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L A TRANSFORMATION NUMÉRIQUE DU SECTEUR AGRICOLE EN F RANCE

L’agriculture joue un rôle très important dans l’économie française. L'agriculture française est la première en importance dans l'Union européenne, et l'industrie agroalimentaire française exporte dans le monde entier, en particulier les vins, produits laitiers et céréales. L'agriculture correspond à 1.6 % du PIB et l'industrie agroalimentaire à 2.0 %. Le secteur agroalimentaire représente 13.3% des exportations totales et 9.9 % des importations (AAC, 2017). Bien que la part de l’agriculture dans le PIB français soit moindre relativement à celle du Québec, l’industrie agroalimentaire de l’hexagone représente 34,896 milliards de dollars canadiens (2015) contre 22,536 milliards pour tout le secteur bioalimentaire québécois (2017).

En termes d’importance et de répartition des sous-secteurs, l’agriculture française présente des similitudes avec la production agricole québécoise, notamment vis-à-vis du maïs, des bovins, des porcins, des volailles, et du lait.

Tableau 10 : Les sous-secteurs de l’agriculture française (Chambre d’agriculture, 2019)27

Part et rang de la France dans la production agricole de l’UE à 28 en 2014

Blé et épeautre 24% 1er

Maïs (grains) 21% 1er

Oléagineux (y compris semences) 21% 1er

Fruits 13% 3e

Légumes frais 10% 3e

26 “On October 22, 2015, the House Agriculture Committee conducted a hearing on private big data in the agriculture industry. Panelists discussed benefits and concerns related to private big data. Data ownership and privacy were chief among concerns, but most panelists agreed that little to no government intervention was desired.”

27 Source : Comptes de l’agriculture – Eurostat ; (Fatah, 2015)

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Vins 55% 1er

Bovins 25% 1er

Porcins 9% 3e

Ovins et caprins 15% 2e

Volailles 16% 1er

Lait 16% 2e

À noter que l’agriculture française évolue dans un contexte européen : il existe en particulier des normes et des quotas, ainsi que des aides, communes aux pays de l’union européenne.

9.2.1 Contexte technologique en France

La France apparaît bien placée sur 60 pays au classement mondial Global Skills Index (GSI) de Coursera, qui met en avant la tendance en termes de profils qualifiés dans les domaines des technologies, des data sciences et du business. Avec une 8e place au niveau mondial, la France excelle dans la catégorie science des données (data science) avec des profils hautement qualifiés en apprentissage machine (Machine Learning), programmation statistique et data management.

Par ailleurs, la France est très active dans le monde de l’intelligence artificielle et de la science des données. L’appui au développement de ces nouvelles technologies est très marqué ces dernières années. La France souhaite devenir, sinon le leader mondial du domaine, un acteur influent et capable de jouer un rôle important dans le développement de l’intelligence artificielle.

La France bénéficie déjà d’un environnement favorable à la recherche dans les domaines technologiques poussés. Avec une dépense intérieure de recherche et développement (R&D) estimée à 2,22% du PIB en 2016, la France reste en cinquième position des pays réalisant les dépenses de R&D les plus importantes de l’OCDE, après la Corée du Sud (4,23%), le Japon (3,14%), l’Allemagne (2,93%) et les États-Unis (2,74 %). Même si les infrastructures universitaires de recherche et de développement y sont très performantes, l’effort de recherche provient surtout des entreprises qui, en 2011, exécutaient 64 % des travaux de R&D réalisés sur le territoire national et finançaient 59 % de la dépense nationale de R&D.

Pour renforcer cette position dominante, de nombreuses initiatives ont été amorcées ces dernières années pour appuyer les efforts en termes de recherche et de développement liés à la science des données et à l’intelligence artificielle. En particulier en 2017 et 2018 une vaste mission interministérielle, ayant même une composante citoyenne, a été lancée : la mission Villani. Le rapport « Donner un sens à l'intelligence artificielle ; Pour une stratégie nationale et européenne », parfois abrégée « Rapport Villani » (Villani, 2018) qui a été produite au terme de la mission du même nom, pose les jalons de la stratégie française. Cette stratégie est très centrée sur les aspects économiques et éducatifs, en d’autres mots comment transformer dès aujourd’hui les établissements d’enseignement supérieur et les intégrer au tissu des entreprises pour rapidement accroître le nombre de personnes formées et capables d’occuper des postes de travail ou de recherche et développement.

Conscient de la nécessité d’impliquer le public et de sensibiliser le plus grand nombre sur l’intelligence artificielle, de nombreuses initiatives citoyennes ont été menées en parallèle :

Concertation citoyenne sur les enjeux éthiques lies à la place des algorithmes dans notre vie quotidienne (CNIL et al., 2017), Comment permettre à l’homme de garder la main ? Les enjeux éthiques des algorithmes et de l’intelligence artificielle (CNIL & Éthique & numérique, 2017), Synthèse de la consultation publique sur l'intelligence artificielle par Cédric Villani (Parlement &

Citoyen, 2018).

Le rapport Villani (Villani, 2018) identifie plusieurs secteurs clés où le développement de l’intelligence artificielle et des sciences des données représente un potentiel très important, et présente cinq annexes insistant sur des domaines d’intérêt particulier : éducation, santé, agriculture, transport, défense et sécurité. Les enjeux particuliers à chaque domaine sont abordés.

9.2.2 Contexte et réflexions autour du virage numérique en agriculture

Si l’agriculture n’est pas mentionnée au cours des 200 premières pages du rapport Villani, elle est cependant le sujet d’un parmi cinq focus : « Focus 3 – Faire de la France un leader de l’agriculture augmentée ».

Ce focus donne le ton des réflexions françaises sur le sujet du virage numérique en agriculture.

La section du document commence par lister les enjeux de l’agriculture du XXIe siècle : nourrir une population grandissante de manière efficace, bonne pour la santé, en diminuant l’utilisation de l’eau et des produits chimiques pour faire face aux enjeux environnementaux, le tout dans un contexte de réchauffement climatique.

Le rapport Villani souligne l’urgence de la situation et l’importance des enjeux relatifs à la donnée :

« Il y a urgence pour ce secteur à se saisir des opportunités de l’intelligence intelligente, qui ne peut se penser que de manière intégrée à l’ensemble de l’industrie agroalimentaire. L’IA, qui nécessite un volume important de données, peut permettre des innovations sur l’ensemble de la chaîne de valeur – production, transformation, distribution, information du consommateur : il est crucial de mobiliser les données agricoles publiques et privées, ainsi que l’ensemble des données de l’ensemble de la chaîne agroalimentaire ».

Enfin, le rapport Villani articule la stratégie française en deux temps : court terme et moyen terme. Le temps court a pour objectif de « préserver les capacités stratégiques et soutenir l’innovation agricole » et souligne cinq conditions à réaliser (Villani, 2018) :

- « Favoriser le dialogue entre les agriculteurs et l’industrie agroalimentaire pour faire émerger de nouveaux modèles de valeur ;

- Développer les soutiens à la recherche pour le développement de la robotique et des capteurs agricoles ;

- Garantir la couverture réseau nécessaire à une agriculture connectée ; - Intensifier les efforts sur la standardisation et l’interopérabilité ;

- Outiller les démarches collectives de négociations sur les données des exploitations ».

L’ensemble des conclusions et des recommandations du rapport Villani font écho aux réflexions constatées au Québec.

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La stratégie du secteur agricole français pour négocier le virage numérique est conduite par de nombreux acteurs, en particulier le gouvernement. Ce dernier est à l’origine de plusieurs initiatives qui ont orienté et déclenché la transformation du secteur. En 2015, le ministère de l’Agriculture et de l’Alimentation a lancé une mission pour cibler les enjeux de l’innovation en agriculture et ainsi réfléchir aux solutions à apporter (Bournigal et al., 2015). La mission conduite par Jean-Marc Bournigal, Président d’Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture) a abouti au rapport Agriculture – Innovation 2025 : 30 projets pour une agriculture compétitive et respectueuse de l'environnement. Celui-ci s’articule autour de 3 priorités et 9 axes, et liste plusieurs dizaines d’actions ciblées et pratiques.

- Priorité 1 : Développer une approche système et faire de l’agriculture un contributeur à la lutte contre le dérèglement climatique (Axes agro-écologie et bioéconomie).

- Priorité 2 : Permettre le plein développement des nouvelles technologies dans l’agriculture (Axes : agriculture numérique, robotique, génétique & biotechnologies, et biocontrôle).

- Priorité 3 : Fédérer tous les acteurs de la recherche, de l’expérimentation et du développement agricole en appui de la compétitivité (Axes innovation ouverte, économie agricole, et formation).

Chaque recommandation formulée dans ce rapport présente un contexte, des objectifs, des livrables, des étapes, et les acteurs clés. Trois des projets référencés méritent d’être mentionnés :

- Le projet 10 ou « NUM1 » préconise la mise en place d’un portail de données à vocation agricole dans le but de favoriser l’innovation ouverte. Un enjeu d’importance y est soulevé : « Conforter les aspects propriété/utilisation des données et leur hébergement, via une gouvernance confiée à la profession agricole ». L’implication des organismes publics de recherche, des représentants de la profession agricole, de gestionnaires de bases de données publics et privés (incluant les équipementiers), d’éditeurs de logiciel et d’opérateurs de télécommunications est jugée nécessaire à un tel projet.

- Le projet 11 ou « NUM2 » a pour objectif une meilleure structuration des moyens de recherche sur le numérique en agriculture, par notamment une mise en réseau des acteurs de la recherche publique et privée, afin d’accélérer la création de valeur à partir du croisement et de l’analyse de données.

- Le projet 22 ou « INNOUV1 » vise une meilleure intégration des agriculteurs dans les circuits d’innovation, par une meilleure évaluation des innovations issues du terrain (des agriculteurs) et une meilleure diffusion des travaux de la recherche auprès d’eux.

Pierre angulaire de la stratégie numérique agricole française, l’objectif de mise en place d’un portail de données ouvertes pour l’ensemble de l’écosystème agricole français préconisé en 2015 dans le rapport Agriculture – Innovation 2025 prend une tournure plus concrète avec la publication en 2017 du rapport « AgGate Portail de données pour l'innovation en agriculture » (Bournigal, 2017), abrégé « Rapport Bournigal ». Ce rapport pose les jalons de la mise en

œuvre d’un portail de données ouvertes agricole, en répertoriant les fonctionnalités techniques et les enjeux à considérer.

En particulier, le rapport fait la lumière sur le défi principal d’un portail de données ouvertes : la gouvernance et les enjeux juridiques. En effet, la mise en commun des données par les producteurs et les autres acteurs du secteur repose sur la confiance, ainsi que sur le partage des bénéfices de cette mise en commun (la valorisation des données). Il s’agit donc de trouver le système de gouvernance le plus efficace, en phase avec les désirs et les attentes de toutes les parties impliquées.

D’autres acteurs du secteur agricole français sont activement à l’œuvre dans les réflexions et les transformations du secteur. Par exemple l’Association de coordination technique agricole (ACTA), qui coordonne les instituts techniques agricoles (ITA), a publié les conclusions de ses réflexions au sujet de l’accès aux données pour la recherche et l’innovation en agriculture (ACTA, 2016b), ainsi que des recommandations pour favoriser l’accès et la valorisation des données (ACTA, 2016a). Un exemple de réflexions profondes aboutissant à des actions pratiques est le travail effectué conjointement par la Fédération nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA) et le Syndicat des Jeunes Agricultures (JA) : ces derniers ont travaillé à l’élaboration de la charte Data-Agri dont le but est de valoriser et sécuriser les données des exploitations agricoles dans les contrats. La charte Data-Agri a évolué en label qui est attribué après l’audit des conditions contractuelles d’échange de données entre une entreprise et un agriculteur.

Plusieurs autres entités de l’écosystème agricole français participent aux réflexions sur le virage numérique du secteur. De nombreux « think tanks » spécialisés ou non en agriculture existent, à l’instar d’agrIdées, de Renaissance numérique, ou de l’Observatoire des usages de l'agriculture numérique. Renaissance numérique a par exemple publié un rapport au sujet de la valeur des données en agriculture (Renaissance numérique, 2018) et propose une typologie générale des données agroalimentaires, une catégorisation juridique des données agricoles, et une analyse des enjeux juridiques de la donnée agricole. Il existe aussi plusieurs entités (La Ferme Digitale, ChaireAgroTIC) chargées de la mise en relation de la recherche, des entreprises, et du terrain, et qui veillent au déploiement d’un environnement favorable aux innovations technologiques en agriculture.

Si en 2017 le rapport Bournigal soutient la création d’un « AgGate », un portail de données pour l'innovation en agriculture, c’est finalement le portail déjà existant API-Agro qui a bénéficié des intentions du gouvernement (Voir Section France – Portail de données API-Agro).

Enfin, la création de nouvelles entreprises est en pleine effervescence, en témoigne les nombreuses associations et entités vouées à l’adoption et la propagation des nouvelles technologies agricoles comme le LFDay de La Ferme Digitale dont le but est de présenter dans un salon les nouveaux services et moyens techniques disponibles pour les agriculteurs.

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10 Chartes et labels mis en place pour encadrer les données agricoles : quelques initiatives étrangères

10.1 États-Unis – Charte Privacy and Security Principles for Farm Data