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3. Résultats

4.1. Quelles conséquences de l’organisation proposée sur l’exploration et le processus de

4.1.1. Originalité de la démarche

L’organisation de l’atelier de conception que nous avons mis en œuvre se caractérise par (i) la mobilisation de connaissances produites localement et (ii) une conception des agriculteurs par et pour eux-mêmes (chaque agriculteur conçoit dans sa propre situation). Cette organisation se distingue de celle usuellement mise en place dans les ateliers de conception. En effet, le partage de connaissances ne repose que très rarement sur des connaissances uniquement locales, comme nous l’avons proposé. En général, l’apport de connaissances plutôt génériques, via des experts, sur le fonctionnement du champ cultivé (processus) ou sur les effets de différentes pratiques sur ces processus ou sur les services attendus est favorisé (Reau et al., 2018). De plus, si des témoignages d’agriculteurs peuvent également compléter cet apport de connaissances théoriques, avec pour ambition de présenter des innovations et leurs conditions de réussite, ils ne sont pas systématiquement locaux (i.e. fournis par un agriculteur partageant un contexte pédoclimatique ou socio-technique proche des participants), comme c’est le cas pour les essais d’agriculteurs. D’autre part, lors de la phase d’élaboration des prototypes de système de culture, que ce soit dans le cas de

un premier temps) afin que « chacun réalise l’exercice avec un certain détachement et une grande ouverture d’esprit dans la mesure où cela ne le concerne ni directement ni immédiatement » (Reau et al., 2018).

4.1.2. Concevoir dans sa propre situation : quel risque d’un effet de fixation ?

L’objectif à travers la réalisation d’une conception non située et à long terme, comme proposée par Reau et al. (2018) est de s’affranchir de potentiels effets de fixation (i.e. le fait d’être concentré sur un petit nombre de solutions très restreintes), classiquement rencontrés dans les processus de conception collective (Agogué et al., 2014a, 2014b). Dans notre cas, l’analyse de la diversité des propositions d’agriculteurs témoigne d’une exploration relativement importante. En effet, outre l’insertion de la cameline après de l’orge d’hiver, qui a été proposée trois fois (avec cependant des modalités de conduite différentes), les autres propositions ont été différentes selon les agriculteurs. De plus, certaines propositions (ex : colza semé en relais dans le cameline implantée en double culture, l’association cameline/pois/orge, la cameline dans une rotation avec des CIVE) sont des propositions relativement originales, qui ont soulevé pour les agriculteurs des défis techniques et qui reflètent donc une exploration par certains agriculteurs au delà du « techniquement faisable et techniquement possible demain dans mon exploitation ». Cependant, l’analyse des propositions met également en lumière que, dans certaines situations, l’exploration aurait pu être plus large en s’affranchissant de la consigne donnée : « comment cultiveriez vous dans votre exploitation ? ». Par exemple, dans la proposition 10, l’agriculteur mentionne « dans le cas de ma rotation, je pourrais envisager de faire une association cameline/pois [au printemps] mais comme je ne suis pas équipé, je la mets en pure [la cameline] ». Enfin, nous faisons l’hypothèse qu’en favorisant le partage des propositions de tous les participants, au détriment des échanges entre pairs (qui ont, par souci de temps, été limités à une dizaine de minutes par cas, nous avons pu également limiter l’exploration. En effet, nous avons vu que dans le cas de la proposition 1, l’agriculteur s’était emparé d’une solution alternative proposée par un participant17 qui lui a permis d’explorer une

voie différente des deux autres agriculteurs ayant également proposé d’implanter la cameline après de l’orge d’hiver (Table 18). Ainsi, à d’autres moments de l’atelier, des

17 Pour rappel : le désherbage mécanique de la cameline pour gérer les repousses d’orge

propositions alternatives proposées par les pairs ont été reconnues comme potentiellement intéressantes, mais n’ont pas été creusées. Par exemple, lorsque la proposition de culture de la cameline en associée avec du trèfle en double culture a été mentionné par l’agriculteur 6, l’agriculteur 2 a formulé son intérêt pour cette alternative (« Moi ça pourrait être intéressant dans mon système s’il y a de l’orge de printemps après »), mais cette proposition n’a pas été développée.

4.1.3. Mobiliser des connaissances uniquement locales : quel impact sur la conception ?

Comme nous l’avons mentionné précédemment, une des caractéristiques de l’atelier mis en œuvre était de baser le partage de connaissances uniquement sur des connaissances produites localement, soit par des agronomes, soit par des agriculteurs, soit par des échanges multi-acteurs. Plus particulièrement, ces connaissances ont été formalisées sous forme de schéma (ou modèle) conceptuel, classiquement utilisé en agronomie, notamment pour accompagner les processus de conception à partir d’un diagnostic agronomique (voir par exemple Valantin-Morison et Meynard, 2012). Cependant, en proposant un modèle situé, i.e. non exhaustif sur l’ensemble des processus existants, mais représentant uniquement ceux ayant un impact localement (compte tenu des observations), l’objectif attendu était de rendre ces connaissances plus actionnables, i.e. mobilisables par les agriculteurs dans leur activité de conception dans leur exploitation. Plusieurs exemples permettent d’illustrer que ces connaissances ont effectivement été mobilisées par les agriculteurs. Un premier exemple, est le choix d’un semis à haute densité (8 à 10 kg.ha-1) dans le cas de la cameline en culture pure, dont

l’effet significatif sur la biomasse adventice par rapport à la simple densité a été démontré. Ainsi, l’agriculteur 3 argumente : « comme je suis en culture pure, l’idée ça serait de tenter la double densité pour limiter la pression adventice ». De même, l’agriculteur 4 ajuste la densité de l’orge (10 à 15 kg.ha-1) dans sa proposition, « compte

tenu de la compétition que vous [en parlant de l’animateur] avez montré ».

Cependant, ce choix méthodologique de centrer le partage sur les connaissances produites localement restreint les informations aux types de sol et aux scénarios explorés, ce qui peut également « limiter » la conception. Nous développerons ici deux

argileux, caractérisés (selon l’agriculteur) par des alternances d’excès et de manque d’eau. Ce type de sol n’ayant pas été exploré lors des différents essais, la discussion s’est rapidement clôturée en raison d’un manque de connaissances (« on n’a pas de recul, il faudra tester »). Or, l’analyse de la littérature scientifique permet d’identifier que la cameline est effectivement sensible à l’hydromorphie (Gesch et Cermak, 2011; George et al., 2015). Ainsi, l’apport de ces connaissances scientifiques non locales lors du partage de connaissances aurait pu être utile pour l’agriculteur dans son processus de conception.

D’autre part, l’introduction de la cameline n’a, de manière générale, pas conduit, comme nous nous y attendions, à une reconception importante de la totalité du système de culture, excepté dans la proposition 8, où l’introduction de la cameline en double culture après de l’orge, a conduit l’agriculteur à proposer la suppression d’un traitement contre les pucerons et d’un désherbage sur le blé suivant. Dans les autres cas, l’introduction de la cameline a parfois conduit à modifier la rotation (ex : introduction de l’orge d’hiver dans la rotation dans la proposition 1 ou suppression de la culture de colza dans la proposition 5), mais n’a généralement conduit à aucun impact sur le reste du système de culture. Or, dans différents cas (ex : agriculteur 3, 4, 5), un éventuel effet allélopathique de la cameline sur la culture suivante envisagée (sorgho, blé ou tournesol) a été discuté. Si aucun essai n’a été réalisé sur cette thématique localement, nous pouvons faire l’hypothèse que le partage de connaissances sur les effets précédent de la cameline disponibles dans la littérature (par exemple l’effet précédent de la cameline sur blé dans le Montana, Obour et al. (2018)) aurait pu stimuler la reconception des systèmes de culture de manière plus globale.

4.2. L’atelier de conception : un dispositif de production de connaissances