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Par des obligations environnementales personnelles

Dans le document Quelle(s) valeur(s) pour la biodiversité ? (Page 196-200)

Quelles valeurs pour la biodiversité ? Des valeurs d’usage

A.  Par des obligations environnementales personnelles

Obligations personnelles – Le droit positif montre la croissance d’obliga-tions environnementales personnelles susceptibles de concerner la biodiversité. Dans ce cas, par le biais de la contractualisation, certaines personnes détenant un potentiel pouvoir de nuisance en usant de la biodiversité sont appelées à effectuer

des actes favorables à sa préservation40. En dehors de tout dispositif légal, ce

phénomène de « contractualisation environnementale » qui concerne la protec-tion de l’environnement en général peut parfaitement être centré sur la

préserva-tion de la biodiversité elle-même41. Ainsi le propriétaire d’un immeuble détenant

une certaine diversité biologique peut être amené à conclure une convention de gestion avec un établissement public, tel le Conservatoire, ou une association de protection de l’environnement ou encore une fondation dans le but de mettre son bien à leur disposition, notamment par le biais d’un bail, cette personne s’engageant à l’entretenir selon certains objectifs environnementaux soucieux de

la préservation de la biodiversité42.

Surtout, le législateur lui-même prévoit explicitement des dispositifs invitant à imposer des obligations environnementales aux personnes susceptibles d’orienter l’usage qu’elles font de la biodiversité.

C’est le cas du dispositif interne et européen Natura 2000. Rappelons que la directive européenne du 21 mai 1992 relative à la conservation des habitats

naturels ainsi que de la faune et de la flore sauvages43 a donné comme objectif

aux États membres de constituer « un réseau écologique européen cohérent de zones spéciales de conservation dénommé « Natura 2000 » (article 3). Une fois un site inscrit comme zone spéciale de conservation, l’État doit prendre des mesures de protection. Un document d’objectifs dit « DOCOB » qui vient définir les mesures de conservations et restaurations ainsi que les modalités de mise en œuvre est prévu pour chaque site. À ce titre, la directive prévoit que la gestion peut avoir lieu grâce à diverses techniques, dont le contrat (art. L. 414-1 du Code de l’environnement). De ce fait, selon l’article L. 414-3-I du Code de l’envi-ronnement, « Pour l’application du document d’objectifs, les titulaires de droits

40. V. Sécuriser des engagements environnementaux, Séminaire d’échange sur les outils fonciers complémentaires à l’acquisition, Commissariat général au développement durable, n° 82, avril 2013, en particulier la contribution de B. Grimonprez.

41. V. M. Hautereau-Boutonnet, Le contrat et l’environnement, Étude de droit interne, international et européen, PUAM 2014, Préface G.J. Martin.

42. Sur ce rappel, C. Giraudel, « Un phénomène nouveau, le développement des conventions et des partenariats privés », in La protection conventionnelle des espaces naturels, PULIM, p. 36. V. aussi V. Gervasoni, Les conventions de protection de la nature, RJE 2008, n° spéc., p. 135 s. ; L. Lorvellec et C. Giraudel, « Gestion conventionnelle des espaces naturels », in 20 ans de protection de la nature, Hommage au Professeur Despax, PULIM 1997, p. 91 s.

réels et personnels portant sur les terrains inclus dans le site ainsi que les profes-sionnels et utilisateurs des espaces marins situés dans le site peuvent conclure avec l’autorité administrative des contrats, dénommés “contrats Natura 2000” ». On peut donc parfaitement imaginer que, par l’intermédiaire de ce contrat admi-nistratif, un titulaire d’un droit réel ou personnel usant d’un immeuble ayant des conséquences sur la biodiversité se voit imposer des obligations permettant de la préserver.

C’est aussi le cas du dispositif légal en droit français régissant le bail rural. Comme l’a décrit Isabelle Doussan, le bail rural est révélateur de la valeur que le

droit agricole accorde aujourd’hui à la biodiversité44. La loi d’orientation agricole

du 5 janvier 2006 a en effet permis d’introduire des clauses environnementales dans le bail rural.

L’article L. 411-27 du Code rural dispose :

« Des clauses visant au respect par le preneur de pratiques ayant pour objet la préservation de la ressource en eau, de la biodiversité, des paysages, de la qualité des produits, des sols et de l’air, la prévention des risques naturels et la lutte contre l’érosion, y compris des obligations de maintien d’un taux minimal d’infrastruc-tures écologiques, peuvent être incluses dans les baux dans les cas suivants :

– pour garantir, sur la ou les parcelles mises à bail, le maintien de ces pratiques ou infrastructures ;

– lorsque le bailleur est une personne morale de droit public, une association agréée de protection de l’environnement, une personne morale agréée “entreprise solidaire”, une fondation reconnue d’utilité publique ou un fonds de dotation ;

– pour les parcelles situées dans les espaces mentionnés aux articles L. 211-3, L. 211-12, L. 322-1, L. 331-1, L. 331-2, L. 332-1, L. 332-16, L. 333-1, L. 341-4 à L. 341-6, L. 371-1 à L. 371-3, L. 411-2, L. 414-1 et L. 562-1 du code de l’environnement, à l’article L. 1321-2 du code de la santé publique et à l’article L. 114-1 du présent code à condition que ces espaces aient fait l’objet d’un document de gestion officiel et en conformité avec ce document.

Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application des troisièmes à avant-derniers alinéas du présent article, notamment la nature des clauses qui peuvent être insérées dans les baux ».

Il en résulte que, en imposant des obligations personnelles au preneur-exploitant des terres, le bailleur peut favoriser la préservation de la biodiversité. Ainsi peut-il prévoir une interdiction de l’utilisation de pesticides ou imposer certaines techniques pour travailler le sol de manière à respecter la biodiversité. C’est alors un usage de la biodiversité en accord avec sa préservation qui en ressort.

44. I Doussan, « La biodiversité : une valeur (enfin) reconnue par le droit agricole »,

Faiblesses – Certes, le législateur prévoit que la méconnaissance de ces clauses environnementales permet au bailleur de demander la résolution du bail (article L. 411-31 du Code rural). Au même titre que les obligations environnementales prévues dans tout autre type de contrat, la force obligatoire invite à leur respect et, incidemment, contribue à la préservation effective de la biodiversité. Toute-fois, dans tous les cas, ces clauses ne sont pas obligatoires et leur contenu reste libre. Elles résultent de la volonté des parties et de leur liberté contractuelle. Par ailleurs, malgré tout leur intérêt pour un usage respectueux de la biodiversité, ces dernières obligations souffrent d’une faiblesse : elles ne permettent pas une préservation durable de la biodiversité car, créatrices de droits personnels, elles ne grèvent pas le bien et ne se transmettent pas aux débiteurs successifs.

Proposition – Pour plus d’efficacité, il faudrait alors renforcer la présence d’obligations imposant, lors de son usage, un comportement respectueux de la biodiversité.

Cela pourrait bien sûr passer par le renforcement d’obligations légales extra-contractuelles. Si le législateur peut au minimum affirmer que tout usage de la chose-biodiversité doit en être respectueux, il faudrait aussi qu’il impose posi-tivement certaines obligations en sa faveur, de type notamment administratif, venant organiser, encadrer ou orienter le comportement de toute personne déte-nant un pouvoir potentiel de nuisance sur la biodiversité si elle en use. C’est déjà en ce sens que va le Projet de loi Biodiversité en consacrant le principe séquentiel « éviter/réduire/compenser ». Le principe d’action préventive, principe fondateur du droit de l’environnement devrait également impliquer « d’éviter les atteintes significatives à l’environnement ; à défaut, de les réduire ; enfin en dernier lieu, de compenser les atteintes qui n’ont pu être évitées et réduites ». Les personnes usant de la biodiversité pour mener certaines activités seraient alors appelées à davantage orienter cet usage vers le respect de la biodiversité. On pourrait même envisager la création d’obligations invitant à agir positivement pour la biodi-versité. Ce même projet de loi Biodiversité pourrait le justifier lorsqu’il affirme que le principe de la séquence « doit viser un objectif d’absence de perte nette,

voire tendre vers un gain de biodiversité » (article 1er du projet venant modifier

l’article L. 110-1-II 2) du Code de l’environnement). Ce gain de biodiversité pourrait même conduire à revisiter les obligations environnementales prescrites par le droit des ICPE. Si déjà les exploitants d’ICPE voient l’exercice de leur acti-vité subordonner au respect de certains intérêts dont la protection de la nature (article L. 511-1 du Code de l’environnement) et soumise à une obligation de remise en état, ils pourraient aussi être appelés à effectuer des actes favorables pour la biodiversité. Il ne s’agirait plus d’en user en limitant les atteintes en découlant mais d’en user en permettant que leur activité la valorise, ce à quoi

la jurisprudence administrative semble pour l’instant réfractaire45.

Surtout, il conviendrait de renforcer les obligations environnementales personnelles dans le cadre de la relation contractuelle, lorsque le contrat offre la possibilité à une personne d’user de la biodiversité. Au-delà du contrat de bail rural, la tendance à l’insertion de clauses favorables à la préservation de la biodiversité devrait se généraliser en droit commun. On peut ainsi imaginer que le législateur incite ou oblige le bailleur et le locataire à s’entendre sur l’insertion de certaines clauses imposant au dernier d’user de l’immeuble dans le respect de la biodiversité. On peut surtout imaginer que ce législateur, voire le juge, par le

biais des obligations greffées au contrat46, consacre une obligation d’user du bien

en faveur de la préservation de la biodiversité.

Déjà, en matière de sites pollués, la jurisprudence fait peser sur le propriétaire d’un terrain sur lequel ont été déposés des déchets l’obligation de les éliminer « s’il a fait preuve de négligence à l’égard d’abandons sur son terrain ou s’il ne pouvait ignorer, à la date à laquelle il est devenu propriétaire de ce terrain, d’une part, l’existence de ces déchets, d’autre part, que la personne y ayant exercé une activité productrice de déchets ne serait pas en mesure de satisfaire à ses

obliga-tions »47. Le bailleur est incidemment appelé à insérer des obligations imposant

au preneur de ne pas déposer des déchets sur l’immeuble dont il use et de veiller

à leur élimination48. Il conviendrait alors d’officialiser cette pratique notariale et

de l’élargir à la conservation de la biodiversité.

Par ailleurs, on notera que dans le domaine des baux commerciaux et de bureaux d’une certaine surface, les bailleurs et preneurs doivent adosser au contrat de bail une annexe environnementale. En effet, sous l’impulsion de la loi Grenelle II du 12 juillet 2010 a été créé un article L. 125-9 du Code de

l’environnement qui dispose en ses points 1, 2 et 349 :

« 1. Les baux conclus ou renouvelés portant sur des locaux de plus de 2 000 mètres carrés à usage de bureaux ou de commerces comportent une annexe environnementale. Un décret définit le contenu de cette annexe.

46. V. Sur cette idée en matière environnementale, M. Boutonnet, « Des obligations envi-ronnementales spéciales à l’obligation environnementale générale en droit des contrats »,

D. 2012, chron. p. 372.

47. Selon la dernière jurisprudence du Conseil d’État, CE, 24 oct. 2014, n° 361231,

Energie, Environnement, Infrastructures, 2015/2, n° 13, JS Boda. Précédemment, CE, 25 sept. 2013, n° 358923, note JCPN 2013, p. 31, M. Boutonnet, D. 2013, Point de vue, p. 2528 ; CE, 26 juillet 2011, n° 328651, Environnement 2011, comm. 131, Ph. Billet. V. aussi pour une formulation différente, concernant la Cour de cassation, Cass. 3 civ., 11 juillet 2012, n° 11-10.478, D. 2012, p. 2208, note M. Boutonnet. 48. Me O. Herrnberger, Environnement et Développement Durable 2012/12, Fiche pratique, p. 83 ; M. Boutonnet et M. Mekki, sous Cass. 11 juillet 2012, RDC avril 2013, spéc. p. 657. 49. Loi n° 2010-788 ; sur cette annexe, J.-B. Gouache, « L’annexe environnementale est obligatoire à compter du 1er janvier 2012 : bailleurs et utilisateurs doivent s’y préparer »,

Revue Lamy Droit des Affaires, 2010/9, n° 52, p. 25 ; B. Wertenschlag, « Le bail vert »,

2. Le preneur et le bailleur se communiquent mutuellement toutes infor-mations utiles relatives aux consominfor-mations énergétiques des locaux loués. Le preneur permet au bailleur l’accès aux locaux loués pour la réalisation de travaux d’amélioration de la performance énergétique.

3. Cette annexe environnementale peut prévoir les obligations qui s’imposent aux preneurs ».

Or, si comme le montre le décret d’application du 30 décembre 2011 (n°

2011-2058)50, les informations communiquées ont trait aux économies d’énergie, il est

possible d’envisager un dispositif similaire dans le domaine de la biodiversité. Il s’agirait alors dans les contrats de baux, sur le fondement du droit commun du bail, d’inviter les parties à se communiquer de manière générale des informations relatives au risque d’atteinte à la biodiversité et de les obliger à prévoir des obliga-tions favorisant sa préservation.

Ainsi, l’évolution du droit positif montre que, à l’avenir, la valeur d’usage de la biodiversité, par le biais d’une transformation des relations de l’homme avec la chose-biodiversité, pourrait être davantage axée vers sa préservation en trans-formant le pouvoir de nuisance de certaines personnes en un pouvoir de respect. Cela sera encore plus clair lorsque pourront être créées en France des obligations environnementales réelles.

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