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L’imaginaire de la ville post industrielle industrielle industrielle industrielle : le stigmate de la ville noire : le stigmate de la ville noire : le stigmate de la ville noire : le stigmate de la ville noire 1 L A VILLE INDUSTRIELLE , NOIRE ET LAIDE

Présentation de la recherche

3. Ce qui compose l’imaginaire stéphanois : stéréotypes, emblèmes et mythes

3.2. L’imaginaire de la ville post industrielle industrielle industrielle industrielle : le stigmate de la ville noire : le stigmate de la ville noire : le stigmate de la ville noire : le stigmate de la ville noire 1 L A VILLE INDUSTRIELLE , NOIRE ET LAIDE

Une des principales caractéristiques évoquées pour définir Saint-Étienne est qu’elle est une ancienne ville industrielle et ouvrière. Il est fait référence à l’impact que les activités de production ont eu sur les caractéristiques de la population, sur les modes de vies, les pratiques mais aussi l’aspect physique de la ville (le paysage et l’architecture). Le point névralgique des propos des artistes-habitants sur la ville industrielle concerne le jugement négatif qui lui est souvent attribué par les personnes extérieures mais aussi par certains de ces habitants. Cette dépréciation se traduit fréquemment par la désignation de « ville noire », synonyme de ville industrielle, ville sale, ville laide. Celle-ci n’est pas propre à Saint-Étienne et fut également attribuée à d’autres villes industrielles en France, en Europe mais aussi d’ailleurs dans le monde 9.

La genèse de l’image de ville noire attribuée à Saint-Étienne a été réalisée par André Vant dans Imagerie et urbanisation (Vant, 1984). Selon lui, les écrivains ont largement construit et véhiculé cette image. Il relate l’importance des récits de voyages, romans, articles de journaux et autres écrits issus de la littérature.L’une des premières utilisation de l’adjectif « noir » pour décrire un aspect de la vie stéphanoise est identifiée par André Vant chez Marcellin Allard en

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Il faut noter que des écrivains (auteurs de roman et plus récemment de polar) ont largement contribués à la formation et à la circulation de cette image. En France, de Georges Sand, 1860, La ville noire (qui se déroule à Thiers) à plus récemment Nicolas Bouchard, 2006, La ville noire (qui se déroule à Limoges en 1900). En l’Angleterre, l’un des précurseurs fut Charles Dickens, 1854, Les Temps Difficiles, et dans le reste du monde citons, par exemple à propos d’Istanbul, Michel Butor, 1956, Le génie des lieux.

L’imaginaire urbain dans les régions ouvrières en reconversion. Centre Max Weber/Clersé ANR 2012

1605. Ce dernier, alors auteur de dépêches pour la Gazette Françoise relate le travail des armes par des artisans stéphanois. Ils les dénomment « vulcaniens », en référence à « Vulcain ; le plus laborieux et industrieux des habitants de l’Olympe » (idem : 157). En 1618, Papire Masson, écrit à propos des « vulcaniens » que « leur visage, leur poitrine et leurs mains sont tellement noircis par le fer et le charbon que ce n’est pas le nom de forézien mais celui d’Africains et d’Éthiopiens qu’ils paraissent mériter. » (idem : 155). L’adjectif « noir(e) » n’est alors pas tant attribué à la ville en elle-même mais plutôt à la matière première travaillée (le charbon) et aux marques que celle-ci laisse sur le corps des artisans. André Vant écrit à ce propos :

« Le noir est ici symbole de travail, d’activité, de puissance. Associé au feu, il n’est pas l’occasion d’une vision dantesque et infernale de la ville, mais la touche réaliste d’un tableau précis. » (idem : 155/156).

On trouve par ailleurs déjà traces de la description de la ville comme « noire », notamment en raison des fumées et poussières émanant des usines. Marcellin Allard évoque au début du 17ème siècle, la « sale fumee » ou « la colonne de fumée », l’« éternel obscurité » et les « tiedes et exhalle-fumees cavernes » stéphanoises (idem : 156). Le « noir » fait alors référence aux émanations issues des activités industrielles. Plusieurs écrits relatent une autre image. Celle de la pluie, qui prend une couleur d’encre lorsqu’elle se mêle aux fumées et qui pare de noir le Furan ainsi que les boues qui parcourent alors le sol des rues. André Vant écrit qu’« Aux environs de 1840 se constitue définitivement l’image de ville noire (…) » (idem : 158). Il cite les propos de Jean Louis Alléon Dullac sur Saint–Etienne, désigné comme « pays noir » en 1839 dans ses Lettres. Les comparaisons sont dorénavant fréquente entre Saint- Étienne et les villes anglaises10. « Noire » est alors la ville dans son ensemble : de son ciel parcouru par les fumées et la poussière à ses murs et ses sols, en passant par les travailleurs (aux vêtements et peaux noircis).

Dans son travail de genèse, André Vant relate le phénomène d’« « objectivation » de l’image » de ville noire (idem : 168):

« Elle s’opère lentement par l’utilisation des mêmes sources, reprise des mêmes clichés dans les encyclopédies, guides touristiques et surtout études géographiques de la fin du XIXe siècle. Destinés au grand public, ces ouvrages diffusent naturellement l’image donnée par les voyageurs humanistes, c’est-à-dire reflétant les valeurs dominantes de la grande bourgeoisie nationale, plus que l’image construite par les littérateurs, porte-parole de la petite bourgeoisie négociante ou industrielle stéphanoise. »

Des géographes apportent une caution scientifique à cette image de ville noire alors que les encyclopédies, manuels scolaires et guides touristiques contribuent à la véhiculer auprès du grand public. Citons par exemple ce passage du Tour de France par deux enfants (Bruno, 1877 : 155) :

« À ce moment, on entrait dans Saint-Étienne et on y voyait de grandes rues bordées de belles maisons, mais tout cela était noirci par la fumée des usines ; la terre elle-même était noire de charbon de terre, et, quand le vent venait à souffler, il soulevait des tourbillons de poussière noire. »

André Vant montre que cette image de ville noire fut à la fois mobilisée comme image positive et négative. Les pouvoirs locaux lui attribuèrent une dimension positive car elle

10 On peut notamment lire : « Les rues sont larges et noires comme en Angleterre. » dans Stendhal, 1854,

L’imaginaire urbain dans les régions ouvrières en reconversion. Centre Max Weber/Clersé ANR 2012

mettait en avant la prospérité de l’activité industrielle, la croissance démographique de la ville, l’ardeur au travail de ses habitants, etc. « En revanche dans la première moitié du XIXe siècle, la fumée, l’obscurité, le bruit prennent une charge esthétique, émotionnelle et appellent le regret ou la fuite vers d’autres lieux plus amènes (…) » (Vant : 165). La « ville noire » revêt alors une dimension négative. Elle est synonyme de saleté, d’insalubrité, de laideur et de tristesse. André Vant écrit que les fabricants de rubans mobilisèrent cette image de la ville noire pour mettre à jour les effets néfastes produits par l’installation récente d’industries sidérurgique et minière. Mais ce sont surtout les écrivains qui donnèrent les exemples les plus marquants de jugements négatifs sur la ville. Reprenons la citation que fait André Vant d’Albert Camus, qui écrit sans doute l’une des descriptions les moins flatteuses de Saint- Étienne (Vant, 169):

« « Saint-Étienne et sa banlieue. Un pareil spectacle est la condamnation de la civilisation qui l’a fait naître. Un monde où il n’y a plus de place pour l’être, pour la joie, pour le loisir actif, est un monde qui doit mourir. Aucun peuple ne peut vivre en dehors de sa beauté. Il peut quelque temps survivre et c’est tout. » (55). Terrible condamnation, reprise ailleurs sous forme de « ville désespérante (…). À mon avis, si l’enfer existait, il devrait ressembler à ces rues interminables et grises, où tout le monde était habillé de noir ». »

Néanmoins, il existe des résistances à la circulation de cette image peu valorisante de Saint-Étienne. C’est notamment le fait d’habitants de la ville qui vont ainsi essayer d’aller à l’encontre des propos d’Aimé De Loy qualifiant Saint-Étienne comme « « le pays le plus anti-poétique de la terre » » (idem : 159).

3.2.2.L’IMAGE DE VILLE NOIRECHEZ LES ARTISTES-HABITANTS STEPHANOIS

En 1828, Jules Janin fait dire à une personnification de Saint-Étienne : « Je suis noire et je suis belle » (La ville de Saint-Étienne, cité par André Vant : 160). À la fin du même siècle, certains chansonniers stéphanois écrivent des textes qui expriment une vision poétique de la ville ou encore l’attachement qu’elle peut susciter chez eux. Il s’agit alors de montrer qu’aux jugements négatifs extérieurs peuvent répondre des conceptions positives locales.

Les artistes-habitants contemporains que nous avons étudiés peuvent s’inscrire dans un certain héritage de cette démarche de valorisation de la ville noire et même de remise en cause de cette image. La plupart des artistes rencontrés tendent à nier le caractère réel de cette image : lorsqu’on se balade dans la ville, on constate bien qu’elle n’est pas noire. Néanmoins, ils reconnaissent tous que l’acceptation figurée de cette image ne peut être niée : Saint- Étienne est une ville qui a un passé industriel important qui la marque encore aujourd’hui. L’image de ville noire est considérée comme un stéréotype que la création artistique peut rejouer.

Il existe diverses démarches chez les artistes-habitants. Certains ne cherchent pas à nier cette image mais plutôt le jugement dévalorisant qui l’accompagne. Pour eux, Saint- Étienne peut bien être qualifiée de noire, car elle porte les marques matérielles et immatérielles de l’activité industrielle, mais cela ne doit pas pour autant être l’objet d’une appréciation négative. C’est notamment le cas de Julien Morel qui a réalisé une série de peintures représentant des friches industrielles stéphanoises. Son travail vise notamment à montrer la beauté et la poésie qu’elles peuvent dégager. Sur un autre registre, mais à propos du même motif, Pierre Grasset exprime dans ses photographies de friches la vie qui y prend place (l’âme des objets abandonnés, la végétation qui s’installe, les squatteurs et grapheurs qui s’en emparent, etc.). D’autres artistes-habitants tentent de montrer comment les restes de cette ville noire, industrielle, peut donner lieu à

L’imaginaire urbain dans les régions ouvrières en reconversion. Centre Max Weber/Clersé ANR 2012

la naissance d’un nouvel imaginaire, foisonnant, poétique, comique, etc. (voir sur point la partie 4.3.).

L’image de ville noire est dans tous les cas considérée comme un héritage du passé qui a pris la forme d’un stigmate. C’est ce dernier que les artistes-habitants tentent de renverser en montrant comme une ville noire peut être belle, vivante, source de création poétique ou humoristique.

3.2.3.L’IMAGE DE LA VILLE EN RECONVERSION : LA REHABILITATION VUE COMME TABULA RASA

Si les artistes cherchent à valoriser l’image de la ville industrielle, ils ne sont pas pour autant en accord avec les logiques de reconversion urbaine entreprises par les pouvoirs publics et les aménageurs. Les entretiens et les productions artistiques permettent au contraire d’identifier des critiques vives à ce propos. Ils expriment leur opposition aux logiques de tabula rasa en œuvre selon eux à Saint-Étienne et qui se traduiraient par une destruction de l’héritage, matériel et immatériel, industriel.

Pierre Grasset a notamment réalisé des photographies permettant de mettre à jour les décalages entre les logiques d’aménagement et la réalité de la vie quotidienne. C’est la cohabitation des logiques des aménageurs et de celles des habitants que questionne ici le photographe. D’une autre manière, les affiches de l’édition 2008 du festival Avatarium présente une ville surplombée par des bras de grue menaçants, prêts à la détruire. Julien Morel évoque quant à lui la disparition pure et simple de certains pans de l’héritage industriel avec la démolition de certaines friches industrielles. Il donne l’exemple de la première friche prise pour modèle pour sa série sur ce thème des bâtiments industriels. Il explique qu’il a voulu reprendre des croquis de cette friche quelques semaines après ses premiers repérages et a constaté qu’elle avait été démolie entre temps. L’association Gagajazz (promotion de la musique jazz) a choisi la Tour Plein Ciel, un immeuble situé dans un quartier excentré de Saint-Étienne (Montreynaud), comme motif principal de leur communication (site Internet, flyers, affiches, etc.). Une des raisons de ce choix fut la destruction annoncée de ce lieu emblématique stéphanois. Par la reprise de l’image de la Tour, ils luttent contre la future disparition d’un emblème cher aux stéphanois.

Selon les artistes, les logiques de réaménagement ne favorisent pas le travail de l’imaginaire, mais livrent une ville lisse, neuve, sans aspérité, sans surprise, sans possibilité d’y perdre son chemin ou son esprit. Les artistes-habitants expriment alors leur volonté de ne pas voir disparaître ce qui constitue l’identité de cette ville : les restes de sa vie industrielle. Pour autant, ils ne souhaitent pas véhiculer une image passéiste et figée de la ville et proposent un regard poétique et esthétique sur elle. Ainsi, ils luttent contre le stéréotype de « ville noire » mais émettent en même temps une critique des logiques d’aménagement et de gestion du patrimoine industriel réalisées par les pouvoirs publics.

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