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CHAPITRE I : CADRE THÉORIQUE

1.1. P RODUCTIONS DISCURSIVES

1.1.1. Le genre textuel

Tout d’abord, il convient de préciser ce que l’on entend par « genre ». Au sens large du terme, et surtout dans l’acception littéraire, le genre désigne la catégorie littéraire auquel appartient un texte. Théoriquement, les genres sont illimités et de nombreux sous-genres existent. A titre d’exemples, le genre du roman se décline en différents sous-genres : le roman épistolaire, le roman policier, le roman d’amour, etc. On les appelle « genre de texte », car ils possèdent des caractéristiques relativement stables. Cependant, même si on parle de genres, les textes, entendus au sens de toute production verbale, prenant en compte « la diversité des manifestations des activités discursives humaines » (Adam & Heidmann, 2006 : 22), « sont en effet composés, selon des modalités très variables, de segments de statuts différents » (Bronckart, 1996 : 138). Bakhtine, dans Esthétique de la création verbale (1984), s’est entre autres intéressé aux genres du discours. Dans sa théorie se dégage un point important, celui de la relative stabilité des énoncés selon la « sphère d’utilisation de la langue » (Bakhtine, 1979 : 265), dans les genres littéraires comme dans la vie quotidienne. Il parle de types stables d’énoncés, tout en insistant sur la souplesse, la mobilité et la grande diversité de ces énoncés et des genres de discours.

En utilisant la métaphore du repas, Dolz et Schneuwly (1998) parlent eux aussi des genres, les définissant comme « formes relativement stables de textes qui fonctionnent comme des intermédiaires entre l’énonciateur et le destinataire » (64) et qui rendent possible la communication. Les auteurs poursuivent leurs réflexions en assimilant le genre à un outil :

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pour agir dans le parler, on utilise un outil qui est le genre, « outil qui permet de réaliser une action dans une situation particulière » (65). Les trois dimensions pour définir un genre sont :

1) les contenus qui deviennent dicibles à travers lui

2) la structure communicative particulière des textes lui appartenant

3) les configurations spécifiques d’unités linguistiques : traces de la position énonciative de l’énonciateur, des ensembles particuliers de séquences textuelles et de types discursifs qui forment sa structure (65)

Dans le cadre scolaire, les genres sont particulièrement utiles en tant que références pour les élèves quant aux textes qu’ils doivent étudier. Les genres fournissent en effet des éléments formels, des structures plus ou moins stables, des contenus, et le travail sur les genres

« fournit un cadre d’analyse des contenus, de l’organisation de l’ensemble du texte et des séquences qui le composent, ainsi que des unités linguistiques et des caractéristiques spécifiques à la textualité orale » (Dolz & Schneuwly, 1998 : 65).

Selon l’interactionisme socio-discursif, les produits des actions langagières, autrement dit les textes, présentent des caractéristiques plus ou moins stables, et l’on peut alors les classifier en

« genre de discours », selon leurs objectifs, enjeux et intérêts. Le courant de l’analyse de discours qui, en plus d’être une discipline qui prend pour objet d’étude toute production verbale, se définit plus précisément comme « la discipline qui, au lieu de procéder à une analyse linguistique de texte en lui-même ou à une analyse sociologique ou psychologique de son « contexte », vise à articuler son énonciation sur un certain lieu social » (Maingueneau, 1996 : 11). Cependant, même s’ils sont relativement stables, les textes ne peuvent faire l’objet d’un classement ferme, rigide et définitif. Ils se distribuent en types de discours, « articulés entre eux par les mécanismes de textualisation et de prise en charge énonciative, qui confèrent au tout textuel sa cohérence séquentielle et configurationnelle » (Bronckart, 1996 : 151) et qui traduisent la création de mondes discursifs, c’est-à-dire les mondes virtuels créés par l’activité langagière. Les quatre mondes discursifs décrits par Bronckart sont : le monde de l’exposer impliqué, de l’exposer autonome, du raconter impliqué et du raconter autonome. Ces mondes sont rattachés à des « types linguistiques » différents qui sont respectivement le discours interactif, le discours théorique, le récit interactif et la narration. Ces types constituent l’infrastrucutre textuelle, qui se caractérise aussi par son organisation séquentielle, relative à son contenu thématique. Adam a développé à ce propos une théorisation de l’organisation textuelle, en séquences. La séquence est une unité compositionnelle qui constitue une entité relativement autonome et possède une véritable structure. L’auteur distingue cinq séquences : descriptive, narrative, argumentative, explicative et dialogale.

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Ces propos, en particulier ce qui concerne l’organisation textuelle, en mondes ou en séquences, nous intéressent particulièrement pour notre étude. En effet, nous proposons dans ce travail d’opérer une distinction entre l’explication et l’argumentation et avons pour cela élaboré deux tâches lors desquelles des élèves de classes enfantines interagissent. Ces deux tâches, comme il l’a été mentionné auparavant, relèvent de chacun de ces genres. Nous y reviendrons en détails plus loin. Il est cependant important de relever que, du fait de la nature de la tâche, nous nous intéressons à des interactions orales entre des élèves.

1.1.2. L’argument

Qu’est-ce qu’un argument ? Cette question a priori élémentaire, est en réalité plus complexe qu’elle ne le paraît. Pour définir l’argument, nous nous situerons dans une perspective linguistique, en distinguant « argument » d’ « argumentation » ou de « séquence argumentative », concepts sur lesquels nous reviendrons plus loin dans le texte. De manière générale et dans une large acceptation, un argument est une « preuve, raison qui appuie une affirmation, une thèse, une demande » (Larousse, 2008) et dont les synonymes sont « raison, démonstration, preuve ». Du point de vue de la linguistique textuelle, l’argument se voudrait introduit par un connecteur, afin d’établir le lien logique entre les propositions. Ainsi, Adam (2008b) définit la « simple période argumentative » comme une « suite de propositions liées par des connecteurs argumentatifs » (150)2

La notion d’argument se retrouve dans plusieurs domaines, où il revêt une importance et une signification différentes, tels les domaines juridique, politique, publicitaire, culturel ou quotidien. Dans chacun de ces contextes, l’argument a une valeur et une construction différentes. Ainsi, à titre d’exemple, le domaine publicitaire utilise l’argument comme slogan : il se doit de toucher le plus grand nombre de personnes dans la population générale afin d’amener celle-ci à acheter le produit qu’elle vente. L’argument dans la publicité fait , mais il relève tout de même d’un point de vue plus général que « la donnée-argument vise à étayer ou à réfuter une proposition » (Adam, 2008a : 104). Bronckart (1996), quant à lui, parle des arguments comme étant des « éléments qui orientent vers une conclusion probable ; ces éléments pouvant être appuyés par des lieux communs (topoi), des règles générales, des exemples, etc. » (229).

2 Proposition étant entendue ici comme phrase.

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l’objet de nombreuses études en linguistique3. L’argument publicitaire diffère par exemple d’un argument utilisé dans le domaine juridique, qui possède des critères précis, tels que la convention de débuter son argument par la conjonction « parce que »4

Dans le domaine scolaire, l’étude de l’argumentation apparaît dans les programmes à partir du cycle de transition, pour le canton de Vaud (PEV) ; dans le canton de Genève, l’étude des textes argumentatifs semble apparaître plus tôt dans le plan d’étude, soit dès la 1P/2P. En ce qui concerne le canton de Vaud, avant le cycle de transition, l’étude des arguments et de l’argumentation en général n’est pas spécifiquement mentionnée et ne représente pas un point à traiter en particulier. Cependant, on peut voir apparaître le terme « argumenter » dans le PEV au cycle primaire, en particulier dans le domaine des mathématiques. Alors que l’argument n’a pas fait l’objet d’une leçon spécifique, il est attendu des élèves qu’ils argumentent dans une situation donnée. Ne fait-on pas ici face à un paradoxe ? Il est légitime de se poser la question, même si celle-ci n’est pas l’objet de ce travail.

. Ces deux exemples montrent que le contexte fait varier la valeur et la construction de l’argumentation en général et des arguments en particulier.

Dans la Grèce antique, il était enseigné aux jeunes privilégiés l’art oratoire, l’art de convaincre par la parole, en donnant des arguments. Depuis là, de nombreux traités de rhétorique font leur apparition, traités dans lesquels sont énumérés les différents types d’arguments et les figures de style utilisées. Aujourd’hui, on trouve sur internet différentes typologies des arguments, et des listes plus ou moins longues. À titre d’exemple, les types d’arguments les plus souvent cités sont : l’argument d’autorité, l’analogie, l’argument de causalité, etc. Quelques ouvrages spécialisés dressent également une liste des différents types d’arguments. On relèvera particulièrement l’ouvrage de Perelman, Traité de l’argumentation.

La nouvelle rhétorique, dans lequel on trouve une liste impressionnante de différents types d’argument, allant de l’argument par l’abus à l’argument par la syntaxe en passant par l’argument ad hominem.

En définitive, nous retiendrons de cette définition de l’argument qu’il s’agit d’un énoncé destiné à appuyer, étayer une thèse, ou à la réfuter. Souvent, lorsqu’un argument est défini dans des ouvrages de vulgarisation, il se confond avec argumentation ; les auteurs non spécialistes du sujet les considèrent comme des synonymes. En langue anglaise, les mots

3 Voir notamment Adam, J-.M. & Bonhomme, M. (2005). L’argumentation publicitaire : rhétorique de l’éloge et de la persuasion. et Lugrin, G. (2006). Généricité et intertextualité dans le discours publicitaire de presse écrite.

4 Voir Braudo, S. (1996), de http://www.dictionnaire-juridique.com/definition/argument.php

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« argument » et « argumentation » sont assimiliables, c’est ainsi que Van Eemeren (1996) débute l’ouvrage Fundamentals of Argumentation Theory par « Argumentation (or argument) is familiar to all of us » (1). Pour Plantin (1996), un argument est une donnée qui justifie une proposition de départ. Pour que la donnée soit pertinente, il faut qu’elle ait un rapport avec la proposition et que l’opposant puisse identifier ce rapport. Si les données sont soutenues par une « loi de passage » (lien entre deux énoncés), elles peuvent prendre le statut d’argument, et la proposition celui de conclusion. Dans ce travail, nous tâcherons de différencier argument d’argumentation, gardant à l’esprit qu’un argument est un énoncé et une argumentation ou discours argumentatif est une séquence textuelle et fait l’objet d’un développement. Nous y reviendrons plus longuement par la suite.