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1. Introduire une nouvelle espèce suppose de reconcevoir le système de culture, dans

1.2. Quelle place des acteurs dans les processus de conception ?

1.2.1. De l’agronome-concepteur à l’agriculteur-concepteur : changement de posture de l’agronome dans le processus de conception

Comme le rappellent Le Gal et al. (2011), dans un grand nombre d’approches de conception, l’agronome conçoit lui-même les systèmes de culture, avec pas ou peu d’interactions avec les agriculteurs. Dans le cas de la conception assistée par modèle (« Design modelling »), ces auteurs affirment par exemple : « models may help researchers to better fit their recommendations to management issues addressed by farmers or advisors. However, researchers are designing these tools for their own use with little to no input from farmers or advisor ». Cette approche descendante et diffusionniste dans l’organisation de la conception, où l’agronome conçoit et l’agriculteur applique, a largement été remise en question depuis les années 1990, et a conduit tout d’abord à l’émergence d’approches participatives, dans lesquelles le chercheur implique l’utilisateur dans la conception pour prendre en compte les usages et pour bénéficier de son expertise locale (Béguin, 2003; Cerf et al., 2012; Barcellini et al., 2015; Berthet et al., 2016; Moraine et al., 2017) puis à l’émergence, dans les années 2000, d’un nouveau régime de conception où l’agriculteur est lui-même concepteur et où les chercheurs développent des méthodes et des outils pour soutenir et stimuler le processus de conception (Salembier et al., 2018).

La coexistence de ces différentes approches se traduit par une diversité de façon d’impliquer les différents acteurs dans la conception. Pretty (1995) définit sept formes de participation des acteurs dans la conception de projet de développement, depuis une « passive participation », où les acteurs sont uniquement informés des sorties du projet, à une « self-mobilization », où les acteurs sont porteurs des initiatives et les testent en autonomie, en passant par des participations consultatives (i.e. les acteurs répondent à des questions mais ne sont pas impliqués dans les prises de décision) ou interactives (i.e. tous les acteurs contribuent au projet de façon conjointe). De même, Lacombe et al. (2018), en s’intéressant spécifiquement à la conception participative de systèmes de culture avec des agriculteurs, ont montré que les approches décrites dans la littérature se distinguent en fonction du degré d’implication des agriculteurs. Par exemple, dans leur typologie, ces auteurs caractérisent, le « de novo design » par une participation plutôt consultative des agriculteurs (« The farmers are invited to evaluate the result of

design […], their expertise can be sought at different stages ») et la « co-innovation » par une participation interactive (« The design is implemented by the researchers but their proposals are discussed with the farmers. Both farmers and researchers are co- designers »). Comme cela est suggéré dans cette revue, la différence d’implication des acteurs (ici les agriculteurs) dans le processus de conception conduit également à un changement de posture de l’agronome. L’agronome passe du statut de concepteur dans les approches prescriptives, au statut de co-concepteur quand il participe à l’activité de conception avec d’autres acteurs (ex : ateliers de conception, Reau et al. (2012)) ou de facilitateur/animateur, quand il accompagne les agriculteurs dans leur activité de conception (ex : jeu du Rami Fourrager® décrit par Martin et al. (2011)).

1.2.2. Diversité des acteurs impliqués dans les processus de conception Pendant longtemps, l’objet privilégié de la conception a été la parcelle agricole : les objets conçus étaient des principes d’action, des règles d’action, des outils d’optimisation des techniques culturales, des itinéraires techniques, i.e. tout objet dont la mise en œuvre se réalise principalement dans une parcelle agricole. Dans ce cadre, les acteurs impliqués dans les processus de recherche participative étaient principalement les agriculteurs et les conseillers, acteurs directement concernés par les activités agricoles. Or, pour traiter de certains enjeux environnementaux ou de la gestion collective de biens communs, comme la gestion de la biodiversité, la réduction des risques de pollution des eaux ou le changement climatique, de nouvelles échelles, plus larges que la parcelle ou l’exploitation agricole, sont considérés depuis plus récemment (Jeuffroy et Meynard, 2019). Dès lors, de nouveaux acteurs (souvent non agricoles), sont légitimement impliqués dans les processus de conception (Chantre et al., 2016; Sautier et al., 2017; Berthet et Hickey, 2018; Prost et al., 2018). Par exemple, dans le Poitou, le projet de développement de la luzerne, pour répondre à la fois à des objectifs de production (développer une filière à l’échelle départementale) et écologique (favoriser la conservation de l’outarde canepetière Tetrax tetrax), a conduit à la réalisation d’un atelier regroupant des agriculteurs, des techniciens agricoles, des membres d’une coopérative, des représentants des collectivités locales et d’organismes de développement agricole et des chercheurs en agronomie, écologie et sciences sociales

à des perceptions différentes de l’objet (la luzerne) par les différentes parties prenantes et (ii) de proposer, en réponse à ce constat, une forme d’animation collective qui a conduit des acteurs aux intérêts divergents à concevoir ensemble des solutions de gestion souhaitables pour tous. De même, Bos et al. (2009) proposent la mise en place d’une approche interactive et multi-acteurs (méthode RIO) pour permettre une co- évolution des systèmes de production laitiers et de consommation. Selon les auteurs, cette approche impliquant la diversité des acteurs concernés par la filière permettrait de répondre aux enjeux multiples auxquels fait face la production laitière, qui conduisent parfois à la proposition de solutions sectorielles contradictoires.

L’implication d’une diversité d’acteurs dans le processus de conception est également utile, dans une perspective territoriale, pour définir collectivement les indicateurs pertinents pour évaluer les systèmes de culture conçus. Par exemple, Le Bellec et al. (2012) montrent que la réalisation d’un atelier regroupant des acteurs « professionnels » (i.e. issus du milieu agricole comme les agriculteurs, les conseillers, les agronomes) et des acteurs « non-professionnels » (« public stakeholders », i.e. non impliqués directement dans des activités agricoles, comme des représentants des collectivités locales, des ONG ou des spécialistes de l’alimentation) a permis de faire émerger des indicateurs en lien avec la qualité de la production (ration acidité/sucre dans le citron, niveau de fraicheur) qui n’avaient pas été initialement mentionnés lors d’un atelier regroupant uniquement les acteurs professionnels, et qui sont apparus déterminants dans la re-conception des pratiques appliquées aux vergers d’agrumes, car garantissant une valorisation économique satisfaisante.

Dans le cas de l’introduction d’une espèce mineure dans un territoire, pour lesquelles la ou les filières de transformation ne sont souvent pas encore mises en place, l’implication de transformateurs potentiels dans la conception des systèmes de culture et dans la définition des indicateurs d’évaluation de la production semblent être une piste prometteuse pour favoriser la mise en œuvre d’innovations couplées (Meynard et al., 2017) et le développement de filières innovantes et durables, comme cela a été étudié pour le cas de la filière chanvre (Le Masson et al., 2012), ou pour la réintroduction de légumineuses dans un territoire (Soulié et al., 2019).

Dans cette partie sur la place des acteurs dans le processus de conception nous retiendrons que :

 La remise en question des approches diffusionnistes (où l’agronome conçoit et l’agriculteur applique), qui ont été historiquement très présentes dans la conception en agronomie, a conduit au développement d’approches participatives (où l’agronome concepteur implique les utilisateurs de ce qui est conçu dans le processus), puis au développement d’un régime de conception où l’agriculteur, ou un collectif d’acteurs divers, devient le concepteur, et l’agronome accompagne et facilite cette activité de conception. La coexistence de ces différentes approches se traduit par une diversité de postures de l’agronome dans les processus de conception.

 Pour répondre aux enjeux auxquels l’agriculture doit faire face (notamment environnementaux), il apparaît souhaitable d’impliquer une diversité d’acteurs (dont les activités ne sont pas directement liées à la production agricole) dans les processus de conception. La question de la diversification des cultures, à l’échelle d’un bassin d’approvisionnement, interroge l’implication d’une nouvelle catégorie d’acteurs, souvent peu présente jusqu’à présent dans les approches de conception multi-acteurs : les transformateurs.

2. Produire des connaissances pour concevoir des systèmes