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Q UESTIONNAIRE EN LIGNE AUPRÈS DES PRODUCTEURS QUÉBÉCOIS

Au cours de nos entrevues, l’intérêt de plusieurs des entités rencontrées envers le projet ainsi que le manque de données permettant de dresser un portrait pour le Québec de l'utilisation des technologies numériques en agriculture, nous ont amenés à considérer l’opportunité de conduire une enquête en ligne auprès de producteurs québécois de différents secteurs.

À la suite d’échanges avec les différents acteurs clés du secteur agricole ainsi qu’en analysant la littérature sur les technologies existantes et leurs potentiels, trois secteurs ont été retenus pour l’enquête en ligne :

- le secteur de la production laitière ; - le secteur de grains (grandes cultures) ; - le secteur de la culture en serre.

Le canevas des entrevues avec les acteurs a servi à élaborer la structure du questionnaire et les informations recueillies durant les entretiens et la revue de la littérature ont permis d’enrichir et de préciser les questions. Les différents points abordés dans le questionnaire portaient sur l’utilisation actuelle du numérique sur la ferme, les déterminants de l’adoption des outils numériques, les enjeux du numérique selon les producteurs, le rôle que devrait jouer l’État, l’utilisation future du numérique sur leur ferme et quelques données socio-économiques. Les entrevues nous ont aussi permis de s’assurer d’avoir un choix de réponses exhaustif pour l’ensemble des questions, puisque toutes étaient des questions fermées.

Les questionnaires ont été construits pour être spécifiques à chacun des trois secteurs compte tenu des technologies utilisées de part et d’autre (à titre d’exemple, le questionnaire développé pour les producteurs en serre est consultable en annexe 4). Les questionnaires ont d’ailleurs bénéficié d’amendements et de précisions grâce à la collaboration de différentes organisations des secteurs représentés qui ont vérifié les questions et les choix de réponses fournis afin de bien refléter la réalité terrain. Après ces échanges, la version finale a été testée par un producteur et les questionnaires ont été mis en ligne par le biais de LimeSurvey, un outil de sondage hébergé sur les serveurs de CIRANO. Basé sur le guide d’entrevue et développé dans le même cadre de recherche, le questionnaire en ligne a été validé par le comité d’éthique à la recherche avec des êtres humains de Polytechnique Montréal et bénéficie du même certificat d’éthique. Au niveau de la confidentialité, la première page du questionnaire rappelle aux répondants les modalités de l’étude:

“Toute participation est volontaire et libre. Toute participation est anonyme, et aucun renseignement autre que les réponses aux questions posées n'est collecté. Vous pouvez décider à tout moment de mettre fin à la session de réponse, et si le questionnaire n'est pas complété en entier les réponses ne seront ni enregistrées ni utilisées pour notre étude.”

Tableau 3 : Descriptif des trois enquêtes

Le lien vers le questionnaire a été diffusé à l’aide des différentes organisations de producteurs participantes, via leurs plateformes intranet ou leur infolettre. Pour les producteurs en serre, un envoi direct par courriel a été réalisé. La participation était volontaire et non-rémunérée. Le questionnaire adressé aux producteurs laitiers a été disponible en mars et avril 2019. Celui adressé aux producteurs de grain l’a été de mai à octobre 2019 et celui des producteurs en serre, de juillet à septembre 2019. Le nombre de questionnaires valides par secteur consulté et le nombre total de fermes par secteur au Québec est présenté dans le tableau 4.

Tableau 4 : Nombre de questionnaires valides par secteur consulté

Secteur Nombre de fermes

au Québec

Nombre de répondants

Secteur de la production laitière 4 9257 121

Secteur de la culture en serre 6858 47

Secteur des grains 11 0009 46

7 Source : Centre Canadien d’information laitière, https://www.dairyinfo.gc.ca/index_f.php?s1=dff-fcil&s2=farm-ferme&s3=nb, consulté le 26 février 2020.

8 Source : Producteurs en serre du Québec, https://www.serres.quebec/historique/, consulté le 26 février 2020.

9 Source : Producteurs de grains du Québec, http://www.pgq.ca/qui-sommes-nous/organisation/, consulté le 26 février 2020.

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Chaque méthode de collecte des données possède ses avantages et inconvénients. Il importe de préciser qu’un questionnaire en ligne crée d’emblée un biais en faveur des producteurs qui sont familiers avec internet. Aussi, l’utilisation d’un sondage en ligne, basé sur une participation volontaire non-rémunérée, ne nous a pas permis d’obtenir autant de questionnaire remplis qu’espéré, malgré les nombreuses relances faites auprès des producteurs. Un plus grand nombre de participants aurait certainement permis une meilleure représentativité.

Il importe également de mentionner qu’un questionnaire qui porte sur le numérique en agriculture peut avoir créé un biais en faveur des producteurs qui ont un plus grand intérêt envers les technologies numériques. Dans le cas du secteur laitier, ce biais « numérique » semble évident. L’échantillon comporte très probablement une sur-représentativité de producteurs plus orientés vers le numérique. Nous émettons cette hypothèse suite à l’observation d’une proportion élevée de robots de traite dans les fermes laitières sondées. De fait, alors que les robots de traite sont utilisés par environ 11 à 15% des fermes québécoises10, l’échantillon montre plutôt une utilisation à 37%. Le biais numérique n’a pu été confirmé ou infirmé pour les deux autres productions analysées, faute de données pour comparer nos échantillons avec la population totale. Le portrait socio-économique des producteurs sondés se trouve en annexe 5 du rapport.

Ces limites de représentativité échantillonnale nous amènent à souligner ici que les données présentées dans ce rapport sur les trois secteurs agricoles sondés doivent être interprétées avec prudence.

Ceci étant dit, le biais numérique perçu dans le secteur laitier permet de dresser un portrait plus spécifique des producteurs les plus enclins à utiliser ces technologies. La forte proportion de producteurs utilisant des technologies numériques dans notre échantillon nous permet entre autres de mieux comprendre les perceptions de ces producteurs face aux enjeux du numérique, ce qui nous semble tout à fait intéressant dans le cadre de cette étude. Malgré les biais exprimés, les résultats des trois enquêtes permettent très bien de mieux identifier et comprendre les freins à l’adoption et les bénéfices perçus.

Les données ont été analysées avec le logiciel SPSS.

10Conversation personnelle avec une ressource de Lactanet, 2019.

4 Portrait du virage numérique dans l’agriculture québécoise

L’analyse des résultats des entrevues reprend en partie la structure du canevas de ces derniers et sera divisée en trois sections. La première sous-section porte sur le potentiel et le niveau d’utilisation du numérique dans le secteur agricole québécois en général. La deuxième sous-section discute de la perception des principaux enjeux liés au numérique dans le secteur agricole du Québec. Enfin, la troisième sous-section porte sur la perception des acteurs et producteurs sur le rôle que devrait jouer le gouvernement dans le développement du numérique et tente d’identifier les chantiers prioritaires à mettre en place par les pouvoirs publics dans les prochaines années.

Il est important de rappeler que les informations recueillies sont pour la plupart les perceptions des acteurs rencontrés. Ces perceptions peuvent se recouper ou diverger. Dans tous les cas, elles nous permettent de brosser un portrait assez représentatif de comment le virage numérique est perçu par les principaux acteurs/organisations du terrain. Aussi, l’analyse indique lorsqu’il y a convergence ou divergence afin de souligner les consensus du milieu ainsi que les points discordants. Enfin, pour chacune des trois sections de l’analyse, nous allons présenter le portrait de l'utilisation du numérique et des différents enjeux plus en détail pour les trois secteurs visés par le questionnaire en ligne : les grandes cultures, la culture en serre et la production laitière.

4.1 Le Québec, croissant fertile de l’innovation numérique agricole

Le secteur agricole québécois est extrêmement hétérogène en termes d’utilisation du numérique. Certains acteurs sont à l’avant-garde de la recherche et du développement technologique des nouvelles technologies appliquées à l’agriculture, et à de nombreux égards le Québec est un précurseur. D’autres entités ont dépeint un secteur parfois en attente ou en résistance.

Certains exemples québécois se présentent comme des leaders locaux, mais également, et probablement, mondiaux. Nous allons en présenter certains à titre d’illustration.

C’est le cas d’Agri-Traçabilité Québec qui gère une base de données permettant la traçabilité de 4,5 millions d’animaux. L’identification des animaux commence à la naissance et un suivi est réalisé jusqu’au moment de l’abattage. La traçabilité a plusieurs utilités, agissant par exemple comme police d’assurance, gage de qualité pour les consommateurs et donc un avantage comparatif par rapport à d’autres viandes à la fois pour l’importation et l’exportation. À l’origine, les procédés mis en place par ATQ avaient pour objectif de passer d’une “ère papier” à une “ère électronique”. Aujourd’hui ATQ continue d’innover en étudiant les manières d’intégrer le principe du blockchain (chaîne de blocs), une technologie de cryptage et de sécurisation des données issues de la finance et des cryptomonnaies, pour consolider ses procédés et se prévenir de toute fraude informatique.

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Un autre exemple est Lactanet, le centre d’expertise de la production laitière. Né au milieu des années 60 des nouvelles vagues en matière d’automatisation et d’informatique, le DHAS (Dairy Herd Analysis Service) s’intéresse au départ à l’analyse et la gestion des troupeaux pour augmenter productivité et profitabilité. Le DHAS a accompagné les producteurs de lait du Québec en offrant des outils novateurs. Devenu le PATLQ (programme d’analyse des troupeaux laitiers du Québec) à partir de 1970, Valacta en 2006, puis Lactanet en 2020, ce centre fournit aujourd’hui de nombreux services de conseil et d’analyse en laboratoire pour les producteurs de lait du Québec : analyses sanguine, génétique, diététique, etc. Chaque année, une unique vache produit 20,000 points de données, et c’est l’exploitation judicieuse de ces données qui permet à l’industrie laitière d’optimiser ses méthodes et ses rendements.

Au Québec, le domaine de l’intelligence artificielle et les disciplines associées comme la science des données sont en pleine effervescence. À Montréal par exemple, on peut compter sur un puissant réseau scientifique, avec la plus grande communauté universitaire en apprentissage profond au monde (300 chercheurs et cycles supérieurs, 15 000 experts, 11 000 étudiants) et bénéficier de surcroit de structures comme le MILA ou IVADO (Montréal International, 2019).

IVADO a d’ailleurs organisé plusieurs événements sur la science des données en agriculture.

Ce tissu de recherche fertile attire tout un écosystème, avec une masse critique d’entreprises allant des géants du milieu (Facebook, Google, Element AI, IBM, DeepMind, Microsoft) jusqu’aux startups en passant par SCALE AI, la supergrappe canadienne d’IA vouée à la chaîne d’approvisionnement.

En plus des organismes de régulation et des centres d’expertise, le Québec présente un nombre important d’entreprises qui profitent du développement des nouvelles technologies numériques pour des applications dans le secteur agricole. Parmi celles-ci, Motörleaf fourni des services aux producteurs de serres et aux fermes hydroponiques du monde entier. Grâce aux technologies issues du développement de l’intelligence artificielle comme l’apprentissage automatique (machine learning), Motörleaf établit des prédictions vis-à-vis des rendements des fermes et permet donc au producteur de mieux gérer ses intrants et ses extrants (Motorleaf, 2018). La société propose d’autres produits, par exemple un service permettant de repérer les signes annonciateurs des épidémies, et par conséquent de réagir plus rapidement. On peut citer également Agrilog™ qui est une entreprise spécialisée dans la gestion de l'entreposage des grains qui a mis au point Silog, un système intelligent qui automatise la ventilation des silos à l'aide de capteurs installés à l'intérieur. Cette technologie permet de recueillir des données qui indiquent au système à quel moment ventiler pour optimiser la qualité du grain. L’entreprise compte en 2019 six clients québécois et un projet pilote regroupant une vingtaine de fermes du Québec et de l'Ontario et suscite l'adhésion du milieu agricole (source : www.agrilog.ca).