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CHAPITRE IV : MACRO-ANALYSE

4.3. C ONTENUS THÉMATIQUES

4.3.3. La quantité, l’égalité et la forme

Les interactions portant sur la tâche piagétienne sont plus centrées thématiquement que le dilemme moral. Dans la première partie de cette tâche cependant, on retrouve quelques digressions thématiques, tournant notamment autour du champ lexical du zoo et des animaux.

Dès que les élèves entrent dans la tâche proprement dite, à savoir lorsqu’on verse le sirop dans les verres, ils ont, en général, peu digressé et sont restés centrés sur les thématiques que nous allons étudier ici. Les élèves ont très souvent utilisé, pour répondre aux questions qui leur étaient posées, des qualificatifs pour désigner la quantité. C’est ainsi que des élèves ont qualifié les quantités de liquide de « tas », « beaucoup », « trop », « plein », « gros »,

« grand », « petit », « un peu », « haut », « bas », « minuscule » ou encore « un peu tout petit ». Un ou deux élèves ont cherché à établir l’égalité en rajoutant « une goutte », « deux gouttes », « une toute petite goutte » dans l’un des verres. En ce qui concerne la comparaison,

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soit entre les niveaux de liquide dans les différents verres, soit entre les verres eux-mêmes, les élèves ont souvent eu recours aux termes comparatifs « plus » et « moins ». Le thème de l’égalité est également lié à la comparaison que nous venons d’aborder, et se manifeste dans les dialogues par des mots comme « les mêmes », « la même chose », « la même hauteur »,

« la même taille »39

Les élèves ont utilisé un certain nombre de terme pour exprimer la quantité. Cependant, il est important de mentionner que nous avons rencontré un problème quant à la compréhension de certains élèves pour ce qui leur était demandé. En effet, si l’on demande aux élèves « est-ce qu’il y a la même chose dans les deux verres ? », ils peuvent comprendre l’expression « même chose » comme dans l’extrait suivant :

, « en dessus », « en dessous », « un petit peu plus » ou « la ligne c’est la même chose ». Certains élèves ont utilisé la graduation inscrite sur les verres A, A’ et A’’ et s’y réfèrent verbalement, en demandant « combien ? » à leur camarade ou « il a mis jusqu’à combien ? » à l’expérimentatrice. Ils évoquent ensuite, pour répondre, les chiffres qui sont indiqués sur le verre, comme dans la réplique « y a 50 qui est dépassé ».

Expérimentatrice : voilà. Alors, est-ce que vous pouvez dire qu'ils ont tous la même chose de sirop ?

Agnès : oui Nathan : oui Hélène : oui

Nathan : c'est tous vert

Expérimentatrice : oui, mais ils ont la même chose beaucoup ? Regardez, tout le monde à la même chose beaucoup à boire ?

Visiblement, l’expérimentatrice et Nathan ne s’entendent pas sur le terme « même chose ».

Alors que l’expérimentatrice est en train de demander l’égalité de la quantité, Nathan, en utilisant la couleur du sirop, parle de la substance qui se trouve à l’intérieur des verres. C’est ainsi que l’expérimentatrice se voit reformuler la question en utilisant la formule « la même chose beaucoup ». Bien que cette formule paraisse étrange, nous l’avons tout de même utilisée pour éviter le terme « quantité » que certains élèves risquent de ne pas saisir dans sa complexité. Chaque fois que nous nous sommes retrouvés dans cette situation, l’élève a alors compris ce qui lui était demandé à l’aide de la formule « la même chose beaucoup ».

L’ambiguïté de la question est également illustrée dans l’exemple suivant :

Expérimentatrice : alors, est-ce qu'ils ont maintenant tous les trois la même chose à boire ?

Nicolas : ah, la même taille vous voulez dire ? Expérimentatrice : la même chose beaucoup de sirop ?

Nicolas : non. mais en fait je voulais faire petit [désigne C] grand [désigne A] plus grand [désigne A']

39 C’est l’expression la plus couramment utilisée par les élèves pour désigner le niveau de liquide.

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Expérimentatrice : ah non ben non, ils doivent boire tous les trois la même chose pour être contents tous les trois il faut pas qu'il y en ait un qui boive plus que l'autre.

Dans la première réplique de l’expérimentatrice, l’expression « la même chose à boire » reste confuse pour l’élève, qui demande alors des précisions : « la même taille vous voulez dire ? ».

Ce passage se situe à la 19ème minute de l’interaction qui en dure 26 au total. Les élèves ont donc déjà entendu plusieurs fois la question et y ont également déjà répondu. Cependant, l’interrogation de l’élève démontre bien le flou qui persiste autour de la question posée par l’expérimentatrice.

L’extrait suivant est un exemple de l’utilisation massive du « plus » et du « moins » dans les interactions. Une grande préoccupation des élèves, dans presque tous les groupes, a été de savoir quel verre contenait le plus de liquide et quel verre en contenait le moins. Il va de soi que la question de l’expérimentatrice influence les actions et l’objet de l’attention des élèves, mais ils ont passé beaucoup de temps, souvent, à chercher à établir l’égalité totale entre les niveaux de liquide, rajoutant parfois « une ou deux gouttes ».

Expérimentatrice : Pierre tu penses qu'il y a la même chose ? Patrick ? Patrick : y a petit [C] moyen [A] et grand [A']

Expérimentatrice : ça veut dire quoi petit ? ça veut dire que celui-là il en a moins ?

Expérimentatrice : alors, ils sont, c'est lequel qui en a le plus, c'est lequel qui en a le moins ?

Patrick : celui-là [A'] le plus, celui-là [C] le moins Pierre : et celui-là [C] le plus

Patrick : moins

Pierre : celui-là plus [A] j’ai dit

Outre le désaccord sur la quantité de sirop dans les verres, un paramètre important apparaît ici, même s’il n’est pas mentionné explicitement, c’est celui de la forme. Cette thématique de la forme est d’ailleurs en général, dans les interactions que nous avons enregistrées, plutôt présente sous une forme non-verbale. Les élèves dessinent en effet souvent le pourtour du verre C avec leur doigt pour signifier la largeur du C par rapport aux deux autres. Ou encore, ils tracent la hauteur du verre A. Agnès, par exemple, dit « ils [A et A’] sont comme ça [trace la hauteur du verre A avec son doigt] et celui-là [C] il est rond ». L’adjectif « rond » est le plus souvent utilisé pour designer le verre C, alors que le terme « mince » revient à plusieurs reprises pour qualifier les verres A et A’. Cependant, il est en opposition avec son contraire,

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l’adjectif « gros » régulièrement utilisé pour désigner le verre C, surtout par les élèves qui semblaient conservants. Même si la forme n’est pas le premier argument utilisé pour expliquer la différence de niveau ou de quantité de liquide, les élèves font presque toujours des remarques quant à la différence entre les trois verres et, lorsqu’ils le qualifient, ils utilisent souvent l’adjectif « petit » accompagné du superlatif. Relevons encore ce dont deux élèves font part quant au verre C : « il est plus gros donc ça doit prendre beaucoup de place ». En disant cela, l’élève signifie que la largeur du verre fait que le liquide se répand de manière plus étendue, sur une plus grande surface. C’est l’argument de compensation, selon les termes piagétiens.

Nous avons vu que les contenus thématiques se trouvant dans les réponses des élèves varient selon l’activité à laquelle ils sont confrontés. Lors de l’activité de conservation des liquides, les thèmes abordés par les élèves ont été plus centrés que lors du dilemme moral, où divers thématiques ont été abordées, tels le kidnapping, le vol, la police, les « méchants », etc. Un élément de nos questions de recherche consistait à étudier le rôle que joue le thème, le sujet d’une discussion dans la production d’arguments par les élèves. En ce qui concerne la diversité des arguments, si l’on compare les deux activités, on peut sans doute dire que le nombre d’arguments donnés dans chaque situation se vaut. Dans la tâche explicative, quelques arguments reviennent fréquemment : « c’est la même taille », « c’est la même hauteur », « c’est plus gros », « c’est rond », « le verre il est plus grand », ou encore « ça prend plus de place » 40

40 La formulation n’est pas exacte ici, mais le contenu se veut fidèle aux paroles des élèves.

. Un autre type d’arguments est utilisé dans cette activité, pour indiquer l’égalité des niveaux de liquide. Les élèves ont parfois utilisé les verbes voir et regarder dans des formes comme celles-ci : « t’as vu ? », « parce que j’ai vu là », « parce que je vois comme ça », « on voit », « regarde », « regardez ». Il est pertinent de considérer cela comme un argument pour désigner l’égalité des niveaux, les élèves n’ayant peut-être pas le vocabulaire nécessaire pour exprimer cette égalité, mais préférant désigner la réalité de celle-ci. Pour la tâche argumentative, les arguments les plus utilisés sont également au nombre de cinq ou six : « parce que c’est mon copain », « je ne veux pas qu’il se fasse punir », ou au contraire « ce n’est pas bien de voler », « on n’a pas le droit de voler », par exemple. Hormis ces arguments qui reviennent dans la plupart des cas, peu d’autres ont été énoncés, dans une activité comme dans l’autre. On peut donc avancer, en tous les cas en ce qui concerne la diversité des arguments donnés par les élèves, que la thématique l’influence peu. Par contre, le dilemme moral est propice à une plus grande diversité thématique. Mais comment les

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élèves en viennent-ils à aborder ces différents thèmes et arguments ? Sont-ils influencés par la situation ? Par leurs camarades ? Par l’expérimentatrice ? Nous allons maintenant tenter de répondre à ces questions en nous penchant sur les interactions sociales et leur influence dans la production discursive.