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Des publics hétérogènes

Les deux institutions théâtrales retenues concentrent les 3 logiques caractéristiques du champ théâtral : adaptation à la demande privée d'un théâtre de divertissement pour l'Opéra théâtre ; pour la Comédie de Saint-Étienne définition d'une programmation relevant du projet d'un théâtre d'art et mise en place de dispositifs démocratiques. C'est pourquoi, dans notre étude sur les publics des théâtres nous avons enquêté sur les deux lieux du bâtiment central (Dasté/Usine) ainsi qu'au moment des spectacles données dans les centres sociaux à l'occasion de la "Comédie des villes". Une telle structure ternaire nous permet ainsi de mieux appréhender les effets de la diversité des projets à la fois esthétiques et sociaux.

VOLONTARISME SCOLAIRE ET RAJEUNISSEMENT RELATIF DE CERTAINS PUBLICS

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L’imaginaire urbain dans les régions ouvrières en reconversion. Centre Max Weber/Clersé ANR 2012

La Comédie de Saint-Étienne, comme d'autres institutions du théâtre public, a mis en place pour accompagner de nombreux spectacles du lieu central (Dasté/Usine) une politique volontariste en direction des publics scolaires, en s'appuyant sur un réseau structuré d'enseignants du second degré soit en organisant des spectacles spécifiquement des représentations pour les publics scolaires (dans le cadre des horaires officiels) soit en accueillant des groupes scolaires dans le cadre de la programmation générale. Certains soirs, ces publics scolaires (lycéens pour l'essentiel) constituent le tiers des spectateurs ; c'est d'ailleurs le taux maximal admis par les responsables du centre. Une telle politique a des effets immédiats sur la structure des publics. Au sein de la Comédie ("Dasté" et "Usine") la moyenne d'âge est de 40 ans et la part des 15-18 ans est de 21 % alors que pour l'Opéra–théâtre, la moyenne d'âge est de 55,5 ans et la part des 15-18 ans est de 0,5 % (n = 5). La mobilisation des institutions artistiques et scolaires permet de compenser ce qui apparaît comme une érosion des transmissions familiales (Djakouane, 201024) d'autant plus forte, dans le cas de l'Opéra théâtre, que la structure par âge, avec le poids des générations les plus âgés (les 55 ans et plus constituent plus de la moitié de la population), limite fortement les possibilités de transmission entre les jeunes générations et celle de leurs parents. Les difficultés de l'Opéra théâtre à attirer des populations jeunes sont aussi liées à une logique circulaire. Le succès de sa programmation repose sur la présence de vedettes qui appartiennent à des générations (et à des esthétiques) radicalement éloignées de ces populations25 si bien que l'Opéra Théâtre n'attire quasiment aucun étudiant ni jeune entre 19 et 24 ans qui constituent, même plus réduite, une part du public de la Comédie sans que celle-ci organise en direction de ces publics des dispositifs aussi structurés, ne serait-ce que parce qu'elle ne dispose pas de relais institutionnels dans l'enseignement supérieur26.

Ce volontarisme scolaire ne va pas sans tension avec les publics adultes. Ces lycéens viennent, le soir, en dehors des horaires scolaires officiels ; leur volontariat répond donc à une injonction scolaire d'autant plus efficace qu'elle s'appuie sur une sociabilité entre pairs dans un contexte inhabituel (transport en car, sortie le soir). Mais ces groupes n'ont pas véritablement intériorisés les rites théâtraux et surtout les exigences liées à la domestication des corps (Proust, 2005) qui caractérise les conditions actuelles de la représentation théâtrale et qui sont en rupture avec les formes de sociabilité adolescente au moment des programmes audiovisuels (Pasquier, 2003)27 où il est possible de discuter, se lever, manger, etc.28. Alors que dans l'usage des technologies de l'information et des loisirs, les auditeurs échappent aux prescriptions des émetteurs qui doivent alors aligner leur conduite, dans la représentation théâtrale, les spectateurs doivent s'aligner sur les prescriptions des institutions (Scannell, Gamberini, 1997)29. L'écart entre les dispositions exigées au théâtre et celles intériorisées jusque là apparaît de manière non dramatique, dès le hall de la Comédie, ce qui provoque immédiatement des remarques et des regards inquiets des adultes présents. Les lycéens sont en groupe, entravant la circulation des arrivants, parfois se poursuivent, parlent fort, usant d'un vocabulaire et d'une syntaxe en rupture avec ceux habituels. L'écart est plus manifeste au moment de la représentation ou il arrive régulièrement que quelques lycéens présents ne respectent pas le silence religieux qui est

24 Djakouane A, 2010, "La sortie au théâtre à travers les générations. Les transmissions familiales en questions",

Recherches Familiales, 7, p. 103-114.

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Roland Giraud a 65 ans, Geneviève Casile 70 ans.

26 A ce stade, parmi ces étudiants, il est difficile de spécifier la situation de ceux qui sont présents dans les classes préparatoires, dont nous avons repéré la présence importante.

27 Pasquier D, 2003, "Des audiences aux publics : le rôle de la sociabilité dans les pratiques culturelles",

Le(s)public(s) de la culture, Donnat O, Tolila P, vol. 2, p. 109-116

28 On retrouve ce même écart avec certains cinémas grands publics où il est maintenant possible d'amener une canette de boisson gazeuse et un paquet de pop-corn.

29 Scannell P, Gamberini MC, 1997, "L'intentionnalité communicationnelle dans les émissions de radio et de télévision" Sociologie de la communication, vol 1, n°1. pp. 881-895.

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souvent de rigueur et qui est d'autant plus facilement troublé par les quelques remarques, rires et chuchotements30.

Pour prévenir ces difficultés, il n'est pas rare que les responsables de la Comédie responsables des publics scolaires rassemblent les lycéens avant la représentation et, au cours des spectacles, en cas de difficulté, les interventions des enseignants comme des formes de contrôle collectif conduisent, le plus souvent, à une quasi disparition de ces formes non savantes de présence ; au cours de l'enquête, nous n'avons constaté, qu'une seule fois le départ de deux jeunes.

L’OPPOSITION OPERA-THEATRE/COMEDIE/CENTRE SOCIAUX

Même si on ne peut réduire la structure d’un public à un simple déterminisme, les différentes enquêtes nationales existantes montrent le poids des variables sociales dont il faut penser l'articulation et la combinaison31. Dans cette partie, on montrera la structure globale différenciée des trois publics en revenant comment se distinguent les enseignants dont le poids central masque l'inégale diversité sociale des publics de théâtre et en pointant les publics populaires, dont on constate qu’ils sont présents dans les deux institutions étudiées.

LES PUBLICS COMEDIE ET OPERA-THEATRE

Sans surprise, le public des salles Dasté et Usine apparaît très marqué par la présence des enseignants et des professionnels de la culture. Avec 300 individus sur les 613 que compte cette portion d’échantillon, en effet, soit 47,5%, ce groupe apparaît comme le groupe central de ce public. Il est celui dont la présence et l’ethos mesuré, académique, détermine le style général du public, style qu’on peut qualifier de « lettré » ou encore de « scolaire » ou encore de « culturalisé » et qui correspond à l’image que la Comédie donne d’elle-même quand on pénètre le grand hall. Conformément aux observations et conformément aux résultats d’ensemble, le public des salles Dasté et Usine est féminin puisqu’on compte 403 femmes sur 631 individus. Les enseignants qui composent l’essentiel de ce public étant très majoritairement des enseignantes, 204 femmes sur 300 individus. Hors les scolaires, lors des observations, le public donnait aussi une impression d’âge plutôt élevé. Impression évidemment subjective qui était toutefois renforcée par la présence de nombreux spectateurs à cheveux blancs. La description quantitative confirme les apports de cette impression mais la tempère aussi. La moyenne d’âge de 50 ans avec un écart-type de 13 ans, situe bien la majorité des spectateurs dans les tranches d’âge au-dessus de 37 ans. 70% des individus ayant plus de 44 ans, le mode se situant à 45-54 ans, la population des salles Dasté et Usine est plutôt âgée et on comprend bien que l’apport des jeunes scolaires constitue un des éléments essentiel du rajeunissement de public qui comble le déficit de la classe creuse des 35-45 ans.

Plus également segmenté que le public de la Comédie, c’est-à-dire plus évidemment stratifié par les PCS faisant fonction de désignateurs de classes et de positions sociales, le public de l’Opéra-Théâtre est, lui, différemment complexe de celui de l’institution nationale. Ce qui distingue les deux publics, c’est, en effet, l’homogénéité de l’un, celui de la Comédie marqué par la forte présence des enseignants qui représentent 50% du public, relativement à l’hétérogénéité du second au sein duquel les enseignants ne sont plus que 18%. La classe modale, celle des PCS-populaires atteignant 22%.

30 Il faudrait évidemment pouvoir saisir ce qui, dans ces écarts, relèvent de la situation spécifique imposée à l'ensemble des spectateurs et qui se trouve en rupture avec les formes de sociabilité de la majorité des jeunes, et/ou d'un écart préexistant avec les normes de la culture savante.

31 Sur le poids des variables sociales et leur combinaison, voir Donnat, Les pratiques culturelles des français, 2008, 2009, 172

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Tableau n°6

PCS recodées, lieu du spectacle : Dasté et Usine Eff ectifs % Non réponse 54 8,6 % Patrons 24 3,8 % cadres 62 9,8 % Ens./cult ure 300 47, 5% Social/sa nté 54 8,6 % Interméd iaire 49 7,8 % Populair e 62 9,8 % Sans- activité 26 4,1 % Total 631 10 0,0% Tableau n°7

PCS recodées, lieu du spectacle : Massenet Eff ectifs % Non réponse 129 14, 2% Patrons 69 7,6 % Cadres 125 13, 7% Enseignants/cu lture 167 18, 4% Social/santé 62 6,8 % Intermédiaire 117 12, 9% Populaire 205 22, 5% Sans-activité 36 4,0 % Total 910 10 0,0%

Tableaux ci-dessus. Par comparaison avec la Comédie, on voit une nette diminution de la PCS « enseignant culture » au sein du public de l’Opéra-Théâtre, qui passe de près de 50% à 21,4%. Ce résultat change évidemment la structure du public qui apparaît moins marqué par cette modalité. Les enseignants ne sont plus le public privilégié de la salle mais l’un de ses composantes.

Tableau n°8

PCS recodées, lieu du spectacle : Massenet Eff ectifs % Patrons /cadres 194 24, 8% Enseignants/culture 167 21, 4% Social/santé /Intermédiaire 179 22, 9% Populaire 205 26, 2% Sans-activité 36 4,6 % Total 781 10 0,0% Tableau n°9

Enseignants, lieu du spectacle : Massenet Eff ectifs % Non réponse 748 82, 2% 34-Enseignants secondaire 105 11, 5% 34-Supérieur 22 2,4 % 42-instit-PE 35 3,8 % Total 910 10 0,0%

Tableau ci-dessus, gauche. Le jeu des recodages, met en évidence l’importance des catégories populaires (ouvrier et employés) au sein de la population Massenet. Un recodage plus fin qui se préoccuperait de l’ethos des individus ou tiendrait du capital culturel, rabattant certaines des catégories intermédiaires ou encore les artisans dans une même catégorie mettrait en évidence l’importance de ces positions sociales qu’on peut désigner comme dominées ou subalterne au sein du public de Massenet.

Tableau ci-dessus, droite. Peu d’enseignants du supérieur. Peu d’instituteurs. Des enseignants du secondaire. plutôt science/math (30%), éco.gestion.droit ; technique, 26%. Lettre, 21%. Langue 12%. SHS 11%. A l’Opéra-Théâtre, a filière Lettre ne domine plus.

On voit bien ici qu’un codage différent fait émerger une répartition qui, sans transformer profondément les résultats, en permet une interprétation moins tranchée en faveur de la hiérarchie sociale puisque hors publics enseignants, les PCS supérieures et intellectuelles et intermédiaires n’apparaissent plus comme strictement dominantes.

LES ENSEIGNANTS DES DEUX INSTITUTIONS

D’apparence monobloc, on doit évidemment traiter du public enseignant pour lui-même. Au sein des deux institutions, la population enseignante est surreprésentée par rapport à son poids social. Cette surreprésentation peut s’expliquer par une propension, une attirance en raison du poids de la culture scolaire mais elle est elle même inégale en fonction du lieu. Ainsi, en ne considérant que la seule structure de l'échantillon de nos deux principales salles, les enseignants sont fortement représentés à la Comédie dont ils représentent 47% du public alors qu'ils sont sous représentés à l'Opéra dont ils représentent 18% du public. On remarquera toutefois que tous les enseignants ne sont pas identiques. On peut ainsi les distinguer par leur corps (professeurs des écoles, certifiés) et/ou leurs disciplines. Les professeurs des écoles et instituteurs représentent ainsi 6% du public de la Comédie et 4% de

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celui de l’Opéra-Théâtre. Les enseignants du supérieur, sont moins de 3% à être présents au sein des deux institutions. Avec 27%, les enseignants du secondaire qui fréquentent la Comédie, pèsent du poids le plus important alors qu’ils ne constituent que 11% du public de l’Opéra-Théâtre. Relativement à la filière, les enseignants de lettre, langue et SHS sont de loin les plus nombreux à fréquenter la Comédie puisqu’ils représentent 62% des enseignants qui fréquentent cette institution, contre 40% à l’Opéra-Théâtre.

On peut évidemment chercher des explications à cette surreprésentation dans le fait que le théâtre apparait comme un des centres de la culture scolaire, tout particulièrement de celle des enseignants de lettres et arts. Dans cette perspective, la Comédie apparaît alors comme l’espace de proposition esthétique le plus en affinité avec l’ethos enseignant, plus que l’Opéra-Théâtre dont la relative « illégitimité » des propositions est objectivable par la quasi absence de membres des professions culturelles au sein de son public (moins de 1% contre près de 18% à la Comédie !).

DES MILIEUX POPULAIRES PLUS PRESENTS QUE PREVUS

S’en tenant aux apports des enquêtes portant sur les pratiques culturelles des Français, force est de constater que la fréquentation du théâtre n'est pas une pratique des milieux populaires. On doit tout de même prendre garde au fait que la structure des publics des théâtres n'est pas celle des populations globales. Ainsi dire à l’échelle de la France que seuls 13 employés sur 100 personnes ont fréquenté le théâtre au cours des 12 derniers mois, ne revient pas à dire que la répartition des employés (on pourrait dire la même chose des ouvriers ou des autres PCS) soit équivalente dans l’ensemble des institutions théâtrales. Rien ne prouve bien au contraire, l’égale distribution des PCS au sein de l’offre et tout porte à penser le contraire, tous les styles de spectacles et toutes les esthétiques n’étant à prendre sur un même pied d’égalité sociale. Notre enquête montre ainsi que les milieux populaires (employés surtout) sont plus présents au théâtre que cela n'est souvent considéré. Et non seulement ces catégories populaires ne sont pas absentes mais, comme on peut le lire dans le tableau ci- dessous, si on élimine les enseignants, elles sont très présentes puisqu’elles représentent pour la Comédie 17,7% des effectifs et pour l’Opéra-Théâtre 33%.

Tableau n°10.

Répartition des publics de la Comédie et de l’Opéra-théâtre par catégories socioprofessionnelles. Comédie Opéra- Théâtre Total Ef f. % C Ef f. % C Ef f. % C Patrons 2 4 6, 9 6 9 1 1,1 9 3 9, 6 Cadres 6 2 1 7,7 1 25 2 0,2 1 87 1 9,3 Social-Santé 5 4 1 5,4 6 2 1 0,0 1 16 1 2,0 Professions culturelles 7 3 2 0,9 5 0, 8 7 8 8, 0 Prof. intermédiaires 4 9 1 4,0 1 17 1 8,9 1 66 1 7,1 Populaires 6 2 1 7,7 2 05 3 3,1 2 67 2 7,6 Inactifs 2 6 7, 4 3 6 5, 8 6 2 6, 4 Total 3 50 1 00,0 6 19 1 00,0 9 69 1 00,0

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Il faut évidemment tenir compte des autres caractéristiques de ces individus mais, c’est là la grande richesse d’une enquête localisée que de permettre de souligner des traits qui sinon restent voilés. Si le spectacle de théâtre n’est pas conçu comme un spectacle populaire, il reste que des membres de catégories populaires dont les profils doivent être affinés fréquentent le théâtre. Si elles sont plus tournées vers le théâtre privé, c’est peut-être et aussi que ce dernier est plus attentif à ce qu’il imagine être une demande qu’il se devrait de satisfaire.

LE PUBLIC DES CENTRES SOCIAUX

Sur un autre registre et dans la perspective d’une action culturelle volontariste, la Comédie module son offre en proposant des spectacles au sein de structures, les Centres sociaux, aménagés de façon temporaire pour cette occasion. Les spectateurs des Centre sociaux sont des spectateurs irréguliers de ces centres. On retiendra d’abord qu’aucune des formules d’abonnement ne fait poids. Sur l’ensemble des Centres, on note 15 abonnés à la Comédie, 27 individus s’étant rendu à un spectacle sur Paris contre 4 à Avignon. Par contre, 119 se sont rendus à un spectacle de la Comédie l’année précédant l’enquête et 49 à l’Opéra-Théâtre. La distinction ne se loge pas dans les abonnements, ni, hors les spectacles des 2 grandes salles, dans la fréquentation des théâtres de ville l’année précédant l’enquête. Etudié pour lui-même, ce groupe de salles se distingue des autres par son rejet des abonnements spécialisés. La distinction majeure au sein de ce public réside dans sa localisation. On trouve ainsi parmi les spectateurs, les nouveaux arrivants, habitants loin, à 1h ou plus de la salle, plutôt jeunes (30- 40 ans) ayant suivi des études au sein de la filière lettres, art, philosophie, fortement diplômés, professionnels de la culture, du théâtre, étudiants de la Comédie ou enseignants venus en groupe ou avec des amis, s’opposent au individus habitants du quartier. On identifie ces derniers en ce qu’ils habitent le même logement depuis au moins cinq ans, qu’ils venus à pied avec leur conjoints, seuls ou famille. Ils ont fait un apprentissage ou suivit des études dans une filière technique industrie. Ils sont patrons, commerçants ou artisans ou de professions populaires, âgés de plus de 55 ans. L’opposition de sociabilité est ici aussi une opposition sociale qui va de paire avec une opposition géographique et générationnelle, les individus les moins âgés, professionnels de la culture, étudiants, habitants en dehors du quartier et étant les plus diplômés. Ce qui distingue donc les individus des salles de quartier, ce sont les propriétés sociales plus que le goût. Et ces propriétés sociales correspondent aussi à des formes de sociabilités différentes. Si on voit bien ici, comment la Comédie combat les effets de ségrégation sociale, en cherchant à réduire la différenciation spatiale, on comprend aussi, par la présence des professionnels de la culture venus de points éloignés du territoire, que la distance aux pratiques ne se réduit pas à une distance physique aux équipements mais engage plus profondément des styles de vie différents.

Conclusion

D’une manière générale, on peut distinguer deux grands types d'enquête portant sur les publics. Il existe d’une part de grandes enquêtes nationales qui ne tendent pas aux mêmes résultats (l'enquête de 1988 sur les publics du théâtre indiquait que seulement 7 % de la population était allé au moins une fois au théâtre, alors que le pourcentage était de 14 % pour l'enquête nationale de 1989) et contribuent à substantialiser le public et, d'autre part, des enquêtes qui considèrent que ce(s) publics ne peuvent être que situés car ils sont constitués par un espace, une institution, un lieu qui les rassemble temporairement, pour une période courte (un spectacle isolé) ou plus longue (un abonnement de 20 spectacles) :

"il n’y a public que de quelque chose et ce « de » présente une première complication du travail : il semble qu’il faille saisir l’objet dont il y a public pour pouvoir discerner ce dernier" (Esquénazi, 2003, 3) Cette double perspective explique qu'il est difficile, voire impossible, de comparer des moyennes nationales de pratiques culturelles avec des analyses plus locales car les moyennes nationales sont des abstractions qui ne rendent pas compte des spécificités et donc des

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différences locales (Pedler, Zerbib, 2002, 194). On notera de plus qu’au sein d’un même territoire, il peut y avoir une ou plusieurs institutions inscrites dans des relations de coopération ou conflictuelle qui procèdent d’une histoire. Dans le cas de l'espace stéphanois, on se retrouve ainsi avec une diversité de structures dont certaines constituants de véritables institutions ; c'est le cas de la Comédie mais aussi de l'Opéra – théâtre. Alors que retenir de cette enquête ?

On retiendra d’abord que Saint-Etienne qui reste le lieu d'une des expériences de la décentralisation théâtrale fondée après 1945 d'autant plus centrale qu'elle est la seule qui se soit

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