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Pourquoi ? Parce que. Explication et argumentation dans deux tâches scolaires : une illustration des genres textuels ?

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Master

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Pourquoi ? Parce que. Explication et argumentation dans deux tâches scolaires : une illustration des genres textuels ?

BREUX, Stéphanie

Abstract

Expliquer et argumenter constituent deux actions langagières différentes : expliquer à quelqu'un pour lui faire comprendre un phénomène et argumenter pour convaincre l'autre.

Les jeunes élèves d'école enfantine font-ils la différence entre ces deux actions ? Ce travail présente deux activités scolaires, la tâche piagétienne de conservation des quantités de liquide et le dilemme moral, nécessitant respectivement de l'explication et de l'argumentation, et auxquels nous avons soumis une trentaine d'élèves de 4 à 7 ans. Les données récoltées sont analysées selon une perspective macro tout d'abord, prenant en compte plusieurs paramètres, tels l'activité (tâche et consigne), le contenu thématique et les interactions (entre pairs et avec l'adulte). Puis nous les abordons pour finir selon une perspective micro, en tenant compte des prises en charge énonciatives et des marqueurs textuels, qui vont révéler la présence d'une autre action langagière : la narration.

BREUX, Stéphanie. Pourquoi ? Parce que. Explication et argumentation dans deux tâches scolaires : une illustration des genres textuels ?. Master : Univ. Genève, 2011

Available at:

http://archive-ouverte.unige.ch/unige:17838

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Pourquoi ? – Parce que

Explication et argumentation dans deux tâches scolaires : une illustration des genres textuels ?

MEMOIRE REALISE EN VUE DE L’OBTENTION DE LA MAITRISE UNIVERSITAIRE EN SCIENCES DE L’EDUCATION

Par Stéphanie Breux

Directeur du mémoire : Joaquim Dolz

Jury :

Roxane Gagnon Jean-Paul Bronckart Ecaterina Bulea Anne Monnier

GENEVE mai 2011

UNIVERSITE DE GENEVE

FACULTE DE PSYCHOLOGIE ET DES SCIENCES DE L’EDUCATION SECTION DES SCIENCES DE L’EDUCATION

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RESUME

Expliquer et argumenter constituent deux actions langagières différentes : expliquer à quelqu’un pour lui faire comprendre un phénomène et argumenter pour convaincre l’autre.

Les jeunes élèves d’école enfantine font-ils la différence entre ces deux actions ? Ce travail présente deux activités scolaires, la tâche piagétienne de conservation des quantités de liquide et le dilemme moral, nécessitant respectivement de l’explication et de l’argumentation, et auxquels nous avons soumis une trentaine d’élèves de 4 à 7 ans. Les données récoltées sont analysées selon une perspective macro tout d’abord, prenant en compte plusieurs paramètres, tels l’activité (tâche et consigne), le contenu thématique et les interactions (entre pairs et avec l’adulte). Puis nous les abordons pour finir selon une perspective micro, en tenant compte des prises en charge énonciatives et des marqueurs textuels, qui vont révéler la présence d’une autre action langagière : la narration.

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REMERCIEMENTS

Je tiens tout d’abord à remercier vivement le Professeur Joaquim Dolz pour avoir accepté de diriger mon mémoire, pour son enthousiasme et ses précieux conseils.

Je souhaite ensuite adresser mes plus sincères remerciements à Roxane Gagnon pour sa disponibilité, sa relecture attentive, ses suggestions et ses encouragements.

Je remercie également sincèrement l’équipe de Neuchâtel, en particulier Anne-Nelly Perret- Clermont, Céline Miserez et Francesco Arcidiacono, pour leur écoute et leurs nombreux conseils.

Un grand merci aux deux enseignantes de l’école primaire de Renens, qui m’ont amicalement accueillie dans leur classe : Sophie Brunner et Karine Aubort.

Merci également à Jérémy Wolff, pour son aide dans la mise en page des données.

Enfin, je tiens à remercier chaleureusement ma famille et mes fidèles amis, dont l’aide et le soutien tout au long de ce travail m’ont été chers.

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TABLE DES MATIÈRES

INTRODUCTION ... 6

CHAPITRE I : CADRE THÉORIQUE ... 10

1.1.PRODUCTIONS DISCURSIVES ... 10

1.1.1. Le genre textuel ... 10

1.1.2. L’argument ... 12

1.2.EXPLICATION ... 14

1.2.1. Les pratiques sociales de référence ... 14

1.2.2. Le genre explicatif ... 15

1.2.3. Piaget et la conservation ... 18

1.2.3.1. La théorie piagétienne et la conservation du nombre chez l’enfant ... 19

1.2.3.2. La méthode d’entretien critique-clinique ... 20

1.2.3.3. La tâche de conservation des quantités de liquide ... 22

1.2.3.4. Les modifications apportées à la tâche ... 24

1.3.ARGUMENTATION ... 25

1.3.1. Les pratiques sociales de référence ... 26

1.3.2. Le genre argumentatif ... 27

1.3.3. Entre le dilemme moral et l’atelier philosophique ... 30

1.3.3.1. Kohlberg et le développement moral ... 30

1.3.3.2. Matthew Lipman et la philosophie pour enfants ... 32

1.3.3.3. Les modifications apportées à la tâche ... 34

CHAPITRE II : EXPLICATION ET ARGUMENTATION ... 36

2.1.INCOMPATIBILITÉOU COMPLÉMENTARITÉ ? ... 36

2.2.EXPLICATION ET ARGUMENTATION CHEZ LE JEUNE ÉLÈVE ... 39

2.3.EXPLICATION, ARGUMENTATION ET DISCIPLINES SCOLAIRES ... 44

CHAPITRE III : MÉTHODOLOGIE ... 47

3.1.QUESTIONS DE RECHERCHE ... 47

3.2.POPULATION ... 48

3.3.LES DEUX DISPOSITIFS ... 49

3.3.1. La tâche piagétienne de conservation des quantités de liquide ... 49

3.3.2. Le dilemme moral ... 52

3.4.NOTES SUR LES TRANSCRIPTIONS ... 54

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CHAPITRE IV : MACRO-ANALYSE ... 56

4.1.DESCRIPTION DES SÉQUENCES ... 56

4.1.1. La tâche de conservation des quantités de liquide ... 56

4.1.2. Le dilemme moral ... 59

4.1.3. La centration sur les tâches ... 61

4.2.LES ACTIVITÉS ... 63

4.2.1. Les tâches ... 63

4.2.2. Les consignes ... 67

4.3.CONTENUS THÉMATIQUES ... 70

4.3.1. L’autorité et la punition... 70

4.3.2. Le bien et le mal ... 74

4.3.3. La quantité, l’égalité et la forme ... 75

4.4.L’INTERACTION ... 79

4.4.1. Construire à plusieurs... 79

4.4.2. Les conflits ... 82

4.4.3. La fluctuation des points de vue ... 85

4.4.4. Avec l’adulte ... 88

CHAPITRE V : MICRO-ANALYSE ... 92

5.1.PRISES EN CHARGE ÉNONCIATIVES ... 92

5.1.1. Moi et l’Autre dans le discours ... 92

5.1.2. Les déictiques ... 95

5.1.3. Les verbes d’opinion ... 97

5.1.4. Les temps et les modes... 99

5.2.EXPLICATION, ARGUMENTATION ET NARRATION : MARQUEURS TEXTUELS ... 102

5.2.1. Les connecteurs ... 103

5.2.2. Les marqueurs narratifs ... 106

CONCLUSION ... 108

BIBLIOGRAPHIE ... 112

ANNEXE I ... 117

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INTRODUCTION

– Comment tu fais des bulles ? – Avec la paille.

– Comment ? – Il souffle.

– Quand vous êtes dehors, vous êtes libres ?

– Non, parce que t’es tout le temps surveillé, tu peux même pas faire ce que tu veux.

– Quand vous êtes dans la cour, vous êtes libres ou pas ? – Y a des grillages et on peut pas sortir.

– C’est normal, c’est quand on sera adulte qu’on aura le droit.

– C’est normal qu’il y a des grillages, les maîtresses elles ont peur qu’on se perde.

– Dehors, vous êtes libres ou pas ?

– Mais dehors on est libres, on est avec nos amis.

Ces deux dialogues sont extraits du film « Ce n’est qu’un début », documentaire qui présente des aspects de la vie d’une classe de maternelle dans une ZEP en France. L’institutrice, dont les paroles sont ici en italique, a décidé d’inscrire dans le programme de sa classe, qu’elle suivra deux ans durant, des ateliers à visée philosophique, pour des élèves de classe de maternelle, dès la petite section (3 à 4 ans). Durant ces ateliers, les enfants apprennent à réfléchir sur des sujets comme la mort, l’amour, l’amitié, la liberté, ils apprennent à se parler, à s’écouter, à respecter la parole de l’autre et, déjà, à argumenter.

Que veut dire argumenter ? Les deux extraits ci-dessus diffèrent-ils du point du vue argumentatif ? Quelles sont leurs points communs et leurs différences ? Dans le premier dialogue, l’élève se trouve dans une situation de communication où il lui est demandé d’expliquer un phénomène, en l’occurrence celui des bulles faites dans l’eau en soufflant dans une paille. Le second dialogue porte sur le thème de la liberté. Les élèves sont dans une situation où ils doivent donner leur avis et argumenter. Cette distinction est au cœur de la problématique traitée dans le présent travail. Nous allons tenter ici de mettre en évidence les différences et les similitudes entre deux actions langagières a priori distinctes : expliquer et argumenter. Du point de vue de la linguistique textuelle et des genres de discours,

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l’explication et l’argumentation divergent sur de nombreux points. Dans un cadre scolaire, dès l’entrée dans la lecture, ces genres sont également présentés aux élèves comme dissociés : on étudie les textes explicatifs (par des textes documentaires, des articles de vulgarisation scientifique), les textes argumentatifs (par des lettres d’opinion, des lettres de demande, par exemple). S’ajoutent à cela les textes narratifs (récits de vie, contes, histoires), les textes poétiques (poésies, comptines, poèmes) et les textes informatifs (recettes, bricolages, règles de jeu)1

Le présent mémoire se veut lié à une thèse de doctorat que je suis en train de produire. Cette thèse s’inscrit dans une recherche ProDoc financée par le FNS ; elle est sous la direction du Professeure Anne-Nelly Perret-Clermont, de l’Université de Neuchâtel. La thèse est également intégrée dans une école doctorale, ARGUPOLIS, qui réunit les universités de Lugano, Lausanne, Neuchâtel et Amsterdam. Cette école se centre sur l’étude des pratiques argumentatives, selon différents points de vue et dans différents contextes sociaux. Chaque doctorant faisant partie de cette école travaille sur un sujet de thèse particulier. En ce qui . L’élève doit en outre prendre connaissance des notions suivantes : énonciateur, destinataire, but du texte, sujet, titre, sous-titre, paragraphe, etc. Cependant, un texte est souvent un mélange des genres, pouvant comporter différents types de séquences. Les frontières entre les genres semblent minces et faciles à franchir, particulièrement lorsqu’il s’agit des genres explicatifs et argumentatifs, qui s’entremêlent souvent et dont les délimitations ne sont pas si évidentes. Il est maintenant reconnu que les sciences, par exemple, ne font pas qu’expliquer, mais argumentent également. Où se situe la frontière ? Dans les deux actions langagières, des arguments sont utilisés, en guise d’étayage d’une thèse : on donne des arguments pour expliquer un phénomène observable ; on donne également des arguments pour défendre un point de vue. Existe-t-il une réelle différence et est-elle perçue par les élèves ? Pour tenter de répondre à cette question, nous allons placer des jeunes élèves d’école enfantine (de 4 à 6 ans) dans deux situations, la première à caractère explicatif, où il s’agira de prendre position par rapport à un phénomène – la tâche piagétienne de conservation des quantités de liquide – et de tenter de l’expliquer ; la seconde à caractère argumentatif, où les élèves devront prendre position par rapport à une situation problématique – la tâche du dilemme moral – et à argumenter pour défendre des valeurs. Dans les deux situations, les élèves seront amenés à donner leur point de vue et à le justifier en répondant à la question

« pourquoi ? ». Va-t-on retrouver les différences théoriques et linguistiques entre l’explication et l’argumentation dans les discours produits par des élèves d’école enfantine ?

1 Ces différents genres textuels apparaissent dans le Plan d’étude genevois, pour des élèves au cycle élémentaire.

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concerne ma propre thèse, elle porte sur le développement de l’argumentation chez les enfants de 4 à 7 ans. Pour étudier ce sujet et pour des raisons qui seront abordées plus après, nous mettons les enfants face à une tâche de Piaget qui est la conservation des liquides. Nous observons alors si, devant une telle tâche, les enfants produisent de l’argumentation. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai choisi de développer le sujet de l’argumentation chez les jeunes élèves dans ce mémoire. Il va sans dire que cette thématique m’intéresse fortement car elle se rattache d’une part au langage en interaction, sujet qui m’a toujours beaucoup attirée et d’autre part, la problématique que j’ai choisi de traiter permettra de se faire une idée plus claire et précise de ce qu’est l’argumentation, en particulier en quoi elle se distingue de l’explication.

Le premier chapitre de ce travail présente le cadre théorique du sujet choisi. Nous le débuterons par quelques définitions et précisions qui nous paraissent primordiales pour comprendre la thématique, notamment les notions de genre de texte et d’argument. Ensuite, nous établirons la distinction entre les genres explicatif et argumentatif, d’un point de vue linguistique tout d’abord, puis en nous basant sur les pratiques sociales de référence. Enfin, nous détaillerons les deux activités choisies pour la partie pratique de ce travail, à savoir la tâche de conservation des liquides pour le genre explicatif et le dilemme moral pour le genre argumentatif. Alors que dans le premier chapitre, nous considérerons l’explication et l’argumentation comme des genres bien distincts, dans le second, nous verrons au contraire ce qui les réunit. Puis nous présenterons la théorie concernant les capacités explicatives et argumentatives chez le jeune enfant pour terminer par la présence de ces deux actions langagières dans les disciplines scolaires. Le troisième chapitre concerne la méthodologie. Les questions de recherche détaillées ouvriront le chapitre, suivies par une description de la population interrogée. Puis nous détaillerons les deux tâches qui seront présentées aux élèves.

Enfin, nous relèverons quelques notes concernant les transcriptions, la manière dont elles ont été conduites ainsi que les conventions de transcription.

Les quatrième et cinquième chapitres seront consacrés à l’analyse des données. Nous procéderons dans un premier temps à une macro-analyse, où il s’agira tout d’abord de décrire les séquences telles qu’elles se sont déroulées avec les élèves interrogés et d’observer la centration des élèves sur les tâches. Nous nous arrêterons ensuite sur les deux activités réalisées, en considérant le rôle de la tâche ainsi que celui de la consigne sur les réponses des élèves. Puis les thèmes rencontrés lors des conversations feront l’objet d’un point du chapitre.

Enfin, nous nous attarderons sur les interactions qui ont eu lieu durant la réalisation des

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activités : interactions entre les élèves, mais aussi avec l’adulte. Dans un second temps, nous réaliserons une micro-analyse des données où nous tenterons de cerner les similitudes et les différences énonciatives et textuelles entre les deux situations. Les premières s’identifieront à travers le je et le tu dans le discours, les déictiques, les verbes d’opinion et les temps et modes. Les secondes se trouveront dans les connecteurs et les marqueurs de la narration.

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CHAPITRE I : CADRE THÉORIQUE

Dans cette partie théorique, il s’agira, très généralement, de distinguer le genre explicatif du genre argumentatif. Nous nous attarderons dans un premier temps sur deux définitions qui paraissent essentielles : le genre textuel et l’argument. Pour chacun des deux actions langagières que sont l’explication et l’argumentation, nous nous pencherons sur leurs pratiques sociales de référence, puis sur leurs théories pour finir par détailler les deux situations choisies pour les tester. Enfin, nous terminerons cette partie théorique en réunissant les deux genres qui nous occupent. Nous tenterons alors de dresser leurs similitudes et leurs différences.

1.1. PRODUCTIONS DISCURSIVES

1.1.1. Le genre textuel

Tout d’abord, il convient de préciser ce que l’on entend par « genre ». Au sens large du terme, et surtout dans l’acception littéraire, le genre désigne la catégorie littéraire auquel appartient un texte. Théoriquement, les genres sont illimités et de nombreux sous-genres existent. A titre d’exemples, le genre du roman se décline en différents sous-genres : le roman épistolaire, le roman policier, le roman d’amour, etc. On les appelle « genre de texte », car ils possèdent des caractéristiques relativement stables. Cependant, même si on parle de genres, les textes, entendus au sens de toute production verbale, prenant en compte « la diversité des manifestations des activités discursives humaines » (Adam & Heidmann, 2006 : 22), « sont en effet composés, selon des modalités très variables, de segments de statuts différents » (Bronckart, 1996 : 138). Bakhtine, dans Esthétique de la création verbale (1984), s’est entre autres intéressé aux genres du discours. Dans sa théorie se dégage un point important, celui de la relative stabilité des énoncés selon la « sphère d’utilisation de la langue » (Bakhtine, 1979 : 265), dans les genres littéraires comme dans la vie quotidienne. Il parle de types stables d’énoncés, tout en insistant sur la souplesse, la mobilité et la grande diversité de ces énoncés et des genres de discours.

En utilisant la métaphore du repas, Dolz et Schneuwly (1998) parlent eux aussi des genres, les définissant comme « formes relativement stables de textes qui fonctionnent comme des intermédiaires entre l’énonciateur et le destinataire » (64) et qui rendent possible la communication. Les auteurs poursuivent leurs réflexions en assimilant le genre à un outil :

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pour agir dans le parler, on utilise un outil qui est le genre, « outil qui permet de réaliser une action dans une situation particulière » (65). Les trois dimensions pour définir un genre sont :

1) les contenus qui deviennent dicibles à travers lui

2) la structure communicative particulière des textes lui appartenant

3) les configurations spécifiques d’unités linguistiques : traces de la position énonciative de l’énonciateur, des ensembles particuliers de séquences textuelles et de types discursifs qui forment sa structure (65)

Dans le cadre scolaire, les genres sont particulièrement utiles en tant que références pour les élèves quant aux textes qu’ils doivent étudier. Les genres fournissent en effet des éléments formels, des structures plus ou moins stables, des contenus, et le travail sur les genres

« fournit un cadre d’analyse des contenus, de l’organisation de l’ensemble du texte et des séquences qui le composent, ainsi que des unités linguistiques et des caractéristiques spécifiques à la textualité orale » (Dolz & Schneuwly, 1998 : 65).

Selon l’interactionisme socio-discursif, les produits des actions langagières, autrement dit les textes, présentent des caractéristiques plus ou moins stables, et l’on peut alors les classifier en

« genre de discours », selon leurs objectifs, enjeux et intérêts. Le courant de l’analyse de discours qui, en plus d’être une discipline qui prend pour objet d’étude toute production verbale, se définit plus précisément comme « la discipline qui, au lieu de procéder à une analyse linguistique de texte en lui-même ou à une analyse sociologique ou psychologique de son « contexte », vise à articuler son énonciation sur un certain lieu social » (Maingueneau, 1996 : 11). Cependant, même s’ils sont relativement stables, les textes ne peuvent faire l’objet d’un classement ferme, rigide et définitif. Ils se distribuent en types de discours, « articulés entre eux par les mécanismes de textualisation et de prise en charge énonciative, qui confèrent au tout textuel sa cohérence séquentielle et configurationnelle » (Bronckart, 1996 : 151) et qui traduisent la création de mondes discursifs, c’est-à-dire les mondes virtuels créés par l’activité langagière. Les quatre mondes discursifs décrits par Bronckart sont : le monde de l’exposer impliqué, de l’exposer autonome, du raconter impliqué et du raconter autonome. Ces mondes sont rattachés à des « types linguistiques » différents qui sont respectivement le discours interactif, le discours théorique, le récit interactif et la narration. Ces types constituent l’infrastrucutre textuelle, qui se caractérise aussi par son organisation séquentielle, relative à son contenu thématique. Adam a développé à ce propos une théorisation de l’organisation textuelle, en séquences. La séquence est une unité compositionnelle qui constitue une entité relativement autonome et possède une véritable structure. L’auteur distingue cinq séquences : descriptive, narrative, argumentative, explicative et dialogale.

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Ces propos, en particulier ce qui concerne l’organisation textuelle, en mondes ou en séquences, nous intéressent particulièrement pour notre étude. En effet, nous proposons dans ce travail d’opérer une distinction entre l’explication et l’argumentation et avons pour cela élaboré deux tâches lors desquelles des élèves de classes enfantines interagissent. Ces deux tâches, comme il l’a été mentionné auparavant, relèvent de chacun de ces genres. Nous y reviendrons en détails plus loin. Il est cependant important de relever que, du fait de la nature de la tâche, nous nous intéressons à des interactions orales entre des élèves.

1.1.2. L’argument

Qu’est-ce qu’un argument ? Cette question a priori élémentaire, est en réalité plus complexe qu’elle ne le paraît. Pour définir l’argument, nous nous situerons dans une perspective linguistique, en distinguant « argument » d’ « argumentation » ou de « séquence argumentative », concepts sur lesquels nous reviendrons plus loin dans le texte. De manière générale et dans une large acceptation, un argument est une « preuve, raison qui appuie une affirmation, une thèse, une demande » (Larousse, 2008) et dont les synonymes sont « raison, démonstration, preuve ». Du point de vue de la linguistique textuelle, l’argument se voudrait introduit par un connecteur, afin d’établir le lien logique entre les propositions. Ainsi, Adam (2008b) définit la « simple période argumentative » comme une « suite de propositions liées par des connecteurs argumentatifs » (150)2

La notion d’argument se retrouve dans plusieurs domaines, où il revêt une importance et une signification différentes, tels les domaines juridique, politique, publicitaire, culturel ou quotidien. Dans chacun de ces contextes, l’argument a une valeur et une construction différentes. Ainsi, à titre d’exemple, le domaine publicitaire utilise l’argument comme slogan : il se doit de toucher le plus grand nombre de personnes dans la population générale afin d’amener celle-ci à acheter le produit qu’elle vente. L’argument dans la publicité fait , mais il relève tout de même d’un point de vue plus général que « la donnée-argument vise à étayer ou à réfuter une proposition » (Adam, 2008a : 104). Bronckart (1996), quant à lui, parle des arguments comme étant des « éléments qui orientent vers une conclusion probable ; ces éléments pouvant être appuyés par des lieux communs (topoi), des règles générales, des exemples, etc. » (229).

2 Proposition étant entendue ici comme phrase.

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l’objet de nombreuses études en linguistique3. L’argument publicitaire diffère par exemple d’un argument utilisé dans le domaine juridique, qui possède des critères précis, tels que la convention de débuter son argument par la conjonction « parce que »4

Dans le domaine scolaire, l’étude de l’argumentation apparaît dans les programmes à partir du cycle de transition, pour le canton de Vaud (PEV) ; dans le canton de Genève, l’étude des textes argumentatifs semble apparaître plus tôt dans le plan d’étude, soit dès la 1P/2P. En ce qui concerne le canton de Vaud, avant le cycle de transition, l’étude des arguments et de l’argumentation en général n’est pas spécifiquement mentionnée et ne représente pas un point à traiter en particulier. Cependant, on peut voir apparaître le terme « argumenter » dans le PEV au cycle primaire, en particulier dans le domaine des mathématiques. Alors que l’argument n’a pas fait l’objet d’une leçon spécifique, il est attendu des élèves qu’ils argumentent dans une situation donnée. Ne fait-on pas ici face à un paradoxe ? Il est légitime de se poser la question, même si celle-ci n’est pas l’objet de ce travail.

. Ces deux exemples montrent que le contexte fait varier la valeur et la construction de l’argumentation en général et des arguments en particulier.

Dans la Grèce antique, il était enseigné aux jeunes privilégiés l’art oratoire, l’art de convaincre par la parole, en donnant des arguments. Depuis là, de nombreux traités de rhétorique font leur apparition, traités dans lesquels sont énumérés les différents types d’arguments et les figures de style utilisées. Aujourd’hui, on trouve sur internet différentes typologies des arguments, et des listes plus ou moins longues. À titre d’exemple, les types d’arguments les plus souvent cités sont : l’argument d’autorité, l’analogie, l’argument de causalité, etc. Quelques ouvrages spécialisés dressent également une liste des différents types d’arguments. On relèvera particulièrement l’ouvrage de Perelman, Traité de l’argumentation.

La nouvelle rhétorique, dans lequel on trouve une liste impressionnante de différents types d’argument, allant de l’argument par l’abus à l’argument par la syntaxe en passant par l’argument ad hominem.

En définitive, nous retiendrons de cette définition de l’argument qu’il s’agit d’un énoncé destiné à appuyer, étayer une thèse, ou à la réfuter. Souvent, lorsqu’un argument est défini dans des ouvrages de vulgarisation, il se confond avec argumentation ; les auteurs non spécialistes du sujet les considèrent comme des synonymes. En langue anglaise, les mots

3 Voir notamment Adam, J-.M. & Bonhomme, M. (2005). L’argumentation publicitaire : rhétorique de l’éloge et de la persuasion. et Lugrin, G. (2006). Généricité et intertextualité dans le discours publicitaire de presse écrite.

4 Voir Braudo, S. (1996), de http://www.dictionnaire-juridique.com/definition/argument.php

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« argument » et « argumentation » sont assimiliables, c’est ainsi que Van Eemeren (1996) débute l’ouvrage Fundamentals of Argumentation Theory par « Argumentation (or argument) is familiar to all of us » (1). Pour Plantin (1996), un argument est une donnée qui justifie une proposition de départ. Pour que la donnée soit pertinente, il faut qu’elle ait un rapport avec la proposition et que l’opposant puisse identifier ce rapport. Si les données sont soutenues par une « loi de passage » (lien entre deux énoncés), elles peuvent prendre le statut d’argument, et la proposition celui de conclusion. Dans ce travail, nous tâcherons de différencier argument d’argumentation, gardant à l’esprit qu’un argument est un énoncé et une argumentation ou discours argumentatif est une séquence textuelle et fait l’objet d’un développement. Nous y reviendrons plus longuement par la suite.

1.2.EXPLICATION

Lors de cette section, nous verrons tout d’abord quelles sont les pratiques sociales de référence concernant l’explication, c’est-à-dire les contextes dans lesquels on utilise l’explication de manière similaire à la façon dont on l’aborde dans la tâche que nous avons élaborée. Dans ce qui précède, nous avons vu ce qu’était le genre textuel. Nous allons alors tenter de définir plus précisément en quoi consiste le genre explicatif, pour le distinguer ensuite du genre argumentatif. Enfin, nous détaillerons la tâche piagétienne de conservation des quantités de liquide en exposant également quelques points importants de la théorie de Piaget sur la conservation.

1.2.1. Les pratiques sociales de référence

Expliquer, au même titre qu’argumenter d’ailleurs, et selon la définition acceptée de manière large, est un acte réalisé au quotidien : dans la sphère familiale, amicale, professionnelle, l’explication, qu’elle soit dans le sens de la justification ou dans celle d’explication, est très fréquente dans la vie de tous les jours. On peut expliquer nos paroles, nos actes, ou encore la manière dont fonctionne un appareil ou un objet quelconque. L’explication peut être donnée à un seul interlocuteur ou à plusieurs, elle peut se faire en face-à-face ou à travers diverses médias (téléphone, internet, etc.). Elle peut également être orale ou écrite. La pratique discursive de l’explication est largement présente dans la vie quotidienne de la plupart des individus. Cependant, et dans une perspective didactique, qui n’est pas la visée principale de

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ce travail mais reste un possible développement de celui-ci, il importe d’identifier les savoirs savants pour les transposer ensuite en un savoir enseigné.

Dans le domaine des discours explicatifs, Dolz et Schneuwly (1998) identifient quelques genres oraux relevant, ainsi qu’ils le nomment de l’ « exposer » :

l’exposé oral, la conférence, l’interview d’expert, le dialogue explicatif, etc. Ces genres impliquent des capacités de présentation et de problématisation de différentes formes de savoirs. Ils supposent une mobilisation de connaissances à propos des savoirs traités, des stratégies de recherche d’informations, des mises en relation entre les notions abordées. Ils supposent aussi des capacités de prise de distance et d’anticipation pour « faire comprendre » ces savoirs à un auditoire (86).

Ainsi, les pratiques de référence seraient, pour l’explication donnée oralement en tous les cas, la conférence d’un universitaire, l’interview journalistique spécialisé, etc. En ce qui concerne l’explication donnée par écrit, celle-ci peut constituer l’entier d’un texte, comme dans un article de vulgarisation ou un reportage, par exemple – le texte est alors à dominante explicative – ou la séquence explicative peut se réaliser partiellement, par exemple lorsqu’elle est insérée dans un texte à dominante descriptive, telle une fiche zoologique, par exemple.

Ainsi, les spécialistes de l’explication, en d’autres termes les professions usant de l’explication dans leur profession seraient, entre autres, les scientifiques, les critiques, qu’ils soient littéraires, gastronomiques, cinématographiques, etc. et les professeurs ou enseignants, lorsqu’il s’agit d’expliquer un cours, une notion ou une consigne aux élèves.

1.2.2. Le genre explicatif

L’explication n’est pas « une structure abstraite, formelle, censée normer – hors contexte – les produits de la science » (Borel, 1981 : 38) ainsi que nous l’apprend Borel dans l’article Donner des raisons. Un genre de discours, l’explication, mais bien plutôt, comme l’indique le titre de l’article, un genre de discours ou un certain type de communication parmi d’autres.

Adam, dans l’ouvrage Les textes : types et prototypes, consacre un chapitre entier au prototype de la séquence explicative dans un discours. Avant de distinguer le genre expositif du genre explicatif, le linguiste rappelle tout d’abord la précision apportée par Combettes et Tomassone (cité par Adam 2008a) dans un ouvrage intitulé Le texte informatif, aspects linguistiques. Les deux auteurs relèvent effectivement que le type informatif-expositif est à distinguer du type argumentatif « qui vise à modifier des croyances, des représentations alors que le texte informatif-expositif vise moins à transformer des convictions qu’à apporter un savoir » (Adam, 2008a : 127-128). Il est encore à distinguer de l’explication : « expliquer

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nous semble constituer une intention particulière qui ne se confond pas avec informer ; le texte explicatif a sans doute une base informative, mais se caractérise, en plus, par la volonté de faire comprendre les phénomènes » (Combettes & Tomassone, cité par Adam, 2008a : 128). Maintenant que nous avons établi une distinction claire entre argumentation, exposition- information et explication, revenons sur ce qu’Adam propose en termes de « distinction à opérer entre exposition et explication [qui] passe par la différence entre POURQUOI ? et

COMMENT ? » (Adam, 2008a : 129). Le linguiste précise que les séquences en comment, pour la plupart, ne sont pas des séquences explicatives : elles seraient plutôt descriptives. L’auteur en vient ainsi à préciser un dernier élément sur l’explication. Il parle de la justification, forme particulière de l’explication, selon lui. En citant Grize, Adam opère la distinction entre le fait de justifier des paroles, ce qui répondrait à la question « pourquoi dire cela ? » et le fait d’expliquer des phénomènes ou des faits et qui répondrait à la question « pourquoi être/devenir tel ou faire cela ? ». Nous verrons plus loin que la tâche piagétienne de conservation des liquides se trouve être en fait de l’ordre de ces deux genres, justification d’une part et explication d’autre part. Il convient encore de relever un élément souligné par Adam dans le même ouvrage. Tout en précisant qu’il en est de même pour l’argumentation, l’auteur met en garde le lecteur sur le fait de ne pas confondre « les dimensions pragmatique et discursive des conduites explicatives, d’une part, et la textualité dans laquelle s’inscrit une séquence explicative, d’autre part » (128). Dans les ouvrages que nous avons consultés, notamment le Tome XIX, n°56 de la Revue européenne des sciences sociales, l’explication est davantage traitée sous l’angle pragmatique, considérant les conduites explicatives plutôt que la textualité d’une séquence explicative.

Ainsi que le relate Bronckart (1996) dans l’ouvrage Activité langagière, textes et discours, le raisonnement explicatif tel que l’a présenté Grize « s’origine dans le constat d’un phénomène incontestable » (231), que celui-ci soit un évènement naturel ou une action humaine. Mais ce phénomène se présente comme incomplet ou requérant un développement, qui est entrepris par un agent autorisé et « en situation de le faire » (Grize, 1981 : 10). Cet agent explicite les causes et les raisons de son affirmation initiale. L’orateur peut, comme le souligne Grize, se servir de son explication comme argumentation. A l’issue de ce développement, « le constat initial se trouve reformulé et généralement enrichi » (Bronckart, 1996 : 231).

En ce qui concerne le prototype de la séquence explicative, Bronckart et Adam en tracent tous les deux le schéma, de manière quelque peu différente cependant. Nous allons tout d’abord présenter le raisonnement explicatif selon Bronckart, puis nous verrons la manière dont Adam

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l’interprète. Pour Bronckart, le prototype d’une séquence explicative se compose de quatre phases : la phase de constat initial, la phase de problématisation, la phase de résolution et la phase de conclusion-évaluation. Ce prototype, comme d’ailleurs n’importe quel autre prototype décrit par Bronckart, se réalise sous des formes de complexité et de taille variables.

Adam présente la structure de la séquence explicative de manière plus complexe que le précédent auteur. Le point de départ d’une séquence explicative serait l’opérateur POURQUOI, ou COMMENT, qui peut dans certains cas jouer le même rôle. En faisant référence à Grize, Adam (2008a) expose la structure d’une telle séquence :

un premier opérateur [POURQUOI] fait passer d’une schématisation S-i, qui présente un objet complexe (O-i), à une schématisation S-q, qui fait problème (objet problématique O-q), puis un second opérateur [PARCE QUE] permet de passer de S-q à une schématisation explicative S-e (O-e). La séquence explicative de Grize est la suivante :

S-i pourquoi ? S-q parce que S-e

[O-i] ---> [O-q] ---> [O-e] (132)

Ce schéma nous montre que le mot interrogatif pourquoi lance en quelque sorte une séquence explicative, en tous les cas demande une explication.

Cependant, il est important de relever qu’ « un discours n’est pas explicatif en soi ; il l’est ou le devient dans des situations d’énonciation précises » (Ebel, 1981 : 17). Ainsi que l’expose Ebel (1981) dans un article intitulé L’explication : acte de langage et légitimité du discours, il existe des pratiques langagières, telles qu’argumenter, raconter, polémiquer, enseigner ou encore expliquer. Ce ne sont pas ici des objets isolables mais bien davantage des processus que l’on peut étudier.

Un discours n’est pas explicatif, argumentatif, narratif ou didactique par nature, mais peut se présenter comme tel dans des conditions précises. En parlant de discours explicatifs, nous postulons donc que, dans des pratiques langagières concrètes, les discours se repèrent de manières diverses et qu’il est possible non de trouver une forme, un contenu, ou une fonction qui, en soi, serait susceptible de doter un discours de tel ou tel caractère, mais de dégager un ensemble de traits constitutifs d’un effet particulier de discours, l’effet-explication en l’occurrence (18-19).

Ebel (1981) énonce trois conditions à respecter pour qu’un discours soit reçu en tant qu’explication :

1. Le fait, le problème ou le phénomène à expliquer ne peut être contesté ; la pertinence de la question ne peut être mise en doute.

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2. « La légitimité de la question doit être reconnue. On n’explique pas ce qui va de soi, pas plus qu’on ne demande d’explication pour ce qui va de soi » (22).

3. « le discours explicatif se présente comme discours d’autorité » (26), autrement dit

« celui qui propose une explication doit être tenu pour compétent en la matière et neutre » (Grize 1990 : 106)

Dans un contexte scolaire, qui nous intéresse plus particulièrement, et en situation de test, la deuxième condition n’est pas tout à fait respectée : on demande en effet à l’élève d’expliquer ce qui va de soi pour son destinataire, le maître. Dans une situation d’explication, la norme voudrait que celui qui explique ou à qui on demande d’expliquer connaisse mieux le phénomène à expliquer. Deux situations sont possibles si ce n’est pas le cas : soit il n’y a pas d’explication, soit celui à qui une explication a été demandée prétend qu’il est compétent et fournit une explication, qui sera adéquate ou non, mais sera tout de même un discours explicatif. Par contre, la troisième trouve tout son sens dans le contexte scolaire où le savoir savant, une fois transposé en savoir scolaire, est l’objet d’une dépersonnalisation. La compétence et la neutralité sont deux composantes essentielles quant à la réception d’un discours explicatif ; la première parce que si l’interlocuteur expliquant n’est pas perçu comme compétent, je ne recevrai pas son discours comme une explication, la seconde parce que si nous savons l’interlocuteur tenir une telle position politique, par exemple, son explication quant à un fait pourrait ne pas paraître valable.

Au final, qu’est-ce qu’expliquer ? « Le terme "expliquer" désigne des activités très diverses.

Expliquer le point de vue que l’on adopte, expliquer une page de Proust et expliquer comment réussir un riz créole ne renvoient certainement pas à un même sens » (Grize, 1981 : 7). Dans un sens largement admis, expliquer revient à « rendre clair, intelligible ce qui est obscur, en particulier mettre à jour les causes, les motifs » (Ebel, 1981 : 16). Dans la notion d’expliquer revient donc le fait de faire comprendre quelque chose à quelqu’un, de rendre intelligible une notion ou un phénomène.

1.2.3. Piaget et la conservation

Au vu de ce qui vient d’être exposé concernant l’explication, il apparaît que la tâche piagétienne de conservation des quantités de liquide peut être vue comme une activité demandant aux élèves de fournir une explication sur le phénomène qu’ils sont en train d’observer. Afin de mieux cerner cette activité et en quoi elle consiste, il semblait important

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de faire un détour par la théorie piagétienne sur la conservation du nombre chez l’enfant dans un premier temps, pour ensuite présenter la méthode d’entretien critique-clinique, dont notre tâche s’inspire, et enfin de détailler la tâche de conservation des liquides.

1.2.3.1. La théorie piagétienne et la conservation du nombre chez l’enfant

Alors que, au début du XXème siècle, Piaget travaille dans le laboratoire de Binet à Paris, il commence à s’intéresser au développement de l’intelligence. En faisant passer aux enfants les tests de raisonnement de Burt, il converse librement avec eux et invente ainsi la méthode clinique que nous aborderons plus tard. Ce qu’il découvre surtout, c’est que la logique n’est pas innée et qu’elle se construit progressivement, que les modes de pensée de l’enfant sont différents de ceux de l’adulte. Piaget définit quatre stades de développement des structures de l’intelligence, présenté ainsi par Dolle (1999) :

1. Le stade de l’intelligence sensori-motrice (jusqu’à 2 deux ans) 2. Le stade des opérations concrètes

a. le sous stade de l’intelligence symbolique ou de l’intelligence préopératoire (2 à 6-7 ans) ;

b. le sous-stade de l’intelligence opératoire concrète ou des opérations concrètes (6-7 à 11-12 ans).

3. Le stade de l’intelligence opératoire formelle ou des opérations formelles (11-12 ans à 16 ans, avec palier d’équilibre5

Le stade qui nous intéresse plus particulièrement est le stade de l’intelligence préopératoire.

Le dessein n’est pas ici de présenter ce stade de manière complète et exhaustive mais de situer l’enfant dans son développement selon la théorie constructiviste développée par Piaget. Au sortir du stade sensori-moteur, naît la re-présentation, au sens de la présence mentale (image mentale) de l’objet absent. L’enfant reconstruit alors le monde du stade sensori-moteur sur le plan de la représentation, mais en restant prisonnier de l’égocentrisme de la représentation, ne pouvant reconstruire ce monde que de son propre point de vue. Cette pensée « n’est pas une pensée socialisée. On retrouve donc toutes les descriptions opérées par Piaget sur l’égocentrisme avec ce qu’il implique d’artificialisme, d’animisme, de finalisme, de réalisme intellectuel, etc » (Dolle, 1999 : 153). Le finalisme, à titre d’exemple, est un égocentrisme dans la compréhension de la relation de causalité entre les objets, tout comme le magico- phénoménisme, qui est le fait d’attribuer des causes magiques à des phénomènes explicables par les sciences.

vers 15-16 ans) (62).

5 Les paliers d’équilibre sont des structures cognitives qui correspondent à des modes d’adaptation du sujet à son environnement.

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Puis, vers l’âge de 6-7 ans, l’enfant acquiert une réversibilité dans la pensée et celle-ci devient alors mobile, ce qui va lui permettre une décentration progressive. La réversibilité implique également l’invariance, car si on peut passer de A à B et de B à A, cela implique qu’un élément au moins est invariant. La pensée logique repose donc sur des invariants. Menant des recherches sur les quantités continues et discontinues, Piaget et Szeminska (1941) constatent en ce qui concerne les quantités continues, comme les liquides, que « leur conservation se construit peu à peu selon un mécanisme intellectuel » (18) et distinguent trois stades : absence de conservation, stade intermédiaire et la conservation nécessaire.

Ceci donne un aperçu bien entendu non exhaustif de la théorie piagétienne, mais centré sur la problématique qui nous occupe. Rappelons pour terminer que Piaget s’inscrit dans le courant constructiviste. Dans ce courant innéiste et empiriste, les paramètres sociaux sont peu pris en compte. On se centre plutôt sur les mécanismes intra-individuels et l’interaction est davantage étudiée sous l’angle de l’interaction individu-environnement qu’entre les individus. Le développement se conçoit en stades, ainsi que Piaget, entre autres, l’a démontré. Nous allons maintenant nous intéresser à la méthode utilisée par l’auteur afin de comprendre les processus du développement intellectuel de l’enfant à chacun des stades qu’il a définis.

1.2.3.2. La méthode d’entretien critique-clinique

La méthode critique-clinique est une méthode d’entretien inventée par Piaget dès le début de ses recherches. Il nous semble important en premier lieu d’examiner les deux termes

« critique » et « clinique » qui définissent la méthode. Pourquoi « clinique » ? Lorsque Piaget se trouvait à Paris, il a eu l’occasion d’observer la méthode clinique en psychiatrie et en psychanalyse. Il en a ainsi retenu l’importance du contact avec le patient et l’observation directe. Nous sommes à cette époque aux balbutiements de la psychanalyse et des associations libres qui, entre autres, constituent la méthode clinique. Piaget prend donc connaissance de cette approche et, travaillant dans le laboratoire de Binet à la passation de tests, il réfléchit à une méthode qui puisse dépasser les outils que la psychologie générale possède déjà : l’observation et les tests. Lorsqu’il faisait « passer les tests de raisonnement de Burt aux petits Parisiens, Piaget se demandait pourquoi ils répondaient juste et pourquoi faux » (Dolle, 1999 : 15). C’est la raison pour laquelle il crée la méthode de l’entretien critique-clinique. Pourquoi

« critique » ? Ducret (2004), dans l’article Méthode clinique-critique piagétienne, donne trois raisons à ce qualificatif. Premièrement, lors de l’entretien avec l’enfant, on critique le jugement de l’enfant en faisant des contre-suggestions. Deuxièmement, la critique concerne

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celle que le chercheur doit faire de lui-même : il « se méfie de lui-même, des jugements trop hâtifs que lui, psychologue, peut être amené à porter sur les réponses ou les conduites des enfants » (2). Enfin, et c’est davantage ici une raison contextuelle et historique, « son interrogation scientifique s’inscrit dans le prolongement de la philosophie critique et de la méthode historico-critique » (10). Retenons de cette définition des termes que la méthode piagétienne tente de dépasser ce qu’était alors le début de la clinique en psychiatrie et en psychanalyse.

The substantive difference between critical and clinical is that a clinical method is content with ascertaining whether any response/reason is actually that of the person being interviewed (as in psychoanalysis), whereas a critical method focuses on the nature of respondent’s belief : how the response is justified in terms of the evidence and possible competing explanations […] that is the essence of the Piagetian œuvre : not what the child knows, but how the child knows it ; not the child’s judgment, but the justification of that response. (Bond & Tryphon, 2009 :173)

Nous avons tracé ici la manière dont est née la méthode d’entretien clinique-critique de Piaget, mais en quoi consiste-t-elle ? C’est ce que nous allons décrire maintenant.

Piaget (1947/2003) disait lui-même de sa méthode, dans l’introduction à La représentation du monde chez l’enfant, qu’elle consiste à

soumettre l’enfant à des épreuves organisées de manière à satisfaire aux deux conditions suivantes : d’une part, la question reste identique pour tous les sujets, et se pose toujours dans les mêmes conditions ; d’autre part, les réponses données par les sujets sont rapportées à un barème ou à une échelle permettant de les comparer qualitativement ou quantitativement (6).

La méthode piagétienne se présente sous la forme d’une conversation libre avec un enfant sur un thème dirigé, suivant les méandres de sa pensée à travers ses réponses et le ramenant au thème. Le but est d’obtenir des justifications à la pensée, d’en éprouver la constance en faisant des contre-suggestions. La méthode clinique s’adapte aux détours et aux réponses des enfants interrogés ; adaptation des expressions, du vocabulaire et des situations elles-mêmes. Si Piaget a mené ses recherches sur la représentation du monde chez l’enfant ou le jugement moral, comme lorsqu’il interroge les enfants sur les rêves par exemple, ou encore la formation du brouillard, à l’aide de matériel uniquement verbal, il va plus tard, dès l’ouvrage La causalité physique chez l’enfant, passer de la méthode purement clinique, ou uniquement verbale, à la « méthode mi verbale, mi concrète » (Dolle, 1999 : 19). Puis va finir par apparaître la « méthode directe », qui procède encore de la méthode clinique mais qui s’applique à un matériel concret, et non plus uniquement verbal. C’est le cas de la tâche qui nous concerne, celle de la conservation des quantités de liquide, sur laquelle nous

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reviendrons. Même si le langage constitue l’outil par lequel on peut percevoir la pensée de l’enfant, la notion d’expérience entre en jeu ici. On place l’enfant devant un matériel concret (verres, pâte à modeler, tiges de bois, cailloux, bouchons de liège, etc.) et on leur demande d’expliquer ce qu’il se passe (ou va se passer) si l’on agit d’une manière ou d’une autre sur les objets, si l’on transforme le matériel concret. Le langage est conservé, mais il commence à n’intervenir que pour justifier les actions concrètes effectuées par les enfants ; il n’est plus la seule porte d’entrée pour l’accès au développement de l’intelligence. Piaget va désormais se situer davantage dans une appréhension de la logique enfantine dans l’action plutôt que dans le langage, sans que celui-ci soit pour autant exclu.

Même si la méthode que nous venons de décrire présente de sérieux avantages pour saisir la pensée de l’enfant, et même si les apports de Piaget pour la psychologie de l’enfant ne sont plus à prouver, il n’en reste pas moins que la méthode clinique-critique comporte quelques inconvénients. Premièrement, il se trouve qu’elle est difficile à appliquer et que des années de pratique sont nécessaires pour la maîtriser. Pour être un bon expérimentateur, il faut « savoir observer, c’est-à-dire laisser parler l’enfant, ne rien tarir, ne rien dévier, et, en même temps, savoir chercher quelque chose de précis, avoir à chaque instant quelque hypothèse de travail, quelque théorie, juste ou fausse, à contrôler » (Dolle, 1999 : 17). On voit là toute la difficulté de mener à bien un entretien critique-clinique. Du fait de la souplesse que demande ce type d’entretien, du fait qu’il soit guidé par les réponses données par l’enfant et que la caractéristique principale de cette méthode soit la conversation libre, il n’existe pas de protocole ni d’entretien-type, comme on peut en trouver dans d’autres méthodes d’entretien, tel l’entretien dirigé. Il est donc difficile de reproduire les recherches piagétiennes. Bond et Tryphon (2009), dans l’article Piaget and Method, relèvent combien ils ont été surpris, compte tenu du nombre de publications faites par Piaget, du peu de place dédiée à l’explicitation de sa méthode.

1.2.3.3. La tâche de conservation des quantités de liquide

Maintenant que nous avons décrit la tâche de conservation des quantités de liquide telle que Piaget la faisait passer aux enfants ainsi que l’intérêt qu’il y trouvait et sa place dans la théorie piagétienne, nous allons aborder cette tâche sous l’angle de l’interactionnisme social et enfin nous verrons si elle peut être utilisée en situation d’apprentissage et dans quelles conditions.

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La tâche de conservation des quantités de liquide est présentée dans l’ouvrage de Piaget et Szeminska (1941) intitulé La genèse du nombre chez l’enfant. Dans ce livre, les auteurs observent « comment les schèmes sensori-moteurs de l’assimilation intelligente s’organisent sur le plan de la pensée en systèmes opératoires » (5). Les tâches présentées par les deux auteurs sont alors construites afin d’observer la pensée du stade des opérations concrètes.

Parlant de méthode dans l’introduction, il est signalé au lecteur que la conversation libre est conservée mais qu’un paramètre y est introduit : la manipulation des objets concrets. Piaget relève que « la conversation avec le sujet est à la fois beaucoup plus sûre et beaucoup plus féconde lorsqu’elle a lieu à l’occasion d’expériences effectuées au moyen d’un matériel adéquat et lorsque l’enfant, au lieu de réfléchir dans le vide, agit d’abord et ne parle que de ses propres actions » (5-6). Concrètement, Piaget ou un de ces collaborateurs, se tient face à l’enfant. La méthode est la suivante :

Utilisant un matériel standardisé, on commence par présenter à l’enfant deux verres à boire semblables que l’on remplit de la même quantité de liquide, rouge et orange.

Lorsque l’enfant à accepter l’équivalence des deux quantités, en choisissant librement les critères de comparaison, on verse le contenu de l’un des deux récipients dans un autre verre, long et mince par exemple et on demande alors à l’enfant si la quantité de liquide contenu dans ce deuxième verre est équivalente, plus grande ou plus petite que celle contenue dans le verre témoin, qui n’a pas été changé. On reverse alors le contenu du verre long et mince dans son premier récipient, et l’enfant estime l’égalité ou l’inégalité des quantités contenues à nouveau dans les deux verres semblables. On poursuit l’expérience, mais en se servant successivement d’un verre large et bas puis de quatre petits verres étroits ayant environ la hauteur du verre témoin. Dans chacune de ces situations, on interroge l’enfant sur l’équivalence ou les différences des quantités respectives en formulant différentes questions et des contre-suggestions. On demande parfois à l’enfant d’anticiper le résultat d’une transformation6

Comme nous l’avons vu lors de l’exposé sur la méthode d’entretien critique-clinique, le déroulement de l’interaction est relativement libre. Cependant, Piaget et ses collaborateurs se bornent à poser les mêmes questions aux enfants et les expérimentations se déroulent la plupart du temps de façon similaire. Piaget veut effectivement comprendre le processus de développement de l’intelligence uniquement par le biais de la parole et des arguments que les enfants donnent pour justifier leur affirmation.

.

Si l’on tient compte de la distinction que font Grize et Adam notamment entre justification et explication, on peut considérer que la tâche piagétienne de conservation des quantités de liquide se trouve au croisement des deux. En effet, l’enfant doit d’une part tenter d’expliquer un phénomène qu’il peut observer, à savoir l’égalité ou l’inégalité des quantités, et d’autre

6 Extrait de la vidéo Les transvasements de liquides.

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part il doit justifier sa position par rapport à ce phénomène, puisque l’expérimentateur lui demande d’expliquer sa réponse quant à l’égalité des quantités dans les verres. Piaget décrit trois arguments donnés par les enfants conservants (il y a la même quantité de liquide dans les deux verres après le transvasement) : l’argument d’identité (rien n’a été enlevé ni ajouté), l’argument de réversibilité (si on remet le liquide du verre B dans le verre A’ il y aura à nouveau la même quantité) et l’argument de compensation (le verre B est plus haut mais plus mince).

Lorsqu’on se place dans une perspective moins développementale mais davantage en considérant les relations interindividuelles, la tâche de conservation des quantités de liquide

« peut facilement être transformée en une tâche collective ayant un caractère spécifique : le partage. Dans un partage la nature même de la tâche produit une interaction sociale suscitée par la consigne. Elle n’est pas perçue par les sujets comme ayant un objectif spécifiquement didactique » (Perret-Clermont, 1996 : 55). Des auteurs tels Perret-Clermont, Doise et Mugny se sont plus particulièrement penchés sur la problématique de la « construction de l’intelligence dans le développement social ». Ils ont montré, à travers diverses recherches et expériences, que « dans certaines conditions une interaction sociale mène à des structurations plus complexes qu’une action individuelle » (Perret-Clermont, 1996 : 51). Selon cette perspective, cela permettrait donc, en faisant interagir les élèves à propos de la tâche qui nous occupe ici (ainsi que nous le mentionnons au point suivant et plus en détails dans la partie méthodologique), de mettre les élèves dans une situation de communication dans laquelle ils ont un problème à résoudre ensemble, pour lequel ils doivent communiquer. Il n’y a ici pas d’expert ni de novice, les interlocuteurs possèdent les mêmes informations et, même si l’expérimentateur fait figure d’adulte, il essaie d’amoindrir sa position de connaisseur par des manœuvres que nous aborderons par la suite. Pour l’instant, nous allons relever les modifications qui ont été apportées à la tâche pour la présente recherche.

1.2.3.4. Les modifications apportées à la tâche

La tâche piagétienne de conservation des quantités de liquide a été choisie tout d’abord parce qu’elle est destinée à des enfants de l’âge des élèves que nous avons interrogés, c’est-à-dire au stade des opérations concrètes. Ensuite, la littérature et les recherches qui concernent cette tâche sont importantes. Ainsi, nous disposons d’un grand nombre de références et cela s’avère parfois très utile. Enfin, nous avons choisi plus généralement de travailler avec une tâche piagétienne, premièrement parce que ce type de tâche représente bien le genre explicatif, dans

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le sens que nous lui avons donné (l’explication et la justification) et deuxièmement par une volonté de redécouverte de Piaget, sous un angle différent.

La première modification que nous avons apportée à la tâche et qui sera détaillé plus bas est la composante narrative ajoutée à la tâche. En effet, lors d’une précédente étude (Arcidiacono &

Perret-Clermont, 2009), il avait été constaté que les enfants ne s’engageaient peu, voire pas du tout, dans l’activité. Lors d’une étude pilote menée en 2010 par l’IPSYED7

Une seconde modification apportée est le fait que l’expérimentateur est ici face à 2 ou 3 enfants, contrairement à Piaget qui faisait face à un seul enfant. Les objectifs de recherche étant différents, – Piaget voulait comprendre le processus de développement cognitif ; nous essayons de comprendre comment les élèves dialoguent par rapport à cette tâche – le nombre des enfants interrogés n’est évidemment pas le même dans les deux situations.

, une histoire a été introduite par les expérimentateurs, afin de tester l’effet de cette narration sur les enfants. Les résultats ont été que ceux-ci ont montré davantage d’intérêt à s’exprimer lorsque l’activité était mise en contexte. C’est la raison pour laquelle nous avons, pour cette recherche, décidé de garder cette composante narrative, qui sera détaillée dans la partie méthodologique.

La troisième modification est la phase préalable à la tâche en elle-même. Comme nous le verrons par la suite, cette phase est destinée à mettre l’élève à l’aise, à connaître le ou les expérimentateurs et l’environnement expérimental. Il s’agit d’une histoire courte permettant aux élèves la manipulation des liquides. Celle-ci est indépendante de la tâche de conservation en elle-même.

La dernière modification concerne la tâche elle-même. Alors que Piaget ou ses collaborateurs procédaient en faisant des transvasements, soit devant l’enfant, soit ceux-ci étaient réalisés par l’enfant lui-même, nous demandons aux élèves de remplir le troisième verre, différent des deux autres, en l’occurrence un verre plus large et plus bas. Ainsi, les élèves n’ont pas l’occasion d’observer le phénomène qui se produit. Par contre, ils sont libres de faire tous les transvasements qu’ils désirent entre les verres et les bouteilles/gourdes à disposition.

1.3.ARGUMENTATION

Dès lors que nous avons défini et illustré le genre explicatif à l’aide de la tâche de conservation des quantités de liquide et des modifications qui lui ont été apportées pour les

7 Institut de psychologie et éducation de l’Université de Neuchâtel

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besoins du présent travail, nous allons maintenant nous pencher sur le genre argumentatif.

Comme nous l’avons fait pour l’explication, nous évoquerons d’abord quelques pratiques sociales de référence et tenterons ensuite de définir l’argumentation à l’aide de théoriciens de la langue. Enfin, nous aborderons deux théories que nous avons utilisées pour construire la tâche qui a été soumise aux élèves et qui se rattache au genre argumentatif : le dilemme moral et l’atelier philosophique.

1.3.1. Les pratiques sociales de référence

Il est difficile, voire impossible, de dresser une liste exhaustive des pratiques sociales de référence en ce qui concerne l’argumentation, tant cette pratique discursive est omniprésentes dans de nombreux contextes différentes, ainsi que nous l’avons vu précédemment. Cependant, nous allons tenter d’évoquer quelques unes de ces pratiques qui mettent l’argumentation au premier plan et qui sont, selon la distinction faite par Amossy (2006), « à visée argumentative ». Le débat en est un bon exemple. Il existe différentes sortes de débats, le plus prototypique étant celui du débat télévisé. Dolz et Schneuwly (1998) en retiennent trois types à travailler en classe : le débat d’opinions sur fond de controverse, la délibération et le débat à fin de résolution de problème. Ici, c’est l’objectif qui détermine le genre de débat ; le premier se voulant une mise en commun des opinions, le second une prise de décision et le troisième une résolution de problème. Husson (2007), dans l’ouvrage Débattre. Pratiques scolaires et démarches éducatives, distingue quatre types de débats, variant en fonction de ses acteurs, son objet, son contenu et son but : le débat de régulation, le débat scientifique, le débat interprétatif et le débat réflexif. Ces types de débat ont chacun leur pratique sociale de référence. Ainsi, le débat de régulation a pour référence l’autorité judiciaire (décisions en cas de litige), le débat scientifique les chercheurs qualifiés, le débat interprétatif, même si les auteurs ne le mentionnent pas explicitement, auraient pour pratique sociale de référence l’analyse des œuvres, des textes. Enfin, le débat réflexif a pour pratique sociale de référence, et ceci nous intéresse particulièrement pour ce travail, le débat philosophique, pratique par la communauté des philosophes.

Le débat semble donc être la plus courant des pratiques sociales de référence pour l’argumentation, et l’ouvrage coordonné par Billouet (Débattre. Pratiques scolaires et démarches éducatives) est d’une grande richesse quant à cette question. Dolz et Schneuwly (1998) évoquent également d’autres genres oraux relatifs à l’argumentation et pouvant être pris comme pratiques sociales de référence : « la délibération informelle, la plaidoirie, le

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réquisitoire, l’assemblée, le conseil de classe » (86). Ces situations diverses et variées, pratiquées par des professionnels, sont des situations typiques dans lesquelles les interlocuteurs produisent des discours argumentatifs. Bien entendu, dans la vie quotidienne, de nombreuses situations amènent les individus à argumenter : comme le pensent Amossy et Plantin pour qui tout discours est argumentatif. Cependant, et dans un but didactique en particulier, il est nécessaire de définir les pratiques sociales de référence et les professionnels de l’argumentation. Par contre, il est important de distinguer entre une argumentation préparée pour défendre une thèse spécifique, comme dans un congrès scientifique, par exemple, et celles produites lors d’échanges écrits ou oraux, dans une discussion, au cours desquels les idées bougent pendant que les protagonistes de l’échange essaient de progresser ensemble. On a bien là deux types d’argumentation différents à ne pas confondre.

1.3.2. Le genre argumentatif

Contrairement au genre explicatif et conduites explicatives dont les publications ont été peu nombreuses avant les années 80, en particulier dans le domaine de la recherche didactique, l’argumentation et les pratiques argumentatives font l’objet de nombreux intérêts et publications. L’histoire de ce genre peut d’ailleurs en être le témoin. L’art d’argumenter naît dans l’Antiquité, en particulier avec « la rhétorique » d’Aristote. La tradition argumentative est donc très grande et de nombreux penseurs s’y sont intéressés. Ils ont notamment pris conscience du pouvoir de la parole et du discours pour convaincre un individu, voire une foule entière. Jusqu’à l’époque cartésienne, l’argumentation se fait plus discrète et elle sera alors remplacée par la raison et la démonstration, par opposition à la rhétorique, qui se tourne davantage vers l’art littéraire. Au milieu du XXème siècle et après la deuxième guerre mondiale et la montée du fascisme et du nazisme, l’art de convaincre par la parole effraie et possède une mauvaise réputation. Dans les années 50 cependant paraissent deux ouvrages importants sur l’argumentation : Traité de l’argumentation. La nouvelle rhétorique de Perelman et Olbrechts-Tyteca et The Uses of Argument de Toulmin. A partir de là, de nombreux ouvrages dédiés à l’argumentation font leur apparition. Nous allons tenter ici, ainsi que nous l’avons fait pour l’explication, de définir l’argumentation du point de vue linguistique et d’analyse du discours.

En prenant soin de distinguer l’argumentation de la séquence argumentative, sur laquelle nous reviendrons plus tard, Adam (2008a) parle de l’argumentation comme pouvant potentiellement être une fonction langagière additionnelle à celles définies par Jakobson :

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