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2. Produire des connaissances pour concevoir des systèmes agroécologiques

2.1. Quelles connaissances pour concevoir des systèmes agroécologiques ?

agroécologiques ?

Comme nous l’avons mentionné en introduction, l’agroécologie suppose de baser le fonctionnement des agroécosystèmes non plus sur l’usage d’intrants de synthèse, mais sur le fonctionnement naturel des écosystèmes. Ainsi, les systèmes agroécologiques se caractérisent par une dépendance de leur fonctionnement et de leurs performances aux régulations biologiques en jeu dans l’agroécosystème (Médiène et al., 2011). La transition agroécologique suppose donc de mobiliser de nouveaux objets peu travaillés auparavant en agronomie (comme les auxiliaires des cultures) et de nouveaux processus biologiques également peu étudiés (par exemple, les dynamiques spatiales de diffusion des insectes et auxiliaires, ou les effets allélopathiques de certaines espèces)(Prost et al., 2016).

En permettant de (i) mieux comprendre ces processus biologiques et les potentiels services (ou dis-services) écosystémiques associés et (ii) d’étudier les interactions entre des pratiques agroécologiques et ces processus, la production de connaissances scientifiques est donc nécessaire pour accompagner la transition

Encadré 3 : La théorie C-K, quelques éléments explicatifs

La théorie C-K (Hatchuel et Weil, 2003, 2009) a été développée pour modéliser les raisonnements de conception. Elle est basée sur l’existence de relations étroites entre deux espaces caractérisés par une expansion conjointe : un espace des concepts (C) et un espace des connaissances (K). L’espace C traite d’objets inconnus et désirables mais dont l’existence est indécidable (i.e. pour lesquels on ne peut pas dire s’ils peuvent exister ou pas). En parallèle, dans l’espace des connaissances, l’ensemble des propositions ont un statut logique c’est-à-dire que l’on peut déterminer si elles sont vraies ou fausses. Dans la théorie C-K, le processus de conception est modélisé par une expansion conjointe de l’espace C et de l’espace K (Figure 5). L’exploration commence par la définition d’un concept initial C0, indécidable, désirable et ambitieux, souvent défini par un oxymore, à partir d’une base de connaissances initiale K0 (en vert). La mobilisation et la production de nouvelles connaissances (en orange) vont ensuite permettre de partitionner le concept initial en plusieurs attributs (branches de l’arbre). Réciproquement, cette exploration du concept initial va également stimuler la production et la mobilisation de nouvelles connaissances (en jaune), jusqu’au moment où un concept va devenir décidable dans la base de connaissances développée, ce qui clôt cette voie particulière d’exploration (il y a conjonction de l’objet de C dans K). Cette théorie a notamment été utilisée pour développer des méthodes de conception innovante collective dont les ateliers KCP qui ont principalement été mobilisés dans le monde de l’industrie (Le Masson et al., 2009; Hooge et al., 2012; Agogué and Kazakçi, 2014; Potier et al., 2015). Cependant, cette théorie a également été mobilisée en agriculture, par exemple, pour la conception d’agroécosystèmes à base de luzerne (Berthet et al., 2014), d’une méthode de fertilisation azotée (Ravier et al., 2017), ou pour l’analyse de la conception de machines agricoles adaptées à l’agroécologie (Salembier, 2019). Plus généralement, cette théorie est un cadre théorique intéressant pour analyser et conduire des processus de conception en agriculture (Prost et al., 2016; Salembier et al., 2018; Salembier, 2019).

agroécologique (Caron et al., 2014). Par exemple, Doré et al. (2011) mettent en avant qu’une meilleure compréhension des relations symbiotiques entre des bactéries et des céréales, similaires à celles entre Rhizobium sp. et les légumineuses pour la fixation de l’azote atmosphérique, pourrait avoir un intérêt pour concevoir des systèmes de culture moins dépendants des intrants de synthèse (voir par exemple Reis et al. (2000) cité dans Doré et al. (2001)). Cependant, compte tenu de la sensibilité de ces processus aux conditions locales, et des connaissances scientifiques encore restreintes sur les régulations biologiques, la conception de systèmes agroécologiques doit également s’appuyer sur des connaissances situées, issues de l’expérience des agriculteurs (Compagnone et al., 2018). En effet, par l’observation de leurs agroécosystèmes, de ceux d’autres agriculteurs et des écosystèmes naturels (Doré et al., 2011; Malézieux, 2012), et par la réalisation de leurs propres expérimentations (Catalogna et al., 2018), les agriculteurs se construisent un bagage de connaissances empiriques (notamment sur les processus biologiques observés) qui nourrit leur activité de conception au sein de leur exploitation (Catalogna, 2018). Toffolini et al. (2017) ont montré que les agriculteurs mobilisent également, au cours de cette activité de reconception, des connaissances « fondamentales » (définies par les auteurs comme des connaissances scientifiques qui décrivent un processus biologique ou physiologique) notamment dans la mesure où ils peuvent les relier à ce qu’ils veulent réaliser (ou ont réalisé) au champ : « les agriculteurs peuvent utiliser des connaissances fondamentales quand cela leur permet d’anticiper les effets d’une nouvelle action qu’ils n’ont jamais réalisée » ou encore « les connaissances fondamentales peuvent être utilisées pour réinterpréter des effets d’une action précédemment observés ».

Pour pouvoir bénéficier de ces expériences et connaissances locales, et les transposer à d’autres agriculteurs ou à d’autres situations, et donc plus généralement pour accompagner la transition agroécologique, de nombreux auteurs (voir notamment Girard et Navarrete, 2005; Faugère et al., 2010; Toffolini et al., 2017) mettent en avant l’intérêt de rapprocher ces connaissances expertes de connaissances scientifiques par une hybridation « soit pour élaborer des preuves, soit pour préparer l’extrapolation, en mettant en circulation des connaissances plus génériques » (Salembier, 2019). Par exemple Girard et Navarrete (2005) affirment, en s’appuyant sur le cas de la culture de safran et de truffe : « il peut donc être utile d’identifier, parmi ces connaissances

heuristiques6, lesquelles sont fondées d’un point de vue scientifique et peuvent donc servir

de référence technique collective » et donnent alors l’exemple, dans le cas du safran, de l’élaboration de la relation entre le nombre de fleurs et le calibre du bulbe en se basant sur des observations faites par des agriculteurs (« plus le bulbe est gros, plus il risque de faire plusieurs fleurs »). De même, Toffolini et al. (2017) concluent, à partir d’une analyse croisée de cinq cas d’étude, que l’apport de connaissances scientifiques permet une interprétation des expériences individuelles d’agriculteurs pour les rendre utiles à d’autres. Les auteurs illustrent alors à partir d’un cas d’étude : « when one of them related each practice and result to the dynamics of thistle’s reserves [confrontation d’une expérience individuelle à une connaissance fondamentale], they found consistency in these results and deduced the possible management techniques to be applied to the situation discussed [transposition à une autre situation que la situation initiale] ».

De manière plus générale, l’hybridation entre connaissances scientifiques et empiriques permet la production de nouvelles connaissances agronomiques (Doré et al., 2011; Girard et Navarrete, 2005) qui peuvent porter par exemple sur la régulation des ravageurs par des prédateurs naturels (Barzman et al., 1996), sur le fonctionnement des sols (Barrios et al., 2006; Steiner, 1998) ou sur la définition d’indicateurs permettant le pilotage agroécologique des systèmes de culture (Navarrete et al., 1997). En permettant spécifiquement d’accompagner la conception et la mise en œuvre de systèmes de culture par différents acteurs, ces connaissances sont qualifiées d’actionnables (Faugère et al., 2010), c’est-à-dire qu’elles permettent de renforcer les acteurs dans la conduite de leur activité (Avenier et Schmitt, 2007). Par exemple, dans le cas de la tomate sous serre (Navarrete et al., 1997), la traduction d’indicateurs d’évaluation ou de pilotage utilisés par des producteurs expérimentés (ex : « la vigueur de la plante ») en des paramètres agronomiques reproductibles, et facilement mesurables (ex : le diamètre de la tige) a été un moyen d’outiller des agriculteurs non initiés et de les accompagner dans l’adaptation

6 Ici les auteures définissent les connaissances heuristiques comme des connaissances

de leurs pratiques de gestion des conditions climatiques de leur serre via un outil d’aide à la décision (Tchamitchian et al., 2006).

En conclusion de cette partie, nous retiendrons donc que :

 L’agroécologie suppose la production de connaissances sur des nouveaux objets et sur des nouveaux processus, peu étudiés jusqu’ici. Pour répondre à cet enjeu de production de connaissances actionnables, dans le cadre de l’agroécologie, la mobilisation conjointe de connaissances scientifiques et empiriques apparait indispensable.

 L’hybridation de ces deux formes de connaissances est un élément clef dans l’accompagnement de la transition agroécologique, en permettant (i) d’adapter localement des solutions génériques, (ii) de fonder scientifiquement des