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Le détournement : critiquer les stéréotypes avec humour : critiquer les stéréotypes avec humour : critiquer les stéréotypes avec humour : critiquer les stéréotypes avec humour

4 Procédés artistiques (re)formulant l’imaginaire urbain stéphanois

4.4. Le détournement : critiquer les stéréotypes avec humour : critiquer les stéréotypes avec humour : critiquer les stéréotypes avec humour : critiquer les stéréotypes avec humour

4.4. Le détournement4.4. Le détournement

4.4. Le détournement : critiquer les stéréotypes avec humour: critiquer les stéréotypes avec humour: critiquer les stéréotypes avec humour: critiquer les stéréotypes avec humour

Nous pouvons observer des pratiques de parodie, de pastiche ou de détournement de la part de certains artistes-habitants. Le premier exemple est celui déjà cité plus haut du logo d’un micro-label de musique stéphanois : Weatown. Il a été créé par un membre d’un groupe stéphanois, auteur du seul 45 tours distribué par ce micro-label (Lollipop des Clean Cuts). Ce logo est un double détournement. Premièrement celui du logo du label de la Motown. Le graphisme est conservé et le M (pour Motown) est simplement renversé pour figurer un W (pour Weatown). Il est donc ici fait référence au célèbre label de musique de Détroit. Cela permet de faire une double référence. D’une part, la référence est musicale, même si la

L’imaginaire urbain dans les régions ouvrières en reconversion. Centre Max Weber/Clersé ANR 2012

musique distribuée par le micro-label Weatown appartient plutôt au style rock’n’roll et punk rock. La deuxième référence concerne le caractère industriel qu’ont en commun Détroit et Saint-Étienne. Le second détournement permet de souligner ce parallèle. Il concerne la signification du « W » : Weatown, abréviation de Weapon Town, traduction d’Armeville. Cette évocation du nom de la ville sous la Révolution est également faite par le créateur du logo dans un des groupes de musique auquel il appartenait : les Weapon City Brats.

Le deuxième exemple est celui du groupe de musique Da Balgue Panthers. Le site internet, les pochettes de CD, les concerts, les objets présents ou les vêtements portés sur scène, les paroles, etc., font apparaître une double référence. D’une part, un ensemble de pratiques, d’objets et d’imageries liés à des particularités locales sont identifiables : noms donnés (MC Baraban, DJ Babet, etc.), usage du gaga (patois local), port du T-Shirt mythique de l’ASSE où figurait le nom d’une importante manufacture stéphanoise (Manufrance), représentation de lieux ou autres éléments emblématiques stéphanois (chevalement et terrils du site Couriot, le stade Geoffroy Guichard, le tramway, etc.). D’autre part, l’histoire américaine est évoquée par la référence au Black Panther Party et à l’Amérique plus largement (invention d’une origine du groupe aux États-Unis lors de la guerre du Vietnam, drapeau américain, port de T-shirt d’équipe de basket américaine membre de la NBA, etc.). Le groupe émet notamment une critique d’une frange du rap français qui tend à s’américaniser, à copier leurs codes vestimentaires, leurs paroles et leurs mélodies. Ils produisent donc une musique qui parodie et se moque à la fois du mauvais rap français (à leurs yeux) mais aussi des stéréotypes sur Saint- Étienne. On peut identifier deux autres exemples du même type : le morceaux et le clip « Le Sainté des enfants perdus » du groupe KNX Crew (réputé pour son second degré), ainsi qu’un court métrage plein d’humour réalisé par Kamir Méridja sur Saint-étienne.

Le dernier exemple que nous prendrons est celui du travail réalisé par l’association Gagajazz pour sa communication. L’image de la Tour Plein Ciel est détournée par une représentation qui varie chaque saison. Le traitement esthétique modifie la couleur, les contours, le style graphique appliqué à un plan toujours identique de la Tour. Le détournement prend parfois la forme du pastiche, par exemple lorsque le style de Warhol est appliqué à l’image de la Tour.

Selon les cas, le détournement s’applique à des styles artistiques (pastiche de Warhol, du rap américain) mais aussi à des images matérielles ou mentales de ville (emblèmes, stéréotypes, etc.). Celles-ci peuvent être considérées comme des « éléments esthétiques préfabriqués » au même titre que les productions artistiques auxquelles le détournement était initialement destiné par les situationnistes, auteurs d’une théorie à son propos (Internationale Situationniste, 1958). Dans la continuité de ce propos, nous pouvons considérer que ces images mentales ou matérielles sont des formes de texte et faire appel aux théories de l’intertextualité.

Ainsi, le détournement est le lieu d’une création artistique : la création du logo Weatown, le travail graphique à partir du motif de la Tour Plein Ciel pour Gagajazz, la musique soutenue ou créée dans les trois exemples. Mais il y aussi une certaine volonté critique, même si elle emprunte un ton plutôt humoristique. Dans le cas de Gagajazz, la critique est formulée à l’égard des logiques d’aménagement qui entreprennent des démolitions de bâtiments qui représentent des repères pour les habitants. La critique est aussi formulée à propos des dévalorisations et des (auto-)formulations de stéréotypes sur les caractéristiques architecturales, sociales et culturelles locales. Les artistes-habitants se situent alors entre une forme de revendication et une mise à distance de ces spécificités par l’auto-dérision, l’exagération ou le retournement du stigmate. C’est notamment la démarche du groupe Da Blague Panthers. L’effet est en quelques sortes de s’approprier ces images pour mieux les distancier en usant d’ironie.

L’imaginaire urbain dans les régions ouvrières en reconversion. Centre Max Weber/Clersé ANR 2012

Pour que la fonction critique de ce détournement soit efficace, il est nécessaire qu’une certaine connivence s’installe entre l’artiste et le spectateur. Elle concerne une culture et une mémoire communes à propos de l’architecture même de la ville (existence et situation de la Tour Plein Ciel), de l’histoire internationale (référence aux Black Panthers) et locale (Armeville, référence à Manufrance, aux Verts, aux démolitions locales), des pratiques locales (usage du gaga) mais aussi à propos d’une certaine culture musicale (la Motown). Cette nécessité d’« une communauté de références culturelles et un partage de compétence » est l’un des pivots de la pratique du détournement mais aussi plus largement de l’intertextualité (Forero-Mendozo, 2004 : 22). Le lecteur ou le spectateur est alors un véritable interprète qui doit démasquer et décoder les références et allusions. Le fait de reconnaître l’élément original détourné ne manque alors pas de faire naître un sourire complice sur le visage du spectateur. Nathalie Piégay-Gros, dans l’héritage de Roland Barthes, évoque même « un certain plaisir » produit par l’intertextualité chez les lecteurs. Plaisir « qui naît du clin d’œil saisi, de l’humour partagé ; plaisir enfin de retrouver, enfouie dans sa mémoire, la trace d’un texte dont la perception est changée par son inclusion dans un autre texte. » (Piégay-Gros, 1996 : 110/11). Ceci est permis dans notre cas car les artistes sont eux-mêmes des habitants. Ils sont avec les spectateurs des « intimes culturels de connivence » (Herzfeld, 2007: XI).

Ainsi, les artistes-habitants ne se posent pas en victimes de l’image stigmatisante fréquemment attribuée à Saint-Étienne. Ils s’approprient plutôt avec humour les stéréotypes dont ils sont sujets, les utilisent, les recyclent, les bricolent, les détournent pour mieux les critiquer.

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