de contact de la nature (Chapitre I) et de la culture (Chapitre II).

La biodiversité apparaît ainsi comme un « tissu vivant »22 à savoir un réseau,

engageant par là une logique de mètis puisque le systémique (holisme ou

complexité) n’est pas maîtrisable comme tel, à l’exemple des propriétés émer-gentes. N’est-ce pas le propre du vivant de n’être point réductible à la somme de ses parties, quand bien même ne sait-on toujours pas ce qu’est la vie, si ce n’est quelque fonctionnel et relationnel ?

La nature de processus elle-même ouvre de nouvelles interrogations : la

biodi-versité se doit-elle concevoir comme un processus libre de toute intervention

humaine ? En ce sens, même la conservation (la protection des anglo-saxons)

est une médiation puisque, notamment, nous arrêtons des aires, souvent assez petites à l’échelle spatiale de la nature, partant confinons et donc entravons le

développement de la « nature pure » … si ce concept fait sens23. Des aires trop

petites – ce que l’on ne sait généralement qu’a posteriori – le cas échéant

simple-ment retarderont la disparition d’une espèce, le morcellesimple-ment de la population en empêchant un renouvellement suffisant. Difficulté supplémentaire : la ques-tion des échelles temporelles. Non seulement la nature connaît des dynamiques

propres au sens de la phusis grecque mais selon des échelles qui nous dépassent.

Les problèmes d’échelles spatiales comme temporelles rendent illusoire la

prétention d’une gestion de la biodiversité et orgueilleuse l’idée de sa maîtrise.

Ainsi sommes-nous plongés dans un problème de choix, position ouvrant une deuxième série de questions.

20. A. Berque, Être humain sur la terre, Gallimard, 1996, p. 78.

21. J.-C. Genot, op. cit., p. 179 citant C. Lévêque et J.-C. Mounolou, Biodiversité,

Dynamique biologique et conservation, Paris, Dunod, 2002. 22. J.-C. Genot, op. cit., p. 179.

Chapitre II

La valeur ou le point de vue du juste : problématisation axiologique

Avec l’axiologie, nous entrons dans le domaine de la normativité ou prescrip-tivité, concernant aussi bien la politique que l’éthique, le droit ou l’économie, et qui comprend, en matière environnementale, notamment, la question redoutable

de la valeur intrinsèque : la valeur est-elle attribuée ou se constate-t-elle ou encore

participe-t-elle des deux démarches à la fois ? Si une valeur intrinsèque existe, alors

elle est objective. Mais y a-t-il encore un sens à parler de « valeur objective » ?

La question ne ressortit-elle pas alors plutôt du vrai que du juste ? Or la valeur

est bien une problématique de l’ordre du juste et, par conséquent, l’expression « valeur intrinsèque » un oxymore, à tout le moins un monstre conceptuel ou coquecigrue, quand bien même la charte de la nature des Nations-Unies affirme-t-elle que la nature possède une valeur « indépendamment de ce qu’elle vaut

pour l’homme »24.

La valeur, intrinsèque ou pas, n’étant point objective, elle n’en est pas pour

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