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Imaginer la ville contre ses habitants Imaginer la ville contre ses habitants Imaginer la ville contre ses habitants

Imaginer la ville contre ses habitantsImaginer la ville contre ses habitants

Imaginer la ville contre ses habitants ????

De la ville industrielle sans qualité…

Firminy constitue un bon exemple de ville née de l’industrialisation du XIXe siècle qui a transformé en cent ans une petite bourgade de cloutiers en un centre secondaire du bassin stéphanois : la population passe de 1713 habitants en l’an VIII à 16 903 en 1901. Cette

croissance démographique se concentre sur la période qui va de 1851 à 1881, pendant laquelle on observe des taux de croissance annuelle presque toujours supérieurs à deux chiffres (entre 12 et 17%). La population double en vingt ans entre 1851 et 1872 (de 5274 à 10422 habitants) et double encore pendant le demi-siècle qui suit (21 303 habitants en 1926).

La ville porte évidemment la marque de cette croissance rapide d’autant que, si elle est le produit de l’industrialisation, elle n’a pas été véritablement construite par les industriels. Elle est initialement la ville de la Compagnie des Mines de Roche-la-Molière et Firminy, mais celle-ci commence à s’en retirer à partir de 1860 pour redéployer ses activités sur la partie orientale du territoire communal (tout en y restant fortement présente comme propriétaire foncier et exploitant du sous-sol), tandis que la création des Aciéries de Firminy par François Félix Verdié en 1854 introduit un nouvel acteur qui ne tarde pas à monter en puissance. Toutefois, si le maître de forge exerce la fonction de maire à deux reprises, entre 1862 et 1870 et de 1872 à 1874, il ne s’investit guère dans la gestion de la cité et l’entreprise n’intervient pas sur l’urbain. En fait, jusqu’à la veille de la première guerre mondiale, le pouvoir

municipal est l’apanage d’une petite bourgeoisie locale inspirée par le radicalisme. Celle-ci pose les jalons de la construction d’une urbanité : édification du bâtiment de la mairie en 1879, construction d’un marché couvert en 1905 et d’une halle aux grains surmontée d’une bourse du travail en 1909.

Le projet urbain reste cependant incertain, l’action publique peine à se dégager de la compromission avec les intérêts particuliers. Les atermoiements du pouvoir municipal face à l’opposition des commerçants forains et sédentaires à la mise en service du marché couvert près son achèvement sont là pour en témoigner. Si la mandature de l’avocat socialiste Ernest Lafont est marquée par l’affirmation sans concession d’un progressisme conjuguant

hygiénisme et légalité républicaine, inspiré d’un vrai dessein politique, l’action de la municipalité Brioude qui lui succède, est le reflet du conformisme de notables ouvriers qui semblent incapables de penser l’identité de la ville ouvrière autrement que dans une

célébration indifférenciée du travail dont les armoiries de la ville approuvées par le Conseil municipal en 1925 se veulent l’expression3. Ni company town, ni laboratoire politique de l’émancipation ouvrière, Firminy est, à la vieille de la Seconde Guerre mondiale, une ville « sans qualité ».

3 Ce travail d’armoiries juxtapose des éléments, assez nombreux, qui figurent la vieille ville de Firminy – les tours autour de la porte Saint-Pierre et les traditionnelles clefs –, les activités économiques – le pic et le crézieu du mineur, une roue dentée et une enclume pour l'industrie métallurgique, et les énergies industrielles : les couleurs rouge et noir pour le feu et le charbon. En 2010, un adjoint au maire actuel souligne la « composition » à laquelle a donné lieu la fabrication de ces armoiries : « Mais quand ils l'ont fait, c'est bien aussi pour donner

une identité à une ville qui avait peu d'identité propre. Il n'y a pas un château, il n'y a pas quelque chose qui marque », Entretien avec un adjoint au maire, 12 juillet 2010.

A l’expérimentation urbaine

La crise des années trente et ses conséquences politiques sapent les fondements du statu

quo, l’élection d’une municipalité de Front populaire en 1935 marque la rupture avec les

ambiguïtés du socialisme de notables. La Résistance voit l’affirmation du Parti Communiste comme principale force politique locale, sans être majoritaire toutefois. Il ne tient le pouvoir municipal que par la division de ses adversaires. Aux élections de 1953, le rapport de force local est inchangé mais le contexte national fait que les différentes listes d’opposition se rassemblent derrière Claudius-Petit. Si celui-ci a fait campagne sur la question du logement, cela a été insuffisant pour susciter une mobilisation majoritaire de l’électorat ; les manœuvres tactiques au sein du conseil municipal ont été plus efficaces.

Dans une ville profondément divisée par la conflictualité politique depuis la Libération, qui n’a su ou pu prendre parti, l’élection de Claudius-Petit n’a pu susciter d’autres attentes que de circonstance, y compris sans doute chez ses partisans. Son « parachutage », dénoncé par ses adversaires, repose davantage sur l’exploitation d’une opportunité fomentée par les relais locaux de ses réseaux politiques, que sur un projet missionnaire explicitement construit autour de la mise en œuvre d’une politique urbaine. Certes son élection représente pour Claudius- Petit une occasion unique de mettre en pratique ses conceptions en matière d’urbanisme et de logement mais, dans les faits, sa démarche reste méthodique et prudente. Il procède davantage par l’exemple que par la proclamation.

De fait, de par les principes sur lesquels elle repose, pragmatisme, rationalité et didactisme, l’action de Claudius-Petit coupe court à toute cristallisation d’imaginaire au sens d’une

projection dans l’avenir dans la mesure où celui-ci est présenté comme le produit d’une construction logique et maîtrisée. Cette action s’inscrit par ailleurs dans la continuité d’un parcours politique qui voit dans l’urbanisme moins une technique ou un savoir-faire inféodés à des partis pris esthétiques, qu’un élément d’une politique globale d’aménagement devant concourir à la grandeur du pays. Dans cette perspective, il est clair qu’en la circonstance le local sert de terrain d’expérimentation d’une démarche globale et que si imaginaire il y a, il ne se réfère pas spécifiquement à la ville mais s’inscrit dans le cadre plus large de la société française de la Reconstruction et des Trente Glorieuses. Dans un contexte où les politiques urbaines sont étroitement contrôlées voire pilotées par l’Etat, il est difficile de trouver une marge de liberté pour le développement de projets spécifiquement locaux.

La modernité comme opérateur d’imaginaire paradoxal

Il en reste néanmoins que l’irruption de la modernité dans la ville « incertaine » qui a été précédemment évoquée, introduit un élément de rupture qui intrigue et inquiète. Cette rupture intervient sur deux plans : celui d’une remise en question des cadres du quotidien et celui d’un changement de l’horizon de référence du devenir de l’urbain.

Sur le premier point, il est évident que les innovations proposées en termes de logement, de formes architecturales et urbaines, sans parler d’innovations qui touchent aux formes même de la vie quotidienne telles la mise en place d’un système de chauffage urbain qui socialise ce qui relevait jusqu’alors du temps et de l’espace domestiques, constituent une rupture avec les contraintes et les inconforts mais aussi les rites et les rythme de la ville héritée. Firminy-Vert ne doit pas être seulement envisagé en termes de production matérielle d’un nouveau type d’espace urbain, il correspond à un déplacement de la ville qui disloque un tissu

d’interrelations complexes entre lieu et temps du travail et du hors travail.

Sur le second point, la mise en place d’un urbanisme planifié avec ce que cela suppose de maîtrise de la décision, de prévision et d’échéances consolidées rompt avec un régime de temporalité marqué par l’opportunisme, l’incertitude et l’attente. Le Maire et, d’une manière générale, le pouvoir municipal, est celui qui maîtrise le dire et le faire, ce qui, en dehors de

l’imposition de la norme que cela représente, laisse peu de place à l’aléa et à la surprise. La transformation de la ville relève d’un scénario dont les linéaments sont connus et présentés comme relevant de la nécessité sinon de l’inéluctable. Les habitants ne sont conviés à la conception de la ville que comme spectateurs à l’instar de ceux qui se sont rendus à la

conférence de présentation du plan d’urbanisme directeur au cinéma La Plantée donnée par le Maire en novembre 1954.

Spectateurs et curieux, avec ce que cela peut supposer de distance et de perplexité, les habitants le sont aussi des réalisations du maire. L’innovation représentée par la construction d’un immeuble de onze étages à l’emplacement de l’ancienne usine Experton en centre-ville attire les foules comme en témoigne le succès des journées portes ouvertes organisées par l’Office HLM entre le 29 juin et le 7 juillet 19564. Non seulement il s’agit du premier immeuble de grande hauteur construit dans la vallée de l’Ondaine mais il présente aussi un ensemble d’équipements inconnus alors de la population locale : ascenseurs, chauffage central, eau chaude sur l’évier (alors qu’à la même époque 30% de la population ne disposait pas de l’eau sur l’évier tout simplement), cuisines équipées de placards à la livraison de l’appartement. Mais curiosité ne signifie pas adhésion, habiter Firminy-Vert relève semble-t-il plus de la nécessité que du choix et lorsque la situation quant au logement commence à se détendre au tournant des années 70, les réticences de la population à occuper l’Unité

d’Habitation en dépit du confort offert et de l’attractivité des niveaux de loyers, montrent que le projet urbain porté par Claudius-Petit reste une utopie au sens trivial du terme.

La population de Firminy a quelques difficultés à se projeter dans l’avenir qui lui est proposé. La rénovation urbaine avec la démolition et le relogement qui lui sont associés, est vécue davantage comme une menace que comme une promesse. L’incertitude quant au lieu et au moment du déplacement est source d’angoisse encore transmise aujourd’hui5. . Face à cet horizon inquiétant, le repli, tant spatial que symbolique, sur la ville héritée se cristallise en réaction de défense et comme une ressource pour reconstituer des repères stabilisés. En réponse à la dévalorisation institutionnalisée par les enquêtes d’insalubrité se forme une idéalisation de la ville populaire révélatrice d’une épaisseur de la société locale et de son espace qui contraste avec la limpidité du projet moderniste.

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